N° 1982


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

N° 45


SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 21 octobre 2025

 

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 octobre 2025

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission mixte paritaire(1) chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi
visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles,

PAR Mme Marie-Charlotte GARIN,
Rapporteure,

Députée

PAR Mme Elsa SCHALCK,
Rapporteure,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente ; Mme Véronique Riotton, députée, vice-présidente ; Mme Elsa Schalck, sénatrice, Mme Marie-Charlotte Garin, députée, rapporteures.

Membres titulaires : Mmes Catherine Di Folco, Dominique Vérien, Marie-Pierre de La Gontrie, Corinne Narassiguin, Corinne Bourcier, sénateurs ; Mmes Sophie Blanc, Sylvie Josserand, Gabrielle Cathala, Marie-Noëlle Battistel, Virginie Duby-Muller, députées.

Membres suppléants : Mmes Marie Mercier, Françoise Dumont, Olivia Richard, M. Hussein Bourgi, Mmes Patricia Schillinger, Silvana Silvani, Véronique Guillotin, sénateurs ; Mme Pascale Bordes, M. Guillaume Gouffier Valente, Mmes Sarah Legrain, Céline Hervieu, Agnès Firmin Le Bodo, députés.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17e législ.) :

Première lecture : 842, 1181 et T.A. 86

Sénat :

Première lecture : 504, 731, 732 et T.A. 147 (2024-2025)
Commission mixte paritaire : 46 (2025-2026)

Mesdames et Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande du Premier ministre, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à modifier la définition pénale du viol et des agressions sexuelles se réunit au Sénat le mardi 21 octobre 2025.

Elle a procédé à la désignation de son Bureau qui a été ainsi constitué :

- Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente ;

- Mme Véronique Riotton, députée, vice-présidente.

La commission a également désigné :

- Mme Marie-Charlotte Garin, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale ;

- Mme Elsa Schalck, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.

*

* *

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente. - Mes chers collègues, je vous souhaite la bienvenue au Sénat et je donne sans plus tarder la parole à notre collègue députée Mme Véronique Riotton.

Mme Véronique Riotton, députée, vice-présidente. - Madame la présidente, mes chers collègues, je veux commencer par remercier les rapporteures du Sénat, avec qui les échanges ont été particulièrement riches, fluides et fructueux. Nous pouvons nous réjouir du travail constructif que nous avons mené ensemble, a fortiori dans la période politique actuelle.

Plusieurs réunions organisées en amont de cette commission mixte paritaire (CMP) ont permis de nous accorder assez facilement sur un texte commun. Comme vous le savez, nous avons également saisi le Conseil d'État : nous avons suivi toutes ses préconisations, et rien que ses préconisations, afin de rendre notre rédaction plus solide et de répondre aux interrogations, objections ou craintes qui sont apparues.

Ce texte est le fruit non seulement du travail parlementaire, mais aussi d'échanges avec la société civile. Il est le résultat de l'évolution des acteurs de la chaîne pénale et de la société sur la question du consentement. Cette réforme est attendue, car elle doit permettre de mieux refléter la réalité des violences sexuelles en France. Le viol est un crime de l'intime, souvent commis par des individus connus, proches des victimes, ce qui explique aussi que celles-ci soient, dans l'écrasante majorité des cas, dans l'incapacité de refuser, de se débattre ou de fuir.

Or il est encore attendu de la victime qu'elle réagisse pour caractériser le viol, ce qui participe d'une vision stéréotypée de ce crime. C'est ce que nous voulons changer aujourd'hui. Clarifier la définition du consentement permettra aux victimes de se reconnaître davantage et les encouragera à porter plainte. Nous savons que c'est le premier élément qui fait défaut : entre le nombre de situations recensées et le nombre de plaintes, l'écart est important.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - J'ai moi aussi beaucoup apprécié le caractère transpartisan et constructif de nos travaux, que ce soit au sein de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, avec le Conseil d'État ou dans la préparation de cette CMP.

La rédaction que nous avons proposée a été amendée avec l'aide du Conseil d'État, afin d'affirmer plus clairement qu'un rapport non consenti est illégal. La majorité de nos propositions ont été adoptées quasiment à l'identique par le Sénat, moyennant quelques précisions de coordination bienvenues.

Un seul point de divergence subsistait. La version de l'Assemblée nationale précisait que le consentement devait être apprécié au regard des « circonstances environnantes », formulation choisie à la lumière des travaux de la délégation aux droits des femmes et en alignement avec le droit européen et la convention d'Istanbul. Nos collègues sénateurs ont préféré le terme de « contexte », considérant que les « circonstances environnantes » pouvaient donner lieu à des interprétations extensives, éventuellement défavorables aux plaignantes.

Ce terme avait le mérite de la neutralité, mais il ne nous est pas paru entièrement satisfaisant pour deux raisons principales. D'une part, le mot « contexte » n'est pas utilisé dans le code pénal, et il nous semblait risqué de porter cette innovation sémantique. D'autre part, nous craignions que l'usage d'un terme au singulier n'incite à une interprétation stricte, qui se concentrerait uniquement sur le moment de l'acte.

C'est pourquoi, en discutant avec nos collègues sénatrices, nous avons préféré adopter un terme de compromis, celui de « circonstances », sans l'adjectif « environnantes ». Cela nous permet de garder un pluriel et d'utiliser un terme qui figure déjà dans le code pénal.

Il s'agit à nos yeux d'un compromis sécurisant pour les professionnels comme pour les plaignantes.

Mme Elsa Schalck, rapporteure pour le Sénat. - Je veux tout d'abord exprimer ma grande satisfaction au regard du travail accompli. Je songe bien entendu à l'oeuvre accomplie par nos deux homologues de l'Assemblée nationale, Véronique Riotton et Marie-Charlotte Garin, depuis leur mission d'information jusqu'au dépôt du texte que nous examinons aujourd'hui. Je pense aussi à l'avis du Conseil d'État, qui a permis de sécuriser le texte. Je pense enfin à la qualité des échanges que nous avons eus ces derniers mois afin de parfaire la conception juridique d'un dispositif que nous souhaitons toutes et tous voir adopté. Dominique Vérien, qui ne peut malheureusement pas participer à la commission mixte paritaire aujourd'hui, se joint à moi pour saluer la qualité de ce travail transpartisan, qui aboutit ce matin à un texte de compromis.

À l'issue de la première lecture, un seul désaccord technique demeurait entre nos deux chambres. Il portait sur l'expression des « circonstances environnantes » au regard desquelles le consentement devait être apprécié. L'Assemblée nationale avait retenu cette formule, qui figure dans la convention d'Istanbul, pour étendre les éléments d'appréciation du juge. Au Sénat, nous avions préféré le terme de « contexte », car il est connu de la jurisprudence pénale française et fournit des garanties juridiques supérieures. Pour préserver l'objectif de favoriser l'appréciation globale de la situation sans compromettre la robustesse juridique du dispositif, nous nous sommes entendus sur le terme de « circonstances », au pluriel, ce qui a nécessité deux modifications du texte.

L'une des modifications vise à substituer le mot de « circonstances » à celui de « contexte », et l'autre à modifier le deuxième alinéa de l'article 222-22 du code pénal, qui mentionne les « circonstances prévues par la présente section ». Le terme de « conditions » remplacera celui de « circonstances ». La formulation qui en résulte est conforme à la rédaction habituelle du code pénal en la matière, ce qui nous paraissait très important, pour plus de clarté. Lorsque nous touchons au code pénal, nous devons nous assurer de la solidité du dispositif, mais également utiliser des termes que l'on retrouve en son sein ou en jurisprudence.

Il nous restera à nous assurer dans les prochaines années que cette évolution législative a bien porté ses fruits et que la répression des violences sexuelles s'est améliorée, dans le respect des victimes comme des droits de la défense.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - Même si la composition de cette CMP exclusivement féminine me laisse songeuse, je tiens à souligner l'important travail qui a été effectué en amont, notamment à l'Assemblée nationale, par de nombreux parlementaires - des femmes, il faut bien le dire - qui se sont mobilisés sur le sujet. Le groupe socialiste a voté ce texte en séance et approuvera la rédaction proposée en CMP.

Toutefois, en dépit de ce combat incroyable, qui a nécessité une énergie sans limite, force est de reconnaître que nous ne savons pas quelle sera exactement la portée du texte dans les tribunaux - nous avons encore reçu un message du Conseil national des barreaux hier. Nous sommes toutefois majoritaires à considérer qu'il faut voter cette proposition de loi. Et il était temps, car plusieurs autres textes semblent bien embourbés actuellement...

Je regrette toutefois que le Sénat ne veuille jamais demander de rapport au Gouvernement, même quand cela semble pertinent. Nous pourrons toutefois compenser cette absence par une mission d'information d'ici à un ou deux ans, afin de vérifier l'effet de cette modification.

Malgré ces incertitudes, notre groupe votera donc pour le texte proposé par les rapporteures.

Mme Gabrielle Cathala, députée. - Je salue à mon tour le travail des rapporteures. Mon groupe est favorable à ce texte, y compris avec les modifications proposées. Il nous semble qu'il s'agit d'un compromis juste et sérieux, qui fait aujourd'hui l'objet d'un large consensus.

Le groupe La France insoumise de l'Assemblée nationale avait proposé un texte sur ce sujet dans notre niche parlementaire, et cette modification législative nous semble d'autant plus convaincante qu'elle fait suite à la mission d'information menée à l'Assemblée nationale et à l'avis du Conseil d'État.

J'aurais aimé qu'au moins une des demandes de rapport adoptées par l 'Assemblée nationale soit conservée, car il me paraît pertinent d'évaluer les conséquences de cette loi. Un délai de dix-huit mois après la promulgation me semblait un peu court pour en mesurer les effets, mais celui de trois ans me semblait être une bonne échéance.

En revanche, chacun ici devrait prendre la mesure du budget dont la discussion au Parlement commence : il ne permettra pas d'améliorer les moyens de la justice ni de changer drastiquement son fonctionnement dans la lutte contre les violences sexuelles.

Il en va de même pour la lutte contre les violences faites aux femmes en général, puisque tous les budgets, y compris ceux qui financent les solutions d'hébergement d'urgence ou le suivi psychosocial, sont en baisse pour l'année 2026, ce que je déplore.

On peut donc se satisfaire de cette loi, mais il s'agit d'une modification législative à coût zéro qui, malheureusement, ne sera suivie d'aucun effet significatif si des investissements ne sont pas rapidement mis en oeuvre.

Mme Olivia Richard, sénatrice. - Je souhaite à mon tour remercier les rapporteures de l'Assemblée nationale et du Sénat pour leur travail consensuel. J'espère que nous avons pu apporter un soutien constructif à cette entreprise.

Concernant l'impossibilité de prévoir les conséquences de ce texte, il nous appartient, en tant que parlementaires, d'en contrôler l'application, autant que faire se peut. S'agissant de la loi de 2021, nous avons vu que les magistrats n'avaient pas suivi l'intention des parlementaires d'englober les pratiques bucco-anales dans la définition pénale du viol, au même titre que les pratiques bucco-génitales. Ils n'ont même pas analysé nos débats, considérant que la loi était rédigée de manière suffisamment claire. Cela pose donc question sur l'impératif de précision en matière pénale, afin de s'assurer que l'application de la loi est conforme à ce que nous avons voté.

Quoi qu'il en soit, le groupe Union Centriste est naturellement favorable à ce texte.

Mme Marie-Noëlle Battistel, députée. - Nous nous réjouissons de l'aboutissement des travaux du Sénat et de l'Assemblée nationale, qui nous présentent aujourd'hui un texte commun introduisant la notion de consentement dans la définition de l'agression sexuelle et du viol. Ce texte permettra de mieux répondre à des situations imparfaitement prises en compte dans la définition actuelle du viol et dans la jurisprudence associée.

Je salue le travail transpartisan qui a été conduit de manière constructive entre nos deux assemblées et qui permet aujourd'hui d'aboutir à un large consensus.

Je regrette, comme beaucoup de mes collègues, qu'aucune demande de rapport n'ait pu être maintenue. Un tel outil nous aurait permis de contrôler l'efficacité de la mesure. Nous avons toutefois d'autres moyens de le faire, et je ne doute pas que les délégations aux droits des femmes des deux chambres s'empareront de ce sujet dans quelques années.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice. - On peut toujours voter contre la suppression des demandes de rapport au Gouvernement...

Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente. - Il y a deux bonnes raisons à l'opposition traditionnelle du Sénat aux demandes de rapport au Parlement. D'une part, lorsque nous demandons au Gouvernement d'établir un rapport, nous lui donnons des ordres, et la séparation des pouvoirs ne permet pas au pouvoir législatif de donner des ordres au pouvoir exécutif. D'autre part, ce pouvoir de faire des rapports entre parfaitement dans le cadre de notre fonction de contrôle. Pourquoi donc demander au Gouvernement de faire le travail qui nous appartient et que nous pouvons parfaitement faire nous-mêmes ?

Pour le reste, je ne peux que me réjouir que nous ayons trouvé un accord sur un sujet qui ne souffrait pas le simplisme. Tout le monde entend que le consentement est en jeu dans les agressions sexuelles, mais la mise en oeuvre telle quelle de cette disposition dans la loi faisait courir des risques, y compris à la survie de l'infraction elle-même. La difficulté est que la notion de consentement oriente nécessairement le regard vers la victime, car c'est son consentement qui est en cause. Il convenait donc de rédiger ce texte de façon à éviter cet écueil. Le travail conjoint de nos assemblées et l'analyse juridique assez fine du Conseil d'État ont permis d'y échapper. Nous verrons quel accueil les magistrats réserveront à ce texte, mais il est désormais suffisamment clair pour pouvoir être utilisé.

Mme Véronique Riotton, députée, vice-présidente. - Permettez-moi de revenir sur la question des demandes de rapport : les prérogatives de nos deux chambres nous permettront de réaliser ces évaluations, et nous pouvons tenir pour acquis que nous le ferons.

Nous devrons aussi redire clairement quelle est l'intention du législateur, avec des mots choisis, y compris lors du vote des conclusions de la CMP à l'Assemblée nationale et au Sénat. La façon dont nous avons conçu le texte et sa portée seront en effet examinées par les juges lorsqu'ils seront saisis.

Mme Marie-Charlotte Garin, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je veux souligner l'ampleur du travail réalisé avec la société civile et les experts, notamment lors du colloque organisé au Sénat, afin de créer une culture commune sur ce sujet.

Sur la question de la portée de cette proposition de loi, évidemment, nous n'avons pas de baguette magique. Aucune de nous n'a jamais eu la prétention de penser que ce texte allait tout résoudre, tant la question des violences sexuelles et de la prise en charge des victimes est multifactorielle.

Nous avons toutefois quelques indices très forts sur l'impact qu'il pourrait avoir, car il s'inscrit dans un mouvement global opéré par de nombreux pays européens ces dernières années. En Suède, au Danemark ou en Belgique, on constate que davantage de femmes portent plainte : elles reprennent confiance dans le système, elles sont mieux traitées lors des enquêtes et les condamnations pour viol augmentent.

Il s'agit aussi, plus globalement, d'un véritable mouvement culturel. Avec cette proposition de loi, le législateur acte collectivement le passage de la culture du viol à celle du consentement.

Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente. - Ma chère collègue, vous me permettrez d'être en désaccord sur la notion de culture du viol. Pour ma part, je ne crois pas qu'une telle culture existe en France. Sur ce point, une divergence persiste, même si nous sommes en accord sur le texte proposé.

Les rapporteures ont réalisé un important travail préparatoire. Chacun a pu en prendre connaissance, étant précisé que nos rapporteures ont trouvé un accord global sur l'ensemble du texte.

EXAMEN DES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION

Article 1er
Modification de la définition du viol et des autres agressions sexuelles

La proposition commune de rédaction des rapporteurs est adoptée.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Articles 2 et 3 (supprimés)

Les articles 2 et 3 sont supprimés.

Intitulé de la proposition de loi

Mme Muriel Jourda, sénateur, présidente. - Les rapporteures proposent de retenir comme intitulé du texte : « proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles. »

L'intitulé est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

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En conséquence, la commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi modifiant la définition pénale du viol et des agressions sexuelles.

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