N° 27
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026
Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 octobre 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République,
Par M. Christophe-André FRASSA,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, MM. Marc Séné, Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.
Voir les numéros :
Sénat : |
317 (2024-2025) et 28 (2025-2026) |
L'ESSENTIEL
En octobre 2020, par l'adoption d'une précédente proposition de loi constitutionnelle, le Sénat avait souhaité donner un coup d'arrêt à la progression du communautarisme.
Cinq ans après, force est de constater que le communautarisme continue de gagner du terrain. Sous ces coups de boutoir, la société française tend à se fragmenter, mettant en danger la cohésion nationale. Face à l'instrumentalisation de la liberté de religion, les acteurs de terrain - maires, chefs d'entreprise, agents publics - se trouvent trop souvent démunis, avec pour conséquence la multiplication des accommodements qui sont autant d'entailles portées au pacte républicain.
Déposée par Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Hervé Marseille, Muriel Jourda et plusieurs de leurs collègues, la proposition de loi constitutionnelle reprend l'ambition de la précédente tentative de révision de la Constitution, en proposant d'inscrire à l'article 1er de la Constitution que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer des règles applicables ».
Suivant l'avis de son rapporteur, la commission a adopté le texte modifié afin de faire référence à « la règle commune » plutôt qu'aux « règles applicables ».
I. LA RÉPUBLIQUE PEINE À ENDIGUER LA PROGRESSION DU COMMUNAUTARISME
A. LE COMMUNAUTARISME, UN DÉFI POUR LA RÉPUBLIQUE
Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle, « la société tend aujourd'hui à se fragmenter en une juxtaposition de communautés désunies », dans un mouvement d'« archipélisation » de la société française1(*).
Celle-ci est confrontée, de la part de certaines catégories de personnes, à des revendications tendant « à se voir reconnaître, notamment en raison de leurs croyances religieuses, des droits particuliers qui peuvent apparaître comme autant de dérogations au principe d'égalité devant la norme commune, dans le service public, à l'école ou dans le cadre professionnel »2(*).
En ce qu'il tend à remettre en cause la prééminence de la loi et l'égalité des citoyens devant celle-ci, le communautarisme est un défi lancé à la République.
Dans son étude annuelle publiée en 2024, le Conseil d'État relevait que « depuis quelques années s'affirment des aspirations politiques, philosophiques ou religieuses [...] qui viennent concurrencer les lois de la Républiques » ; « révélateurs d'une forme de contestation de la légitimité même de la loi républicaine, et donc de la souveraineté nationale, ces phénomènes tendent à affirmer le primat de préceptes philosophiques ou religieux sur le droit institutionnel »3(*). Ces propos font écho aux constats dressés, vingt ans plus tôt, par la commission présidée par Bernard Stasi, à savoir que « des groupes organisés testent la résistance de la République » en faisant « primer l'allégeance à un groupe particulier sur l'appartenance à la République »4(*).
Le communautarisme porte également une atteinte grave à la cohésion de la Nation. Bernard Chamoulaud, directeur national du renseignement territorial, citait récemment le « séparatisme islamiste » parmi « les deux risques majeurs pour la cohésion nationale »5(*).
Le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France », rendu public en mai 2025, relevait quant à lui le développement d'un islamisme « par le bas », dont le projet « vise à oeuvrer au long cours en vue d'obtenir progressivement des modifications des règles locales ou nationales s'appliquant à la population, au premier chef le régime juridique de la laïcité et l'égalité entre les hommes et les femmes ».
* 1 Phénomène décrit par Jérôme Fourquet dans L'Archipel français : naissance d'une nation multiple et divisée, éd. Seuil, 2019 : « Celle-ci se compose désormais [...] de différents groupes ayant leur propre mode de vie, des moeurs bien à eux et parfois une vision du monde singulière. »
* 2 Exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle.
* 3 Conseil d'État, La souveraineté, Étude annuelle 2024, p. 420.
* 4 Rapport de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, décembre 2003.
* 5 Entretien au Monde, 23 décembre 2024.