II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

A. DES REMBOURSEMENTS ET DÉGRÈVEMENTS D'IMPÔT D'ÉTAT QUI POURSUIVENT LEUR AUGMENTATION APRÈS LA BAISSE EXCEPTIONNELLE DE 2021

L'exécution 2021 du programme 200 avait enregistré une baisse importante par rapport à 2020 avec des remboursements et dégrèvements passant de 128,1 milliards d'euros en AE et CP à 122,3 milliards d'euros.

Dès 2022, la tendance était repartie à la hausse avec une exécution de 125,8 milliards d'euros en AE et CP, hausse marquée en 2023 avec des crédits portés à 137,3 millions d'euros et qui se confirme en 2024, où les crédits exécutés s'élèvent à 141,6 milliards d'euros.

Exécution des crédits du programme 200 : évolution entre 2022 et 2024

(en milliards d'euros, en AE=CP)

Programme - action

2022

2023

2024

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

200 - Remboursements et dégrèvements d'impôts d'État

124,0

125,8

101,5 %

127,1

137,3

108,1 %

136,2

141,6

104,0 %

200-11 - ... liés à la mécanique de l'impôt

85,9

89,6

104,4 %

95,1

105,2

110,6 %

103,4

108,0

104,5 %

200-12 - ...liés à des politiques publiques

23,8

21,1

89,0 %

18,7

18,1

96,8 %

17,8

17,9

100,7 %

200-13 - ... liés à la gestion des produits de l'État

14,4

15,0

104,4 %

13,2

14,0

105,7 %

15,0

15,7

104,2 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Les crédits de la mission remboursements et dégrèvements votés en loi de finances sont évaluatifs. Pour 2024, la loi de finances initiale avait évalué, pour le programme 200, un niveau de crédits (136,2 milliards d'euros) inférieur à l'exécution constatée pour 2023 (137,3 milliards d'euros). Dans les faits, l'exécution constatée pour 2024 (141,6 milliards d'euros) est supérieure à la fois aux crédits de la LFI pour 2024 mais aussi des crédits exécutés en 2023, remettant en question l'évaluation faite au moment du projet de loi de finances.

Quantitativement, l'essentiel de l'écart constaté en 2024 entre exécution et loi de finances initiale (5,4 milliards d'euros) porte sur la mécanique de l'impôt (4,6 milliards d'euros).

1. Des remboursements liés à la mécanique de l'impôt (action 11) en hausse par rapport à la prévision et à l'exécution 2023, qui amènent à interroger la prudence des évaluations faites en loi de finances initiale

L'action 11 (« Remboursements et restitutions liés à la mécanique de l'impôt ») regroupe les dépenses relevant de la mécanique de l'impôt, telles que les restitutions d'excédents de versement compte tenu de l'impôt dû. Il s'agit pour l'essentiel des excédents de versements d'impôt sur les sociétés, des remboursements de crédits de TVA et des restitutions de prélèvements à la source. Ces principales composantes enregistrent une exécution supérieure à celle de l'année précédente, sauf la TVA, pour laquelle l'exécution est en léger recul par rapport à la LFI.

Exécution des remboursements et dégrèvements liés à la mécanique de l'impôt : évolution entre 2022 et 2024

(en millions d'euros, en AE=CP)

Remboursements et restitutions liés à la mécanique de l'impôt

2022

2023

2024

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

Total de l'action

85 852

89 637

104,4 %

95 090

105 201

110,6 %

103 358

107 982

104,5 %

01 - Impôts sur les sociétés

12 478

11 829

94,8 %

14 210

17 878

125,8 %

11 382

18 006

158,2 %

02 - Taxe sur la valeur ajoutée

63 476

66 908

105,4 %

68 764

74 017

107,6 %

79 327

75 250

94,9 %

03 - Plafonnement des impositions directes

5

0

7,8 %

5

0

2,3 %

0

-

0,0 %

04 - Autres remboursements et dégrèvements liés à la mécanique de l'impôt

171

188

109,9 %

239

394

165,1 %

200

683

341,5 %

05 - Impôt sur le revenu

9 722

10 711

110,2 %

11 373

12 423

109,2 %

11 949

13 527

113,2 %

06 - Restitutions de prélèvement de solidarité

     

500

489

97,8 %

500

516

103,1 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Dotée de 103,4 milliards d'euros en LFI 2024 (contre 95,1 milliards d'euros en LFI 2023), l'action 11 a enregistré une exécution de 108,0 milliards d'euros en 2024, soit 104,5 % des crédits évalués.

Dans le détail, la sur-exécution constatée sur cette action masque trois phénomènes distincts :

- en premier lieu, la mécanique de l'impôt sur les sociétés est principalement responsable de la sur-exécution observée. Pour la deuxième année de suite, une sur-exécution marquée est observée sur la sous-action 01 « impôts sur les sociétés ». Le rapporteur spécial constate toutefois une détérioration de la prévision, puisqu'après un taux d'exécution déjà élevé de 125,8 % en 2023, ce taux est porté à 158,2 % en 2024, soit un écart de 6,6 milliards d'euros. L'administration explique cette sur-exécution par une forte dispersion des résultats fiscaux des entreprises assujetties, qui « conduit à la fois à un solde à payer dynamique pour les entreprises enregistrant une croissance de leur bénéfice fiscal, et à des restitutions importantes d'acomptes pour les entreprises dont le bénéfice était en baisse ».

Le rapporteur constate toutefois que ces erreurs de prévision se succèdent, gagnent en importance et portent sur des montants significatifs, de l'ordre de plusieurs milliards d'euros. Il souligne qu'une réforme de la dépense fiscale s'impose, non seulement pour en maîtriser le coût, mais surtout pour en réinterroger , segment par segment, la légitimité, l'efficacité économique et la soutenabilité sociale.

- en second lieu, après une sur-exécution importante en 2022 et 2023, les remboursements liés à la mécanique de TVA ont été inférieurs aux attentes en 2024 (taux d'exécution de 94,9 %). Cette sous-exécution trouve toutefois une explication technique, le gouvernement évoquant « un ralentissement des remboursements de crédits de TVA, sous le coup de dossiers dont l'analyse de conformité était plus complexe ». Elle est peu révélatrice de la prudence des hypothèses prises par le gouvernement en loi de finances. Le rapporteur spécial souligne que cette sous-exécution ne remet pas en cause la tendance structurelle à la hausse des restitutions de TVA, dont le rythme de progression (+ 68,6 % depuis 2014) dépasse largement celui de la valeur ajoutée produite sur la même période (+ 31,6 %) et de l'évolution de la TVA collectée (+ 60,5 %).

- Enfin, comme en 2022 et en 2023, une sur-exécution a de nouveau été constatée en 2024 s'agissant des restitutions liées à la mécanique de l'impôt sur le revenu (taux d'exécution de 113,2 %, soit une sur-exécution d'1,6 milliard d'euros). Le gouvernement évoque des difficultés structurelles pour estimer ces restitutions, notant que « la dépense de la sous-action est particulièrement difficile à estimer dans la mesure où son montant est déterminé par un nombre de facteurs particulièrement élevé : elle varie à la fois au gré des évolutions macroéconomiques, des modifications législatives, du comportement des usagers en terme de modulation du taux de PAS, de l'utilisation des crédits et réductions d'impôt, et de compensations possibles entre l'IR, les prélèvements sociaux et le prélèvement de solidarité. »

2. Une exécution des remboursements liés à des politiques publiques globalement conforme aux prévisions initiales (action 12)

L'action 12 (« Remboursements et dégrèvements liées à des politiques publiques ») du programme 200 regroupe les dépenses relevant des politiques publiques, telles que les crédits d'impôt sur le revenu ou les crédits d'impôt sur les sociétés.

Exécution des remboursements et dégrèvements liés à la mécanique de l'impôt :
évolution entre 2022 et 2024

(en millions d'euros, en AE=CP)

Remboursements et dégrèvements liées à des politiques publiques

2022

2023

2024

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

Total de l'action

23 755

21 142

89,0 %

18 720

18 128

96,8 %

17 804

17 934

100,7 %

02 - Impôt sur le revenu

1 910

1 995

104,5 %

2 060

2 098

101,9 %

2 103

2 163

102,9 %

03 - Impôt sur les sociétés

12 389

11 159

90,1 %

6 578

7 149

108,7 %

6 338

6 593

104,0 %

04 - Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques

1 991

2 156

108,3 %

2 016

1 912

94,8 %

1 990

2 008

100,9 %

05 - Taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel

3

13

426,9 %

3

35

1176,7 %

15

64

425,4 %

06 - Contribution pour l'audiovisuel public

561

0

0,0 %

-

0

 

-

0

 

08 - Acomptes de crédits et de réductions d'impôts sur le revenu

5 597

5 303

94,7 %

5 487

5 613

102,3 %

5 370

5 762

107,3 %

09 - Taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité

205

261

127,5 %

50

474

949,0 %

100

78

77,9 %

10 - Crédit d'impôt contemporain - Services aux particuliers

1 100

255

23,2 %

2 526

846

33,5 %

1 888

1 267

67,1 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le niveau des crédits exécutés sur cette action est très proche de celui prévu en loi de finances initiales pour 2024 (taux d'exécution de 100,7 %). Toutefois, ce ratio est légèrement trompeur et masque plusieurs évolutions contradictoires, notamment :

- une sous-exécution marquée pour le remboursement du crédit d'impôt contemporain - services aux particuliers (- 622 millions d'euros, soit un taux d'exécution de 67,1 %) : cet écart est expliqué par une adoption moins rapide qu'anticipé de ce dispositif par les contribuables éligibles ;

- Une sur-exécution des acomptes de crédits et de réductions d'impôts sur le revenu (+ 392 millions d'euros, soit un taux d'exécution de 107,3 %), sans explication du gouvernement, mais a priori liée au point précédent ;

- Une sur-exécution enfin des restitutions d'impôt sur les sociétés (+ 255 millions d'euros, soit un taux d'exécution de 104,0 %). Cette sous-action comprend principalement les remboursements effectués au titre du crédit d'impôt en faveur de la recherche (4,9 milliards d'euros sur un total de 6,3 milliards d'euros). Il est noté toutefois que malgré cette sur-exécution, le niveau des crédits est inférieur aux crédits exécutés en 2023 (7,1 milliards d'euros). Le nombre d'entreprises ayant effectivement recours au CIR est passé de 21 695 en 2023 à 15 693 en 2024, soit une contraction de 28 % du nombre de bénéficiaires. Le rapporteur spécial alerte sur cette évolution, qui interroge à la fois l'accessibilité du dispositif pour les petites et moyennes entreprises et son efficacité économique globale. Une telle concentration pourrait indiquer une captation du dispositif par les grands groupes, au détriment de la diversité du tissu productif. Elle appelle, selon lui, une évaluation approfondie du ciblage, des conditions d'éligibilité et des effets réels du CIR sur l'investissement en R&D et l'emploi dans l'ensemble du tissu économique.

3. Une exécution des remboursements liés à la gestion des produits de l'État (action 13) caractérisée par plusieurs dégrèvements et restitutions d'importance qui nécessiteraient des informations complémentaires

Les crédits de l'action 13 « Remboursements et restitutions liés à la gestion des produits de l'État » retracent l'ensemble des restitutions consécutives à une correction du calcul de l'impôt en raison d'une erreur matérielle, de l'application d'une convention internationale en matière fiscale ou d'une réclamation gracieuse ou contentieuse.

Exécution des remboursements et dégrèvements liés à la mécanique de l'impôt : évolution entre 2022 et 2024

(en millions d'euros, en AE=CP)

Remboursements et dégrèvements liés à la gestion des produits de l'État

2022

2023

2024

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

LFI

Exécution

Taux
d'exécution

Total de l'action

14 375

15 006

104,4 %

13 245

13 995

105,7 %

15 027

15 657

104,2 %

01 - Impôts sur le revenu - Dégrèvements et restitution de sommes indûment perçues

1 970

2 428

123,3 %

2 400

2 390

99,6 %

2 300

3 669

159,5 %

02 - Impôts sur les sociétés - Dégrèvements et restitution de sommes indûment perçues

1 426

1 657

116,3 %

1 519

860

56,6 %

1 524

1 234

80,9 %

03 - Autres impôts directs et taxes assimilées - Dégrèvements et restitution de sommes indûment perçues

3 940

2 071

52,6 %

1 865

2 136

114,5 %

2 983

2 393

80,2 %

04 - Taxe sur la valeur ajoutée - Dégrèvements et restitution de sommes indûment perçues

2 840

3 819

134,5 %

2 423

3 596

148,4 %

4 126

3 297

79,9 %

05 - Enregistrement, timbre, autres contributions et taxes indirectes - Dégrèvements et restitution de sommes indûment perçues

700

622

88,9 %

679

653

96,2 %

680

993

146,0 %

06 - Autres remboursements et dégrèvements liés à la gestion des produits de l'État

752

1 822

242,3 %

760

1 388

182,6 %

716

928

129,6 %

07 - Autres remboursements et dégrèvements liés à la gestion des produits de l'État - Admissions en non-valeur - Créances liées aux impôts

1 768

1 986

112,3 %

2 840

2 249

79,2 %

1 968

2 664

135,3 %

08 - Autres remboursements et dégrèvements liés à la gestion des produits de l'État - Dations en paiement, intérêts moratoires, remises de débets

779

498

64,0 %

659

606

92,0 %

630

404

64,2 %

09 - Prélèvement à la source (PAS) : dégrèvements et restitutions

200

100

50,2 %

100

116

116,4 %

100

75

75,2 %

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

L'exécution 2024 s'établit à 15,7 milliards d'euros soit 104,2 % de la prévision initiale, un niveau d'exécution supérieur à celui enregistré en 2023 (14,0 milliards d'euros).

Cette légère sur-exécution par rapport aux crédits ouverts en LFI résulte de plusieurs phénomènes contraires, certains d'ampleur non-négligeable :

- une sur-exécution marquée tout d'abord des dégrèvements et restitutions de sommes indûment perçues en matière d'impôt sur le revenu (sous action 01, + 1 369 millions d'euros, soit un taux d'exécution de 159,5 %). Les crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2024 (2,3 milliards d'euros) étaient pourtant proches de ceux inscrits en loi de finances initiale pour 2023 et de l'exécution 2023 (2,4 milliards d'euros dans les deux cas). Le gouvernement explique cet écart par « de forts dégrèvements d'impôt sur le revenu, notamment ceux effectués à la fin de la période de détention prévue pour l'exit tax ».

D'après la Cour des comptes, le surcoût des dégrèvements d'exit tax est de l'ordre de 500 millions d'euros et est expliqué par « des dégrèvements d'exit tax à très forts enjeux en fin d'année ». Compte tenu des enjeux financiers, le rapporteur spécial appelle à une levée du voile sur ces « très forts enjeux » et estime nécessaire d'avoir plus d'information sur ces situations ;

- les admissions en non-valeur exécutées (sous action 07) se sont aussi avérées supérieures aux estimations de la loi de finances initiale (+ 696 millions d'euros, soit un taux d'exécution de 135,3 %), sans explication particulière du gouvernement (« croissance générale du nombre d'admissions en non-valeur »). Ceci interroge de nouveau sur la prudence des estimations inscrites en loi de finances initiale, les montants figurant dans la LFI pour 2024 (1 968 millions d'euros) étant inférieurs aux montants exécutés en 2022 et 2023 (respectivement 1 986 millions d'euros et 2 249 millions d'euros) ;

- ces évolutions sont contrebalancées par une forte sous-exécution des dégrèvements et restitutions concernant la TVA (sous-action 04, - 829 millions d'euros, soit un taux d'exécution de 79,9 %). La direction générale des finances publiques n'avance pas d'explication (« exécution moindre que prévue »1(*)). L'administration semble peiner à estimer ces restitutions : alors que celles-ci ont oscillé autour de 3,5 milliards d'euros depuis 2022, la prévision en LFI a connu des mouvements de grande amplitude, de 2,4 milliards d'euros en 2023 à 4,1 milliards d'euros en 2024 ;

- enfin, les dégrèvements, restitutions et décharges opérés en matière de retenue à la source, d'impôt sur la fortune immobilière et de taxe sur les salaires ont fortement décru (sous-action 03) et affichent aussi une sous-exécution (- 590 millions d'euros, soit un taux d'exécution de 80,2 %). Cet écart est expliqué par un contentieux en attente de décision de justice, dont l'exécution n'a pas eu lieu en 2024.


* 1 Cf. note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page