N° 743 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025 |
RAPPORT FAIT au nom de la commission des finances (1) sur le projet
de loi, |
Par M. Jean-François HUSSON, Sénateur |
TOME II ANNEXE N° 20 Rapporteurs spéciaux : MM. Georges PATIENT et Stéphane FOUASSIN |
(1) Cette commission est composée de :
M. Claude Raynal, président ;
M. Jean-François Husson, |
Voir les numéros : Assemblée nationale (17ème législ.) : 1285, 1492 et T.A. 138 Sénat : 718 (2024-2025) |
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS
SPÉCIAUX
1. Les crédits exécutés sur la mission « Outre-mer » se sont élevés en 2024 à 3,16 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 2,92 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), soit une baisse de 0,8 % en AE et de 2,1 % en CP par rapport à l'exécution des crédits de la mission en 2023.
2. Le décret d'annulation du 24 février 20241(*) a entrainé la suppression de 78,2 millions d'euros en AE et en CP, dont 74,9 millions d'euros sur le programme 123 « conditions de vie outre-mer » et 3,3 millions d'euros sur le programme 138 « emploi outre-mer ». Si les reports de l'année précédente en particulier ont permis finalement d'augmenter les crédits de paiements ouverts de 6,6 %, une telle imprévisibilité ne permet pas une gestion budgétaire saine.
3. Malgré des opérations de retraits d'engagements d'années antérieures pour 65 millions d'euros, la mission compte 2,4 milliards d'euros de restes à payer, en hausse de 9 %, qui constituent donc un risque important pour la mission. Les rapporteurs spéciaux préconisent d'accélérer ces opérations de retraitement.
4. Le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui rassemble la majeure partie des dépenses pilotables de la mission, est marqué, en 2024, par une sous-exécution de 12,7 % en AE. Les rapporteurs spéciaux regrettent notamment la sous-consommation de la ligne budgétaire unique (LBU).
5. Les contrats de convergence et de transformation, dont une nouvelle génération a été signée en 2024 dans l'ensemble des collectivités d'outre-mer, a représenté en exécution 114,5 millions d'euros en AE et 117,6 millions d'euros en CP, soit 70 % des montants prévus en LFI. Les rapporteurs spéciaux prêteront une attention particulière aux montants engagés et dépensés pour cette nouvelle génération de contrats, alors que l'intégralité des montants contractualisés entre 2019 et 2023 n'a pu être utilisée.
6. Concernant le FEI, des crédits ouverts ont été redéployés sur d'autres dépenses d'investissements structurants et surtout 13,4 millions d'euros ont été annulés. Dans ce contexte, les rapporteurs spéciaux affirment que le FEI ne doit pas être considéré comme une variable d'ajustement lors des arbitrages ministériels.
7. Le programme 138 « Emploi outre-mer », constitué principalement de dépenses non-manoeuvrables dites « de guichet », enregistre une sur-exécution de 5 %. Cette évolution s'explique par une hausse des dépenses d'exonérations de cotisations sociales, en raison d'une activité économique plus importante que prévu. Une amélioration de la prévision du coût des exonérations sociales est indispensable pour fiabiliser la budgétisation du programme.
I. UNE EXÉCUTION EN AMÉLIORATION DES CRÉDITS DE LA MISSION EN 2024
La mission « Outre-mer » regroupe une partie des moyens budgétaires alloués aux territoires ultramarins :
- le programme 138 « Emploi outre-mer » porte les crédits relatifs au développement économique local et à la création d'emplois en outre-mer, à travers notamment des exonérations spécifiques de cotisations sociales patronales, des aides directes et des actions en faveur de l'insertion, de l'amélioration de l'employabilité et de la qualification professionnelle des jeunes ultramarins ;
- le programme 123 « Conditions de vie outre-mer » porte les crédits destinés à réduire les écarts de niveaux de vie et d'équipements constatés entre les territoires d'outre-mer et la métropole à travers notamment des aides en faveur du logement social et un soutien aux collectivités dans leur politique d'investissements structurants.
La mission « Outre-mer » ne permet toutefois pas d'appréhender globalement la politique de l'État en faveur des outre-mer.
En effet, selon le document de politique transversale « Outre-mer »2(*), le montant total des contributions budgétaires de l'État en faveur des outre-mer s'élève à 21,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et à 23,04 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en projet de loi de finances initiale (LFI) pour 20243(*) (contre 21 milliards d'euros en AE et 22,2 milliards d'euros en CP en LFI 20234(*)).
La mission « Outre-mer » concentre ainsi, en 2024, 14,6 % de l'effort budgétaire de l'État en faveur de ces territoires en AE et 12,1% en CP.
De surcroit, des dépenses fiscales rattachées aux deux programmes de la mission viennent compléter les crédits budgétaires afin de dynamiser l'économie et l'attractivité des territoires d'outre-mer d'une part, et de contribuer à l'effort général de rattrapage de l'écart de niveau socio-économique entre l'outre-mer et la métropole d'autre part. Ces dépenses fiscales sont chiffrées en LFI 2024 à 4,927 milliards d'euros pour celles rattachées au programme 123 et à 386 millions d'euros pour celles rattachées au programme 138, soit un total de 5,313 milliards d'euros, ce qui représente 3,1 % de plus qu'en 2023.
A. UNE EXÉCUTION PRESQUE TOTALE DES CRÉDITS
1. Une amélioration confirmée depuis trois ans de l'exécution des crédits
Les crédits exécutés sur la mission « Outre-mer » se sont élevés en 2024 à 3,16 milliards d'euros en AE et à 2,92 milliards d'euros en CP, soit une baisse de 0,8 % en AE et de 2,1 % en CP par rapport à l'exécution des crédits de la mission en 2023.
Les crédits de la mission « Outre-mer » ont été correctement exécutés par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale (LFI)5(*). Ainsi, les crédits ont été sous-consommés à hauteur de 64,4 millions d'euros en AE et ont été sur-exécutés de 112,5 millions d'euros en CP, soit une exécution de 98 % en AE et de 104 % en CP.
Ce niveau d'exécution est salué par les rapporteurs spéciaux qui relèvent pour la seconde année consécutive des progrès notables au niveau de la mission concernant l'utilisation des crédits alloués, en sous-exécution jusqu'en 2021.
Évolution de l'exécution des
crédits de la mission « Outre-mer »
entre
2023 et 2024
(en millions d'euros et en pourcentage)
AE : autorisations d'engagement. CP : crédits de paiement. LFI : données issues des lois de finances initiales, hors fonds de concours (FDC) et attributions de produits (ADP). Exécution : consommation constatée dans les projets de loi de règlement.
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
En effet, jusqu'en 2021, la mission « Outre-mer » enregistrait des consommations très inférieures aux crédits ouverts en LFI, posant ainsi la question du respect du vote des parlementaires lors des projets de loi de finances successifs.
Cette situation avait d'ailleurs amené la commission des finances à demander un rapport à la Cour des comptes, en application de l'article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances sur « l'exécution et la présentation des crédits de la mission Outre-mer » qui a fait l'objet d'un rapport d'information6(*). Les causes récurrentes de cette sous-consommation y sont mises en exergue :
- des opérations d'apurement importantes sur des engagements au titre d'années antérieures ;
- un manque structurel d'ingénierie ;
- un suivi des contrats parfois lacunaire.
La tendance observée jusqu'en 2021 s'est toutefois inversée depuis maintenant trois ans. Les crédits de paiement de la mission « Outre-mer » ont ainsi été sur-exécutés de 10 % en 2022, de 16 % en 2023 et de 4 % en 2024.
Évolution de la prévision et de l'exécution des crédits entre 2021 et 2024
(en millions d'euros et en CP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Dans le détail, le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui rassemble la majeure partie des dépenses pilotables de la mission, est marqué, en 2024, par une sous-exécution à hauteur 162,4 millions d'euros en AE, mais par une sur-exécution de 17,8 millions d'euros en CP par rapport à la LFI, représentant 2 % des CP.
Ce programme avait déjà enregistré une sur-exécution en 2023 à hauteur de 1,1 % en AE et de 5,8 % en CP.
Le programme 138 « Emploi outre-mer », constitué principalement de dépenses non-manoeuvrables dites « de guichet » enregistre une surconsommation de 98 millions d'euros en AE et de 94,7 millions d'euros en CP, soit une sur-exécution de 5,2 % en AE et de 5 % en CP. La prévision budgétaire du programme 138 s'est améliorée par rapport à 2023, quand le taux de consommation s'élevait à 122 % des crédits du programme.
La consommation des crédits de la mission dépend également de la nature de la dépense. La mission « Outre-mer » est ainsi composée à 88 % de dépenses d'intervention (titre 6), difficilement pilotables et à 6,9 % de dépenses de personnels, composés exclusivement des volontaires et cadres civils et militaires du plan SMA (Service militaire adapté) 2025 +. Les dépenses de fonctionnement ne représentent que 4,3 % des crédits de paiement de la mission « Outre-mer ».
Les dépenses de fonctionnement sont cependant largement sur-exécutées par rapport aux prévisions de la LFI 2024, à hauteur de 31,1 % en AE et de 42,5 % en CP. Cette hausse s'explique essentiellement par la gestion de la crise de l'eau à Mayotte, selon la Cour des comptes7(*).
2. D'importants mouvements de gestion en 2024
D'importants mouvements de gestion ont été opérés sur la mission « Outre-mer » pendant l'année 2024. En particulier, le décret d'annulation du 24 février 20248(*) a entrainé la suppression de 78,2 millions d'euros en AE et en CP, dont 74,9 millions d'euros sur le programme 123 et 3,3 millions d'euros sur le programme 138.
Concernant le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », les annulations ont porté essentiellement :
- sur l'action 6 « Collectivités territoriales » à hauteur de 22,1 millions d'euros, soit 6 % des crédits de l'action. Ces crédits correspondent partiellement à la réserve de précaution et à une annulation des crédits du COROM du syndicat des eaux de Mayotte, pour un montant de 18,7 millions d'euros en AE et de 2 millions d'euros en CP ;
- sur l'action 2 « Aménagement du territoire », pour un montant de 16,9 millions d'euros, soit 8,3 % des crédits de l'action. Ces crédits correspondent à une moindre consommation des montants inscrits dans les contrats de convergence et de transformation, dont la seconde génération a été signée en 2024 ;
- sur l'action 8 « Fonds exceptionnel d'investissement » (FEI), pour un montant de 13,4 millions d'euros, correspondant à 13,6 % des crédits de l'action, en raison d'une faible demande anticipée des collectivités pour bénéficier des subventions du FEI ;
- sur l'action 1 « Logement », pour un montant de 13,6 millions d'euros, représentant 5,7 % des crédits de l'action. Toutefois, cette annulation permettait de laisser une enveloppe supérieure de 3 millions d'euros à la consommation de 2023.
Annulations du décret du
21 février 2024 sur le programme 123
« conditions de vie outre-mer »
(en millions d'euros, en pourcentage et en CP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Sur le programme 123, la loi de finances de fin de gestion pour 20249(*) a annulé 89,5 millions d'euros d'AE, correspondant à la réserve de précaution, mais a ouvert 7 millions d'euros de CP, au titre du contrat de développement entre l'État et le gouvernement de Nouvelle-Calédonie.
Toutefois, les reports de l'année 2023 et les fonds de concours et attributions de produits ont permis de compenser partiellement les annulations sur le programme 123. Si 74,2 millions d'euros en AE ont été annulées sur le programme 123, 38 millions d'euros en CP ont pu être ouverts.
Sur le programme 138, la loi de finances de fin de gestion a permis d'ouvrir 54,4 millions d'euros en AE et 25 millions d'euros en CP. Au total, ce sont 145 millions d'euros en AE et 136 millions d'euros en CP qui ont été ouverts sur le programme 138.
Ainsi, si près de 78 millions d'euros ont été annulés sur la mission « Outre-mer », mais les crédits de paiement ouverts ont été supérieurs de 6,6 %, représentant 184 millions d'euros, par rapport à la prévision en LFI 2024.
Mouvements de crédits en gestion sur la mission « Outre-mer » en 2024
(en millions d'euros et en CP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Il est toutefois regrettable que plus de 74 millions d'euros d'AE aient été annulés sur le programme 123 « Conditions de vie outre-mer », qui bénéficie directement aux populations ultramarines. En particulier, une consommation décalée des contrats de convergence et de transformation parait à la fois peu réalisable et peu souhaitable. Les rapporteurs spéciaux soulignent également l'importance des contrats de redressement outre-mer (COROM) pour le soutien aux communes ultramarines, au vu des effets positifs avérés de ce dispositif, comme en témoignait un rapport10(*) d'information des rapporteurs spéciaux de juin 2023.
* 1 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
* 2 Document de politique transversale « Outre-mer » annexé au projet de loi de finances pour 2024.
* 3 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 4 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.
* 5 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 6 Rapport d'information n° 637 (2021-2022) de MM. Georges Patient et Teva Rohfritsch, fait au nom de la commission des finances, déposé le 24 mai 2022.
* 7 Note d'exécution budgétaire, « mission Outre-mer », Cour des comptes, avril 2025.
* 8 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
* 9 LOI n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.
* 10 Rapport d'information n° 756 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances par les rapporteurs Georges Patient et Teva Rohfritsch sur « Les contrats de redressement outre-mer (COROM) : pour des moyens à la hauteur des enjeux », 21 juin 2023.