- CONCLUSION
Bien plus qu'un simple dispositif administratif, l'accord franco-moldave relatif à l'échange des permis de conduire constitue un véritable outil de coopération bilatérale, répondant à une difficulté concrète des usagers ; mais au-delà de cette dimension pratique, il véhicule un message diplomatique fort.
C'est en premier lieu une réponse efficiente à un besoin pratique, puisqu'il permettra de faciliter la mobilité des Moldaves en France et des Français en Moldavie, de simplifier les démarches requises et de réduire les coûts à la charge des diasporas des deux Parties ; à cet égard, il adresse notamment un signal positif à la diaspora moldave vivant en France, dont le rôle politique et économique est particulièrement important. L'accord permet de plus de renforcer la sécurité et la fiabilité des titres grâce à des procédures d'authentification solides.
En second lieu, il participe à la construction d'une coopération renforcée avec la Moldavie, en apportant un soutien marqué à son choix européen et en renforçant l'image de la France comme partenaire de confiance ainsi que comme acteur engagé pour la stabilité et la sécurité en Europe de l'Est.
L'approbation rapide de cet accord répond à une urgence politique et géopolitique que les Présidents des deux pays ont soulignée ; la Moldavie a quant à elle notifié à la France l'accomplissement de ses procédures internes de ratification par note verbale du 30 septembre 2024.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 22 octobre 2025, sous la présidence de M Cédric Perrin, Président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. André Guiol sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord n°764 autorisant l'approbation d'un accord bilatéral entre la République française et la République de Moldavie relatif à l'échange de permis de conduire.
M. André Guiol, rapporteur. - Nous examinons un accord entre les gouvernements de la République française et de la République de Moldavie relatif à l'échange des permis de conduire, qui est attendu avec impatience par la partie moldave.
Le rapporteur projette une présentation PowerPoint en complément de son
propos.
Petit pays enclavé entre la Roumanie, avec laquelle il partage une
histoire commune, et l'Ukraine, la Moldavie compte 3,5 millions d'habitants,
dont une importante diaspora de près de 1 million de personnes.
En son sein, on soulignera la situation très spécifique de la Transnistrie, territoire frontalier avec l'oblast ukrainien d'Odessa, sécessionniste et indépendant de facto depuis 1992. Bien que la communauté internationale ne le reconnaisse pas comme tel, il n'est plus contrôlé par la Moldavie, mais bien par la Russie, et sa population a largement soutenu, en 2006, un référendum proposant son rattachement à la Russie, qui y maintient une présence militaire de quelque 1 500 soldats. Enfin, au sud du pays, la Gagaouzie, territoire turcophone sous influence russe, a quant à lui le statut de région autonome.
Cette situation géostratégique particulièrement complexe et sensible place la République moldave au coeur de tensions extrêmes. Pays neutre, il cultive un équilibre fragile entre ses voisins européens et une Russie qui met tout en oeuvre pour accroître son influence sur lui. L'agression russe de l'Ukraine, le 24 février 2022, fut l'événement déclencheur de sa demande d'adhésion à l'Union européenne, engageant un processus d'intégration long et exigeant, mais aussi une modification sensible du fragile équilibre antérieur.
C'est pourquoi le 28 septembre dernier, alors que les élections législatives opposaient le camp pro-européen, dirigé par son actuelle présidente Maia Sandu, et le camp pro-russe, le peuple moldave se trouvait à la croisée des chemins. Le scrutin a fait l'objet de la part d'acteurs proches du Kremlin d'ingérences et de tentatives de manipulation d'une ampleur peut-être sans précédent, à travers des campagnes de désinformation massives telles que Overload ou Matriochka, orchestrées par des hackers et relayées par des robots ou des influenceurs à la solde de Moscou. Des achats de votes et des intimidations ont également été signalés, ainsi que de nombreuses
fake news. À titre d'exemple, le déplacement récent d'un groupe de sénateurs a été le prétexte d'un deepfake contrefaisant un article de La Tribune dont le titre était : « Un groupe de sénateurs français a l'intention de se mettre d'accord avec la présidente Sandu sur la réinstallation de réfugiés de la France vers la Moldavie en échange d'un soutien financier. »
Mais, comme vous le savez, les électeurs moldaves ont majoritairement soutenu le camp européen, infligeant à la propagande du Kremlin une défaite que l'on pourrait qualifier de cuisante compte tenu des moyens mis en jeu.
Tel est le contexte dans lequel a été élaboré ce projet d'accord, que l'on ne peut appréhender pleinement sans avoir en tête l'enjeu majeur que constituent la stabilité du pays et la consolidation de son arrimage, encore fragile, au camp européen. L'accord qui est soumis à votre examen va dans ce sens et exprime la volonté française d'approfondir ses liens avec la Moldavie. Le Président de la République s'était engagé, le 7 mars 2024, lors d'un entretien avec la Présidente Sandu, à sa rapide ratification.
Sur le fond, on pourrait penser que son enjeu est mineur au regard des problématiques de défense qui font d'ordinaire l'objet de nos travaux. Cependant, pour les quelque 100 000 à 150 000 Moldaves vivant en France, la validité de leurs permis de conduire représente de longue date une problématique importante, notamment en milieu professionnel.
En effet, l'utilisation en France de permis de conduire émis hors Union européenne est juridiquement encadrée par une procédure stricte, à deux niveaux.
Le premier niveau, qui constitue actuellement pour la Moldavie la procédure en vigueur par défaut, prévoit, en vertu de l'article R. 222-3 du code de la route, la reconnaissance temporaire du permis étranger. Cependant, à l'issue d'une période d'un an à compter de la date d'établissement de la résidence en France du titulaire, ce dernier doit obtenir un permis français, soit par échange, s'il existe un cadre conventionnel à cet effet, soit en repassant l'examen en France, moyennant quelques aménagements relatifs au nombre d'heures de cours requis. Pour les ressortissants moldaves résidant en France, qui sont bien souvent des travailleurs du bâtiment ou des travailleurs saisonniers pour lesquels la voiture est un instrument de travail essentiel, cette contrainte, en l'absence de cadre conventionnel d'échange, est ressentie comme très pénalisante.
Le second niveau est la procédure d'échange à proprement parler, qui fait l'objet de cet accord. Dans ce cadre, le ressortissant moldave remettrait aux autorités françaises son permis de conduire moldave en échange de la délivrance du permis français, et inversement lorsqu'il quitte le territoire français.
Seraient concernés uniquement les permis de conduire des véhicules
de moins de dix places et d'un poids total autorisé en charge inférieur ou égal
à 3,5 tonnes - c'est-à-dire de catégorie B, à l'exclusion des permis professionnels -, délivrés depuis le 1er janvier 2020. Je précise que l'accord ne vise que les permis spécifiquement moldaves, les documents transnistriens étant hors périmètre.
L'accord prévoit, bien sûr, une réciprocité, même si, côté français, seul un petit nombre de résidents en Moldavie - de l'ordre de quelques centaines - serait concerné. Il n'en reste pas moins que les facilités permises par cet accord seront pour eux bienvenues.
Ce mécanisme d'échange de permis est une procédure courante. La France a par ailleurs signé des accords bilatéraux comparables avec Monaco, le Qatar et la Chine. En outre, elle a conclu une vingtaine d'arrangements administratifs dans le même sens avec divers pays et pratique également des échanges de permis en l'absence de tout cadre juridique. Le Conseil d'État estime cependant que seul le cadre conventionnel apporte une sécurité juridique convenable aux échanges pratiqués, ce qui explique le choix qui a été fait ici d'un accord bilatéral.
De son côté, la Moldavie a d'ores et déjà conclu des accords comparables avec plusieurs pays européens : l'Italie, l'Allemagne, la Lituanie et la Roumanie.
Convenu le 7 mars 2024 par les présidents Macron et Sandu, conclu par échange de notes verbales le 12 juillet de la même année, ratifié par la partie moldave dès le 30 septembre 2024, ce texte a fait l'objet dans sa genèse d'une diligence pour le moins remarquable au regard des délais habituels. Il a été déposé sur le bureau du Sénat le 19 juin dernier, et l'objectif du Quai d'Orsay est qu'il puisse être adopté par les deux chambres avant la fin de l'année.
Dans un premier temps, je vous avouerai que cette célérité m'a quelque peu inquiété et fait craindre une rédaction hâtive ou inappropriée. C'est pourquoi j'ai réclamé des commissaires du Gouvernement des éléments complémentaires afin de m'assurer qu'aucune vérification indispensable n'avait été négligée et que les permis moldaves offraient des garanties comparables à celles des permis européens. Les éléments transmis m'ont pleinement rassuré. Il apparaît notamment que l'obtention du permis est conditionnée, par catégorie de permis, à un quota d'heures de formation minimum, ainsi qu'à un avis médical. En outre, les examens comportent une partie théorique et une partie pratique, d'une teneur et d'une durée comparables à celle des examens français ; le recrutement par concours et la formation des examinateurs paraissent sérieux ; et les infractions routières sont, comme en France, sanctionnées par des peines d'intensité graduelle : contravention, retrait du permis, travaux d'intérêt général, privation de liberté. La Moldavie porte également une attention toute particulière à la prévention de la conduite en état d'ébriété ou sous stupéfiants. Les permis concernés par l'accord sont au format biométrique et comportent huit
éléments de sécurisation, ils sont donc difficilement falsifiables. Enfin, les transferts de données personnelles occasionnés par cet accord sont conformes au règlement général sur la protection des données (RGPD).
Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, qui tout en répondant à une demande récurrente des ressortissants moldaves établis en France, consolide nos liens avec la République moldave, dans un contexte où un tel rapprochement constitue un signal fort.
L'examen de ce projet de loi est inscrit en séance publique à l'ordre du jour du mercredi 29 octobre prochain, selon la procédure simplifiée, ce à quoi la Conférence des Présidents, ainsi que votre rapporteur, a souscrit.
Mme Évelyne Perrot. - Tous les trafics observés dans le Grand Est - cambriolages, ou autres - sont le fait de bandes venues de pays de l'Est, comme la Serbie ou la Moldavie. J'espère que cet échange de permis de conduire ne se fera qu'à des fins professionnelles. Pour ma part, je m'abstiendrai sur ce texte.
M. André Guiol, rapporteur. - Les accords bilatéraux ont
précisément pour intérêt d'aider à la gestion de telles difficultés.
Le projet de loi est adopté sans modification.