II. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX
1. La poursuite d'une politique de grands travaux pèse sur l'exécution du programme 175
Le programme 175 a atteint 1,53 milliard d'euros en AE et 1,25 milliard d'euros en CP, auquel s'ajoutent 300 millions d'euros de dépenses fiscales. Les dépenses en faveur du patrimoine atteignent ainsi un montant particulièrement élevé, ce qui devrait être encore accentué en 2025. En effet, une augmentation de 190 millions d'euros en AE et 100 millions d'euros en CP a été adoptée en LFI pour 2025, destinée à financer un plan de réhabilitation du patrimoine.
La LFI 2024 prévoyait la mise en place de mesures nouvelles, à hauteur de 302 millions d'euros en AE et 28 millions d'euros en CP. Ces crédits étaient notamment destinés à financer deux grands projets en particulier :
- une enveloppe de 225 millions d'euros pour accompagner le projet emblématique de rénovation du Centre national d'art et de culture - Georges-Pompidou (CNAC-GP) ;
- une dotation de 54,7 millions d'euros destinés au projet d'extension du site des archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine.
Financement des grands travaux prévus en LFI sur le programme 175 en 2024
(en millions d'euros)
AE 2024 |
CP 2024 |
Coût total (P. 175) |
Date d'achèvement prévue |
|
Musée mémorial du terrorisme |
13 |
2,5 |
15,2 |
2026 |
Abbaye de Clairvaux |
20 |
12 |
60 |
2028 |
Archives nationales (bâtiment de Pierrefitte) |
54,7 |
2,3 |
67,2 |
2028 |
Grand Palais |
8,8 |
8,8 |
107,8 |
2024 |
Archives nationales (schéma directeur) |
0 |
4,2 |
31,5 |
2025 |
Centre Pompidou |
12 |
12 |
261 |
2029 |
Château de Fontainebleau |
1,2 |
8,7 |
61,4 |
2026 |
Cathédrale de Nantes |
7,5 |
7,6 |
24,9 |
2025 |
Musée Guimet |
3 |
3 |
9 |
2025 |
Total |
120,2 |
61,1 |
638 |
- |
Source : commission des finances
Sans remettre en cause sur le fond la pertinence de ces travaux, la mise en place de très grands chantiers, pouvant s'étendre pour certains jusqu'en 2030, a pour effet de rigidifier la dépense.
Les conséquences des travaux engagés en 2024 se feront sentir largement au cours des années prochaines sur le programme 175. Les restes à payer atteignent ainsi 1 milliard d'euros en 2024, soit 36 % de plus qu'en 2023.
Évolution des restes à payer sur le programme 175 en 2024
(en euros)
Source : commission des finances d'après les documents budgétaires
Au vu des montants très conséquents concernés, il serait souhaitable de ne pas engager d'autres chantiers de très grande ampleur au cours des prochaines années, alors que les travaux du Centre Pompidou n'en sont qu'à leurs balbutiements.
2. L'impact négatif à court terme des Jeux olympiques de Paris 2024 sur la fréquentation des opérateurs culturels
L'effet des visiteurs attendus à l'été 2024 sur les sites patrimoniaux, en particulier en Île-de-France, était particulièrement attendu. Le résultat à court terme est cependant décevant.
Si les jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 ont entraîné un afflux de visiteurs à Paris, les monuments parisiens ont souffert pour certains d'une fermeture complète et, pour ceux situés dans les périmètres de restriction de circulation, d'importantes difficultés d'accès. En outre, les visiteurs présents pour les Jeux ont pour la plupart consacré l'essentiel de leurs dépenses aux jeux Olympiques, au détriment d'autres activités touristiques.
Pour l'ensemble des opérateurs, le ministère estime la baisse à - 20 % entre le 22 juillet et le 18 août 2024 par rapport à 2023. Pour les opérateurs parisiens, la diminution est plus importante : 27 % par rapport à 2023 sur la même période.
Les pertes concernent pour l'essentiel les sites patrimoniaux, dans la mesure où, s'agissant des opérateurs artistiques, les JO ont eu lieu dans l'intersaison. Les musées et monuments à forte notoriété (Louvre, Versailles, Orsay) ont connu une baisse d'environ 30 %, plus faible que ceux moins connus (- 67 % à la Cité de l'architecture et du patrimoine par exemple).
S'agissant spécifiquement des monuments du centre des monuments nationaux, la fréquentation a diminué au mois de juillet de 38 % pour l'Arc de Triomphe et jusqu'à 56 % pour l'Hôtel de la Marine ou 61 % pour la Conciergerie, situés tous deux en plein coeur du périmètre de sécurité. Pour l'ensemble des monuments franciliens, la diminution s'élève en juillet à 21 % et en août à 12 % par rapport aux mêmes mois en 2023.
Le public a cependant retrouvé, à la fin du mois d'août des niveaux d'affluence comparables à ceux d'une année normale. Le ministère estime toutefois la perte financière pour les deux mois d'été à 33 millions d'euros pour les opérateurs de la mission « Culture ».
S'agissant des retombées à long terme des Jeux, le ministère espère pouvoir convertir l'intérêt marqué du public pour les monuments mis en avant pendant les jeux Olympiques. À date, il est impossible de mesurer l'effet sur les premiers mois de 2025.
S'agissant plus spécifiquement des festivals, le ministère a mené une enquête sur les festivals s'étant tenus en 2024 avec 880 répondants. D'après ce baromètre, les jeux olympiques ont eu peu d'impact sur la tenue des festivals : 98 % d'entre eux ont eu lieu comme prévu et 10 % des festivals répondants ont indiqué avoir rencontrés des perturbations liées aux jeux Olympiques.
3. La réforme du Pass culture ne devrait pas répondre aux critiques qui s'accumulent à l'encontre du dispositif
Le Pass Culture représente 25 % des crédits du programme 361. Il est également le deuxième opérateur du ministère de la Culture, derrière la Bibliothèque nationale de France.
Le projet de loi de finances prévoyait une dotation de 211 millions d'euros de crédits (AE = CP) pour le financement du dispositif.
Exécution des crédits du programme 361 dédiés au Pass Culture
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
L'exécution 2023 avait révélé une très importante surconsommation des crédits dédiés au pass : les crédits effectivement exécutés sont supérieurs de près de 15 % à ceux prévus en LFI. Ce faisant, les crédits ont augmenté de 40 millions d'euros entre 2022 et 2023. La surconsommation est moindre en 2023 mais les montants exécutés atteignent tout de même près de 10 millions d'euros de plus que ceux prévus en LFI. Le programme 361 a bénéficié d'un dégel de la réserve de précaution à hauteur de 10,7 millions d'euros en AE et 7,03 millions d'euros en loi de finances de fin de gestion3(*) afin de financer le Pass culture, qui constitue une dépense dite « de guichet ».
Au total, depuis sa mise en oeuvre en 2019, le Pass culture a bénéficié de près de 800 millions d'euros de crédits.
La croissance des crédits du programme 361 s'ajoute en outre à celle des crédits ouverts au titre du volet collectif du Pass culture sur la mission « Enseignement scolaire ».
En effet, la loi de finances pour 2022 a permis de faire évoluer le dispositif en l'ouvrant aux élèves à partir de la classe de 4e, qui sous la responsabilité des enseignants, bénéficient d'un crédit (25 euros par élève en quatrième et en troisième, 30 euros en seconde et 20 euros en première et en terminale) à dépenser dans un cadre collectif : sortie culturelle, accueil d'un professionnel... Le dispositif a été étendu aux élèves de sixième et de cinquième à compter de la rentrée scolaire 2023.
Le volet collectif du Pass culture est financé à hauteur de 94 millions d'euros en CP en exécution 2024.
Les rapporteurs spéciaux ont consacré une analyse développée au Pass culture dans un rapport d'information de 20234(*). Ils soulignaient que des interrogations demeuraient sur un plan qualitatif. Ces analyses ont été reprises et développées par d'autres rapports rendus en 2024.
L'évaluation menée par l'inspection générale des affaires culturelles (IGAC) de mai 20245(*) a livré une vision pour le moins mitigée du dispositif. Elle note que les impacts sur les pratiques culturelles des bénéficiaires du dispositif apparaissent « contrastés » et que la capacité du pass Culture à transformer les pratiques culturelles est « incertaine ». Plus clairement encore, « la capacité du pass Culture à atteindre ses objectifs de service public ne peut être démontrée : l'intensification des pratiques culturelles des bénéficiaires du dispositif semble établie, mais son caractère durable apparaît incertain ; la diversification de ces pratiques est impossible à démontrer. Dans ces conditions, faute de pouvoir établir que l'utilisation du pass Culture favorise la réduction des écarts de pratiques culturelles entre milieux sociaux, l'existence d'effets d'aubaine ne peut être exclue ».
La Cour des comptes a émis des critiques similaires dans son rapport de décembre 20246(*) : « ce réel succès en termes de couverture globale ne saurait toutefois occulter le fait que le pass Culture n'a que partiellement réussi à toucher les jeunes les moins familiers des pratiques culturelles », entretenant ainsi un « effet d'aubaine » pour les jeunes disposant d'un « capital culturel plus élevé ». La Cour alertait notamment sur le coût du Pass culture, dans un contexte financier dégradé. Elle indiquait ainsi que « des arbitrages doivent être pris pour mettre un terme à la croissance non maîtrisée des crédits budgétaires du pass Culture ».
La Cour des comptes proposait plusieurs pistes, dont la réduction du montant du crédit alloué aux jeunes âgés de 18 ans ; la mise sous condition de ressources ; le ciblage des bénéficiaires selon des critères sociaux (boursiers) ou territoriaux (quartiers de la politique de la ville, milieu rural). Avant la parution du rapport de la Cour des comptes, la commission des finances du Sénat avait déjà porté un amendement visant à recentrer le dispositif sur les boursiers. Le recentrage sur les seuls boursiers devait ramener le coût du dispositif (sur la base d'hypothèses de consommation et de taux de recours identiques à ceux des deux années précédentes) à 55 millions d'euros.
De façon regrettable, la réforme mise en place par décret en février 20257(*) prend le contre-pied des propositions de réformes du Sénat et de la Cour. Loin d'axer davantage le dispositif sur les jeunes de 15 à 17 ans, comme le préconisaient l'ensemble des acteurs, la réforme concentre l'essentiel du dispositif sur les jeunes âgés de 18 ans et plus. Désormais, les jeunes de 15 à 16 ans sont exclus du dispositif, alors que les jeunes de 18 ans bénéficient toujours de 150 euros, toujours sans condition de ressources. Une bonification peut toutefois être accordée pour certains jeunes bénéficiaires d'allocation aux adultes handicapés ou dont les parents ont un revenu inférieur à un niveau fixé par arrêté. L'arrêté n'est cependant toujours pas publié à l'heure actuelle.
Impact de la réforme du Pass culture par tranches d'âge
Âge |
Avant la réforme |
Après la réforme |
15 ans |
20 euros |
0 |
16 ans |
30 euros |
0 |
17 ans |
30 euros |
50 euros |
18 ans |
300 euros |
150 euros + une bonification de 50 euros sous conditions |
Source : commission des finances du Sénat
La préparation du budget pour 2026 impliquera une vigilance accrue sur la part individuelle du Pass culture, alors qu'il est douteux que la réforme réponde aux critiques émises à l'encontre du dispositif.
* 3 Loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de fin de gestion pour 2024.
* 4 Le Pass culture face au défi de la diversification des pratiques culturelles, rapport d'information n° 866 (2022-2023), déposé le 11 juillet 2023.
* 5 Les impacts de la part individuelle du Pass Culture, IGAC 2024 - N° 2024-15.
* 6 Premier bilan du pass Culture, Cour des comptes, 17 décembre 2024.
* 7 Décret n° 2025-195 du 27 février 2025 relatif au « pass Culture ».