EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 18 mars 2025, sous la présidence de M. Pascal Allizard, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Ludovic Haye sur le projet de loi n° 553 (2024-2025) autorisant l'approbation de la Convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname.
M. Pascal Allizard, président. - Nous allons d'abord examiner le rapport de notre collègue Ludovic Haye sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Suriname.
M. Ludovic Haye, rapporteur. -Le projet de loi qui vous est présenté aujourd'hui vise à approuver la première convention bilatérale d'entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et celui de la République du Suriname. Cette première convention était très attendue.
La ratification de cette convention constitue une étape importante pour nos deux pays, qui sont naturellement liés par une frontière terrestre de 520 kilomètres, ce qui en fait la cinquième plus longue de la France.
Avant d'examiner le contenu de la convention, il est utile de revenir sur le contexte général dans lequel s'inscrit cet accord, tant du point de vue des relations internationales que des réalités sécuritaires qui concernent directement la Guyane, mais aussi le territoire hexagonal.
Le Suriname est ancienne colonie néerlandaise devenue indépendante en 1975 et située sur le plateau des Guyanes, entre le Guyana et la Guyane française. Avec une superficie de 163 270 kilomètres carrés et une population de près de 630 000 habitants, il est le plus petit pays d'Amérique du Sud.
Longtemps resté en marge sur la scène internationale, en raison notamment de son isolement géographique et de son statut de seul pays néerlandophone du continent, le Suriname a traversé une période sombre de son histoire. Le coup d'État militaire de 1980, orchestré par le colonel Desi Bouterse, a plongé le pays dans quarante années de dictature et de guerre civile. À cette époque, le Suriname était considéré comme un narco-État - on peut toujours le considérer comme tel. Le président Bouterse et son vice-président Ronnie Brunswijk ont été tous deux condamnés par contumace - respectivement à 11 et 6 ans de prison - pour trafic de stupéfiants, et ont fait l'objet de mandats d'arrêt internationaux. Durant cette guerre civile, des milliers de Surinamais ont traversé la frontière pour aller vivre en Guyane française et y sont toujours aujourd'hui.
L'élection de Chan Santokhi à la présidence en 2020 a marqué un tournant majeur. Ce nouveau chef d'État a entrepris une série de réformes économiques et institutionnelles visant à sortir le pays de la crise profonde qu'il traversait. Il y a donc un alignement des planètes pour cette convention.
Chan Santokhi a rapidement négocié une restructuration de la dette, amorçant un redressement économique. Sur le plan juridique, des outils législatifs ont été mis en place pour lutter contre le blanchiment d'argent et la corruption, mais malgré l'engagement du gouvernement, les avancées sur le terrain peinent à se voir.
Sur le plan diplomatique, le président Santokhi a amorcé un rapprochement stratégique avec les grands acteurs internationaux. La France, de son côté, a obtenu des avancées notables dans sa coopération avec le Suriname, en particulier dans la lutte contre l'orpaillage illégal, qui constitue un fléau partagé avec la Guyane française. Ses conséquences sont dramatiques : pollution au mercure des fleuves, destruction de la forêt et de la biodiversité, et risques graves pour la santé des populations autochtones. Parmi les mesures concrètes, on peut saluer la mise en place de patrouilles conjointes sur le fleuve Maroni, un format opérationnel particulièrement efficace, ainsi que la signature en mars 2021 d'un protocole additionnel à la convention de 1915, permettant de clarifier une partie importante du tracé frontalier entre nos deux pays - un contentieux qui durait depuis plus d'un siècle. Malgré cela, une partie du sud de notre frontière avec le Suriname reste floue, ce qui est rare sur le globe et renforce la portée d'une coopération judiciaire.
Même si ces progrès peuvent être remis en cause par la défaite électorale récente de Chan Santokhi, une dynamique positive semble engagée. Sans vouloir brusquer votre vote, chers collègues, il faut agir rapidement, car les choses peuvent changer. Il conviendra de suivre attentivement la formation de la nouvelle coalition gouvernementale pour évaluer les perspectives politiques du pays après la victoire du parti de l'ancien président-dictateur Desi Bouterse.
Par ailleurs, l'histoire récente du Suriname a été marquée par une découverte majeure : en janvier 2020, les compagnies TotalEnergies et Apache Corporation ont identifié d'importants gisements pétroliers offshore au large des côtes surinamaises. À l'horizon 2028, la production pourrait atteindre 200 000 barils par jour. Le projet d'exploitation du bloc 58, appelé « GranMorgu », mobilisera un investissement de 10,5 milliards de dollars, annoncé par le PDG de TotalEnergies à l'automne 2024. Ce gisement représenterait plus de 750 millions de barils de réserves. Le Suriname fonde de grands espoirs sur ce développement, qui pourrait profondément transformer son économie et générer des milliers d'emplois comme chez son voisin, le Guyana.
Cette montée en puissance du Suriname attise naturellement les convoitises, notamment de puissances comme les États-Unis et la Chine, qui cherchent à renforcer leur présence dans la région.
Dans ce contexte, il semble pertinent que la France renforce sa position en tant que partenaire naturel du Suriname, compte tenu de leur proximité géographique directe. La signature de cette convention judiciaire s'inscrit pleinement dans cette stratégie. Elle constitue une étape concrète vers une coopération plus étroite, efficace et durable avec ce pays voisin.
Je souhaite désormais faire un point plus particulier sur la situation sécuritaire du Suriname et de ses alentours. En effet, un élément de contexte qui confère toute sa pertinence à cette convention d'entraide judiciaire réside dans l'explosion du narcotrafic en Amérique du Sud, dont les répercussions se font sentir en Guyane, mais également en France hexagonale.
Chaque année, plus de 2 000 tonnes de cocaïne pure sont produites sur le continent sud-américain, avec une part croissante destinée aux marchés européens. Cette dynamique s'accompagne d'une augmentation significative de la violence, en particulier dans les zones de transit comme le Suriname, où les homicides liés à des règlements de comptes entre bandes criminelles se multiplient. En 2023, plusieurs rapports internationaux ont souligné une hausse de plus de 25 % du nombre des homicides liés au narcotrafic dans cette région du plateau des Guyanes. Le Suriname, autrefois marginal dans le grand échiquier de la drogue, est désormais un maillon stratégique des routes transatlantiques.
Le récent rapport d'enquête du Sénat, présenté en 2024 par notre collègue Étienne Blanc au nom de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, a dressé un état des lieux particulièrement préoccupant. Ce travail met en lumière l'évolution accélérée du modèle logistique du narcotrafic, où le Suriname joue un rôle de plateforme régionale de transit à grande échelle. Ce petit État constitue en effet un hub logistique privilégié pour l'exportation de cocaïne colombienne, notamment en raison de sa façade maritime, de la porosité de ses frontières et de l'enclavement de vastes zones forestières échappant encore largement au contrôle des forces de l'ordre.
Les groupes criminels qui opèrent dans la région ont su adapter leurs modes opératoires avec une résilience et une inventivité qui rendent la lutte d'autant plus complexe. Parmi les techniques de trafic aujourd'hui recensées, on peut citer l'utilisation d'avions de tourisme à faible rayon d'action, reliant directement les zones de production aux pistes clandestines aménagées dans la jungle surinamaise ; la voie maritime, avec la dissimulation de cargaisons de cocaïne dans des containers, notamment via la méthode dite du « rip-off », consistant à introduire la drogue dans un conteneur à l'insu du destinataire ; le recours à des mules, souvent précaires et vulnérables, qui transportent la drogue in corpore à bord de vols commerciaux, notamment via les liaisons aériennes entre Paramaribo et Cayenne, puis vers l'Hexagone.
Cette pression ne concerne pas uniquement les zones de production ou de transit. Elle affecte directement la Guyane française et rend indispensable une coopération judiciaire fluide et efficace avec nos voisins.
Le ministre de la justice a annoncé la construction d'une prison de très haute sécurité dans la région du Maroni, à la frontière surinamaise. Cette décision s'explique sans doute par la volonté de tenir à bonne distance certains profils particulièrement dangereux, mais aussi parce que certains des plus grands narcotrafiquants de la planète opèrent dans cette zone. Ce projet est aussi symptomatique de la gravité de la situation sécuritaire qui gangrène l'ensemble de la région amazonienne. La création de cette prison ultra-sécurisée envoie le signal d'un combat de long terme contre des organisations mafieuses profondément enracinées dans ce territoire frontalier.
Après ces rappels contextuels, permettez-moi de vous présenter à présent le contenu de la convention. Le texte, élaboré par les services français, s'inscrit dans les standards du droit international en matière d'entraide judiciaire pénale. Son champ d'application, défini à l'article 1er, est formulé de manière à être le plus large possible.
La convention permet en outre le recours à une panoplie complète de techniques de coopération modernes, parmi lesquelles les auditions par vidéoconférence, à l'article 10, les saisies et confiscations, à l'article 15, les interceptions de télécommunications, à l'article 18.
Elle est également assortie d'un avenant important, inscrit à l'article 23, qui vient adapter le texte aux exigences jurisprudentielles récentes du Conseil d'État en matière de protection des données à caractère personnel - exigence devenue incontournable dans tout cadre de coopération judiciaire contemporaine.
Afin d'être parfaitement consciencieux, il convient tout de même de regretter l'absence d'un volet relatif à l'extradition, mais cette lacune est, hélas, peu surprenante : elle s'explique par la situation personnelle du vice-président Ronnie Brunswijk et de certains membres de son entourage, toujours sous le coup de condamnations internationales.
Je tiens également à souligner l'absence, dans cette convention, du recours aux techniques spéciales d'enquête comme les livraisons surveillées ou les opérations d'infiltration. Bien que cela s'explique sans doute par le caractère nouveau de nos relations bilatérales, certaines mauvaises langues pourraient parler de défiance.
Enfin, la partie française a obtenu que le champ de l'entraide soit élargi à la possibilité de demandes de renseignements financiers auprès d'institutions financières, mais sans aller jusqu'à l'impossibilité pour la partie requise de se prévaloir du caractère fiscal de l'infraction à l'origine de la demande ou de se cacher derrière le secret bancaire, ce qui est regrettable dans le contexte du retour au pouvoir d'un parti connu pour ses largesses avec les trafiquants.
Cela étant dit, cette convention n'en constitue pas moins un instrument juridique robuste et ambitieux, qui pose les fondations d'une coopération judiciaire plus fluide, plus réactive et plus complète entre nos deux pays. Elle offrira des leviers concrets pour intensifier la lutte contre la criminalité transnationale organisée, dans laquelle tant la France que le Suriname se sont engagés avec détermination.
Ce texte sera présenté en séance publique le 23 juin, selon la procédure accélérée, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.
M. Akli Mellouli. - Mon groupe votera cette convention, qui est une belle avancée. De l'autre côté du fleuve, vous pouvez acheter des êtres humains, des armes. C'est là que les garimpeiros s'équipent. Accroître les échanges et les fluidifier dans le respect du droit français et du cadre international est bienvenu. Cette convention est une première pierre à l'édifice. Il faudra néanmoins aller plus loin, notamment sur l'extradition, pour lutter efficacement contre ceux qui agissent sur notre territoire.
Mme Michelle Gréaume. - On ratifie cette convention trois ans après sa signature. Depuis 2021, il a dû y avoir une étude d'impact. Je salue le rapport, mais je souhaite plus de précisions. On dit qu'il faudra plus de moyens humains et matériels, mais en Guyane, la juridiction est déjà sous tension. Les difficultés de mise en place de cette convention pourraient-elles être précisées ? La transmission des informations personnelles est sensible. Y a-t-il des garde-fous ?
M. Ludovic Haye, rapporteur. - Le temps de traitement montre que cette convention est extrêmement attendue, notamment par les services de l'ambassade et les services financiers en France, qui ont évoqué le contexte extrêmement compliqué là-bas. Parfois, nous pouvons nous dire que nous légiférons sur des conventions ultra-bordées. Là, c'est la première convention avec cet État. Nous partons de loin. Comme M. Mellouli, je dirais que c'est une première pierre essentielle.
Nos diplomates nous ont dit que cette convention serait de nature à améliorer la rapidité et l'efficacité des relations avec les Surinamais, ce qui nous a rassurés.
Mme Gréaume a évoqué les données personnelles. La convention devrait être donc bénéfique de ce point de vue.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Merci pour cet excellent travail. Je suis présidente du groupe d'amitié France-Caraïbes. Lors de notre dernier déplacement, nous avons noté une recrudescence de tous les trafics, de drogue, d'humains et d'armes, qui affecte nos territoires, où la violence s'accroît. Face à cette situation, tous les outils sont les bienvenus. Nous devons les soutenir et voir si d'autres conventions peuvent être passées avec d'autres pays. Quand on pense aux Caraïbes, on voit un paradis sur terre, mais c'est plutôt un enfer.
M. Ludovic Haye, rapporteur. - Madame Conway-Mouret, vous le dites très justement, et Étienne Blanc l'a indiqué dans son rapport sur le narcotrafic : l'éradication du trafic de drogue ne se traite pas uniquement dans les quartiers. On parle de tonnes de cocaïne pure. Or l'on sait que l'une des sources se situe en Amérique du Sud. Ces filières impactent les Caraïbes, mais aussi l'Hexagone, in fine.
M. Olivier Cadic. - Merci pour ce rapport. On a bien compris l'importance de la convention. La semaine dernière, j'étais à Santos au Brésil, premier port d'Amérique latine et quartier général des criminels du Primeiro Comando Da Capital (PCC). CMA CGM vient de devenir actionnaire majoritaire de l'opérateur portuaire. Quand on accomplit tout un travail sur un grand port, on entraîne des déports sur des routes alternatives, telles que le Suriname. Avez-vous des statistiques sur les arrestations de Surinamais en Guyane concernés par la convention ?
Marco Rubio s'est rendu au Suriname en avril. Quel était l'objectif de sa visite ? Avait-il pour objectif de travailler sur le trafic de drogue, ou uniquement sur le pétrole ?
M. Ludovic Haye, rapporteur. - La convention étant uniquement judiciaire, je n'ai pas travaillé sur les statistiques sécuritaires, mais il me semblait important de donner le contexte. Le Suriname est un sujet critique.
Les préoccupations pétrolières sont extrêmement fortes. La découverte récente de gisements offshore attise les convoitises, notamment des Chinois et des Américains. Dans la géopolitique actuelle, les États font leurs courses de matières premières. La visite de Marco Rubio portait clairement sur la question énergétique.
M. Étienne Blanc. - La loi sur le narcotrafic, que le Conseil constitutionnel vient de valider largement, comporte un volet très important sur le système des repentis. Cette convention couvre-t-elle le repérage des repentis potentiels et prévoit-elle un mode de gestion conjoint de ces repentis ?
M. Ludovic Haye, rapporteur. - Le système des repentis a été évoqué comme une manière de faire avancer les enquêtes, lors de l'audition préparatoire, mais je ne saurais dire si c'est un point essentiel. Je reviendrai vers vous avec une information plus précise.
examen de l'article unique
L'article unique constituant l'ensemble du projet de loi est adopté sans modification.