N° 25
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 octobre 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la
proposition de loi,
adoptée par l'Assemblée nationale, visant
à garantir un cadre fiscal
stable, juste
et
lisible pour nos
micro-entrepreneurs et nos petites
entreprises,
Par M. Jean-François HUSSON,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Michel Canévet, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; Mmes Marie-Carole Ciuntu, Frédérique Espagnac, MM. Marc Laménie, Hervé Maurey, secrétaires ; MM. Pierre Barros, Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mmes Florence Blatrix Contat, Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Claire Carrère-Gée, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Stéphane Fouassin, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (17ème législ.) : |
1337, 1468 et T.A. 126 |
|
Sénat : |
677 (2024-2025) et 26 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
Le régime de la franchise en base de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) vise à exempter du paiement de la TVA les petites entreprises dès lors qu'elles réalisent un chiffre d'affaires annuel inférieur à des seuils déterminés. Ce régime fiscal favorable, destiné à alléger la charge administrative et fiscale des petites entreprises1(*), bénéficie à environ 2,1 millions de petites entreprises, entrepreneurs individuels ou microentreprises (auto-entrepreneurs).
Révisés en loi de finances initiale (LFI) pour 20242(*) dans le cadre de la transposition d'une directive européenne3(*), les seuils de chiffres d'affaires applicables à la franchise en base de TVA ont fait l'objet d'une nouvelle réforme d'ampleur, introduite par amendement du Gouvernement en cours d'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, prévoyant l'institution d'un seuil unique abaissé à 25 000 euros pour l'ensemble des activités.
Face à la forte opposition suscitée par cette réforme, le Gouvernement en a reporté à plusieurs reprises la mise en oeuvre, pour finalement acter sa suspension pour l'année 2025. Dans le cadre d'une mission d'information « flash » conduite au printemps 2025, à la suite d'une pétition déposée sur le site du Sénat ayant recueilli plus de 100 000 signatures, la commission des finances a relevé l'improvisation et l'impréparation de cette révision significative des seuils de chiffres d'affaires et leurs conséquences préjudiciables pour l'équilibre économique de nombreux secteurs d'activité et professions4(*).
C'est dans ce contexte que s'inscrit la proposition de loi n° 677 (2024-2025) visant à garantir un cadre fiscal stable, juste et lisible pour nos micro-entrepreneurs et nos petites entreprises, déposée à l'Assemblée nationale le 17 avril 2025 par M. Paul Midy. Le 2 juin 2025, l'Assemblée nationale a adopté le texte en première lecture, avec modifications, et à l'unanimité.
Le texte étant désormais inscrit à l'ordre du jour du Sénat du jeudi 23 octobre 2025, la commission des finances s'est réunie le 15 octobre 2025 pour examiner le rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur ce dispositif qui entend conforter la sécurité juridique des acteurs concernés, représentant plus de 200 000 petites entreprises, entrepreneurs individuels et micro-entreprises, en donnant un fondement légal à la suspension de la révision des seuils pour l'année 2025.
I. UN RÉGIME FISCAL BÉNÉFICIANT À 2,1 MILLIONS DE PETITES ENTREPRISES, ENTREPRENEURS INDIVIDUELS ET MICRO-ENTREPRISES, FORTEMENT MODIFIÉ PAR L'INSTITUTION D'UN SEUIL UNIQUE DE CHIFFRE D'AFFAIRES ABAISSÉ À 25 000 EUROS
A. LA RÉFORME DU RÉGIME DE LA FRANCHISE EN BASE DE TVA PORTÉE PAR LE GOUVERNEMENT A PRÉVU UN ABAISSEMENT SUBSTANTIEL DES SEUILS APPLICABLES, UN AN SEULEMENT APRÈS UNE PREMIÈRE RÉVISION
Le régime de la franchise en base de TVA, codifié à l'article 293 B du code général des impôts (CGI), vise à exempter du paiement de la TVA les petites entreprises, dès lors qu'elles réalisent un chiffre d'affaires annuel inférieur à des seuils déterminés5(*).
Révisés en loi de finances pour 2024 (LFI 2024) dans le cadre de la transposition de la directive (UE) 2020/285 du 18 février 2020, les seuils de chiffre d'affaires de droit commun s'élèvent, dans leur version en vigueur au 1er janvier 2025, à 85 000 euros pour les livraisons de biens et à 37 500 euros pour les prestations de services.
À ces deux seuils de droit commun s'ajoutent deux seuils spécifiques bénéficiant aux activités des avocats, auteurs et artistes-interprètes (50 000 euros pour les activités « coeur de métier » et 35 000 euros pour les activités « connexes »).
Seuils de chiffre d'affaires annuel pour
l'application
de la franchise en base de TVA en vigueur au
1er janvier 2025
(en euros)
Opérations concernées |
Année N-1 |
Année N |
Livraisons de biens, ventes à consommer sur place et prestations d'hébergement |
85 000 |
93 500 |
Autres prestations de services |
37 500 |
41 250 |
Opérations « coeurs de métier » des avocats, auteurs et artistes-interprètes |
50 000 |
55 000 |
Opérations « connexes » des avocats, auteurs et artistes-interprètes |
35 000 |
38 500 |
Note : l'année N-1 désigne l'année civile précédente ; l'année N désigne l'année en cours.
Source : commission des finances d'après l'article 293 B du CGI, dans sa version en vigueur au 1er janvier 2025
Dans le cadre de l'examen budgétaire pour 2025, le Gouvernement de Michel Barnier a introduit, par amendement déposé au Sénat en première délibération et redéposé en seconde délibération, une réforme d'ampleur des seuils d'application de la franchise en base, visant à instituer un seuil unique de chiffre d'affaires annuel fixé à 25 000 euros.
Conservée par le nouveau Gouvernement de François Bayrou, cette mesure a finalement été adoptée à l'article 32 de la loi de finances initiale pour 2025 (LFI 2025).
B. UNE MESURE SUSPENDUE PAR LE GOUVERNEMENT BAYROU POUR L'ENSEMBLE DE L'ANNÉE 2025, À LA SUITE D'UNE FORTE CONTESTATION DES ACTEURS CONCERNÉS, RELAYÉE PAR LA MAJORITÉ DES GROUPES PARLEMENTAIRES
1. Une mesure suspendue par le Gouvernement Bayrou dès l'adoption du projet de loi de finances pour 2025 par le Parlement
À la suite de critiques exprimées dans les médias par plusieurs parlementaires, le ministre de l'économie, M. Éric Lombard, a annoncé, le 6 février au soir, la suspension de la réforme des seuils de la franchise en base, le temps d'organiser une concertation avec les parties prenantes. En l'absence de consensus entre les différentes organisations professionnelles, le Gouvernement a reporté une nouvelle fois la mise en oeuvre de cette mesure, au 1er juin, par communiqué de presse le 28 février suivi de la publication d'un rescrit de l'administration fiscale le 3 mars.
2. Face à une opposition unanime à l'Assemblée nationale et au Sénat, une suspension finalement actée pour l'ensemble de l'année 2025
Parallèlement aux concertations organisées par le Gouvernement, plusieurs initiatives parlementaires ont mis en évidence l'impossibilité d'une mise en oeuvre immédiate de la réforme de la franchise en base de TVA issue de la loi de finances initiale pour 2025 :
- d'une part, au Sénat : saisie à la suite du dépôt d'une pétition ayant dépassé le seuil des 100 000 signatures en quelques jours6(*), la commission des finances a conduit un cycle d'auditions « flash » afin de faire la lumière sur les enjeux de la réforme. Constatant l'improvisation et l'impréparation de cette mesure, qui affecte environ 200 000 entreprises, dont deux tiers de micro-entreprises (autoentrepreneurs), la commission a conclu à la nécessité de son abandon7(*) ;
- d'autre part, à l'Assemblée nationale : entre les mois de février et d'avril, cinq propositions de loi défendant l'abrogation de la réforme ont été déposées.
Dans ce contexte, le ministre de l'économie a annoncé, le 30 avril, la suspension de la révision des seuils de la franchise en base de TVA jusqu'au 31 décembre 2025. Cette suspension a été actée dans un rescrit de l'administration fiscale publié le 28 mai8(*).
La révision des seuils de la franchise en base de TVA affecte |
Le rendement budgétaire récurrent total associé à cette mesure est estimé à |
Avec 135 000 microentreprises, les autoentrepreneurs représentent |
66 %
des entreprises
affectées
206 000 entreprises
780 M€
Le rendement récurrent pour |
Les 34 % restants correspondent à d'autres statuts d'entreprises (entreprise individuelle, SAS, SARL, etc.). |
II. LA PROPOSITION DE LOI : UNE ABROGATION UTILE DE LA RÉFORME AFIN D'ASSURER LA SÉCURITÉ JURIDIQUE DES PETITES ENTREPRISES ET DES AUTO-ENTREPRENEURS POUR L'ANNÉE 2025
A. LE DISPOSITIF PROPOSÉ PORTE ABROGATION DE LA RÉFORME DES SEUILS DE FRANCHISE EN BASE DE TVA PRÉVUE EN LFI 2025
L'article 1er de la proposition de loi prévoit l'abrogation de la révision des seuils de la franchise en base de TVA inscrite à l'article 32 de la LFI 2025, avec un retour aux quatre seuils de chiffre d'affaires antérieurement en vigueur. Ainsi qu'il ressort de l'exposé des motifs de la proposition de loi, de la rédaction du dispositif proposé et des débats à l'Assemblée nationale, l'objet et l'intention de l'auteur du texte consistent d'une part, pour un motif de sécurité juridique, à donner une base légale à la suspension de la réforme décidée par l'exécutif pour l'année 2025, d'autre part, pour un motif tenant au fond de la mesure, à écarter son application future.
Quant à l'article 2, il vise à gager la diminution de recettes pour l'État résultant de l'article 1er par la création d'une taxe additionnelle à l'accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.
B. L'UTILITÉ DE DONNER UNE BASE LÉGALE À LA SUSPENSION DE LA RÉFORME POUR 2025
Le dispositif proposé apporte une solution à une situation d'incertitude et de flou persistant, en donnant expressément une base légale à la suspension de la réforme actée par l'exécutif pour l'année 2025, alors que le fondement juridique de cette suspension consiste à ce stade en un simple rescrit de l'administration fiscale publié dans le Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFIP).
Certes, la direction de la législation fiscale (DLF) a relativisé le risque juridique présenté par cette situation, en relevant qu'aucun recours n'avait été formé à ce jour contre la publication au BOFIP9(*). Pour autant, l'insécurité juridique découlant de cette suspension contra legem demeure. Ainsi, la DLF elle-même avait reconnu au printemps 2025 que « toute association professionnelle qui, aux termes de ses statuts aurait pour objet de défendre un secteur d'activité face à la concurrence déloyale aurait un intérêt à agir (...) devant la juridiction administrative »10(*).
En conséquence, la commission a adopté la proposition de loi sans modification. Cette dernière sera examinée en séance publique le jeudi 23 octobre 2025.
* 1 Exemptées de la contrainte de facturer la TVA à leurs clients et de demander à l'administration fiscale le remboursement des crédits de TVA au titre de la TVA acquittée sur leurs propres achats.
* 2 La révision des seuils de chiffre d'affaires en LFI 2024 était assortie d'une entrée en vigueur différée d'un an, au 1er janvier 2025.
* 3 Directive (UE) 2020/285 du 18 février 2020 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée en ce qui concerne le régime particulier des petites entreprises.
* 4 Rapport d'information n° 528 (2024-2025), fait au nom de la commission des finances sur la réforme de la franchise en base de TVA, par M. Jean-François Husson, déposé le 9 avril 2025.
* 5 Avec une tolérance de 10 % pour l'année au cours de laquelle le dépassement des seuils intervient (année N), permettant de reporter la sortie du régime de la franchise en base de TVA au 1er janvier de l'année suivante.
* 6 Pétition n° 1699 demandant la suppression de la baisse de la franchise en base de TVA à 25 000 €, déposée par M. Grégoire Leclercq, président de la Fédération nationale des autoentrepreneurs (FNAE), le 21 février 2025.
* 7 Rapport d'information n° 528 (2024-2025), fait au nom de la commission des finances sur la réforme de la franchise en base de TVA, par M. Jean-François Husson, déposé le 9 avril 2025.
* 8 BOI-RES-TVA-000198.
* 9 Réponses de la direction de la législation fiscale au questionnaire du rapporteur dans le cadre de l'examen de la présente proposition de loi.
* 10 Réponses de la direction de la législation fiscale au questionnaire du rapporteur dans le cadre de la mission d'information « flash » de la commission des finances sur la réforme de la franchise en base de TVA.