B. DES SURCOÛTS CONSTATÉS FINANCÉS POUR UNE PARTIE SUBSTANTIELLE « SOUS ENVELOPPE »
Comme l'a récemment développé le rapporteur spécial7(*), les crédits de la mission « Défense » ont connu d'importantes évolutions en exécution en 2024. Sont notamment concernés des reports de crédits depuis 2023 (+ 1,65 milliard d'euros en CP), qui auraient dû être consommés dès 2023 mais ne l'ont pas été pour des raisons de régulation du déficit public affiché en fin d'année8(*), et de fonds de concours et d'attribution (+ 1,43 milliard d'euros, dont 303 millions d'euros au titre du produit des avoirs russes gelés). Il convient néanmoins de noter, en sens inverse, qu'un nouveau report de crédits important est prévu vers 2025 (1,24 milliard d'euros), manifestant une tendance ces dernières années à l'augmentation des mouvements de crédits interannuels, en contradiction avec le cadre annuel de principe de l'exécution du budget. C'est en particulier le cas pour les crédits reportés depuis 2023 et jusqu'en 2025, de même que pour ceux ouverts dans les lois de finances de fin de gestion pour 2023 et 2024, immédiatement gelés, puis reportés sur l'année suivante.
Par ailleurs, le programme 212 a connu une annulation de crédits de 105,8 millions d'euros par un décret de février 20249(*), tandis que la loi de finances de fin de gestion pour 202410(*) a présenté un équilibre net négatif de - 128,6 millions d'euros en AE et de - 125,6 millions d'euros en CP.
Exécution en 2024 des crédits de la mission « Défense » (hors CAS « Pensions »)
(en CP, en milliards d'euros)
Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires et les chiffres de la Cour des comptes11(*).
Le montant des CP exécutés, supérieur de 1,67 milliard d'euros à celui des crédits initiaux, n'a toutefois pas permis d'assurer le financement de l'ensemble des besoins exprimés par le ministère, en particulier au titre de ses surcoûts en cours d'année, caractéristique structurelle du budget de la défense.
En 2024, ces surcoûts ont été composés12(*) :
- d'un dépassement, une fois prises en compte les contributions internationales, de 391 milliards d'euros du montant de la provision prévue au titre des opérations extérieures (OPEX) et missions intérieures (MISSINT), y compris au titre de la sécurisation des jeux Olympiques et Paralympiques ; cette situation témoigne, cette année encore, d'une sous-estimation chronique et critiquable du coût à attendre des OPEX et MISSINT ;
La sous-évaluation chronique des dépenses d'OPEX et de MISSINT
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les LPM 2019-2025 et 2024-2030 et les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial13(*).
- de 459 millions d'euros au titre des déploiements sur le flanc oriental de l'OTAN en Europe, qui ne sont pas intégrés juridiquement et comptablement aux OPEX ; ces dépenses, devenues prévisibles, devraient faire l'objet d'un financement initial annuel ;
- de 529 millions d'euros au titre du coût du soutien à l'Ukraine, dont les modalités de calcul et de financement demeurent opaques ;
- d'autres surcoûts liés à la contribution aux opérations de sécurisation en Nouvelle-Calédonie (16,7 millions d'euros), notamment au titre du transport aérien stratégique des forces de sécurité intérieure, et à la reconduction du traité bilatéral avec la république de Djibouti (16,0 millions d'euros).
Au total, les surcoûts à financer ont atteint 1,41 milliard d'euros en 2024, compensés partiellement par un moindre besoin en crédits de 360 millions d'euros au titre du CAS « Pensions ».
À l'issue de la loi de finances de fin de gestion, le besoin de financement subsistant en dépenses en 2024, à l'échelle de la mission, s'établissait à 1,18 milliard d'euros, essentiellement porté par le programme 146 relatif à l'équipement des forces (857 millions d'euros). Une partie substantielle des surcoûts a de facto été autofinancée, « sous enveloppe », en contradiction sur certains points avec la lettre des dispositions de la LPM concernant les exécutions budgétaires annuelles, notamment pour ce qui concerne le financement de l'effort national de soutien à l'Ukraine.
S'agissant des recettes, alors que les ressources budgétaires initiales étaient conformes à la LPM, le montant des recettes extrabudgétaires disponibles s'est établi à 1,296 milliard d'euros, un niveau comparable - inférieur de 20 millions d'euros - à ce que prévoyait la LPM pour cette année14(*).
Au total, il peut être estimé que le besoin cumulé de financement à fin 2024 au titre des surcoûts et, beaucoup plus marginalement, des moindres recettes était de 1,2 milliard d'euros.
Crédits prévus et crédits exécutés en 2024 pour la mission « Défense »
(en milliards d'euros, y compris contribution au CAS « Pensions », en CP)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires
Cette situation doit toutefois être mise en perspective. D'une part, le tassement de la hausse du coût des facteurs a libéré une capacité de paiement estimée à environ 800 millions d'euros pour 2024 à l'échelle du ministère. D'autre part, l'exécution s'est inscrite dans un contexte budgétaire général particulièrement dégradé en 2024, tant au regard de la prévision initiale du déficit public que de sa détérioration tout au long de l'année. Dans ces conditions, le respect de la trajectoire prévue en LPM par la LFI, puis le dégel large des crédits mis en réserve, ainsi que le report de crédits à 2025 (plutôt que leur annulation), sont apparus comme déjà relativement favorables lors des arbitrages interministériels.
Dans un contexte dans lequel le ministère des armées manifeste une volonté ferme de sanctuariser autant que possible, et au plus tôt, l'acquisition de l'ensemble des besoins en matériels identifiés par la LPM, le besoin de financement de fin d'année 2024 s'est traduit par le renvoi d'une partie des paiement associés à l'année suivante, dans le cadre du report de charges15(*).
* 7 Rapport d'information n° 615 (2024-2025), déposé le 14 mai 2025, fait au nom de la commission des finances, sur les perspectives de financement des objectifs fixés par la loi de programmation militaire.
* 8 Voir le rapport d'information n° 615 (2024-2025), déposé le 14 mai 2025, fait au nom de la commission des finances, sur les perspectives de financement des objectifs fixés par la loi de programmation militaire.
* 9 Décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits.
* 10 Loi n° 2024-1167 du 6 décembre 2024 de finances de fin de gestion pour 2024.
* 11 Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025, Cour des comptes.
* 12 Selon les éléments recueillis par le rapporteur spécial et les chiffres de la Cour des comptes : Analyse de l'exécution budgétaire 2024, Mission « Défense », avril 2025.
* 13 Voir le rapport d'information n° 615 (2024-2025), déposé le 14 mai 2025, fait au nom de la commission des finances, sur les perspectives de financement des objectifs fixés par la loi de programmation militaire.
* 14 La situation diffère en fonction des programmes de la mission.
* 15 Voir infra.