N° 752
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 juin 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires
étrangères, de la défense et des forces armées (1)
sur le projet de loi autorisant l'approbation de
l'avenant à la
convention d'entraide
judiciaire en matière
pénale du 28 mai 1996 entre le
Gouvernement de la République
française et le Gouvernement de
la République fédérative du
Brésil
(procédure
accélérée),
Par M. Guillaume GONTARD,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Jean-Baptiste Lemoyne, Claude Malhuret, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Joël Guerriau, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mmes Gisèle Jourda, Mireille Jouve, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.
Voir les numéros :
Sénat : |
629 et 753 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
Le présent projet de loi a pour objet l'approbation d'un avenant à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale signée le 28 mai 1996 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République fédérative du Brésil.
Il intervient dans le contexte d'une relation bilatérale historiquement très constructive mais ralentie sous l'ère Bolsonaro (2019-2022) : relation qui, avec le retour au pouvoir du Président Lula en janvier 2023, a pris un nouvel essor.
Cet avenant a pour objectif la mise à jour d'une coopération judiciaire précieuse, mais confrontée aux limites d'une convention vieille de près de trente ans : il permettra notamment l'utilisation de certaines techniques d'investigation modernes ; il prévoit par ailleurs la simplification de diverses procédures inutilement lentes ; enfin, il procède à la nécessaire mise à jour jurisprudentielle de la clause relative aux données à caractère personnel.
Dans le contexte de la montée en puissance, particulièrement agressive, de la criminalité organisée internationale, et notamment du narcotrafic, ce renforcement de la coopération judiciaire entre les deux pays est particulièrement bienvenu, et attendu avec impatience des deux côtés.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.
I. APPROCHE CONTEXTUELLE : LE BRÉSIL, POIDS LOURD RÉGIONAL
Ancienne colonie portugaise, le Brésil a obtenu son indépendance en 1822 pour devenir une République en 1889, ce qu'elle est restée à l'exception d'une période de dictature militaire, de 1964 à 1985. Plus vaste pays d'Amérique du Sud, ses proportions participent de son potentiel hors norme :
· 8,5 millions de km2, 5ème pays au monde en superficie (15 fois la France)
· 17000 km de frontières dont 730 km avec la France (Guyane française) - ce qui correspond à la plus longue frontière terrestre française.
· 214 millions d'habitants, dont la moitié concentrée sur le littoral (bande de 200 km).
· Véritable poumon de la planète, avec 60% du pays recouvert par la forêt amazonienne, et 12% de la disponibilité en eau douce de la planète.
A. UNE ÉCONOMIE DYNAMIQUE, REPOSANT SUR LES SECTEURS PRIMAIRE ET TERTIAIRE
L'économie brésilienne apparaît diversifiée : si elle s'appuie principalement sur une économie de services, elle n'en reste pas moins dynamique dans le secteur de l'industrie et met également à profit la richesse de ses ressources naturelles.
1) Un secteur agricole au fort potentiel
Le secteur primaire au Brésil est principalement constitué de l'agriculture, de l'élevage, de l'exploitation forestière et de l'extraction minière.
En 2024, le secteur agricole représentait près de 7% du PIB national, selon les données de l'Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE) ; le Brésil est notamment l'un des plus grands producteurs mondiaux de soja, café, canne à sucre et viande bovine. À titre d'illustration, en 2023, le pays a exporté environ 90 millions de tonnes de soja, générant des revenus de plus de 40 milliards de dollars.
L'agriculture brésilienne recense un peu plus de 5 millions d'exploitations agricoles, qui occupent une superficie totale de 330 millions d'hectares (soit environ 39 % de la superficie totale du pays). Il s'agit d'une agriculture duale avec d'un côté un agro-négoce à vocation exportatrice (1,1 million d'exploitations), responsable de l'excédent commercial du pays, caractérisée par de grandes propriétés mécanisées orientées vers une production alimentaire intensive ; et de l'autre une agriculture familiale traditionnelle. Cette dernière, avec ses 3,9 millions d'exploitations, emploie environ 10,1 millions de personnes et produit les deux-tiers de l'alimentation des Brésiliens1(*).
Le Brésil promeut une libéralisation accrue des échanges agricoles dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et une ouverture du marché agricole européen dans le cadre de la négociation Union européenne - Mercosur (voir II. C. ci-après). Très soucieux de son image, le Brésil cherche en même temps à relever les enjeux du développement durable pour conquérir et conserver des marchés de plus en plus exigeants et asseoir ainsi son ambition de devenir le leader agricole mondial.
2) Des ressources naturelles riches et variées
Le Brésil possède des ressources minérales abondantes, notamment le fer (350 millions de tonnes extraites en 2023, générant des revenus de plus de 30 milliards de dollars), la bauxite et l'or (voir B. 2 ci-après sur la problématique de l'orpaillage illégal). L'extraction minière, qui, après une contraction en 2023 due aux effets du phénomène El Niño, a retrouvé son dynamisme en 2024, constitue une composante importante du secteur primaire, contribuant à la fois à l'économie locale et aux exportations2(*). Avec 9500 mines en exploitation, générant un chiffre d'affaires de 50 milliards de dollars, le secteur minier prévoit des investissements de l'ordre de 68 milliards de dollars au Brésil pour la période 2025-20293(*).
Ces investissements se répartiraient comme suit :
Minerai de fer : 28,7 %
Secteur environnemental,
Social et de Gouvernance (ESG) : 16,6 %
Logistique :
15,9 %
Cuivre : 10,7 %
Engrais :
8,2 %
Nickel : 5,6 %
Autres substances : 3,2
%
Or : 3,1 %
Terres rares : 3,2 %
Bauxite :
1,9 %
Lithium : 1,7 %
Titane : 1,2 %
Zinc :
0,1 %
Le pays est également un acteur mondial majeur dans la production et l'exportation de pétrole, avec des gisements offshores significatifs. En 2023, il a produit environ 3 millions de barils de pétrole par jour, générant des revenus de plus de 50 milliards de dollars.
Le Brésil est l'un des plus grands producteurs d'hydroélectricité au monde. Les centrales hydroélectriques du pays, comme celle d'Itaipu, sont des sources majeures d'énergie renouvelable. Ainsi, en 2023, 400 TWh ont été produits par le biais d'installations hydroélectriques pour 10 milliards de dollars de revenus.
Enfin, les ressources naturelles permettent au Brésil de se poser en leader mondial dans la production de biocarburants, notamment l'éthanol produit à partir de la canne à sucre. En 2023 les 30 milliards de litres d'éthanol produits ont permis de dégager 15 milliards de dollars de revenus.
3) Un secteur tertiaire dynamique
Le secteur tertiaire (services et commerce) est le plus important en termes de contribution au PIB ; il emploie environ 71% de la population économiquement active.
Le secteur des services inclut une large gamme d'activités, allant des services financiers à l'éducation, à la santé et au tourisme, et représente la majeure partie de l'économie brésilienne.
Le commerce, tant intérieur qu'international, est un atout clé de l'économie brésilienne : Le Brésil assure notamment 7,3% des exportations agricoles mondiales.
Après un excédent record en 2023, le solde commercial brésilien se maintient à un niveau très élevé en 2024, à 74,6 milliards de dollars, soit 3,3% du PIB. Si les exportations sont restées stables, portées par les matières premières - le pétrole brut prenant le relai du soja comme principal produit d'exportation -, les importations, principalement de produits manufacturés, ont progressé.
Les ventes vers la Chine, premier client du pays, sont en repli tandis que les Etats-Unis restent le 2ème client du Brésil.
Avec une part de marché de 2,4%, la France se hisse au 8ème rang des fournisseurs du Brésil (13ème place en 2022), alors qu'elle n'est que son 29ème client (0,9% des exportations)4(*).
4) L'enjeu de la dette
Néanmoins, le Brésil fait face à une inflation de 4,2 % et son niveau d'endettement est important (76,1% du PIB fin 2024).
La croissance économique du pays, qui avait atteint 3,4% en 2024, devrait selon les prévisions ralentir à 2% en 2025. L'activité est portée par la consommation des ménages, elle-même stimulée par un marché du travail robuste (avec un taux de chômage de 6,2%), la revalorisation des prestations sociales et la hausse des revenus. Cependant, des signes d'essoufflement sont visibles, sous l'effet d'un resserrement monétaire agressif destiné à contenir une inflation persistante (5,5% attendus en 2025).
La Banque centrale a relevé son taux directeur à 14,75% en mai, avec cependant pour effet d'alourdir encore la dette publique.
La trajectoire de la dette brésilienne, qui apparaît dorénavant de nature à compromettre la perspective d'une croissance durable et sans pressions inflationnistes5(*), est devenue explosive. Ainsi, même si le gouvernement parvient à respecter ses cibles budgétaires (équilibre en 2025 et excédent de 0,25% en 2026), cela ne suffira pas à inverser la trajectoire ascendante de la dette publique. Ces inquiétudes sont amplifiées par la rigidité des dépenses publiques, avec plus de 90% du budget fédéral consacrés aux dépenses obligatoires.
Cette situation pèse également sur les investissements, où le pays accuse un déficit chronique. Malgré une hausse significative du taux d'investissement en 2024 (17%), celui-ci demeure en deçà de la moyenne régionale (20%) et de celle des économies émergentes (23%), ce qui constitue une entrave majeure à son développement économique qui est par ailleurs pénalisé par le « Coût Brésil », un ensemble de freins structurels - comprenant la lourdeur bureaucratique, la complexité fiscale, la corruption, et des charges sociales élevées.
* 1 Source : https://agriculture.gouv.fr/bresil
* 2Source : Brazil : Country File, Economic Risk Analysis / Coface
* 3 Source : https://www.teamfrance-export.fr/fiche-marche/infrastructures/mines/BR
* 4 Source : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/BR/commerce-exterieur-du-bresil
* 5 Source : https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/BR/indicateurs-et-conjoncture