C. POUR GARANTIR LE RÉTABLISSEMENT DES COMPTES PUBLICS, IL FAUT POURSUIVRE UN OBJECTIF DE RETOUR AU NIVEAU DE DÉPENSES DE 2019
1. Le nécessaire effort sur les missions régaliennes de l'État doit être compensé sur ses autres charges
L'année 2019, dernière année avant la crise sanitaire, est aussi la dernière au cours de laquelle le déficit public n'a pas dépassé de 3 % du PIB180(*). Il paraît donc utile de considérer, au niveau du budget de l'État, l'évolution des crédits consacrés à chaque mission budgétaire entre 2019 et le présent projet de loi de finances.
Il en ressort que la plupart des missions du budget général ont, dans le projet de loi de finances pour 2026, des crédits supérieurs, même en euros constants, à ceux dépensés pendant l'année 2019. Ceci est vrai même de certaines missions auxquelles un effort particulier a été demandé, comme les missions « Travail, emploi et administration des ministères sociaux » et « Aide publique au développement ».
Évolution des crédits des missions
du budget général entre 2019
et le projet de loi de finances
pour 2026, en euros constants
(en milliards d'euros de 2026)
Dépenses de l'État en 2019 corrigées de l'inflation (indice des prix à la consommation hors tabac) et retraitées des changements de périmètre survenus depuis 2019. Hors contributions au CAS Pensions et missions « Crédits non répartis » et « Remboursements et dégrèvements ».
Source : commission des finances du Sénat, à partir des documents budgétaires et des données transmises au rapporteur général
Certaines augmentations de crédits sont imposées par les menaces extérieures (Défense) ou par l'évolution des marchés de taux (charge de la dette). Le financement de ces dépenses supplémentaires ne devra pas reposer sur déficit, mais sur des redéploiements de crédits.
L'augmentation totale des crédits, ainsi calculée, est de + 45,3 milliards d'euros : c'est cet effort qu'il conviendrait de réaliser sur les crédits autres que ceux consacrés à la défense et à la charge de la dette pour retrouver le niveau de dépenses de l'État en 2019.
La hausse en volume de la quasi-totalité des missions du budget général traduit une extension toujours plus poussée du champ d'intervention de l'État, alors que l'impératif de maîtrise de la dépense publique devrait pousser celui-ci à revenir, hors dépenses prioritaires, au champ qui était le sien en 2019.
2. Le projet de loi de finances pour 2026 poursuit l'effort entamé par la loi de finances initiale pour 2025 sur les dépenses des opérateurs
Le montant des financements publics alloués aux opérateurs est de 73,3 milliards d'euros dans le présent projet de loi de finances, contre 74,8 milliards d'euros en loi de finances pour 2025 (soit une diminution de 3,4 % en euros constants). Le montant du financement public consacré aux opérateurs se réduit donc pour la deuxième année consécutive en valeur, après avoir suivi une forte hausse depuis 2019. Le montant de ces financements sera en effet supérieur de 44,6 % en 2026 par rapport à 2019, soit + 23,5 % en chiffres corrigés de l'inflation.
Évolution du financement des opérateurs
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des annexes budgétaires « Opérateurs » aux projets de loi de finances pour 2018 à 2026
La diminution porte principalement sur les dispositifs d'intervention portés par l'Agence de services et de paiements (ASP), l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et l'Ademe181(*).
Elle repose toutefois partiellement sur une diminution de la trésorerie de ces agences : celle de l'ANAH diminuerait ainsi de moitié, soit - 511 millions d'euros, en 2026, permettant de compenser une baisse équivalente du financement par l'État.
Pour mémoire, dès le mois de juillet 2023, l'Inspection générale des finances avait identifié l'excédent de trésorerie des opérateurs à environ 2,5 milliards d'euros182(*), qui pouvait être réduit par une limitation ponctuelle du concours de l'État ou une ponction sur la trésorerie. Il convient de se réjouir que ce projet de loi de finances, comme le précédent, utilise ces moyens pour exercer une pression qui ne peut que pousser à une amélioration de la gestion. Un opérateur public n'a généralement pas besoin, contrairement à une entreprise privée indépendante, de disposer d'une trésorerie particulièrement abondante, car l'État peut toujours lui apporter des fonds nouveaux s'il en démontre la nécessité.
Les économies engendrées ne sont toutefois que limitées et ne peuvent être répétées chaque année. Elles ne sauraient donc remplacer une réflexion d'ensemble sur l'organisation de l'État et les missions qu'il exerce soit directement, soit par l'intermédiaire des opérateurs.
Les opérateurs ne sont toutefois pas les seuls tiers financés par l'État.
Les corps d'inspection de l'État ont ainsi consacré, en mai 2025, une revue de dépenses consacrée à celles destinées aux associations183(*). Il en ressort que la somme des dépenses budgétaires de l'État, de ses opérateurs et des collectivités territoriales destinées aux associations a dépassé 49 Mds€ en 2023. La revue de dépenses identifie 3 Mds€ d'économies potentielles sur ces dépenses, réparties à part égales sur celles émanant de l'État et de ses opérateurs, sur celles provenant des collectivités territoriales et sur les dépenses fiscales dont bénéficient les associations.
3. L'objectif de maîtrise des dépenses est toutefois rendu difficile par le poids des engagements passés, qui conduit d'ores et déjà à un socle de dépenses futures d'un niveau élevé
Les efforts de réduction du déficit devront prendre en compte l'importance des « coups partis » hérités des années passées, ainsi que les engagements prévus par le présent projet de loi de finances.
Le montant des autorisations d'engagements ouvertes par le projet de loi de finances pour 2026 est en effet de 613,1 Mds€, contre 588,3 Mds€ de crédits de paiement, toutes missions du budget général confondues. Le surcroît d'autorisations d'engagement de 24,8 Mds€ nécessitera, dans les années à venir, l'ouverture des crédits de paiement correspondants, même si certaines autorisations d'engagement peuvent être abandonnées ou réduites.
Les missions qui ouvrent le surcroît le plus important d'autorisations d'engagement, par rapport aux crédits de paiement, sont les missions « Défense » (+ 26,4 Mds€) et « Écologie, développement et mobilité durables » (+ 2,4 Mds€). À l'inverse, la mission « Investir pour la France de 2030 » ouvre un surcroît de crédits de paiement de 5,0 Mds€ d'euros, cette mission finançant progressivement des projets dont les autorisations d'engagement ont, en quasi-totalité, été ouvertes par les lois de finances pour 2022 et 2023.
Certaines missions dont les crédits baissent dans le présent projet de loi de finances, comme les missions « Aide publique au développement » et « Sport, jeunesse et vie associative », ouvrent dans le même temps des autorisations d'engagement nettement plus importantes que les crédits de paiement (à hauteur de, respectivement, 120,6 % et 129,1 % des crédits de paiement), ce qui correspond, d'une part, à des engagements pris dans le cadre de programmes d'aide internationaux (programme 384 « Fonds de solidarité pour le développement ») et, d'autre part, à la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques d'hiver 2030 (programme 385 consacré à cet événement).
Correspondant à l'accumulation, sur plusieurs années, des autorisations d'engagement non couvertes par des crédits de paiements, les restes à payer s'accumulent et représentaient à la fin 2024 un montant de 217,1 milliards d'euros pour les programmes du budget général. Ils constituent un indice des dépenses futures qu'il sera difficile d'éviter, par exemple des travaux dont le marché a été attribué mais dont l'exécution n'est pas encore terminée.
Répartition des restes à payer sur
les missions
du budget général à la fin
2024
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances, à partir des réponses au questionnaire du rapporteur général. Hors programme 369 « Amortissement de la dette de l'État liée à la covid-19 »
Près de la moitié des restes à payer concernent la mission « Défense », résultant notamment de la mise en oeuvre de la loi de programmation militaire. L'abondance des autorisations d'engagement ouvertes par la loi de finances pour 2025 et le présent projet de loi de finances pour 2026 devraient encore accroître le niveau des restes à payer pour cette mission.
À l'inverse, les restes à payer de la mission « Investir pour la France de 2030 » devraient progressivement diminuer, pour la raison déjà indiquée supra, à savoir que les crédits de paiement ouverts dans chaque loi de finances couvrent progressivement les autorisations d'engagement ouvertes par les projets de loi de finances pour 2022 et 2023. Cette mission n'en constitue pas moins, avec plus de 30 milliards de restes à payer, une contrainte directe sur les dépenses des années à venir.
Une autre rigidité sur la dépense provient des lois de programmation sectorielles, qui décident plusieurs années à l'avance l'augmentation des crédits consacrés à certaines politiques. Si leur valeur juridique est limitée par le principe d'annualité des crédits, qui permet à la loi de finances de l'année d'y déroger, elles ont en pratique été en grande partie suivies et celle relative à la défense est même rehaussée en cours d'exécution.
Sur les quatre lois de programmation en cours, celles relatives aux ministères de l'intérieur184(*) et de la justice185(*), toutefois, ne devraient plus entraîner qu'une hausse limitée des crédits, car elles cessent leur effet en 2027, tandis que celles consacrées à la défense186(*) et à la recherche187(*) portent jusqu'à l'année 2030.
En application de ces lois, les crédits de ces quatre missions augmenteraient de 15,6 milliards d'euros d'ici à 2029 et 19,7 milliards d'ici à 2030, ce qui accroît d'autant les économies à réaliser sur les autres politiques pour revenir à un ratio de déficit public par rapport au PIB de 3 % d'ici à cette date.
Dépenses supplémentaires
prévues par les
lois de programmation sectorielles par rapport
à 2025
(en milliards d'euros)
Crédits Défense hors annonces faites par le président de la République le 13 juillet 2025.
Source : calculs commission des finances, à partir des lois de programmation sectorielles.
L'augmentation tendancielle des dépenses est confirmée par l'examen de l'échéancier triennal des dépenses qui est inscrit dans chaque projet annuel de performances en application de la révision de la loi organique relative aux lois de finances du 28 décembre 2021. Il en ressort que les dépenses des missions188(*) augmenteraient de 31,2 milliards d'euros de 2025 à 2028.
Évolution des crédits des missions entre 2025 et 2028
(en milliards d'euros)
Seules les variations supérieures ou égales à 1 milliard d'euros sont représentées.
Source : commission des finances, à partir du fichier des dépenses pluriannuelles publié par la direction du budget
Toutefois, hors missions « Engagements financiers de l'État » (c'est-à-dire, pour l'essentiel, la charge de la dette) et « Défense », l'évolution entre 2025 et 2028 est orientée à la baisse en euros courants (- 8,6 milliards d'euros), ce qui confirme encore une fois l'effort engagé.
* 180 Le déficit public a été de 2,3 % du PIB en 2018 et 2,4 % en 2019, tel que mesuré après le passage des comptes nationaux en base 2020 (rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2024).
* 181 Annexe « Opérateurs », p. 24.
* 182 Inspection générale des finances, Analyse du niveau de trésorerie des opérateurs de l'État et du modèle de relations financières entre l'État et ses opérateurs, juillet 2023.
* 183 Inspection générale des finances (IGF) et inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), Revue de dépenses publiques en direction des associations, mai 2025.
* 184 Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.
* 185 Loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.
* 186 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.
* 187 Loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur.
* 188 Crédits de paiement ouverts en loi de finances, y compris les remboursements et dégrèvements et les contributions au compte d'affectation spéciale « Pensions ».




