IV. LE CONTENU DE LA CONVENTION

La convention, d'un contenu, pour l'essentiel, classique pour un accord de ce type, comprend vingt-neuf articles et s'accompagne d'un avenant portant sur son article 23.

Saisi du projet de loi autorisant l'approbation de la Convention faisant l'objet du présent rapport, le Conseil d'État (section des finances) lui a donné un avis favorable dans sa version amendée par l'avenant, signé à Paramaribo le 2 juin 2023, qui avait pour objet la mise à jour du texte au regard des exigences jurisprudentielles fixées par le Conseil d'État.

Dans le détail :

Le champ d'application de l'entraide judiciaire mise en place est décrit à l'article 1er comme le « plus large possible » dans toute procédure visant des infractions pénales dont la répression entre dans la compétence des autorités judiciaires de la Partie requérante au moment où l'entraide est demandée.

Les Parties s'engagent également dans le cas de certaines procédures particulières, comme celles susceptibles d'engager la responsabilité d'une personne morale.

L'entraide accordée peut notamment concerner les demandes de renseignement d'ordre financier, sur la base d'une rédaction de compromis entre les deux parties.

Les autorités françaises proposent en effet, classiquement, dans les conventions d'entraide judiciaire en matière pénale, l'insertion :

- d'une disposition, au sein de l'article relatif au champ d'application ou de l'article relatif aux restrictions à l'entraide, selon laquelle le secret bancaire ne peut être invoqué pour rejeter l'entraide ;

- d'une disposition, au sein de l'article relatif aux restrictions à l'entraide, selon laquelle l'entraide ne peut être rejetée au seul motif que la demande se rapporte à une infraction que la Partie requise qualifie d'infraction fiscale ; ni au seul motif que la législation de la Partie requise n'impose pas le même type de fiscalité ou ne contient pas le même type de réglementation en matière fiscale, de douane et de change que la législation de la Partie requérante ;

- et d'une disposition spécifique relative à la demande d'information en matière bancaire.

Ces clauses, proposées par la Partie française dans le projet de convention qu'elle a transmis en 2015, n'ont pas été acceptées par la partie surinamaise. C'est pourquoi, à titre de compromis, les deux Parties se sont entendues pour insérer, à l'article 1er relatif au champ d'application de la Convention, la disposition suivante : « L'entraide judiciaire en matière pénale comprend les demandes de renseignements financiers auprès d'institutions financières ».

Les autorités françaises considèrent en effet que la notion d'«institutions financières », telle qu'entendue au niveau international recouvre bien les banques, qui sont inclues dans la notion « d'institutions financières » telle que définie dans les instruments conventionnels du Conseil de l'Europe35(*).

Le champ de la convention exclut cependant l'exécution des décisions d'arrestation et d'extradition, l'exécution des condamnations pénales, sous réserve des mesures de confiscation, ainsi que les infractions militaires qui ne constituent pas des infractions de droit commun.

L'article 2 relatif aux restrictions peuvant être apportées à l'entraide, cite les motifs de refus « standard » pour ce type de convention, à savoir les demandes se rapportant à des infractions considérées par la Partie requise comme politiques ou connexes à des infractions politiques, ou celles considérées par la Partie requise comme de nature à porter atteinte à sa souveraineté, à sa sécurité, à son ordre public ou à d'autres de ses intérêts essentiels ; ou encore en cas de suspicion d'une discrimination fondée sur des considérations religieuses ou ethniques. En outre, l'entraide peut être refusée si elle a pour objet une mesure de confiscation et que les faits à l'origine de la requête ne constituent pas une infraction pénale au regard de la législation de la Partie requise.

L'entraide peut être différée si l'exécution de la demande est susceptible d'entraver une enquête ou des poursuites en cours. Enfin, l'article définit les conditions dans lesquelles la partie requise doit, avant de refuser ou de différer l'entraide, informer rapidement la Partie requérante et la consulter pour décider si l'entraide peut être accordée aux termes et conditions qu'elle juge nécessaires.

Les articles 3 et 4 définissent les autorités centrales et les autorités compétentes pour chacune des parties.

L'article 5 traite du contenu et de la forme des demandes d'entraide : Classiquement, celles-ci doivent comporter un certain nombre d'informations telles que l'autorité compétente ayant émis la demande, l'objet et le motif de la demande ou encore les textes applicables définissant et réprimant les infractions, ainsi que les mesures d'entraide demandées. Elles sont faites par écrit ou par tout autre moyen, y compris par voie électronique.

L'article 6 fixe les conditions d'exécution des demandes d'entraide, qui doivent respecter la législation de la partie requise, tout en réservant la possibilité pour la Partie requérante de demander expressément l'application de formalités ou procédures particulières, pour autant que ces formalités et procédures ne soient pas contraires aux principes fondamentaux du droit de la Partie requise.

Cette stipulation a été introduite sur le fondement des stipulations de la Convention de l'Union européenne du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire entre les États membres, qui permet à un État qui a des règles de procédure pénale plus contraignantes de demander à l'autre Partie de respecter ces règles.

Le code de procédure pénale français permet aux autorités judiciaires françaises d'appliquer cette règle. L'article 694-3 du code de procédure pénale dispose ainsi que : « Les demandes d'entraide émanant des autorités judiciaires étrangères sont exécutées selon les règles de procédure prévues par le présent code. Toutefois, si la demande d'entraide le précise, elle est exécutée selon les règles de procédure expressément indiquées par les autorités compétentes de l'État requérant, à condition, sous peine de nullité, que ces règles ne réduisent pas les droits des parties ou les garanties procédurales prévus par le présent code. »

À titre d'exemple, de nombreux États étrangers ne prévoient pas qu'un témoin puisse être entendu en présence de son avocat, alors que pour la procédure pénale française la notion de témoin assisté existe depuis longtemps et la possibilité pour un tel témoin d'être assisté par un avocat est nécessaire. À l'inverse, certains États prévoient des notifications spécifiques concernant les droits des témoins ou les conséquences auxquelles ils s'exposent en cas de refus de répondre.

L'article stipule, sans préciser de délais, que l'exécution des demandes d'entraide doit s'effectuer « promptement », en tenant compte « dans toute la mesure du possible » des échéances de procédures de la Partie requérante. Le texte prévoit également qu'avec le consentement de la Partie requise, les autorités de la Partie requérante ou les personnes mentionnées dans la demande peuvent assister à son exécution et, dans la mesure autorisée par la législation de la Partie requise, interroger ou faire interroger un témoin ou un expert.

L'article 7 traite des demandes complémentaires d'entraide judiciaire.

L'article 8 constitue une clause traditionnelle relative à la comparution de témoin ou expert dans la Partie requérante, selon laquelle ce dernier, s'il n'a pas déféré à une citation à comparaitre dont la remise a été demandée, ne peut être soumis, alors même que cette citation contiendrait des injonctions, à aucune sanction ou mesure de contrainte, à moins qu'il ne se rende par la suite de son plein gré sur le territoire de la Partie requérante et qu'il n'y soit régulièrement cité à nouveau. L'article prévoit également le remboursement des frais ainsi que, en cas de nécessité, des mesures de protection.

L'article 9 garantit l'immunité des témoins et experts, de quelque nationalité qu'ils soient, qui, à la suite d'une citation, comparaîtraient devant les autorités judiciaires de la Partie requérante, ainsi que de toute personne, quelle que soit sa nationalité, citée devant les autorités judiciaires de la Partie requérante afin d'y répondre de faits pour lesquels elle fait l'objet de poursuites : ceux-ci ne peuvent être ni poursuivis, ni détenus, ni soumis à aucune restriction de liberté individuelle sur le territoire de cette Partie pour des faits ou condamnations antérieurs à leur départ du territoire de la Partie requise. Conformément aux stipulations classiques de ce type de convention, cette immunité cesse lorsque le témoin, l'expert ou la personne poursuivie, ayant eu la possibilité de quitter le territoire de la Partie requérante pendant quinze jours consécutifs après que sa présence n'était plus requise par les autorités judiciaires, y est néanmoins demeurée ou y est retournée après l'avoir quitté.

L'article 10 fixe le régime des auditions par vidéoconférence. Si une personne qui se trouve sur le territoire de l'une des Parties doit être entendue comme témoin ou expert par les autorités compétentes de l'autre Partie, cette dernière peut demander, s'il est inopportun ou impossible pour elle de comparaitre en personne sur son territoire, que l'audition ait lieu par vidéoconférence, à condition que la Partie requise y consente, que le recours à cette méthode ne soit pas contraire à sa législation nationale et qu'elle dispose des moyens techniques permettant d'effectuer l'audition.

Si leur droit interne le permet, les deux Parties peuvent appliquer ce même dispositif pour les auditions par vidéoconférence auxquelles participe une personne poursuivie pénalement, sous réserve du consentement de cette dernière.

Les articles 11 à 13 régissent les modalités de transfèrements temporaires de personnes détenues aux fins d'entraide judiciaire ou d'instruction : Toute personne détenue sur le territoire de la Partie requise dont la comparution est demandée par la Partie requérante, soit en qualité de témoin, soit aux fins de confrontation, est transférée temporairement sur le territoire de cette dernière partie, sous condition du consentement écrit de l'intéressé et de son renvoi dans le délai indiqué par la Partie requise.

Le transfèrement peut notamment être refusé s'il est susceptible de prolonger sa détention.

En outre, en cas d'accord entre les Parties, la Partie requérante qui a demandé une mesure d'instruction nécessitant la présence d'une personne détenue sur son territoire peut transférer temporairement cette personne sur le territoire de la Partie requise, avec son consentement écrit.

La personne transférée sur le fondement de ces deux stipulations reste en détention sur le territoire de la Partie dans laquelle elle est transférée à moins que la Partie d'origine ne demande sa mise en liberté.

L'article 14 est consacré à l'envoi et la remise d'actes judiciaires. Cette remise peut être effectuée par simple transmission de l'acte ou de la décision à la Partie destinataire, ou, à la demande de la partie requérante, dans une forme prévue par sa législation. Une traduction, totale ou partielle de l'acte, peut être réalisée si nécessaire.

L'article 15 traite des mesures de perquisition, ainsi que de saisie d'avoirs et de pièces à conviction : Celles-ci sont exécutées, dans la mesure où sa législation le lui permet, par la Partie requise, qui informe la Partie requérante du résultat de leur exécution.

Les articles 16 et 17 sont relatifs au sort des produits et instruments de l'infraction ainsi qu'à leur restitution : la Partie requise s'efforce, sur demande de la Partie requérante précisant les motifs sur lesquels repose sa conviction, d'établir si les produits d'une infraction à la législation peuvent se trouver dans sa juridiction et informe la Partie requérante du résultat de ses recherches. En cas de découverte, la Partie requise prend les mesures nécessaires autorisées par sa législation pour empêcher que ceux-ci fassent l'objet de transactions, soient transférés ou cédés avant qu'un tribunal de la Partie requérante n'ait pris une décision définitive à leur sujet.

La Partie requise doit également, dans la mesure où sa législation le permet et sur demande de la Partie requérante, envisager à titre prioritaire de restituer à la Partie requérante les produits des infractions, notamment en vue de l'indemnisation des victimes ou de leur restitution au propriétaire légitime, sous réserve des droits des tiers de bonne foi. Enfin, à la demande de la Partie requérante, la Partie requise peut exécuter une décision définitive de confiscation.

L'article 18 traite des demandes d'interceptions de télécommunications. Celles-ci peuvent être présentées lorsque la cible se trouve sur le territoire de la Partie requérante et que cette dernière a besoin de l'aide technique de la Partie requise, ou lorsque la cible se trouve sur le territoire de la Partie requise et que les communications de la cible peuvent être interceptées sur ce territoire.

Selon le code de procédure pénale surinamais, la surveillance et l'enregistrement des conversations téléphoniques peuvent être ordonnés par le juge à la demande du Procureur pour recueillir des éléments de preuve ou prévenir la commission d'une infraction. En cas d'urgence, le procureur peut ordonner la surveillance mais doit obtenir l'autorisation du juge dans un délai de 3 jours. L'interception téléphonique est autorisée uniquement pour les infractions graves tels les faits d'homicide, la traite des êtres humains, l'enlèvement, le vol avec arme, le trafic de stupéfiants... L'interception est autorisée pour une durée limitée, qui peut être renouvelée.

Le code de procédure pénale prévoit des garanties pour protéger les droits des personnes : droit au recours contre la mesure, destruction des enregistrements non utiles à l'enquête, etc.

Néanmoins, si la loi autorise les écoutes téléphoniques, des problèmes matériels et techniques empêchent souvent leur mise en oeuvre réelle en raison d'un manque d'équipement adapté et de formation des enquêteurs.

L'article 19 traite de la fourniture d'informations concernant des faits susceptibles de constituer une infraction pénale relevant de la compétence de l'autre Partie afin que des poursuites pénales puissent être diligentées sur son territoire.

L'article 20 prévoit la possibilité, dans la limite du droit national des deux parties, de procéder à un échange spontané d'informations concernant des faits pénalement punissables dont la sanction ou le traitement relève de la compétence de l'autorité destinataire.

L'article 21 régit la communication des extraits de casier judiciaire qui doit s'effectuer conformément à la législation de la Partie requise et dans la mesure où ses autorités compétentes pourraient elles-mêmes les obtenir en pareil cas.

L'article 22 traite des questions de confidentialité et du principe de spécialité. La Partie requise doit en effet respecter le caractère confidentiel de la demande et de son contenu, dans les conditions prévues par sa législation. En cas d'impossibilité, elle doit en informer la Partie requérante qui décide s'il faut donner suite à l'exécution.

Inversement, la Partie requise peut imposer la confidentialité des informations ou éléments de preuve fournis ou définir des termes et conditions spécifiques pour leur divulgation. Ces éléments ne pourront en outre être divulgués par la Partie requérante, sans l'accord préalable de la Partie requise, à des fins autres que celles qui auront été formulées dans la demande.

L'article 23 concerne les conditions dans lesquelles les données à caractère personnel communiquées au titre de la présente convention peuvent être utilisées par la Partie à laquelle elles ont été transmises. Cet article, qui dans sa version initiale n'était plus à jour des exigences jurisprudentielles fixées par le Conseil d'État, a fait l'objet d'un avenant signé le 2 juin 2023. Il précise, dans sa version définitive, que les données personnelles ne peuvent être utilisées que :

- pour la procédure à laquelle la convention est applicable, ou pour d'autres procédures judiciaires qui lui sont directement liées (principe de spécialité),

- pour prévenir une menace immédiate et sérieuse sur la sécurité publique.

Elles ne peuvent être utilisées à d'autres fins, ou transférées à un État tiers, sans le consentement de la partie émettrice.

L'article décrit également le droit de recours juridictionnel dont dispose la personne dont les données ont été transmises pour faire valoir ses droits d'accès, de rectification, d'effacement et de limitation du traitement des données.

L'article 24 institue une dispense de légalisation des pièces et documents transmis en application de la présente convention.

L'article 25 règle la question des frais liés à l'exécution des demandes d'entraide qui ne donnent en principe lieu à aucun remboursement, à l'exception de ceux occasionnés par l'intervention de témoins ou d'experts sur le territoire de la Partie requise (en application de l'article 8) et par le transfèrement des personnes détenues (en application des articles 11 et 12).

Les articles 26 à 29 constituent des clauses classiques dédiées aux conditions de consultation de la convention, de règlement des différends, d'amendements, de notification, d'entrée en vigueur et de dénonciation de la convention.

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La République du Suriname se trouve à la croisée des chemins, au sortir d'une ère marquée par son long isolement diplomatique et son modèle économique traditionnel, avec la perspective d'une montée en puissance sur la scène internationale à la faveur de l'alternance politique et de la promesse pétrolière.

La convention faisant l'objet du présent rapport, dont l'enjeu est de construire un partenariat avec la république surinamaise dans le domaine de la lutte contre la criminalité, est très attendue par les services judiciaires des deux parties. Elle constituera un outil majeur de lutte contre la criminalité internationale, notamment le narcotrafic dont le Suriname constitue l'une des plaques tournantes.


* 35 La Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de 2005 (dite « Convention de Varsovie ») inclut clairement dans son article 7 les banques parmi les institutions financières.

Par ailleurs, le Groupe d'action financière (GAFI) définit très largement la notion d'« institution financière », en y intégrant les banques, dans son glossaire.

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