N° 727
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 11 juin 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
sur le projet de loi autorisant l'approbation de
l'accord entre le
Gouvernement
de la
République
française et le
Gouvernement de la
République de Chypre
sur la coopération lors des
opérations
d'évacuation à partir de la
région du
Moyen-Orient via le
territoire de la
République de Chypre
dans le cadre d'une
situation de crise
(procédure accélérée),
Par M. Christian CAMBON,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de :
M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal
Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret,
Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol,
Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid
Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau,
Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury,
Jean-Marc
Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc,
Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon,
Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti,
Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton,
MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent,
MM. Jean-Pierre Grand, Joël Guerriau, Ludovic Haye,
Loïc
Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda,
Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi,
Ronan Le Gleut,
Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne
Perrot, MM. Stéphane Ravier,
Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido,
Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.
Voir les numéros :
Sénat : |
345 et 728 (2024-2025) |
INTRODUCTION
L'instabilité chronique du Moyen-Orient expose régulièrement les ressortissants européens à des situations de crise pouvant nécessiter des opérations d'évacuation rapides, coordonnées et sécurisées. Dans ce contexte, le renforcement des capacités logistiques et juridiques des opérations de RESEVAC (retrait de ressortissants) constitue un enjeu majeur pour la France. Le territoire chypriote, situé à une centaine de kilomètres des côtes syriennes, se présente comme une base arrière stratégique essentielle.
La convention signée le 9 septembre 2022 entre la France et la République de Chypre porte justement sur la coopération lors des opérations d'évacuation depuis le Moyen-Orient, depuis le territoire chypriote.
Le besoin d'un accord structurant pour les RESEVAC a été formulé par la France dès 2013. Un projet d'arrangement technique est alors discuté, mais la contreproposition chypriote de 2014 prévoyant des clauses de compétence juridictionnelle et d'environnement excède les attributions du ministère français de la défense. L'accord devait donc prendre la forme d'un accord intergouvernemental.
Après plusieurs années de négociations, ralenties notamment par la crise du COVID-19, l'accord est signé à Paris le 9 septembre 2022 par Mme Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, et M. Ioannis Kasoulides, son homologue chypriote.
La convention vise à doter la France d'un cadre permanent pour l'organisation d'opérations d'évacuation depuis les pays du Moyen-Orient. Elle répond à une lacune juridique constatée lors des RESEVAC de 2006 (Liban) et de 2023 (Israël).
Elle anticipe les besoins logistiques (aéroports, ports, infrastructures d'accueil), juridiques (régime de port d'armes, compétence juridictionnelle) et médicaux (soutien hospitalier).
Cette convention a été déposée une première fois au Sénat en 2023, puis retirée, à la suite des attaques perpétrées le 7 octobre 2023 par le Hamas à l'encontre d'Israël, eu égard au fait qu'un tel examen aurait pu envoyer un signal diplomatique inadapté dans ce contexte.
Ce texte a été redéposé au Sénat le 13 février 2025. Il en est saisi en première chambre.
L'accord intervient dans un contexte de consolidation des liens bilatéraux franco-chypriotes, à la fois sur les plans politique, militaire, culturel et européen.
PREMIERE PARTIE : UN CONTEXTE GÉOPOLITIQUE ET STRATÉGIQUE BIEN SPÉCIFIQUE
I. L'ENVIRONNEMENT GÉOSTRATÉGIQUE DE CHYPRE
Chypre est géographiquement située à la frontière de l'Union européenne et du Moyen-Orient.
Depuis les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël et la montée des tensions au Proche-Orient, un risque d'importation à Chypre des conflits de la région est palpable.
En juin 2024, le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait pour la première fois menacé l'île, l'accusant de soutenir Israël en permettant l'utilisation de ses bases et aéroports pour des opérations militaires contre le Liban.
Soixante ans après le déploiement des premiers casques bleus à la suite d'affrontements intercommunautaires, puis l'invasion par les troupes turques d'une partie de l'île en juillet 1974, la partition de fait de Chypre demeure une donnée fondamentale structurante. Séparée au sud par une zone démilitarisée orientée sur un axe Est - Ouest sous contrôle des Nations-Unies, Chypre-nord recouvre un territoire de 3 500 km² (36 % du territoire), qui se trouve de facto sous le contrôle de l'armée turque et échappe à la souveraineté de la République de Chypre. Proclamée le 15 novembre 1983, la « République turque de Chypre du Nord » (RTCN), n'est reconnue internationalement que par la Turquie.
Aujourd'hui, l'armée turque y stationne plus de 35 000 soldats possédant des capacités de reconnaissance et de combat. Face à elle, l'armée chypriote génère de la masse (14 000 hommes) par le recours à la conscription et apparaît inférieure numériquement en personnel et en capacités.
Le profond déséquilibre du rapport des forces en présence a incité Chypre à rechercher la « dissuasion par la diplomatie », en concentrant ses efforts sur le droit international et européen ainsi que sur les structures qui l'incarnent (ONU, Union européenne, Conseil de l'Europe). Cela n'empêche nullement les tensions et les incidents (cf. Pyla - août 2023) ainsi qu'une militarisation croissante de la zone tampon (buffer zone) par les deux parties en présence. Cet état de fait est régulièrement relevé dans les rapports établis par la force des Nations Unies sur place (UNFICYP).
En outre, du fait de cette position géographique et de la situation au Proche-Orient, Chypre fait face à une importante pression migratoire. En avril 2024, suite à une hausse des flux migratoires irréguliers depuis le Liban, qualifiée d'« état de crise grave » par le président N. Christodoulides, les autorités chypriotes ont suspendu l'examen des demandes d'asile pour les ressortissants syriens. Les départs de migrants depuis les côtes libanaises ont, par ailleurs, été stoppés depuis la mi-avril 2024 du fait d'une coordination étroite entre les autorités chypriotes et libanaises. Chypre encourage désormais les retours volontaires vers la Syrie en raison de la chute du régime de Bachar el-Assad. De nouvelles arrivées par voie maritime depuis la Syrie, à partir de mars 2025, inquiètent les autorités chypriotes qui craignent une nouvelle vague migratoire.
II. L'APPARTENANCE À L'UNION EUROPÉENNE
Membre de l'Union européenne depuis 2004, la République de Chypre se positionne comme un acteur européen stable, engagé dans la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), tout en subissant une forte pression migratoire et des tensions régionales amplifiées par les conflits au Proche-Orient. Sa situation géographique fait d'elle un point d'appui logistique de premier plan pour des opérations humanitaires et militaires.
La participation chypriote à la PSDC est principalement concentrée sur trois opérations maritimes : EUNAVFOR ASPIDES, EUNAVFOR ATALANTA et EUNAVFOR IRINI, ainsi qu'une contribution à EUMM Géorgie. Elle s'est récemment renforcée sur EUMAM Ukraine.
La convention s'inscrit dans une dynamique plus large de coopération européenne en matière de sécurité et de défense. Elle pourrait servir de modèle à d'autres accords bilatéraux ou multilatéraux entre États membres de l'Union européenne confrontés à des risques géopolitiques similaires.
À moyen terme, il pourrait ouvrir la voie à une mutualisation plus structurée des ressources logistiques, médicales et juridiques européennes pour la gestion des crises internationales.
III. LES PRINCIPAUX ENJEUX DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE POUR CHYPRE
Les principaux objectifs de politique étrangère de Chypre sont les suivants :
• la gestion de la « question chypriote », alors que la Turquie promeut sans complexe la reconnaissance internationale de la « République turque de Chypre nord » (« RTCN ») ;
• l'ancrage au sein de l'UE, alors que Chypre a célébré les 20 ans de son adhésion en mai 2024 et qu'elle en prendra la présidence tournante du Conseil au premier semestre 2026 ;
• le renforcement de son partenariat avec les Etats-Unis ;
• l'approfondissement de ses relations avec son voisinage proche-oriental, golfique et méditerranéen (exception faite de la Turquie), notamment sur les enjeux énergétiques.
À plusieurs égards, la politique étrangère de Chypre diffère de ses voisins en Méditerranée orientale, en particulier du fait de son appartenance à l'Union européenne et de la spécificité de la « question chypriote », qui conduit historiquement la République de Chypre à solliciter le soutien de son proche voisinage contre toute reconnaissance de l'indépendance de la « RTCN ».
Sur le plan financier, le budget de la défense chypriote s'élève en 2025 à 588 M€, soit approximativement 1,5% du PIB, en hausse par rapport à 2024 (+3,9M). Le ministère de la défense chypriote a pour objectif de porter le budget de la défense à 2% du PIB d'ici à 2028.
La garde nationale chypriote compte 14 000 personnels actifs et 60 000 réservistes.
DEUXIÈME PARTIE : UNE COOPÉRATION DÉJÀ BIEN DÉVELOPPÉE AVEC LA FRANCE
I. UNE COOPÉRATION DENSE EN MATIÈRE DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ...
La relation bilatérale de défense franco-chypriote bénéficie d'une excellente dynamique. Elle est avant tout stratégique.
Depuis 1974, la France a exprimé un soutien constant à l'intégrité territoriale de la République de Chypre, notamment face à l'occupation militaire turque du nord de l'île. Ce positionnement s'est traduit par une coopération militaire renforcée dans les années 2000 avec l'adoption de l'accord de coopération en matière de sécurité intérieure (2005).
Elle a été ensuite encadrée par un Agenda stratégique signé entre les ministres des Affaires étrangères le 25 octobre 2016, qui couvre le dialogue politique, la coopération en matière de sécurité et de défense, le dialogue économique et la coopération dans les domaines éducatif et culturel.
Un accord de coopération en matière de défense, signé en avril 2017, est entré en vigueur en août 2020. Chypre apporte son appui aux armées françaises en Méditerranée orientale, avec plus de vingt escales de nos bâtiments militaires dans les ports de Larnaca et Limassol, et de multiples escales aériennes pour transit et ravitaillement sur la base aérienne de Paphos chaque année.
En 2024, la marine nationale française y a fait 36 escales de navires, sans compter les exercices et les vols réalisés sur le territoire. Ce qui en fait la première destination de visite de nos forces dans la région.
La coopération bilatérale dans le domaine naval est particulièrement fructueuse. Elle est centrée sur la conduite d'exercices de sauvetage, d'évacuation de ressortissants, d'entraînements communs et sur l'échange d'informations concernant la situation en Méditerranée orientale.
Sur le plan multilatéral, les intérêts chypriote et français sont très souvent alignés. Non membre de l'OTAN, Nicosie manifeste sa volonté d'apporter son concours à l'Europe de la défense à la hauteur de ses moyens. Compte tenu des rivalités et des intérêts croisés en Méditerranée orientale, Chypre compte sur l'appui politique de Paris. La mise en oeuvre d'un format quadripartite (QUADMEDOR : Italie, Grèce, France, Chypre) de coordination des présences maritimes en Méditerranée orientale ainsi que la conduite annuelle de l'exercice naval EUNOMIA contribuent à assurer Nicosie de notre soutien.
En outre, la France est l'un des principaux fournisseurs d'armement de Chypre.
Le montant de nos exportations en direction de Chypre s'élève en 2023 à 3,6 M€, avec un montant cumulé sur 10 ans (de 2014 à 2023) de 311,9 M€. En revanche, on nous a indiqué que la liste des types de matériels français dont dispose Chypre ne peut pas être communiquée.
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II. ...QUI SE MATÉRIALISE SUR LE TERRAIN
La France est présente en continu en Méditerranée orientale. Cette présence est caractérisée par de multiples activités, impliquant en particulier la Marine nationale et l'Armée de l'Air et de l'Espace.
Sur le plan matériel et opérationnel, cette présence est illustrée par :
• la quasi-permanence d'un bâtiment de 1er rang de la Marine nationale, qui contribue à l'appréciation de situation nationale au large du Liban et de la Syrie.
• les vols réguliers de Reaper (drone) ;
• les déploiements réguliers d'avions de patrouille maritime ATL2 en Crête pour effectuer des vols en Méditerranée orientale.
En outre, il existe plusieurs exercices bilatéraux et multilatéraux en coopération avec Chypre :
• ARGONAUT 25, Chypre, avril 2025 - Exercice maritime multinational de coopération dans les domaines SAR/RESEVAC.
• EUNOMIA 25, large de Chypre, septembre 2025- Exercice maritime annuel, thème LAS/RESEVAC/SAR, avec QUAD MEDOR (FRA-GRC-ITA). Co-organisé en 2025 par la France à la demande de Chypre.
• EUNOMIA 26, large de Chypre, septembre-octobre 2026 - Exercice maritime annuel, thème LAS/RESEVAC/SAR, avec QUAD MEDOR (FRA-GRC-ITA).
D'autres activités peuvent être mentionnées en Méditerranée orientale en 2025 :
• ARIADNE, Grèce, mars 2025 - Exercice grec annuel multilatéral, LIVEX guerre des mines.
• INIOCHOS, Grèce, avril 2025 - Missions aériennes complexes.
• JABAL 5, Jordanie, mai 2025 - Exercice Terre bilatéral, combat montagne en climat désertique.
• KURTARAN, Turquie, mai 2025 - Exercice maritime SAREX multilatéral.
• IMMEDIATE RESPONSE (intégré à DEFENDER EUROPE), Albanie, mai-juin 2025 - Exercice NRBC des USA.
• YOBOKI 2 et YOBOKI 3, Jordanie, juillet et décembre 2025 - Exercice FS avec la Jordanie.
• SOFEX ORION, Grèce, août-septembre 2025 - Exercice FS cadre USA/interalliés.
• NIRIIS, Grèce, décembre 2025 - LIVEX multilatéral d'entraînement aux opérations maritimes.
TROISIÈME PARTIE : CONTENU ET PORTÉE DE L'ACCORD
I. CONTENU DE L'ACCORD
L'Accord détermine les conditions préalables dans lesquelles l'autorisation d'utiliser le territoire chypriote est accordée, un certain nombre de facilités au bénéfice des forces françaises (droit d'utilisation de véhicules, navires et aéronefs, liberté de mouvement, mise à disposition d'infrastructures, port d'armes) et le statut des forces françaises participant aux opérations de RESEVAC (clause de partage de juridiction, soutien médical). Outre un court préambule, le texte comporte quinze articles :
- Articles 1 et 2 : définitions et activation par note verbale 48h à l'avance.
- Articles 3 à 5 : libre circulation, port d'armes, communications et reconnaissance mutuelle des compétences.
- Article 6 : protection des informations classifiées.
- Article 7 : mise à disposition gratuite des infrastructures chypriotes.
- Article 8 : exonération de droits de douane et possibilité d'emploi de civils locaux.
- Article 9 : responsabilité sanitaire assurée par la France, soins de haut niveau remboursés.
- Articles 10 à 13 : environnement, compétence disciplinaire et juridictionnelle, indemnisations.
- Articles 14 et 15 : règlement des différends, durée de trois ans renouvelable tacitement.
Le texte prévoit la possibilité d'évacuer tout citoyen de l'UE ainsi que des ressortissants d'États tiers sur base humanitaire.
Sur le plan juridique, les opérations d'évacuations prévues dans l'accord permettent de faire face à des situations de crise diverses. La définition de « situation de crise » à l'article 1er de l'accord inclut la détérioration du contexte politique, les conflits armés, les catastrophes, accidents graves et les épidémies.
Concernant les destinations, l'article 1er identifie le cadre géographique dans lequel l'accord opère : l'Arabie Saoudite, Bahreïn, l'Égypte, les Émirats arabes unis, l'Irak, l'Iran, Israël, la Jordanie, le Koweït, le Liban, Oman, le Qatar, la Syrie, les Territoires palestiniens, la Turquie et le Yémen.
On peut préciser ici que la France n'a conclu à ce jour qu'un seul accord comparable avec un autre État : le République du Congo.
Cet accord du 17 décembre 2016 tend à prévenir la montée des tensions due au report de l'élection présidentielle en RDC.
Il est similaire à l'accord avec Chypre à l'exception des points suivants :
- l'accord avec Chypre prévoit la possibilité d'évacuer toute personne sur la base de considérations humanitaires contrairement à celui avec la République du Congo ;
- l'accord avec Chypre est plus large et prévoit des évacuations dans toute une région du monde à l'inverse de celui avec la République du Congo qui prévoit l'évacuation de personnes uniquement en République démocratique du Congo.
De manière moins fréquente, la France peut avoir des engagements moins contraignants comme des Memorandum of Understanding (MOU) par exemple avec la Pologne et la Tchéquie sur un plan d'évacuation conjoint en Éthiopie.
Chypre, de son côté ne dispose pas d'accord similaire avec d'autres États que la France.
II. UN ENTRAINEMENT RÉGULIER À DES OPÉRATIONS D'ÉVACUATION
Si cette convention repose sur la prise en compte de l'expérience d'évacuations antérieures depuis le territoire chypriote, comme en 2006 depuis le Liban ou en 2023 depuis Israël, le France n'a de cesse de s'entraîner pour être la mieux préparée possible.
L'expérience tirée du déploiement du porte-hélicoptères amphibie Dixmude à deux reprises a également été utile.
Déployé en novembre 2023 à El Arish (Égypte), il a été configuré en navire hôpital pour apporter un soutien à la population gazaouis. Il a été configuré pour disposer de deux blocs chirurgicaux et 40 lits d'hospitalisation au sein du centre médical des armées, prenant en charge un total de 124 patients. Les médecins engagés ont réalisé 269 actes de chirurgie pour un total de 2078 actes médicaux. Cela a permis de mettre en évidence la capacité à agréger dans ce cadre des acteurs d'autres ministères (Ministère de l'intérieur, MSP) et des spécialistes de nations alliées (Belgique, Danemark, Jordanie, Émirats Arabes Unis, Singapour).
Lors du second déploiement d'un porte-hélicoptères amphibie au large du Liban en novembre 2024, dont l'objectif était de constituer une capacité à mener une évacuation de ressortissants, la praticabilité des points de regroupement et d'évacuation a pu être éprouvée permettant une mise à jour des plans en lien avec les autorités libanaises et chypriotes
La préparation d'une évacuation de 20 000 ressortissants depuis le Liban à l'automne 2024 a mobilisé l'ambassade de France à Nicosie, les forces armées et le centre de crise du MEAE. Le porte-hélicoptères Dixmude a de nouveau été utilisé comme navire hôpital.
Les plans de crise prévoient le recours à des navires civils et militaires, le déploiement d'unités logistiques et de protection, et la coordination avec les autorités chypriotes.
Le volume de forces engagées serait de l'ordre de plusieurs bâtiments de transport, d'un porte-hélicoptère amphibie (PHA) et de son environnement pour la sécurisation et la conduite de l'évacuation. À Chypre, un plot logistique et un centre de regroupement et d'évacuation des ressortissants seraient déployés, sans doute pendant quelques semaines.
Les trois armées seraient mobilisées dans ce cas de figure. Une telle opération nécessiterait des navires de transport, des navires d'escorte, des moyens de transport aérien, des hélicoptères, des éléments terrestres pour sécuriser les points de récupération et des moyens du service de santé des armées (SSA).
CONCLUSION
L'accord apporte à la France un cadre juridique robuste pour les RESEVAC, une sécurisation des moyens logistiques via un partenaire stable et une capacité de projection en amont, adaptée aux scénarios les plus dégradés.
Pour Chypre, il marque une reconnaissance de son rôle géostratégique et s'inscrit dans la perspective d'un partenariat renforcé avec la France à l'horizon de sa présidence de l'UE en 2026.
La coopération militaire franco-chypriote se trouve ainsi consolidée par un outil juridique opérationnel, adapté aux réalités du XXIème siècle.
La convention signée entre la France et Chypre constitue une avancée majeure pour la sécurité des ressortissants européens dans la région du Moyen-Orient. En formalisant les conditions de leur évacuation via le territoire chypriote, elle préfigure ce que pourrait être demain une solidarité européenne de protection civile extérieure.
Elle constitue également une pièce essentielle du dispositif diplomatique et militaire français en Méditerranée orientale. Son caractère régional, son extensibilité à d'autres ressortissants alliés et son articulation avec les engagements de la France au sein de l'UE, de l'ONU et de l'OTAN en font un modèle d'accord adapté aux crises contemporaines.
Chypre a d'ores et déjà ratifié cet accord en 2024.
Sa ratification prochaine par la France permettrait d'assurer une continuité opérationnelle entre les différentes composantes de la chaîne d'intervention française en cas de crise.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 11 juin 2025, sous la présidence de Mme Catherine Dumas, vice-présidente, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d'une situation de crise.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Nous examinons le rapport de M. Christian Cambon sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Chypre sur la coopération lors des opérations d'évacuation à partir de la région du Moyen-Orient via le territoire de la République de Chypre dans le cadre d'une situation de crise, signée le 9 septembre 2022
M. Christian Cambon, rapporteur. - Ce texte a été redéposé au Sénat le 13 février 2025, après l'avoir été une première fois en 2023, puis retiré, à la suite des attaques du 7 octobre. Cet accord mérite une attention particulière au regard de la situation de la région qui traverse des bouleversements sans précédent depuis plusieurs années.
Chypre, qui aspire à jouer un rôle militaire actif dans la région, constitue ainsi un point d'observation essentiel et une base arrière précieuse pour nos armées. Positionnée en Méditerranée orientale à une centaine de kilomètres des côtes syriennes, la République de Chypre est située à l'extrême Est de l'Union européenne. Cinquante ans après le déploiement des premiers casques bleus à la suite de l'invasion par les troupes turques d'une partie de l'île en juillet 1974, la partition de fait de Chypre demeure une donnée fondamentale structurante.
Séparée du sud par une zone démilitarisée orientée sur un axe Est - Ouest sous contrôle des Nations-Unies, Chypre-nord recouvre un territoire de 3 500 km² (36% du territoire), qui se trouve de facto sous le contrôle de l'armée turque et échappe à la souveraineté de la République de Chypre. Proclamée le 15 novembre 1983, la « République turque de Chypre du Nord » (RTCN), n'est reconnue internationalement que par la Turquie. L'armée turque y stationne plus de 35 000 soldats possédant des capacités de reconnaissance et de combat. Face à elle, l'armée chypriote génère de la masse (14 000 hommes) par le recours à la conscription et apparaît numériquement inférieure en personnel et en capacités dans tous les domaines, sans même prendre en compte la capacité turque de projection de force.
À plusieurs égards, la politique étrangère de Chypre diffère de ses voisins en Méditerranée orientale, en particulier du fait de son appartenance à l'Union européenne et de la spécificité de la « question chypriote », qui conduit historiquement la République de Chypre à solliciter le soutien de son proche voisinage contre toute reconnaissance de l'indépendance de la République turque de Chypre du Nord.
L'évacuation des ressortissants en situation de crise a réalisée à deux reprises par la France avec la Marine française sur le territoire chypriote : en 2006 avec l'envoi d'un porte-hélicoptères au Liban, puis en 2023, à la suite des attaques du 7 octobre avec l'évacuation de Français d'Israël, soit environ 250 ressortissants et leurs familles.
Or, il n'existait pas alors de cadre juridique pour encadrer de telles opérations. C'est ce que ce texte prévoit de faire.
La relation bilatérale de défense franco-chypriote bénéficie d'une excellente dynamique. Elle est avant tout stratégique. Elle est encadrée par un Agenda stratégique signé entre les ministres des Affaires étrangères le 25 octobre 2016, qui couvre le dialogue politique, la coopération en matière de sécurité et de défense, le dialogue économique et la coopération dans les domaines éducatif et culturel.
En 2024, 36 escales de navires de la Marine française, sans compter les exercices et les vols réalisés sur le territoire. Ce qui en fait la première destination de visite de nos forces dans la région. Non-membre de l'OTAN, Chypre manifeste sa volonté de soutenir l'Europe de la défense, dans la mesure de ses capacités.
Le budget de la défense chypriote s'élève à 588,4 millions d'euros, soit approximativement 1,5% du PIB, en hausse de 3,9 millions d'euros par rapport à 2024 ; le ministère de la défense chypriote a pour objectif de porter le budget de la défense à 2% du PIB d'ici à 2028. La garde nationale chypriote compte 12.000 personnels actifs et 60.000 réservistes.
Chypre est membre de l'UE depuis 2004. Sa participation à la politique de sécurité et de défense commune est principalement concentrée sur trois opérations maritimes : EUNAVFOR ASPIDES, EUNAVFOR ATALANTA et EUNAVFOR IRINI, ainsi qu'une contribution à EUMM Géorgie. Elle s'est récemment renforcée sur EUMAM Ukraine.
Cette convention, assez unique en son genre, a nécessité des années de négociations pour définir des cadres financiers, juridiques et douaniers adaptés.
Signée en 2022, elle prévoit les conditions dans lesquelles l'usage du territoire chypriote pourrait servir à une évacuation des ressortissants français, mais aussi de l'Union européenne et des ressortissants d'États avec lesquelles la France aurait signé un accord en ce sens.
Très complète, elle reprend ce qui avait dû être décidé dans l'urgence en 2006 à travers quinze articles et permettra donc une réaction plus rapide dans un cadre juridique fixé à l'avance. La France s'engage à respecter la législation chypriote, par exemple pour port d'armes par le personnel français ou la mise en place de notre système de communication. L'article 7 porte sur le soutien logistique fourni à titre gratuit par Chypre à la France, la mise en place d'infrastructures, d'espaces publics tels que les ports, les bases militaires, les bases de stockage. Il y a un article sur le régime fiscal, un article sur l'ensemble des soins médicaux que la France peut assurer aux personnels évacués ainsi qu'aux personnels français pendant la durée où ils stationnent sur le territoire chypriote. Un article vise également à mettre en place des mesures de prévention et de traitement de toute incidence de pollution sur le territoire chypriote. Enfin, un article donne aux autorités françaises une compétence en matière de discipline sur les personnels français.
La ratification de cet accord est attendue par les autorités chypriotes, parce qu'il s'inscrit dans un contexte de partenariat tout à fait positif entre nos deux pays pour l'aide que ce pays nous apporte - nous n'oublions pas le rôle que Chypre nous apporte en matière de renseignement.
À l'horizon de la présidence chypriote de l'Union européenne en 2026, la France et Chypre souhaitent approfondir leur relation, ce partenariat inclurait des volets en défense et sécurité, éducation, technologie et recherche, et devrait être conclu d'ici la fin de l'année.
Chypre cherche à se réarmer et se tourne vers la France, dont plusieurs de ses industriels. Je pense ici à Thales avec ses radars, MBDA pour ses missiles Mistral et enfin Airbus avec les hélicoptères.
Je tiens également à souligner que nos services sont déjà prêts dans le cas où une évacuation aurait lieu. À l'automne dernier, en raison de la montée des tensions dans la région, l'ambassade de France à Chypre, forte de ses 25 agents, s'est préparée à l'évacuation de 20 000 ressortissants français en provenance du Liban, en plus des touristes présents. Une évacuation, qui pourrait se faire par voie maritime en cas de blocage de l'espace aérien, nécessiterait la mobilisation de navires civils et militaires. Régulièrement nos forces s'entrainent à travers les opérations de RESEVAC pour ce cas de figure.
De plus, chaque année se tient à Chypre un exercice (Argonaut) multilatéral civil et militaire regroupant différents pays dont la France organisé par les autorités chypriotes, simulant une évacuation du Proche-Orient via Chypre.
Je vous invite donc à approuver cet accord, qui répond aux besoins des deux pays et qui est attendu depuis sa signature en septembre 2022. Cet accord a été ratifié par le Parlement chypriote l'an dernier et son entrée en vigueur est cruciale pour renforcer notre coopération dans la région.
Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, dont le Sénat est saisi en premier. L'examen de ce projet de loi en séance publique est prévu le lundi 23 juin 2025, selon la procédure simplifiée.
Mme Catherine Dumas, présidente. - J'ai eu également l'occasion de me rendre à Chypre, qu'on qualifie parfois de « porte-avions de Méditerranée orientale ». Nous avons grand intérêt à entretenir de bonnes relations avec ce partenaire.
M. Mickaël Vallet. - On peut comprendre que les Chypriotes aient envie de prendre certaines précautions. En 2006, il y a eu une opération de rapatriement de Français vers le continent ou la métropole - je choisis mes mots avec soin en parlant de rapatriement. Il s'agissait de la plus importante opération de ce type depuis les années 1960, cela concernait des milliers de personnes. Cela nécessite de pouvoir agir rapidement et avoir une entente spontanée avec les Chypriotes pour que les choses se déroulent comme prévu. C'est donc un texte important, qu'il est bon d'adopter avant qu'une crise ne survienne - car c'est quand la crise est là qu'on regrette de ne pas s'y être préparé.
M. Philippe Folliot. - Je salue le travail complet de notre rapporteur. Chypre a été une base et un relais pour nos militaires qui revenaient d'Afghanistan.
Une question se pose : le changement de régime en Syrie aura-t-il des conséquences sur la politique chypriote ? Pourra-t-il impulser des éléments positifs ou négatifs par rapport à ce traité et à la façon dont les choses vont s'organiser dans cette partie de la Méditerranée orientale ?
M. Christian Cambon, rapporteur. - Merci d'avoir souligné ce rôle pour nos forces armées, c'est une réalité encore actuelle. Les forces françaises qui se maintiennent dans la région bénéficient d'un soutien logistique très important à Chypre.
Nous avons interrogé nos deux ambassadeurs - à Paris et à Chypre - sur la proximité avec la Syrie. Ils nous ont répondu être dans une phase d'observation, puisque le changement de régime risque d'avoir pour conséquence le retour d'une partie des communautés syriennes vers la Syrie, à partir du moment où des assurances sont données par le gouvernement provisoire du président syrien Ahmed al-Charaa - Chypre est un des points d'observation majeurs sur ce qui se passe en Syrie. Le nouveau président syrien a été reçu par le président Trump, l'idée est de faire en sorte que ce nouveau gouvernement renonce définitivement à ses attaches avec Daesh et avec tous les crimes passés - dont certains ministres ont été les auteurs. Pour l'instant, nous sommes dans une attitude expectative, il n'y a pas de mouvement concret qui solliciterait d'utiliser le dispositif de crise.
En revanche, on peut imaginer que cet accord puisse être répliqué, puisque la France peut avoir à évacuer d'autres régions du monde des Français ou d'autres ressortissants de pays européens. Rappelons-nous de ce qui s'est passé en Afghanistan. Cet accord a été longuement négocié, il est exemplaire - et il concerne un pays très important et très intéressant pour toute la région en particulier pour la France puisque Chypre est le pays au monde où notre Marine a rendu le plus de visites l'an passé.
Le projet de loi est adopté sans modification.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
· M. Pavlos Kombos, Ambassadeur de Chypre à Paris, accompagné par M Dionysis Dionysiou, Chef de Mission Adjoint
· Mme Clélia Chevrier, Ambassadrice de France à Chypre
Pour le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères :
· Mme Amélyse MENEI, Adjointe à la cheffe de mission, Mission de l'Europe méditerranéenne
· M. David GUEYRAUD, conseiller politique à la Mission de l'Europe méditerranéenne Turquie/Chypre, Direction de l'Union européenne
· M. Pierre DOUSSET, conseiller juridique à la Mission des Accords et Traités, Direction des affaires juridiques
Pour le ministère des Armées et des anciens combattants :
· M. Jean MAZEL, Conseiller juridique - Bureau du droit international public général à la Sous-direction du droit international et européen, Direction des affaires juridiques
· M. Antoine PAVAGEAU, Sous-directeur du droit international et du droit européen, Direction des affaires juridiques