II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPECIAL
1. Un manque de réalisme flagrant dans la prévision budgétaire et dans l'application d'un rabot à une mission essentiellement composée de dépenses de guichet
Depuis le décret 2022-128 du 4 février 2022, le point PMI est revalorisé annuellement, selon l'évolution des rémunérations publiques intervenue entre le 1er juillet de l'année n-2 et le 30 juin de l'année n-1, la nouvelle valeur s'appliquant à compter du 1er janvier de l'année concernée.
Sur cette base, le PLF pour 2024 se basait sur une hypothèse de revalorisation du point PMI de 15,63 à 15,65 euros au 1er janvier 2024. Cependant, le Gouvernement a finalement décidé de prendre en compte l'évolution du point d'indice de la fonction publique intervenue le 1er juillet 2023 pour la revalorisation du 1er janvier 2024. Le point PMI a ainsi été revalorisé à 15,90 euros au 1er janvier 2024.
S'il faut saluer cette décision sur le fond, elle fut prise au cours de la discussion budgétaire, avant le passage en séance à l'Assemblée nationale, et ses conséquences budgétaires n'ont pas été tirées par le Gouvernement, ni à l'Assemblée, ni au Sénat. Aussi, il était aisé de prévoir un aléa de gestion sur l'année de 2024 pour les dépenses directement indexées sur ce dernier, ce que le rapporteur spécial avait par ailleurs fait savoir lors de sa contribution à la loi d'approbation des comptes de 2023 :
« Cependant, ce faisant, les crédits rendus nécessaires par cette revalorisation n'apparaissent pas dans le PLF. Cela a été le cas pour 2023 et cette non prise en compte explique la surexécution de la mission au regard de la programmation initiale, et la même situation se présente pour l'année 2024. La situation pour 2024 est par ailleurs d'autant plus inquiétante que les réserves du CAS Pensions ont déjà été mobilisées en 2023 et que le décret d'annulation de 10 milliards d'euros de février 2024 a réduit de 17 millions d'euros les crédits - déjà sous-évalués - du programme 169. »
Cette situation interroge d'autant plus quant à la décision du gouvernement d'annuler 17 millions d'euros par décret sur un programme largemment composé de dépenses de guichet et en situation de sous-financement. Si le rapporteur ne remet pas en cause l'objectif de maitrise de la dépense publique, ce dernier mériterait que les économies proposées par le Gouvernement soient réalistes.
Enfin, il faut rappeler que ce déséquilibre de financement de la mission a été compensé à hauteur de 15 millions d'euros du fait de difficutés à traiter les dossiers de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français.
Au final, cette situation aura eu 2 conséquences pricipales :
- une ouverture de crédits nette d'un montant presque deux fois supérieur à celui de l'annulation portée dans le décret d'annulation ;
- une division par deux des crédits d'entretien du patrimoine militaire mémoriel de la Nation, alors même que certaines nécropoles, par exemple celle de Luynes, par ailleurs concernée par les reports de 2024, sont déjà mal entretenues.
Le rapporteur ne peut qu'espérer qu'une plus grande sincérité dans la prévision budgétaire et plus de réalisme sur la capacité de la mission a supporter des annulations de crédits évite qu'une telle situation n'ait à nouveau lieu.
2. Une revalorisation du point PMI toujours inférieure à l'inflation
Les deux principales pensions servies par la mission « Anciens combattants » sont indexées sur le « point de pension militaire d'invalidité » (point PMI).
Depuis 2005, la valeur du point de pension militaire d'invalidité (PMI) est révisée proportionnellement à l'évolution de l'indice Insee des traitements bruts de la fonction publique de l'État. Il était jusqu'en 2022 revalorisé selon le principe du « rapport constant », auquel s'est désormais substituée une revalorisation fixe au début de chaque année civile.
Au 1er janvier 2024, la valeur du point PMI est passé de 15,63 euros à 15,90 euros, soit une augmentation de 1,7 %, à mettre en regard d'une inflation à 2,3 % sur la même période. Les revalorisations du point PMI sont systématiquement inférieures à l'inflation depuis 2012.
Du fait toutefois de l'augmentation du nombre de points PMI de l'allocation de reconnaissance du combattant10(*), cette dernière connait une évolution supérieure à celle de l'inflation depuis 2012. Elle reste cependant modeste en valeur absolue (826,80 euros annuels au 1er janvier 2024).
En revanche, la revalorisation du point d'indice plus faible que l'inflation conduit in fine à une perte de pouvoir d'achat pour les invalides de guerre, dont le nombre de points est déterminé par leur degré d'invalidité. Cette problématique est particulièrement prégnante pour les personnes lourdement invalides dont la pension constitue une source de revenus essentielle voire unique.
À ce titre, le rapporteur spécial réitère son souhait d'une réflexion sur l'évolution des pensions en période de haute inflation.
3. Un montant important de dépenses en lien avec les objectifs de la mission est financé par d'autre vecteurs
Les politiques portées par la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » sont abondées par :
- des crédits relevant formellement d'autres missions budgétaires, dont notamment la mission « Défense » ;
- des dépenses fiscales importantes, d'environ 600 millions d'euros ;
- divers autres financements provenant de l'Union européenne et de collectivités territoriale pour l'action « lien armées-jeunesse » du programme 169.
Les ministères ont considérablement réduit les informations communiquées ces dernières années dans les documents annexés aux projets de loi de finances qui ne comportent plus d'éléments permettant d'apprécier les moyens totaux des politiques publiques rattachées à la mission budgétaire. Cela est particulièrement préjudiciable pour les politiques de l'action « lien armée-jeunesse » (JDC et SMV) dont plus de 80 % du financement est finalement extérieur à la mission.
a) Des dépenses fiscales rattachées à la mission estimées à 30 % des crédits inscrits dans son budget
Les anciens combattants bénéficient d'un régime fiscal spécifique et favorable. Le coût de ce régime dérogatoire est évalué par le rapport annuel de performances annexé au projet de loi de règlement à 600 millions d'euros (montant actualisé, en baisse de 4 millions d'euros par rapport à 2023), soit 30,6 % du montant du budget de la mission en 2024.
La totalité de la dépense fiscale bénéficie aux anciens combattants et victimes de guerres. La seule demi-part fiscale dont bénéficient les anciens combattants et leurs veuves à partir de 74 ans représente 80,2 % de cette dépense fiscale. Le montant de la dépense fiscale en valeur absolue ne cesse de diminuer d'une année sur l'autre, dans des proportions similaires aux crédits de la mission, pour les mêmes raisons d'érosion de la population des bénéficiaires.
Le gouvernement avait indiqué souhaiter mener une évaluation des dépenses fiscales de la mission en 2024, ce qu'il n'a au final pas fait. Il faut le regretter au regard de l'importance de la dépense fiscale dans l'effort de la Nation envers les anciens combattants.
b) Les crédits budgétés sur d'autres missions servant à la mise en oeuvre des politiques de la mission « Anciens combattants »
En ce qui concerne les crédits issus d'autres missions budgétaires, ils correspondent principalement aux dépenses de personnel acquittées par le ministère de la défense pour organiser la journée défense et citoyenneté (JDC) et le service militaire volontaire (SMV).
L'organisation du SMV bénéficie, en plus des crédits issus de la mission « Défense », du soutien de certaines collectivités territoriales. Cependant, seul le soutien de la région Grand-Est est comptabilisé dans le cadre de la documentation budgétaire. Le SMV dispose également de financements très significatifs du Fonds social européen. Les modalités de versement des crédits européens expliquent une sous-exécution significative de l'action face aux crédits effectivement disponibles (47,7 millions d'euros disponibles pour une exécution de 34,8 millions d'euros).
Le coût total de la JDC et du SMV s'élevait ainsi à 161 millions d'euros en 2023, alors que la LFI pour 2023 ne prévoyait que 24,4 millions d'euros pour ces deux dispositifs. Le rapporteur spécial ne connait pas le montant réel du SMV et de la JDC correspondant aux 26,1 millions d'euros prévus par la LFI 2024.
Le rapporteur spécial regrette une fois de plus qu'il ne soit pas possible de connaitre le coût d'exécution réel des politiques portées par la mission sur la base des documents budgétaires s'y rattachant, a fortiori lors de l'examen de la loi de règlement.
* 10 Cette dernière comptait 48 points PMI en 2012 et en compte 52 en 2023.