N° 27

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence du Sénat le 15 octobre 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République,

Par M. Christophe-André FRASSA,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, M. Marc-Philippe Daubresse, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, MM. Marc Séné, Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Sénat :

317 (2024-2025) et 28 (2025-2026)

L'ESSENTIEL

En octobre 2020, par l'adoption d'une précédente proposition de loi constitutionnelle, le Sénat avait souhaité donner un coup d'arrêt à la progression du communautarisme.

Cinq ans après, force est de constater que le communautarisme continue de gagner du terrain. Sous ces coups de boutoir, la société française tend à se fragmenter, mettant en danger la cohésion nationale. Face à l'instrumentalisation de la liberté de religion, les acteurs de terrain - maires, chefs d'entreprise, agents publics - se trouvent trop souvent démunis, avec pour conséquence la multiplication des accommodements qui sont autant d'entailles portées au pacte républicain.

Déposée par Philippe Bas, Mathieu Darnaud, Hervé Marseille, Muriel Jourda et plusieurs de leurs collègues, la proposition de loi constitutionnelle reprend l'ambition de la précédente tentative de révision de la Constitution, en proposant d'inscrire à l'article 1er de la Constitution que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer des règles applicables ».

Suivant l'avis de son rapporteur, la commission a adopté le texte modifié afin de faire référence à « la règle commune » plutôt qu'aux « règles applicables ».

I. LA RÉPUBLIQUE PEINE À ENDIGUER LA PROGRESSION DU COMMUNAUTARISME

A. LE COMMUNAUTARISME, UN DÉFI POUR LA RÉPUBLIQUE

Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle, « la société tend aujourd'hui à se fragmenter en une juxtaposition de communautés désunies », dans un mouvement d'« archipélisation » de la société française1(*).

Celle-ci est confrontée, de la part de certaines catégories de personnes, à des revendications tendant « à se voir reconnaître, notamment en raison de leurs croyances religieuses, des droits particuliers qui peuvent apparaître comme autant de dérogations au principe d'égalité devant la norme commune, dans le service public, à l'école ou dans le cadre professionnel »2(*).

En ce qu'il tend à remettre en cause la prééminence de la loi et l'égalité des citoyens devant celle-ci, le communautarisme est un défi lancé à la République.

Dans son étude annuelle publiée en 2024, le Conseil d'État relevait que « depuis quelques années s'affirment des aspirations politiques, philosophiques ou religieuses [...] qui viennent concurrencer les lois de la Républiques » ; « révélateurs d'une forme de contestation de la légitimité même de la loi républicaine, et donc de la souveraineté nationale, ces phénomènes tendent à affirmer le primat de préceptes philosophiques ou religieux sur le droit institutionnel »3(*). Ces propos font écho aux constats dressés, vingt ans plus tôt, par la commission présidée par Bernard Stasi, à savoir que « des groupes organisés testent la résistance de la République » en faisant « primer l'allégeance à un groupe particulier sur l'appartenance à la République »4(*).

Le communautarisme porte également une atteinte grave à la cohésion de la Nation. Bernard Chamoulaud, directeur national du renseignement territorial, citait récemment le « séparatisme islamiste » parmi « les deux risques majeurs pour la cohésion nationale »5(*).

Le rapport « Frères musulmans et islamisme politique en France », rendu public en mai 2025, relevait quant à lui le développement d'un islamisme « par le bas », dont le projet « vise à oeuvrer au long cours en vue d'obtenir progressivement des modifications des règles locales ou nationales s'appliquant à la population, au premier chef le régime juridique de la laïcité et l'égalité entre les hommes et les femmes ».

B. L'INQUIÉTANT ESSOR DU COMMUNAUTARISME

1. Un phénomène en progression dans tous les secteurs de la vie quotidienne

Le constat d'une progression du communautarisme, qui est principalement le fait de l'islamisme, a été dressé à plusieurs reprises par le Sénat6(*) : il s'étend aux services publics - école, hôpital, transports -, aux entreprises comme au monde associatif et sportif.

L'école demeure une cible privilégiée. Les atteintes à la laïcité7(*) recensées par l'éducation nationale se maintiennent à des niveaux très élevés : 4 230 signalements au cours de l'année scolaire 2024-2025, 6 572 en 2023-2024

(marquée par la perturbation des hommages à Samuel Paty et Dominique Bernard) et 4 710 en 2022-2023. Les enquêtes menées auprès des professeurs révèlent également une pression qui tend à s'accroître.

Résultats d'une enquête IFOP menée auprès des professeurs de l'enseignement public (2023)8(*) :

jugent les contestations de la laïcité « en augmentation »

(contre 42 % en 2018)

rapportent des contestations de leurs enseignements (contre 38 % en 2018)

déclarent s'auto-censurer
(contre 37 % en 2018)

En ce qui concerne le sport, une mission d'information de l'Assemblée nationale a très récemment alerté sur le développement préoccupant des dérives communautaristes et islamistes : « leur diffusion croissante inquiète notamment dans le football, les sports de combat et, dans une moindre mesure, le basket-ball où, dans certains territoires, la cote d'alerte est dépassée »9(*).

Les mêmes constats avaient mené le Sénat à adopter, le 18 février 2025, une proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport10(*), qui doit désormais être examinée par l'Assemblée nationale.

Il en va de même dans les entreprises : en 2024, 70 % des salariés disaient avoir connaissance de situations marquées par le fait religieux11(*), l'enquête notant une hausse des « comportements négatifs à l'égard des femmes » et des situations de discrimination et de stigmatisation, en particulier envers les salariés de confession juive.

2. Une perméabilité accrue aux revendications communautaires

De manière préoccupante, les pratiques communautaristes tendent à se banaliser, y compris lorsque ces comportements sont constitutifs d'une discrimination illégale.

Regard des salariés sur l'acceptabilité de certains comportements en entreprise (2025)

Source : Toluna-Harris interactive12(*).

Les croyants comptent parmi les premières victimes du communautarisme, la majorité des musulmans étant « prisonnière d'une minorité qui revendique une pratique rigoriste, radicalisée et visible »13(*), en particulier les femmes qui sont tout particulièrement visées par ces prescriptions.

C. UN PHÉNOMÈNE QUE L'ÉTAT PEINE À ENDIGUER

Ce n'est que tardivement, en 2020, que l'exécutif s'est véritablement emparé du sujet de la lutte contre le communautarisme, en privilégiant la notion de séparatisme.

Le cadre juridique de la lutte contre le séparatisme a été renforcé par la loi du 24 août 202114(*). Outre la création d'un « délit de séparatisme »15(*), la loi renforce le contrôle des associations, par la création d'un contrat d'engagement républicain, l'élargissement des motifs de dissolution, ou des mesures propres aux associations sportives et cultuelles, etc.

La loi du 24 août 2021 : le bilan décevant
d'un texte insuffisamment ambitieux

Dans leur rapport d'évaluation de la mise en oeuvre de la loi16(*), Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien ont dressé un bilan sévère des dispositions de ce texte, « essentiellement technique et à la portée juridique parfois douteuse ».

Elles ont relevé que si certaines dispositions « se sont effectivement avérées utiles [...], force est de constater que la plupart d'entre elles soit n'ont pas été suivies d'effets dans la pratique, soit sont passées à côté de la cible qui leur avait été assignée », à l'instar de celles applicables aux associations et aux cultes.

Sur le terrain, les cellules départementales de lutte contre l'islamisme et le repli communautaire (CLIR), créées auprès de chaque préfet, ont permis l'intensification des opérations de contrôle et la coordination de l'action des administrations.

En dépit de l'engagement des services de l'État, il est incontestable que ces initiatives n'ont pas permis d'endiguer la progression du communautarisme.

II. FAIRE ÉCHEC AU COMMUNAUTARISME EN RÉAFFIRMANT LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA RÉPUBLIQUE

La proposition de loi constitutionnelle traduit une ambition forte : donner enfin un coup d'arrêt au communautarisme.

En inscrivant à l'article 1er de la Constitution que « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect des règles applicables », le texte vise à donner aux acteurs de terrain - maires, chefs d'entreprise, etc. - les moyens juridiques de s'opposer aux pressions et revendications communautaires.

Le texte proclame ainsi que la liberté de manifester ses convictions religieuses n'autorise personne à exiger un traitement particulier, que ce soit dans les services publics, les entreprises ou les associations, ni à s'affranchir des règles applicables à tous. ne remet pas en cause les régimes particuliers à certains territoires (à l'instar du régime des cultes en Alsace-Moselle), ni la faculté de consentir des dérogations dans le respect du principe d'égalité.

Le texte clarifie et conforte des garanties qui ne sont actuellement posées que par la jurisprudence : l'impossibilité de reconnaître des droits collectifs à « quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance » et l'interdiction faite « à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers »17(*).

La référence à la « règle commune » ou aux « règles applicables » a pour objet d'étendre ce principe au-delà des seules relations entre collectivité publiques et particuliers, ces notions recouvrant non seulement les lois et règlements de la République, mais aussi les règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations.

Suivant son rapporteur, la commission a préféré, dans un souci de clarté de la rédaction, revenir à la référence à la « règle commune »du texte adopté par le Sénat en 2020.

*

* *

La commission a adopté la proposition de loi constitutionnelle ainsi modifiée.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
Interdiction de se prévaloir de son origine ou de sa religion pour se soustraire aux lois de la République et aux autres règles applicables

La proposition de loi constitutionnelle tend à inscrire à l'article 1er de la Constitution le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour se soustraire aux lois de la République et aux autres règles applicables. 

Elle entend ainsi donner aux acteurs de terrain un fondement clair pour répondre aux pressions et revendications communautaristes auxquelles ils sont confrontés.

Le texte s'inscrit dans le prolongement d'une précédente proposition de loi constitutionnelle, adoptée par le Sénat en octobre 2020 mais rejetée par l'Assemblée nationale.

La commission a adopté la proposition de loi constitutionnelle en revenant, dans un souci de clarté de sa rédaction, au texte adopté par le Sénat en 2020.

1. Des principes constitutionnels qui s'opposent à toute forme de communautarisme

1.1. Des principes qui s'opposent à toute reconnaissance d'une communauté fondée sur l'origine, la langue ou la religion

Comme le prévoit l'article 1er de la Constitution, la France est une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

Outre le principe de laïcité18(*), ces dispositions consacrent les principes fondamentaux du pacte républicain, qui ont valeur constitutionnelle : l'indivisibilité de la République19(*), l'unicité du peuple français20(*) et l'égalité devant la loi21(*).

Ces principes fondamentaux « s'opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d'origine, de culture, de langue ou de croyance » (Conseil constitutionnel, n° 99-412 DC du 15 juin 1999, cons. 5).

1.2. Le principe de laïcité, dimension essentielle de la République

a. Neutralité de l'État et égalité des citoyens devant la loi, deux composantes du principe de laïcité

« Pierre angulaire du pacte républicain »22(*), le principe de laïcité voit ses modalités de mise en oeuvre définies par la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l'État, qui affirme à la fois la protection de la liberté de conscience et du libre exercice des cultes (article 1er) et la neutralité de l'État, qui ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (article 2).

Consacré à l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958, le principe de laïcité figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit23(*). Dans sa décision n° 2012-2978 QPC du 21 février 2013, le Conseil constitutionnel en énumère les composantes essentielles : « qu'il en résulte la neutralité de l'État ; qu'il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte ; que le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes les croyances, l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; qu'il implique que celle-ci ne salarie aucun culte » (cons. 5).

Le principe de laïcité porte en lui-même et contribue à l'égalité de tous les citoyens devant la loi, ce qu'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision Traité établissant une Constitution pour l'Europe du 18 novembre 2004, par laquelle il a jugé que les dispositions de l'article 1er de la Constitution « interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers »24(*).

Dans ses voeux au Président de la République du 3 janvier 2005, Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, explicitait la portée de cette décision en rappelant que « la règle commune que constitue la loi doit rester une règle. [...] Autrement dit : le communautarisme n'a tout simplement pas sa place dans notre ordre constitutionnel »25(*).

b. Des exigences différenciées pour les agents et les usagers du service public

L'exigence de neutralité du service public s'étend non seulement aux collectivités publiques, mais également aux personnes privées à qui est confiée l'exécution de ce service public26(*), cette exigence ayant été rappelée et consacrée par l'article 1er de la loi du 24 août 202127(*).

Ainsi, si les agents des services publics sont astreints à une stricte obligation de neutralité, qui prend la forme d'une interdiction de manifester leurs convictions religieuses ou leur appartenance à une religion dans l'exercice de leurs fonctions28(*), l'usager est en principe libre d'exprimer ses convictions religieuses. Les restrictions apportées à cette liberté ne peuvent résulter que :

- d'une législation particulière, à l'instar de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ;

- à défaut, des nécessités de l'ordre public et du bon fonctionnement du service, ces restrictions faisant l'objet d'un contrôle de proportionnalité29(*).

Si des adaptations ou des aménagements du service peuvent être concédés dans le respect du principe d'égalité et du bon fonctionnement du service public, l'usager du service public ne peut en aucun cas se prévaloir d'un droit à obtenir de tels aménagements ou adaptations30(*), ni exciper de ses croyances religieuses pour s'exonérer du respect des règles qui régissent ce service31(*).

Ces principes ont été rappelés par le Conseil d'État au sujet des menus de substitution dans les cantines scolaires. Il a jugé qu'il « n'existe aucune obligation pour les collectivités territoriales gestionnaires d'un service public de restauration scolaire de distribuer à ses usagers des repas différenciés leur permettant de ne pas consommer des aliments proscrits par leurs convictions religieuses, et aucun droit pour les usagers qu'il en soit ainsi, dès lors que les dispositions de l'article premier de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ». Il a toutefois jugé que « ni les principes de laïcité et de neutralité du service public, ni le principe d'égalité des usagers devant le service public, ne font, par eux-mêmes, obstacle à ce que ces mêmes collectivités territoriales puissent proposer de tels repas » (CE, 11 décembre 2020, Commune de Chalon-sur-Saône, n° 426483, Rec.).

Dans son ordonnance du 21 juin 2022 (n° 464648), où était en cause la légalité d'une délibération du conseil municipal de Grenoble modifiant le règlement intérieur des piscines municipales aux fins de permettre le port du « burkini », le juge des référés du Conseil d'État a précisé que les aménagements et adaptations du service public, s'ils sont octroyés, ne peuvent l'être que dans le respect de l'ordre public, du bon fonctionnement du service ainsi que de l'égalité de traitement des usagers : « lorsqu'il prend en compte pour l'organisation du service public les convictions religieuses de certains usagers, le gestionnaire de ce service ne peut procéder à des adaptations qui porteraient atteinte à l'ordre public ou qui nuiraient au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l'égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l'obligation de neutralité du service public. »

Même s'il est bien établi, ce cadre juridique fait régulièrement l'objet de contestations de la part des usagers, voire de certains agents. Cette pression communautariste s'observe dans l'ensemble des services publics, tant à l'école - le ministère chargé de l'éducation nationale recensant pas moins 4 230 signalements pour des atteintes à la laïcité au cours de la seule année 2024-202532(*) - qu'à l'hôpital33(*).

1.3. Dans la sphère privée, un cadre juridique peu lisible et d'un maniement difficile pour les acteurs de terrain

L'obligation de neutralité qui procède du principe de laïcité ne s'applique pas dans la sphère privée. Les employeurs, qu'il s'agisse d'entreprises ou d'associations, doivent respecter la liberté de religion de leurs salariés.

Une telle obligation de neutralité ne peut être mise en place que par le règlement intérieur. Depuis la loi « El Khomri » du 8 août 201634(*), l'article L. 1321-2-1 du code du travail dispose que le règlement intérieur « peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés », à la double condition que ces restrictions soient, d'une part, justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et, d'autre part, proportionnées au but recherché.

L'intérêt de cette disposition « apparaît aujourd'hui faible dès lors que le droit positif est essentiellement modelé par la [Cour de justice de l'Union européenne] »35(*), dont la jurisprudence impose notamment que les restrictions prévues par l'employeur répondent notamment à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante »36(*). Celle-ci se définit comme une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d'exercice de l'activité professionnelle en cause37(*), à l'instar de considérations tenant à la sécurité du personnel ou des clients de l'entreprise38(*).

L'appréciation de cette exigence et du caractère proportionné des restrictions imposées par l'employeur est complexe et constitue un facteur d'insécurité pour les entreprises, comme l'illustre l'affaire de la crèche Baby loup.

L'affaire Baby loup

De retour de congé parental, une employée de la crèche porte un voile islamique, alors que le règlement intérieur de l'association impose le respect du principe de laïcité. Refusant de le retirer, elle est licenciée pour faute grave en décembre 2008.

L'employée se porte alors devant l'ancienne Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), qui considère ce licenciement comme abusif en mars 2010. Dans le même temps, le Parlement examine une proposition de loi de la sénatrice Françoise Laborde pour sécuriser la décision de la crèche39(*).

La justice est également saisie : elle rendra cinq décisions, dont un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation. Plus de cinq ans après les faits, le 25 juin 2014, la Cour a confirmé le licenciement de l'employée, considérant que « la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché » (13-28.369, Bull.).

Il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) que les conditions dans lesquelles l'employeur peut limiter l'expression des convictions religieuses de ses salariés demeurent très restrictives.

La Cour considère notamment que l'interdiction du port de tout signe manifestant les convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail ne peut procéder de la seule « volonté de l'employeur de poursuivre une politique de neutralité politique, philosophique et religieuse à l'égard des clients ou des usagers » que si ce dernier établit qu'il s'agit de répondre à un véritable besoin de l'entreprise, « en prenant notamment en considération les attentes légitimes desdits clients ou usagers ainsi que les conséquences défavorables que cet employeur subirait en l'absence d'une telle politique, compte tenu de la nature de ses activités ou du contexte dans lequel celles-ci s'inscrivent »40(*). Ces conséquences défavorables devant être suffisamment importantes pour caractériser une atteinte à sa liberté d'entreprendre41(*).

Par ailleurs, la jurisprudence tend à ériger en dernier recours le licenciement en cas de refus d'un salarié de se conformer à l'interdiction du port de signes manifestant une croyance religieuse. Une autre affectation n'impliquant pas de contact visuel avec les clients doit auparavant être recherchée, « tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire »42(*).

Si le licenciement a pu par le passé être admis lorsque le salarié refuse d'exécuter certaines tâches prévues par son contrat de travail43(*), les sanctions prononcées en la matière sont, de manière croissante, contestées sur le terrain de la discrimination et la jurisprudence tend à étendre à ce cas de figure l'obligation de reclassement dégagée pour le port de signes religieux.

Dans un arrêt récent rendu au sujet d'un salarié refusant, au prétexte de ses convictions religieuses, de rejoindre son site d'affectation, la chambre sociale de la Cour de cassation a certes admis la faculté de l'employeur de sanctionner l'intéressé - en l'espèce, par une mutation disciplinaire -, mais elle s'est également attachée à contrôler qu'une telle sanction répondait à « une exigence professionnelle essentielle et déterminante » et revêtait un caractère proportionné, soulignant que cette mutation disciplinaire « permettait le maintien de la relation de travail par l'affectation du salarié sur un autre site de nettoyage »44(*). La doctrine a pu y lire un glissement de la jurisprudence, abandonnant la primauté des obligations contractuelles du salarié et imposant à l'employeur de rechercher des « accommodements raisonnables »45(*).

Le licenciement est également difficile à prononcer dans d'autres cas, à l'instar du refus de saluer ou de communiquer avec un collègue du sexe opposé ou d'une autre religion46(*).

Dans un contexte de croissance continue du fait religieux dans le monde du travail, les employeurs sont ainsi souvent mis en difficulté par des revendications à caractère religieux ou communautaire (port de signes ou de tenues manifestant ostensiblement leur appartenance religieuse, aménagement des horaires, refus de réaliser certaines tâches ou d'avoir certaines interactions avec des collègues à raison de leur sexe ou de leur religion, etc.).

2. Une proposition de loi constitutionnelle visant à clarifier et conforter le droit applicable au profit des acteurs de terrain

La proposition de loi constitutionnelle prévoit d'insérer à l'article 1er de la Constitution un nouvel alinéa aux termes duquel : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect des règles applicables. »

Le texte reprend, pour l'essentiel, une rédaction déjà adoptée par le Sénat en octobre 2020, à l'occasion de l'examen d'une précédente proposition de loi constitutionnelle déposée par Philippe Bas et plusieurs de ses collègues47(*), dont l'article 1er proposait la rédaction suivante : « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune »48(*). Ce texte avait, par la suite, été rejeté en première lecture par l'Assemblée nationale, le 20 décembre 2020.

Ainsi que le précise l'exposé des motifs, la modification proposée cherche à répondre à certaines des objections formulées à l'occasion de ces débats.

Tel était, en particulier, le cas de la référence à la « norme commune », qui avait été regardée comme imprécise par le Gouvernement et certains parlementaires.

L'exposé des motifs précise que, comme la « norme commune », la référence aux « règles applicables » a vocation à recouvrir l'ensemble des règles qui s'appliquent à chacun, qu'il s'agisse des lois et règlements de la République mais aussi des règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations. Il rappelle que ces règles ne sont pas nécessairement uniformes et une telle rédaction ne remettrait aucunement en cause les régimes dérogatoires en vigueur dans certains territoires de la République, ni la faculté de la personne publique ou de l'employeur de concéder des adaptations pour tenir compte des prescriptions religieuses des usagers ou des salariés.

3. La position de la commission : réaffirmer les principes essentiels de la République pour faire échec au communautarisme

3.1. Une réaffirmation nécessaire au profit des acteurs de terrain

Cinq ans après l'adoption par le Sénat d'une précédente proposition de loi constitutionnelle en ce sens, la multiplication des comportements et des pressions communautaristes rend plus que jamais nécessaire la réaffirmation des règles essentielles de la République.

L'ajout, à l'article 1er de la Constitution, de la disposition proposée a pour objet d'affirmer clairement :

- d'une part, l'absence de droit à l'adaptation du service ou des règles applicables à un individu à raison de son origine et de ses croyances ainsi que l'absence d'obligation, pour l'employeur comme pour la collectivité publique, de procéder à telles adaptations ;

- d'autre part, l'impossibilité pour toute personne d'exciper de son origine ou de ses croyances pour se soustraire au respect des règles, qu'il s'agisse de celles qui régissent la vie de la nation comme de celles qui sont propres aux entreprises ou aux services publics.

Le président Philippe Bas voyait dans la proposition de loi constitutionnelle adoptée par le Sénat en 2020 « une reformulation pour notre temps de principes qui sont au fondement de la République », afin d'imprimer « dans nos moeurs des pratiques dont nous n'aurions jamais dû nous écarter et qui garantiront la cohésion de la Nation »49(*).

Pour Jean-Éric Schoettl, conseiller d'État honoraire, il s'agissait de rappeler : « plus fermement et plus explicitement que jusqu'ici, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes, les principes sur lesquels peuvent se fonder le maire, le chef d'entreprise, le principal de collège, le médecin d'hôpital pour s'opposer aux revendications communautaristes qui menacent notre société d'éclatement. Oui, en ce domaine, la République a besoin de repères simples à formuler et à respecter. Non, les règles actuelles ne suffisent pas, tant est grande la confusion des esprits, au sein de la sphère étatique elle-même »50(*).

La disposition proposée donnerait aux acteurs de terrain une base juridique claire et explicite afin de répondre aux pressions communautaristes auxquelles ils sont confrontés. Le rapporteur est d'avis que le rôle du pouvoir constituant est justement d'inscrire, au sommet de la hiérarchie des normes, les principes nécessaires à notre temps qui doivent régir l'organisation de la République.

3.2. Une référence à la « règle commune » qui paraît plus pertinente

Suivant son rapporteur, la commission a estimé que la formulation « règle commune », qu'elle avait déjà adoptée en 2020, était préférable à celle des « règles applicables ».

Elle a en effet estimé que cette nouvelle rédaction n'apporte pas de réelle amélioration : il n'est pas précisé à qui les règles en cause sont applicables ni la nature de celles-ci ; de plus, la formulation pourrait même laisser accroire qu'il s'agit des règles applicables aux individus et aux groupes concernés à raison de leur origine ou de leurs croyances. Jean-Éric Schoettl soulignait que cette expression « pourrait être interprétée , à l'inverse de ce qui est souhaité, comme une règle si personnalisée qu'elle serait réceptive aux affirmations identitaires ! »51(*).

En outre, le professeur Levade relevait que « l'expression "règles applicables" semble peu claire dans la mesure où, d'une part, il ne va pas de soi qu'il s'agit de règles juridiques - le mot règles n'étant pas usuel dans le texte constitutionnel - et le qualificatif applicables incitant à s'interroger sur le champ de l'applicabilité »52(*).

Au contraire, la notion de « règle commune », termes employés par le Conseil constitutionnel dans sa décision Traité établissant une Constitution pour l'Europe du 19 novembre 2004 et repris par le Conseil d'État53(*), a semblé mieux établie et ne présente pas de réelle difficulté d'interprétation.

En particulier, cette formulation ne remettrait en cause ni les régimes dérogatoires prévus par la loi - à l'instar du régime des cultes en Alsace-Moselle ou dans certaines collectivités d'outre-mer, qui constituent la « règle commune » pour ceux auxquels ils sont applicables - ni les dérogations accordées pour des considérations religieuses. L'argument selon lequel l'emploi de ces termes recélerait un risque de remise en cause de certains régimes particuliers a d'ailleurs été jugé « spécieux et juridiquement erroné » par le professeur Levade54(*).

L'emploi du singulier permet d'englober l'ensemble des règles applicables aux individus et aux groupes, quelle que soit leur nature (loi, règlement, convention collective, règlement intérieur, etc.). Comme le relevait le professeur Guillaume Tusseau, l'emploi du singulier « évoque une forme d'unité qui, précisément parce qu'il s'agit de préserver l'intégration et de lutter contre la dispersion communautariste, est bienvenue au regard des ambitions du texte »55(*).

Au bénéfice de ces éclaircissements, qui renseignent sur le sens de cette formule et lèvent les objections, mal fondées, qui lui avaient été opposées, la commission a par conséquent adopté l'amendement COM-2 présenté par le rapporteur, qui tend à revenir à la rédaction déjà adoptée par le Sénat en 2020 à l'occasion de l'examen de la proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République.

La commission a adopté la proposition de loi constitutionnelle ainsi modifiée.

EXAMEN EN COMMISSION

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Le texte que nous examinons ce matin semblera familier à bon nombre d'entre vous : il reprend des dispositions qui ont déjà été examinées et adoptées par notre commission à deux reprises, en 2020 puis en 2022. Sur l'initiative de Philippe Bas, de Bruno Retailleau et d'Hervé Marseille, ainsi que des membres des groupes Les Républicains et Union centriste, le Sénat avait adopté, en octobre 2020, une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire à l'article 1er de la Constitution un alinéa ainsi rédigé : « Nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s'exonérer du respect de la règle commune. »

Dans un contexte de fragmentation croissante de notre société - la fameuse « archipélisation » décrite par Jérôme Fourquet -, il s'agissait de donner un coup d'arrêt aux revendications et aux pressions communautaristes. Cette tentative de réviser la Constitution a tourné court, puisque l'Assemblée nationale a rejeté le texte en décembre 2020, le gouvernement s'étant opposé à son adoption.

Ce rejet s'appuyait sur trois considérations : tout d'abord, l'absence de réelle portée juridique du texte, au motif que les principes de laïcité et d'égalité feraient déjà échec aux comportements qu'il s'agit d'interdire ; ensuite, l'examen concomitant du projet de loi confortant le respect des principes de la République, qui deviendra la loi du 24 août 2021 ; enfin, l'imprécision de la référence à « la règle commune », qui serait source d'insécurité juridique et pourrait même conduire à remettre en cause certains régimes particuliers ou dérogatoires.

Cinq ans plus tard, où en sommes-nous ? L'exposé des motifs de la présente proposition de loi constitutionnelle part du constat que notre société est confrontée à des revendications, formées par certaines catégories, tendant « à se voir reconnaître, notamment en raison de leurs croyances religieuses, des droits particuliers qui peuvent apparaître comme autant de dérogations au principe d'égalité devant la norme commune, dans le service public, à l'école ou dans le cadre professionnel ».

Dans son étude annuelle de 2024 sur la souveraineté, le Conseil d'État - on ne saurait le soupçonner ni de dérive réactionnaire ni d'islamophobie - faisait le même constat. Il indiquait ainsi que, « depuis quelques années, s'affirment des aspirations politiques, philosophiques ou religieuses qui viennent concurrencer les lois de la République », ces phénomènes étant « révélateurs d'une forme de contestation de la légitimité même de la loi républicaine, donc de la souveraineté nationale », en ce qu'ils « tendent à affirmer le primat de préceptes philosophiques ou religieux sur le droit institutionnel ».

Vous ne serez pas surpris d'apprendre que, non seulement le communautarisme ne recule pas, mais qu'il progresse dans tous les domaines de la vie quotidienne : les services publics - école, hôpital, transports -, les entreprises, le monde associatif et le mouvement sportif.

Refuser d'être soigné par un médecin de l'autre sexe, de serrer la main à une femme, de servir certains clients et d'accomplir certaines tâches ou d'assister à des enseignements au prétexte de ses convictions religieuses, ou encore exiger des créneaux séparés dans les piscines ou les clubs de sport : les exemples ne manquent pas. Si ces comportements demeurent très minoritaires, ils ne sont plus marginaux, en particulier dans certains territoires.

Vous le savez, la progression du communautarisme est principalement le fait de l'islamisme radical. L'objectif des mouvements qui se réclament de cette idéologie est éminemment politique et subversif. En arguant notamment de la liberté religieuse, il s'agit de faire prévaloir, comme le décrivait notre ancien collègue Philippe Bas, la loi du groupe sur celle de la Nation.

Faisant état du développement d'un islamisme par le bas, le rapport intitulé Frères musulmans et islamisme politique en France, rendu public par le ministère de l'intérieur en mai dernier, ne dit pas autre chose en décrivant un projet qui vise à oeuvrer au long cours en vue d'obtenir progressivement des modifications des règles locales ou nationales, au premier chef le régime juridique de la laïcité et l'égalité entre les hommes et les femmes.

Si le cadre juridique de la laïcité est plutôt bien établi, surtout en ce qui concerne les services publics, force est de constater qu'il est mal compris et mal appliqué. Les acteurs de terrain, maires et chefs d'entreprise, se trouvent souvent démunis face aux revendications communautaristes. En effet, les groupes de pression n'hésitent pas à instrumentaliser, au soutien de leurs revendications, la liberté de manifester ses convictions religieuses, protégée par l'article 10 de la Déclaration de 1789, comme le principe de non-discrimination qui est consacré par le droit européen.

Dans la sphère professionnelle, l'interdiction de toute « discrimination indirecte », tirée d'une directive du 27 novembre 2000 - qui désigne toute règle générale, fût-elle neutre, entraînant un désavantage pour un groupe religieux -, constitue à cet égard un solvant redoutable pour la conception française de la neutralité.

Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne admet des restrictions au port de signes religieux dans une entreprise privée, mais à la seule condition qu'elles répondent à une « exigence professionnelle essentielle


et déterminante ». Cette notion exigeante laisse beaucoup de place à l'appréciation du juge ; c'est autant d'insécurité pour l'employeur qui s'engagerait dans cette voie.

Sous l'influence du droit européen, la jurisprudence de la Cour de cassation tend à évoluer de manière préoccupante. Dans un arrêt du 19 janvier 2022, la chambre sociale a jugé légale la sanction infligée à un salarié qui avait refusé, au prétexte de ses convictions religieuses, de rejoindre son site d'affectation. Les juges se sont positionnés non pas sur le terrain du manquement aux obligations contractuelles, mais sur celui de la non-discrimination. Autrement dit, l'employeur ne pourrait plus se contenter de constater l'inexécution par le salarié des obligations qui résultent de son contrat. Il lui appartiendrait ainsi de prouver que les mesures prises à l'encontre du salarié répondent à une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » et qu'elles sont strictement proportionnées.

Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que les chefs d'entreprise et les cadres, peu au fait de cette casuistique subtile, préfèrent des accommodements, qui sont souvent tout sauf raisonnables, à des poursuites pour discrimination.

La sphère publique n'est pas épargnée par la confusion des esprits, voire par les situations de clientélisme communautaire. La modification du règlement des piscines municipales de la ville de Grenoble pour y autoriser le port du burkini a ainsi permis au juge des référés du Conseil d'État de rappeler, dans une ordonnance du 21 juin 2022, les limites à la faculté des personnes publiques d'accorder des adaptations à raison des croyances religieuses des usagers.

Si cela n'est pas toujours aisé à mesurer, tout indique que le phénomène communautariste gagne du terrain et que la République recule d'autant.

L'école demeure une cible privilégiée des mouvements islamistes et des autres groupes de pression. Le développement du port de l'abaya et la controverse qui a suivi le rappel de son interdiction à la rentrée scolaire 2023 en sont un exemple. Les résultats des enquêtes menées auprès des enseignants sont édifiants : interrogés par l'Institut français d'opinion publique (Ifop) en 2023, 64 % des professeurs de l'enseignement public jugeaient que les contestations du principe de laïcité tendaient à augmenter, contre 42 % en 2018. En outre, 53 % rapportaient des contestations de leurs enseignements, contre 38 % en 2018, et 48 % déclaraient s'autocensurer devant les élèves alors qu'ils étaient 37 % cinq ans plus tôt.

Ces constats touchent aussi bien l'hôpital - voyez le rapport Pelloux, publié en 2022 - que le sport. Sur ce sujet, un rapport d'information de l'Assemblée nationale, paru en mars dernier, mettait en garde sur le fait que « dans certains territoires, la cote d'alerte est dépassée ». Le même constat a d'ailleurs mené le Sénat à adopter, en février dernier, la proposition de loi visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, qui doit désormais être examinée par l'Assemblée nationale.

Le même phénomène s'observe dans l'entreprise : l'édition 2024 du Baromètre du fait religieux en entreprise, de l'Institut Montaigne, indique que 70 % des salariés interrogés déclaraient avoir connaissance de situations marquées par le fait religieux dans leur entreprise, soit le niveau le plus élevé constaté depuis le lancement de l'étude en 2013. Il est également relevé une hausse des comportements négatifs à l'égard des femmes et des situations de discrimination et de stigmatisation, en particulier envers les salariés de confession juive.

De manière préoccupante, les manifestations du communautarisme tendent à se banaliser, y compris lorsque ces comportements sont constitutifs d'une discrimination illégale.

D'après une autre enquête menée auprès de salariés et publiée en mars dernier, 28 % des personnes interrogées jugent acceptable de refuser de serrer la main d'une personne de l'autre sexe, contre 25 % en 2021, proportion qui s'élève à 58 % pour les répondants âgés de 18 à 24 ans. Il en va de même du refus de servir certains clients à raison de leur religion, regardé comme acceptable par 19 % des salariés, contre 18 % en 2021, dont 40 % des 18-24 ans.

Cinq ans après, force est de constater que la mobilisation, tardive mais réelle, des pouvoirs publics contre le repli communautaire et le séparatisme islamiste n'a pas permis d'endiguer ces deux phénomènes. Nos collègues Jacqueline Eustache-Brinio et Dominique Vérien ont dressé, en mars 2024, un bilan sévère de la loi du 24 août 2021, qu'elles décrivaient comme essentiellement technique et à la portée juridique parfois douteuse. Pouvait-il en être autrement, eu égard au contenu de cette loi, qui mêlait surtout des dispositions de droit mou et des réglementations tatillonnes ? Il me semble que le fait de jouer sur la procédure, en alourdissant la charge administrative qui pèse sur l'ensemble des associations ou des cultes, ne fera pas reculer le communautarisme.

La présente proposition de loi constitutionnelle emprunte une autre voie : elle vise à consacrer, à l'article 1er de la Constitution, une règle simple et claire, à laquelle tout chef d'entreprise, tout maire, tout médecin et tout professeur pourra se référer. Elle proclame, au sommet de la hiérarchie des normes, l'absence de droit à l'adaptation du service ou des règles applicables à un individu ou à un groupe à raison de son origine et de ses croyances et, ce qui en constitue le pendant, l'absence d'obligation, pour l'employeur comme pour la collectivité publique, de procéder à de telles adaptations.

En outre, elle constitutionnalise l'impossibilité pour toute personne d'exciper de son origine ou de ses croyances pour se soustraire au respect des règles, qu'il s'agisse de celles qui régissent la vie de la Nation comme de celles qui sont propres aux services publics ou aux entreprises.

Le texte consacre des principes dégagés par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en reprenant largement des termes qui figurent dans les décisions Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du 15 juin 1999 et Traité établissant une Constitution pour l'Europe du 19 novembre 2004. Le Conseil constitutionnel y a jugé que les dispositions de l'article 1er de la Constitution « interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes régissant les relations entre collectivités publiques et particuliers ».

Notez que le présent texte n'entend pas simplement « rehausser » la jurisprudence. En effet, il ne limite pas son application aux seules relations entre collectivités publiques et particuliers : il s'étend aux règles et interactions collectives dans le secteur privé. Les notions de « règle commune » ou de « règles applicables » intègrent les lois et règlements de la République, mais aussi les règlements intérieurs des services publics, des entreprises et des associations. Ces considérations permettent, à elles seules, d'écarter l'argument tiré de l'absence de portée réelle du texte, dès lors qu'il se bornerait à rappeler des principes dégagés par la jurisprudence.

À supposer même que ce soit le cas, il est pleinement dans l'office du constituant d'inscrire au sommet de la hiérarchie des normes les principes nécessaires à notre temps. Tel est précisément l'objet de ce texte qui, comme l'exposait son auteur, Philippe Bas, assure « une reformulation pour notre temps de principes qui sont au fondement de la République ».

Cette proposition de loi constitutionnelle est un acte politique majeur, dont la portée ne doit pas être sous-estimée. Alors que nos règles juridiques, mal comprises et mal appliquées, sont impuissantes à endiguer la progression du communautarisme, elle apparaît comme une initiative salutaire.

Notez qu'elle s'écarte sur un point du texte que nous avions adopté en 2020 : elle substitue la notion de « règle commune » à celle de « règles applicables ». Cette modification a pour objet de répondre à l'objection que j'évoquais précédemment, à savoir que la référence à la « règle commune » serait susceptible de remettre en cause les régimes particuliers qui ont cours dans certaines parties du territoire - à l'instar du régime des cultes en Alsace-Moselle ou dans certaines collectivités d'outre-mer -, ou la faculté d'accorder des adaptations ou des dérogations à raison des convictions religieuses, comme les autorisations d'absence pour certaines fêtes.

Disons-le d'emblée, cet argument est, pour reprendre les mots du professeur Anne Levade, spécieux et juridiquement erroné.

D'une part, la « règle commune » peut comporter des exceptions et des régimes particuliers. La formulation retenue n'interdit d'ailleurs aucunement d'accorder un aménagement ou une adaptation du service pour tenir compte des convictions religieuses de l'agent public, de l'usager ou du salarié. Elle interdit seulement à ces derniers d'exciper de leurs croyances ou de leur origine pour s'exonérer du respect des règles applicables à leur situation.

D'autre part, en ce qui concerne la sphère publique, la proposition de loi constitutionnelle n'ajoute pas à la jurisprudence constitutionnelle, qu'elle conforte et explicite. Le Conseil constitutionnel a toujours refusé la remise en cause, sur le fondement des principes d'égalité et de laïcité, des régimes particuliers en vigueur dans certaines parties du territoire de la République. Ainsi, le présent texte ne pourrait aucunement être interprété comme revenant sur ce point.

Quant à la référence aux « règles applicables », elle ne paraît pas satisfaisante et a d'ailleurs été critiquée par les constitutionnalistes que j'ai interrogés. En effet, il n'est pas précisé à qui les règles en cause sont applicables, pas plus que la nature de celles-ci. En outre, cette formulation pourrait même laisser croire qu'il s'agit des règles applicables aux individus et aux groupes concernés à raison de leur origine ou de leurs croyances : une telle interprétation aboutirait à l'inverse de l'effet recherché.

Dans ces conditions, je vous propose, par mon amendement, de revenir à l'expression que le Sénat avait adoptée en 2020, celle de « règle commune ». Cette formulation me paraît à la fois plus claire, plus concise et plus conforme à l'ambition du texte.

Si, comme je le souhaite, cette initiative devait prospérer, il appartiendrait au peuple français, par la voie du référendum, de proclamer son attachement aux principes qui fondent notre République et son refus du communautarisme. Nous pourrions alors rappeler à nos compatriotes l'avertissement de Robert Badinter, dont nous avons célébré l'entrée au Panthéon la semaine dernière : « Le communautarisme, c'est la mort de la République [...] Si nous devions avoir des communautés qui négocient leur adhésion ou leur participation, ce serait fini. Ce serait un autre type de République. »

Au bénéfice de ces observations, je vous propose d'adopter la proposition de loi constitutionnelle, pourvu qu'elle soit rectifiée par mon amendement.

M. Éric Kerrouche. - La situation est encore plus byzantine que nous ne l'imaginions : premièrement, nous discutons d'une proposition de loi constitutionnelle dont l'auteur est désormais membre du Conseil constitutionnel ; deuxièmement, vous souhaitez rétablir le texte dans la version déjà adoptée par le Sénat en 2020, dès lors que vous suggérez de remplacer les « règles applicables » par les « règles communes ».

Sur le fond, ce texte est présenté comme une réponse à la montée du communautarisme, en particulier le communautarisme islamiste. Les indicateurs retenus pour justifier votre démarche ne décrivent qu'une partie de la réalité, que je ne conteste pas par ailleurs. Ainsi, vous auriez pu également vous référer aux travaux de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), qui contrebalancent les chiffres que vous avez juxtaposés pour faire croire qu'ils décrivent précisément la réalité.

Notre opinion n'a pas changé sur ce texte, malgré la modification rédactionnelle que vous proposez : comme en 2020, nous considérons qu'il n'est pas utile, qu'il est toujours mal rédigé et qu'il présente un risque constitutionnel. Nous déplorons le fait qu'il reprenne des dispositions qui figurent dans des textes présentés par le Rassemblement national : la proposition loi constitutionnelle sur le rétablissement de la maîtrise souveraine de la politique migratoire et la protection de la nationalité française, déposée en 2018, et la proposition de loi constitutionnelle Citoyenneté-Identité-Immigration, déposée en 2024.

Surtout, nous contestons sa finalité, car il n'apporte rien sur le plan juridique. Le principe selon lequel la loi s'applique à tous, sans distinction d'origine et de religion, est au frontispice de notre République. Ainsi, il est à la fois proclamé à l'article 1er de la Constitution et à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Le Conseil constitutionnel, de son côté, a réaffirmé en 1999 et en 2004 que la République ne reconnaît que le peuple français et que nul ne peut invoquer ses croyances religieuses pour se soustraire aux règles communes. La rédaction que vous proposez est dangereuse tant d'un point de vue intrinsèque qu'extrinsèque, car elle laisse une trop grande marge d'interprétation et pourrait même donner lieu à une lecture a contrario.

Bref, à vouloir trop spécifier, on perd de vue la généralité qui est l'essence même d'un texte constitutionnel. Pour l'ensemble de ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi constitutionnelle.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Je remercie le rapporteur d'avoir mis les bons mots sur la situation actuelle de la France, car cela fait des années qu'on ne dit pas les choses telles qu'elles devraient l'être. Ce n'est pas un hasard si notre ancien collègue Philippe Bas a travaillé sur ce sujet : les coups de boutoir portés à la République depuis un certain nombre d'années remettent en cause l'unité et la cohésion dans notre pays. Aussi, il serait bon de préciser dans notre Constitution qu'il y a des règles communes à respecter et que la religion doit relever du domaine privé.

Malheureusement, l'entrisme islamiste fracture sévèrement notre pays ; cette question sera d'ailleurs un enjeu majeur des élections municipales à venir . Faisons en sorte que nos jeunes concitoyens deviennent des adultes éclairés et protégeons la liberté de conscience et l'égalité entre les hommes et les femmes. Du reste, veillons à ce que des contre-sociétés fonctionnant sur des règles religieuses primant celles de la République ne prospèrent pas.

Nous sommes citoyens avant d'être croyants, et non l'inverse. Force est de constater que notre pays n'a pas su entraver la montée du communautarisme. Il est donc urgent de clarifier les choses en rappelant, dans la Constitution, que nous vivons dans une République une, indivisible et laïque, sur la base de règles communes.

M. François Bonhomme. - Ce texte affirme un principe de base sur lequel tout l'édifice républicain est assis. J'entends les réserves d'ordre juridique qui ont été formulées, il n'empêche que la notion de « règle commune » est plus concise et compréhensible. Surtout, elle s'inscrit dans un contexte qu'il ne faut pas nier : le communautarisme islamiste est ciblé en particulier en raison d'éléments de fond, récurrents et structurels. Par conséquent, il nous appartient de changer le droit pour protéger les individus qui en subissent les conséquences.

À la rentrée 2023, le port de l'abaya s'est progressivement répandu dans l'un des lycées de mon département. Les autorités scolaires ont rapidement été débordées, en dépit des médiations. La situation a fini par dégénérer, réseaux sociaux aidant, et a conduit à la mise sous protection policière d'un professeur d'espagnol qui avait fait une simple remarque. Il a fallu attendre qu'une instruction du ministre de l'éducation nationale clarifie enfin les choses en désignant l'abaya comme un vêtement à caractère religieux, au sens de la loi de 2004.

On pourrait multiplier les exemples de dérives des mouvements fondamentalistes, qui essaient de tirer profit des interstices juridiques. La notion de « règle commune » remet la République à l'endroit et conforte ses fondements qui sont mis à mal depuis plusieurs années.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Monsieur Kerrouche, nous ne rétablissons pas mot pour mot le texte dans sa version adoptée en 2020 ; vous aurez d'ailleurs remarqué qu'il ne comporte plus qu'un article unique, quand la proposition de loi constitutionnelle comportait un second article relatif aux partis politiques.

Je m'adresse à vous en tant que constituants, mes chers collègues, et non en tant que simples législateurs : la notion de « règles applicables », qui a été introduite en réponse aux débats qui ont eu lieu il y a cinq ans, m'a semblé trop fragile sur le plan constitutionnel et susceptible de produire des effets inverses à ceux qui étaient recherchés.

Par ailleurs, nous ne nous focalisons pas sur certaines catégories de personnes en particulier. Nous souhaitons seulement couper court à un communautarisme que la loi du 24 août 2021 n'a pas su endiguer, en inscrivant au sommet de la hiérarchie des normes des règles communes applicables à la fois aux services publics, à la sphère privée, aux entreprises et au monde associatif. J'entends vos remarques, monsieur Kerrouche, mais épargnez-nous, s'il vous plaît, vos procès d'intention.

M. Éric Kerrouche. - Je ne pense pas que quiconque, ici, soit favorable au communautarisme et remette en cause le principe de laïcité.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - On le souhaite !

M. Éric Kerrouche. - C'est une affirmation de notre part, monsieur le rapporteur, il n'y a pas à en douter.

Encore une fois, ce texte n'a aucune utilité juridique et va créer de l'insécurité, contrairement à ce que vous prétendez. Nous ne sommes pas dupes de l'exercice d'équilibriste de haut vol auquel vous vous livrez, en nous annonçant qu'il ne s'agit pas de la version originale du texte. Sur le fond, nous continuons de penser que la précision que vous souhaitez apporter est superfétatoire et dangereuse dans ses conséquences. En outre, la Constitution et les lois sur la laïcité nous donnent déjà toutes les armes utiles pour lutter contre les dérives que vous dénoncez.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-1 tend à supprimer l'article unique. L'argumentation selon laquelle le texte serait à la fois « en contradiction avec d'autres dispositions constitutionnelles » et « redondant avec le principe d'égalité » me laisse perplexe. Je ne vois aucune contrariété avec les autres dispositions constitutionnelles. Comme je l'indique dans mon rapport, il s'agit au contraire de conforter des garanties posées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, lorsqu'il a précisé la portée des dispositions de l'article 1er de la Constitution.

J'entends davantage l'objection tirée d'une redondance avec les dispositions actuelles de l'article 1er. Toutefois, comme je l'évoquais, le texte ne se borne pas à préciser leur portée : il étend celle-ci au-delà de la seule sphère publique, dans les interactions collectives de la sphère privée. Quoi qu'il en soit, et comme j'ai pu le rappeler, le constituant est pleinement dans son rôle lorsqu'il rappelle, dans la Constitution, les principes qui sont nécessaires à notre temps.

Ceux qui sont confrontés, au quotidien, aux revendications communautaristes - les maires, les chefs d'entreprise, les enseignants, nos concitoyens - disposent-ils vraiment d'une base juridique claire et explicite pour y répondre ? La progression du communautarisme suggère que ce n'est pas le cas. Voilà pourquoi nous voulons leur donner des repères simples.

Pour l'ensemble de ces raisons, j'émets un avis défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - L'amendement COM-2 tend à revenir à la rédaction adoptée par le Sénat en octobre 2020, en retenant la référence à la « règle commune » plutôt qu'aux « règles applicables ».

La notion de « règle commune » est en effet mieux établie et ne soulève pas de réelle difficulté d'interprétation. Contrairement à ce qui a pu être avancé lors de l'examen de la précédente proposition de loi constitutionnelle visant à garantir la prééminence des lois de la République, elle ne paraît pas susceptible de mener à la remise en cause de certains régimes particuliers - à l'instar du régime des cultes en Alsace-Moselle ou de ceux qui sont en vigueur dans certaines collectivités d'outre-mer.

La notion de « règles applicables », qui avait pour objet de répondre à cette objection - au demeurant infondée -, pourrait toutefois en soulever d'autres : la nature de ces règles et leur applicabilité ne sont pas définies ; de surcroît, la formulation pourrait même laisser accroire qu'il s'agit des règles applicables aux individus et aux groupes concernés à raison de leur origine ou de leurs croyances.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi constitutionnelle est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique

M. BENARROCHE

1

Suppression de l'article

Rejeté

M. FRASSA, rapporteur

2

Référence à "la règle commune"

Adopté

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

M. Jean-Eric Schoettl, conseiller d'État honoraire

Mme Anne Levade, professeur de droit public à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

M. Guillaume Tusseau, professeur de droit public à l'Institut d'études politiques de Paris

Secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR)

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-317.html


* 1 Phénomène décrit par Jérôme Fourquet dans L'Archipel français : naissance d'une nation multiple et divisée, éd. Seuil, 2019 : « Celle-ci se compose désormais [...] de différents groupes ayant leur propre mode de vie, des moeurs bien à eux et parfois une vision du monde singulière. »

* 2 Exposé des motifs de la proposition de loi constitutionnelle.

* 3 Conseil d'État, La souveraineté, Étude annuelle 2024, p. 420.

* 4 Rapport de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, décembre 2003.

* 5 Entretien au Monde, 23 décembre 2024.

* 6 En dernier lieu par la commission d'enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre (2020).

* 7 Port de signes religieux, revendications communautaires, refus d'enseignements, provocations, etc.

* 8 « Les enseignants du public et la laïcité », sondage Ifop pour le Comité national d'action laïque, mai 2023. L'échantillon comprenait de 650 enseignants, représentatif de la population des enseignants du public, enseignant du primaire au lycée.

* 9 Communication des rapporteurs de la mission « flash » sur les dérives communautaristes et islamistes dans le sport, Julien Odoul et Caroline Yadan, mars 2025.

* 10 Proposition de loi n° 376 (2023-2024) visant à assurer le respect du principe de laïcité dans le sport, présentée par Michel Savin et plusieurs de ses collègues. 

* 11 Lionel Honoré, « Religion au travail, Baromètre du fait religieux en entreprise 2024 », Institut Montaigne, novembre 2024. Il s'agit du plus haut niveau constaté depuis 2013, date du lancement de l'enquête.

* 12 « Enquête barométrique sur le fait religieux en entreprise - vague 3 », Toluna - Harris interactive pour le Crif et l'Institut supérieur du travail, février 2025. Enquête réalisée sur un échantillon de 1 155 salariés français âgés de 18 à 65 ans travaillant dans des entreprises privées de 100 salariés et plus ou dans le secteur public, issus d'un échantillon de 2 513 personnes représentatif de la population française âgée de 18 à 65 ans.

* 13  Rapport n° 595 (2019-2020) fait au nom de la commission d'enquête du Sénat sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre.

* 14 Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

* 15 Article 433-3-1 du code pénal.

* 16  Rapport d'information n° 383 (2023-2024) fait au nom de la commission des lois du Sénat, mars 2024.

* 17 Cons. const., n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, cons. 16 et 18.

* 18 Cons. const., n° 2004-505 DC du 19 novembre, cons. 18.

* 19 Cons. const., n° 76-71 DC du 30 décembre 1976, cons. 5.

* 20 Cons. const., n° 91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 12 et 13. Le Conseil constitutionnel rappelle à cette occasion que la Constitution « ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Ce principe est également déduit de l'article 3 de la Constitution, aux termes duquel : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice » (n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004, cons. 16).

* 21 Id., n° 91-290 DC du 9 mai 1991, cons. 13. Le Conseil constitutionnel se fonde néanmoins quasi exclusivement sur l'article 6 de la Déclaration de 1789 lorsqu'il est amené à se prononcer sur le respect du principe d'égalité devant la loi.

* 22 Rapport de la commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République, dite commission « Stasi », remis au Président de la République le 11 décembre 2003.

* 23 Cons. const., n° 2012-297 QPC du 21 février 2013. Le Conseil d'État l'avait auparavant consacrée comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CE, 6 avril 2001, n° 219379, Rec.) puis comme principe constitutionnel (CE, Section, 26 mars 2005, n° 265560, Rec.).

* 24 Cons. const., n° 2004-505 DC du 18 novembre 2004, cons. 18.

* 25 Cahiers du Conseil constitutionnel n° 18 - juillet 2005.

* 26 Pour des exemples récents, s'agissant du salarié d'une caisse primaire d'assurance maladie (Cass. soc., 19 mars 2013, n° 12-11.690, Bull.) ou d'une mission locale pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes (Cass. soc., 19 octobre 2022, n° 21-12.370, Bull.).

* 27 Loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République.

* 28 CE, avis, 3 mai 2000, Demoiselle Marteaux, n° 217017, Rec.

* 29 Pour un exemple récent, s'agissant de l'interdiction du port de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale » dans les compétitions et manifestations organisées par la Fédération française de football (CE, 29 juin 2023, n° 458088, 459547, 463408, Rec.).

* 30 Ce principe ne souffre d'exceptions que dans certaines situations où les personnes publiques ont l'obligation d'assurer le libre exercice du culte de certaines catégories de personnes : militaires, patients des hôpitaux et détenus, notamment par l'institution d'aumôneries (prévues par l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905) ou, s'agissant des détenus, en fournissant - dans la mesure du possible et sous les réserves liées à l'ordre et au fonctionnement des établissements pénitentiaires - une alimentation permettant le respect des prescriptions alimentaires, cette obligation étant davantage une obligation de moyens que de résultat (CE, 25 février 2015, n° 375724, T. ; CE, 10 février 2016, n° 385929, Rec.).

* 31 Introduit par la loi du 24 août 2021, le premier alinéa de l'article 433-3-1 du code pénal réprime « le fait d'user de menaces ou de violences ou de commettre tout autre acte d'intimidation à l'égard de toute personne participant à l'exécution d'une mission de service public, afin d'obtenir pour soi-même ou pour autrui une exemption totale ou partielle ou une application différenciée des règles qui régissent le fonctionnement dudit service ».

* 32 Chiffres publiés sur le site du ministère : https://www.education.gouv.fr/bilans-de-l-action-des-equipes-valeurs-de-la-republique-377756

* 33 Le rapport Pelloux sur la prévention et la lutte contre la radicalisation des agents exerçant au sein des établissements de santé (mars 2022) faisait le constat, s'agissant des faits de radicalisation, de prosélytisme ou d'atteintes à la laïcité commis par des agents du service public hospitalier, d'« un consensus sur des faits quasiment inexistants avant les années 1990, et en augmentation lente mais constante ces 30 dernières années » (p. 20).

* 34 Loi n° 2016-1088 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. Cette disposition est aujourd'hui codifiée à l'article L. 1321-2-1 du code du travail.

* 35 Bérénice Bauduin, « Religion et activités professionnelles », Titre VII, n° 14, avril 2025.

* 36 Voir CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15, reprenant en cela les termes de l'article article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

* 37 Ne constitue pas une telle exigence la volonté de l'employeur de tenir compte des souhaits d'un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique (CJUE, 14 mars 2017, C-188/15, point 40).

* 38 Par ex., Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-23.742, Bull.

* 39 Proposition de loi n° 56 (2011-2012) visant à étendre l'obligation de neutralité aux structures privées en charge de la petite enfance et à assurer le respect du principe de laïcité. Adopté par le Sénat et l'Assemblée nationale en première lecture mais dans des termes différents, ce texte n'a pas été examiné en deuxième lecture.

* 40 CJUE, 15 juillet 2021, C-804/18 et C-341/19, point 64.

* 41 Ibid., point 67.

* 42 CJUE, 14 mars 2017, C-157/15, point 43 ; Cass. soc., 22 novembre 2017, n° 13-19.855, Bull.

* 43 Il en va ainsi du boucher qui refuse de traiter la viande de porc (Cass. soc., 24 mars 1998, n° 95-44.738).

* 44 Cass. soc., 19 janvier 2022, n° 20-14.014, Bull.

* 45 J. Mouly, « Force obligatoire du contrat et convictions religieuses du salarié à l'épreuve des discriminations », Recueil Dalloz 2022, n° 9, 10 mars 2022, p. 492. Voir également : N. Anciaux et J. Icard, « Exiger l'exécution de la prestation de travail est-il discriminer ? », Droit social 2022, n° 5, 12 mai 2022, p. 397 ; J. Colonna et V. Renaux-Personnic, « Sanction du refus d'exécuter une obligation du contrat de travail pour motif religieux », La Semaine Juridique Edition Générale n° 10, 14 mars 2022, act. 324.

* 46 Les questions-réponses sur le fait religieux en entreprise publiées sur le site internet du ministère du travail indiquent qu'il s'agit d'un licenciement « très particulier », « non fautif » et qui « doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui permettent d'établir de façon non équivoque que la relation de travail ne peut pas être maintenue ».

* 47 Proposition de loi constitutionnelle n° 293 (2019-2020) visant à garantir la prééminence des lois de la République.

* 48 Cette rédaction a été également adoptée par la commission des lois à l'article 1er de la proposition de loi constitutionnelle n° 646 (2022-2023) relative à la souveraineté de la France, à la nationalité, à l'immigration et à l'asile, qui n'a pas été adoptée par le Sénat.

* 49 Compte rendu intégral de la séance du 19 octobre 2020, JO Sénat p. 7535 et 7536.

* 50 Contribution écrite adressée au rapporteur.

* 51 Contribution écrite adressée au rapporteur.

* 52 Contribution écrite adressée au rapporteur.

* 53 La jurisprudence de la Cour de cassation n'offre pas d'exemple dans ce sens, si ce n'est un arrêt du 5 novembre 2019 (n° 18-84.554) de la chambre criminelle de la Cour de cassation, par lequel elle a jugé que « nul ne peut se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes édictées par la loi pénale ».

* 54 Contribution écrite adressée au rapporteur.

* 55 Contribution écrite adressée au rapporteur.

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