B. LA FORÊT AMAZONIENNE ET SES ENJEUX
Le Brésil, avec sa vaste étendue de forêt amazonienne, qui s'étend sur 60% de son territoire, bénéficie de ressources naturelles et d'atouts économiques précieux. L'Amazonie abrite une biodiversité d'une richesse inégalée - plus de la moitié des espèces animales et végétales du monde :
Environ 30 % des espèces d' insectes sont concentrées dans sa canopée, et au moins 14 000 espèces de plantes ; les scientifiques ont notamment recensé entre 96 660 et 128 843 espèces d' invertébrés vivant uniquement au Brésil ; une espèce d'oiseau sur cinq vit dans la forêt amazonienne, et une espèce de poisson sur cinq dans ses rivières.
Mais ce bassin, fragilisé par l'activité humaine qui le détruit peu à peu, représente également un patrimoine en péril aigu. La sauvegarde de la forêt primaire constitue ainsi pour le pays - et, au-delà, pour la planète - un enjeu environnemental majeur. « Poumon vert de la planète », selon l'expression consacrée, elle est menacée par la déforestation, le réchauffement climatique, et l' orpaillage .
1) Une prise de conscience tardive des ravages de la déforestation
La déforestation est souvent liée à l'expansion agricole, à l'élevage et à l'exploitation forestière, souvent elles-mêmes encouragées par des politiques gouvernementales qui favorisent le développement économique au détriment de la protection de l'environnement. Son impact est particulièrement destructeur en termes de climat, de biodiversité et d'émissions de gaz à effet de serre.
Après plusieurs décennies particulièrement dévastatrices, la déforestation, comme le montre l'histogramme ci-dessous, a connu un ralentissement entre 2004 et 2012. Des enquêtes ont cependant mis en évidence l'inefficacité de la protection des forêts contre la déforestation illégale, dans 25% des cas.
Sous la présidence de Jair Bolsonaro, les problématiques environnementales ne constituaient clairement pas une priorité, et sa mandature a été marquée par une recrudescence du phénomène6(*).
Depuis 2023, le président Lula semble avoir pris la mesure du problème, s'impliquant notamment dans les grandes conférences internationales, à commencer par la Conférence des parties (COP) : Ainsi, en novembre 2025, le Brésil accueillera la conférence de Belém sur les changements climatiques dite « COP30 ».
Des actions volontaristes ont par ailleurs également été engagées sur le territoire brésilien :
Les 8 et 9 avril 2024 a été signé à Brasília, entre le gouvernement fédéral et les communes d'Amazonie, un vaste programme pour la protection des forêts et le développement de ces territoires. Le niveau municipal est désormais reconnu comme incontournable pour obtenir des impacts effectifs sur le terrain7(*).
2) L'orpaillage illégal et ses dégâts
L'orpaillage illégal s'est développé dans le bassin amazonien, en particulier dans les réserves indigènes, prenant une ampleur alarmante depuis les dernières décennies.
L'orpaillage illégal utilise généralement du mercure pour séparer les particules d'or des autres sédiments, ce qui entraîne une pollution lourde des rivières et des sols, avec des conséquences graves sur la santé des populations locales et sur l'écosystème aquatique.
Source : le Télégramme, 7 février 2023
De plus, l'orpaillage illégal se pratique le plus souvent dans des territoires censés être protégés et réservés aux Premiers Peuples, ce qui aggrave les conflits fonciers et les violations des droits des communautés autochtones. Cette activité est souvent accompagnée de brutalités et de violations des droits humains. À titre d'exemple, la communauté indigène des Yanomami a été victime de violences, et l'orpaillage a favorisé en son sein une explosion des cas de malaria et d'autres maladies infectieuses8(*).
Enfin, cette pratique génère une déforestation importante : en 2021, on estime à 125 km² la surface de forêt ainsi détruite, soit l'équivalent de celle de Paris intra-muros9(*).
Contrairement à son prédécesseur cependant, le président Lula affiche une volonté manifeste de combattre ce fléau. L'opération Exodus, déployée en début d'année 2023, a finalement chassé les garimpeiros du territoire Yanomani.
L'orpaillage illégal dans les terres autochtones au Brésil a fortement diminué depuis le retour au pouvoir de Lula en 2023, selon un rapport publié par Greenpeace, qui alerte néanmoins sur l'expansion de ces activités sur de nouveaux territoires. Des images par satellite ont montré qu'en 2023 et 2024, le rythme annuel de la déforestation liée à l'orpaillage sur les terres autochtones a chuté de moitié par rapport au mandat de l'ex-président d'extrême droite Jair Bolsonaro (2019-2022)10(*)
La lutte contre l'orpaillage illégal constitue un défi commun pour la Guyane française11(*) et le Brésil, dans la perspective duquel la présente convention prend tout son sens : le partenariat franco-brésilien en matière d'entraide représentera à cet égard une gageure pour la coopération transfrontalière entre les deux pays.
3) De dramatiques épisodes de sécheresse
Avec l'allongement de ses saisons sèches, l'Amazonie est confrontée à des épisodes de plus en plus fréquents et intenses de sécheresse. Or la succession rapide de ces périodes de stress hydrique -- quatre en vingt ans alors que la norme serait d'un par siècle -- empêche la végétation de se reconstituer pleinement et la fragilise dangereusement.
Ainsi, la forêt amazonienne a connu sa pire sécheresse jamais enregistrée en 2023, marquée par un ralentissement critique et une perte de résilience de son écosystème, par d'importants incendies de forêt, et par une situation critique dans de nombreux villages devenus inaccessibles par voie fluviale.
Les scientifiques s'inquiètent de l'imminence d'un « point de non-retour », à partir duquel la forêt s'assécherait jusqu'à devenir une savane. Selon un rapport du média Reporterre, ce seuil serait aujourd'hui en passe d'être atteint.
4) La menace des incendies
La déforestation a par ailleurs été notablement aggravée au cours des dernières années par les immenses incendies qui ont ravagé le pays, notamment en 2019 et 2024.
Ces foyers, provoqués à 95% par l'action humaine, sont une pratique courante à fins de défrichage (« brûlis »). Mais la sécheresse croissante de la végétation facilite la propagation des feux, qui deviennent alors rapidement hors de contrôle.
En 2024, ce sont 30,9 millions d'hectares de forêt qui sont partis en fumée, ce qui représente une hausse de quasi 80% en une année, d'après le rapport de la plateforme de surveillance MapBiomas.
5) Les trafics lucratifs d'espèces sauvages
On estime par ailleurs que 38 millions d'animaux sont extraits de la jungle Amazonienne chaque année, pour un montant de revente de 2 milliards de dollars : Petits oiseaux chanteurs, grands aras bleus et jaunes, perroquets verts, singes, tortues, serpents, pumas... Ce trafic soulève de plus une problématique de mise en danger de la santé publique, certaines espèces étant porteuses de zoonoses (maladies et infections transmissibles de l'animal à l'homme).
Les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp notamment) sont devenus les plaques tournantes de ces réseaux de contrebande12(*). L'absence de modération ou de régulation de la part de ces plateformes facilite ainsi la vente en ligne, en toute impunité, d'animaux ou de plantes aux collectionneurs.
Sous l'impulsion de son nouveau président, le Brésil est en train de se doter d'une législation plus répressive en la matière13(*), au service de laquelle la présente convention pourrait prendre tout son sens.
6) La poursuite de l'exploitation pétrolière
Paradoxalement dans un contexte où le Brésil se prépare à accueillir la COP30 et où le président Lula affiche sa détermination concernant les problématiques environnementales, le Brésil apparaît peu enclin à interdire toute exploration des hydrocarbures dans la forêt amazonienne, considérant l'exploitation pétrolière comme un pilier de son économie, et a autorisé récemment un vaste programme d'investissements.
La région concernée, connue sous le nom de « marge équatoriale », s'étend sur six États, du Rio Grande do Norte à l'Amapá, couvrant 350 000 km². Elle pourrait rapporter au Brésil jusqu'à 10 milliards de barils de pétrole, alors que les réserves prouvées du pays étaient estimées à 15,9 milliards de barils en 202314(*).
Cette décision, vivement critiquée par les écologistes, a déclenché une polémique. Ses détracteurs redoutent notamment un grave impact sur l'écosystème de cette région de mangrove à la biodiversité fragile.
7) ... A l'heure du bilan :
Au cours des 50 dernières années, près de 20% de la forêt amazonienne a disparu, et cette destruction massive fait approcher l'Amazonie d'un point de bascule : en effet, si un quart de la forêt venait à disparaître, son écosystème s'effondrerait, selon de récents travaux scientifiques15(*).
Les hectares perdus de la forêt amazonienne
Source : https://www.nationalgeographic.fr/environnement
La dévastation de la forêt engendre inévitablement la disparition d'une multitude d'espèces animales et végétales qui y trouvaient refuge. Ainsi, sur 11 000 espèces végétales et 3 000 espèces animales étudiées dans le bassin amazonien, 64 % sont dorénavant considérées comme menacées et répertoriées sur la Liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature ( UICN).
Enfin, du fait de la destruction d'une part importante de sa biomasse, liée notamment aux déforestations pratiquées au cours des dernières décennies, l'Amazonie brésilienne, émettant environ 18% de plus de carbone qu'elle n'en absorbe, présente désormais un bilan carbone négatif : de sorte que, paradoxalement, elle participe maintenant aux émissions de gaz à effet de serre additionnels, impliqués dans le processus de réchauffement climatique.
Dans le cadre de la future COP30, le Brésil aura la lourde tâche d'essayer d'inverser cette trajectoire délétère.
* 6 Cf Politiques environnementales au Brésil : analyse historique et récents développements sous Jair Bolsonaro / Cairn.info
* 7 Source : Cirad Résultats & impact 2 mai 2024.
* 8 Les autorités estiment que plus de 15 000 orpailleurs ont envahi ces terres censées être inviolables et les indigènes les accusent de violer et tuer des membres de leur communauté, tout en les privant d'un de leurs principaux moyens de subsistance, la pêche, en polluant les fleuves au mercure.
* 9 Cf Orpaillage illégal au Brésil | Un « climat de terreur permanente » chez les Yanomami | La Presse
* 10 Cf https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/2154733/bresil-mines-illegales-autochtones-greenpeace
* 11 Dans cette région française, l'orpaillage illégal entraîne la déforestation (10 000 hectares de forêt entre 2008 et 2018), la pollution des sols et cours d'eau par l'utilisation de mercure (entre 10 et 20 tonnes de mercure par an rejetés dans la nature), et la destruction des écosystèmes locaux (500 km de cours d'eau affectés).
Cf notamment le rapport n° 4404 du 21 juillet 2021 (XV législature) par M. Gabriel Serville, au nom de la commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane.
* 12 Cf https://korii.slate.fr/et-caetera/reseaux-sociaux-plaques-tournantes-trafic-animaux-sauvages-vente-illegale-contrebande-plateformes-internet-protection-nature
* 13 Cf https://www.sudouest.fr/international/bresil/incendies-de-foret-trafic-d-animaux-le-bresil-veut-durcir-les-peines-pour-les-crimes-contre-l-environnement-21784817.php
* 14 Cf RFI, 2 février 2025 : Brésil : Lula défend l'exploration pétrolière en Amazonie malgré les critiques des écologistes.
* 15 Cf : Des chiffres record de déforestation en Amazonie avant les élections au Brésil - Espace Presse Greenpeace France