C. UN RÉGIME FRAGILE SUR LA SCENE INTERIEURE, DYNAMIQUE À L'INTERNATIONAL

1) Une politique intérieure affaiblie par des clivages anciens

Le pays a connu ces dernières années une période de forte polarisation politique, marquée par l'élection du candidat populiste Jair Bolsonaro en 2018, puis par le retour de Luiz Inácio Lula da Silva, dit « Lula » (centre-gauche) à la présidence en 2023. Ces deux présidents incarnent deux visions radicalement opposées du Brésil contemporain, avec d'un côté un populisme conservateur d'extrême droite et de l'autre un projet de gauche sociale ancré dans l'histoire du Parti des Travailleurs (PT).

Jair Bolsonaro, ancien capitaine de l'armée, avait été élu sur un programme conservateur et sécuritaire. Il a axé sa campagne électorale sur un discours très dur contre la corruption, les élites politiques traditionnelles, les médias ainsi que les idéologies progressistes. Il a su rassembler un électorat puissant, notamment dans les milieux évangéliques, les grands propriétaires terriens et les classes moyennes inquiètes de l'insécurité et de la crise économique.

Sur le plan économique, son gouvernement a prôné une libéralisation du marché sous l'impulsion de son ministre de l'Économie Paulo Guedes. Toutefois, la croissance est restée faible, la dette publique a augmenté, et l'inflation s'est aggravée en fin de mandat, dans le contexte d'une crise de la Covid 19 gérée de façon particulièrement calamiteuse : l'ex-président ayant rejeté les mesures de confinement, promu des traitements non prouvés scientifiquement et mis en doute l'efficacité des vaccins, le Brésil, trois mois après le début de la pandémie, s'est trouvé être le 2ème pays au monde en nombre de contaminations et de décès, derrière les Etats-Unis.

En matière environnementale, le mandat de Bolsonaro a été marqué par le démantèlement des agences de protection environnementale, l'affaiblissement des régulations, et une accélération spectaculaire de la déforestation en Amazonie.

Sur le plan sociétal, son gouvernement s'est montré hostile envers les minorités, notamment les populations indigènes, les personnes LGBT et les mouvements féministes. Il a également attaqué la presse indépendante et maintenu un discours souvent agressif, contribuant à une polarisation extrême de la société.

D'un point de vue institutionnel, Bolsonaro a régulièrement remis en question le fonctionnement de la démocratie. A la fin de son mandat, accusant son adversaire de fraude électorale, il a suscité un climat inédit de tensions et de violences urbaines dans le pays. Le 8 janvier 2023, ses partisans ont envahi et vandalisé la place des Trois-Pouvoirs à Brasilia - événements apparaissant comparables à l'assaut du Capitole du 6 janvier 2021 par les partisans de Donald Trump.

Bolsonaro, déjà frappé d'une peine d'inéligibilité qui court jusqu'en 2030, comparaît depuis le 9 juin dernier devant la Cour suprême brésilienne. Il est accusé d'avoir été le « leader d'une organisation criminelle » ayant conspiré pour son maintien au pouvoir en 2022. L'ancien président nie toute velléité en ce sens, dénonçant une « persécution politique »16(*).

Ayant hérité d'une situation de crise institutionnelle et politique après les années Boslonaro, le président Lula, figure historique de la gauche brésilienne, revenu au pouvoir en 2023 après avoir purgé une peine de prison pour corruption (affaire « Lava Jato »)17(*), est parvenu globalement à normaliser la situation intérieure.

Minoritaire au Congrès, confronté depuis 2024 à un renforcement du clan bolsonariste à la chambre basse, il est parvenu à élargir sa base et à composer avec les différentes formations politiques afin de faire avancer ses priorités. Il a notamment réussi à faire adopter de nouvelles règles en matière de finances publiques permettant une expansion des dépenses sociales et des investissements, ainsi qu'une réforme des impôts sur les biens et services.

Les priorités affichées par le président Lula sont : en terminer avec la faim (33 millions de personnes), favoriser l'accès au logement et à l'éducation, garantir la liberté religieuse, lutter contre le racisme et la haine, réindustrialiser le pays, atteindre l'objectif de « zéro déforestation » d'ici 2030 (plus de 10 000 km² ayant été déforestés en Amazonie en 2022) et garantir les droits des populations indigènes.

Avec une dette brute du secteur public atteignant 76,1% du PIB à la fin 2024 - un taux élevé pour un pays émergent - le nouveau gouvernement demeure confronté à trois défis majeurs : la réconciliation d'un Brésil profondément divisé, la reconstruction des institutions et des services publics après quatre années de coupes budgétaires, et la mise en place de politiques environnementales crédibles.

2) Une corruption persistante

En 2024, l'indice de corruption au Brésil18(*), selon Transparency international, était de 34 sur une échelle de 0 à 100, plaçant ainsi ce pays à la 107ème place sur 180 pays évalués. Le phénomène est endémique : 11% des utilisateurs des services publics ont admis avoir versé un pot-de-vin au cours des 12 derniers mois.

On note cependant une légère amélioration en 2024 par rapport aux évaluations de 2023 (1 place gagnée pour 2 points d'indice de corruption perdus).

3) Une politique étrangère non-alignée, s'appuyant sur le multilatéralisme

La présidence de Lula marque un retour significatif du Brésil sur la scène internationale, caractérisé par une amélioration du dialogue avec ses partenaires et une réaffirmation des fondamentaux de la diplomatie brésilienne, tels que le non-alignement et le multilatéralisme. On soulignera notamment son implication dans le G77 (union de 77 pays en développement sous l'égide de l'ONU) et le format BRICS.

BRICS

Pays du G77

Le pays a également réintégré la Communauté d'États latino-américains et caraïbes CELAC)19(*), affichant sa volonté de rechercher activement des investissements et des débouchés pour son économie.

Le Brésil a par ailleurs siégé au Conseil de Sécurité pour le biennium 2022-23, bien qu'il n'y participe plus pour 2024-2025.

Il préside enfin le G20 cette année et présidera la COP30 à Belém en 2025, ainsi que les BRICS.

Le pays maintient une vision légaliste des relations internationales, et demeure fidèle à sa tradition de non-alignement.

Il cherche à se réinvestir en Afrique ainsi que dans son environnement régional, comme en témoigne son rôle actif dans la crise politique vénézuélienne.

Concernant le conflit en Ukraine, le Brésil de Lula, fortement dépendant des engrais russes et cherchant des sources d'approvisionnement en carburant, adopte une position conciliante envers Moscou : s'il a voté en faveur des résolutions condamnant l'invasion russe au Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) et à l'Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU), il n'a cependant pas souhaité adopter de sanctions contre la Russie. Il plaide en faveur d'une paix négociée mais considère que ce sujet doit être traité uniquement par les instances compétentes, et s'oppose à l'exclusion de la Russie du G20.

Sur la situation au Proche-Orient, le Brésil souhaite éviter l'escalade du conflit et soutient une solution à deux États. Après avoir condamné l'attentat du Hamas, Lula a critiqué la réponse israélienne à Gaza20(*).


* 16Voir :
- France Culture, 3 juin 2025 : Brésil : Jair Bolsonaro auditionné la semaine prochaine lors de son procès pour tentative de coup d'État, par Laurence Meride.

https://www.lefigaro.fr/international/bresil-debut-des-auditions-de-temoins-cles-au-proces-de-jair-bolsonaro-20250519

- France Info, 9 juin 2025 : L'ex-président brésilien Jaïr Bolsonaro a bien étudié la possibilité de placer le pays en "état de siège" en 2022, selon l'un des accusés du procès historique pour tentative de coup d'Etat

* 17 Finalement annulée pour vice de forme.

* 18 https://www.transparency.org/en/countries/brazil

* 19 La Communauté d'États latino-américains et caraïbes (CELAC) est un organisme intergouvernemental régional qui regroupe les trente-trois États d' Amérique latine et des Caraïbes. Elle a été créée le 23 février 2010 lors du sommet du Groupe de Rio à Playa del Carmen au Mexique.

Ce bloc régional, successeur du Groupe de Rio et du Sommet de l'Amérique latine et des Caraïbes sur l'intégration et le développement (CALC), est considéré comme une alternative à l' Organisation des États américains (OEA). Il a pour objectif de promouvoir l' intégration et le développement des pays latino-américains .

* 20 Le président Lula a notamment utilisé publiquement l'expression de génocide, et appuyé la requête adressée à la Cour internationale de justice (CIJ) par l'Afrique du Sud concernant des « actes génocidaires » potentiels commis par Israël. Enfin, le 18 février 2024, il a comparé la situation dans la bande de Gaza à l'Holocauste, ce qui a conduit Israël à le déclarer persona non grata jusqu'à ce qu'il présente des excuses.

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