|
N° 2266
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE |
N° 245
SESSION ORDINAIRE DE 2025-2026 |
|
|
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 décembre 2025. |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 décembre 2025. |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission mixte
paritaire (1) chargée de proposer un texte sur
le
projet de loi de finances
pour 2026
|
PAR M. PHILIPPE JUVIN, Rapporteur
général, |
PAR M. JEAN-FRANÇOIS HUSSON, Rapporteur général, |
(1) Cette commission est composée de : M. Éric Coquerel, député, président ; M. Claude Raynal, sénateur, vice-président ; M. Philippe Juvin, député ; M. Jean-François Husson, sénateur, rapporteurs.
Membres titulaires : MM. Jean-Philippe Tanguy, Matthias Renault, Paul Midy, Philippe Brun et Mme Félicie Gérard, députés ; Mme Christine Lavarde, MM. Stéphane Sautarel, Michel Canévet, Thierry Cozic, et Emmanuel Capus, sénateurs,
Membres suppléants : Mme Claire Marais-Beuil, MM. Jean-René Cazeneuve, Aurélien Le Coq, Mme Estelle Mercier, MM. Jean-Paul Mattei et Michel Castellani, députés ; MM. Bruno Belin, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Sylvie Vermeillet et Florence Blatrix Contat, M. Pascal Savoldelli, Mme Solanges Nadille et M. Raphaël Daubet, sénateurs.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (17ème législature) : Première lecture : 1906, 1996 et T.A. 180.
Sénat : Première lecture : 138, 139 et T.A. 29 (2025-2026).
Commission mixte paritaire : 246 (2025-2026).
MESDAMES, MESSIEURS,
Par lettre en date du 15 décembre 2025, M. le Premier ministre a fait connaître à M. le Président du Sénat et à M. le Président de l'Assemblée nationale que, conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, il avait décidé de provoquer la réunion d'une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur le projet de loi de finances pour 2026.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont désigné :
- Membres titulaires :
Pour l'Assemblée nationale :
MM. Jean-Philippe Tanguy, Matthias Renault, Paul Midy, Éric Coquerel, Philippe Brun, Philippe Juvin, Mme Félicie Gérard.
Pour le Sénat :
MM. Claude Raynal, Jean-François Husson, Mme Christine Lavarde, MM. Stéphane Sautarel, Michel Canévet, Thierry Cozic, Emmanuel Capus.
- Membres suppléants :
Pour l'Assemblée nationale :
Mme Claire Marais-Beuil, MM. Jean-René Cazeneuve, Aurélien Le Coq, Mme Estelle Mercier, MM. Jean-Paul Mattei, Michel Castellani.
Pour le Sénat :
MM. Bruno Belin, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Sylvie Vermeillet, Florence Blatrix Contat, M. Pascal Savoldelli, Mme Solanges Nadille, M. Raphaël Daubet.
La commission mixte paritaire s'est réunie le vendredi 19 décembre 2025, au Palais-Bourbon. Elle a désigné :
- M. Éric Coquerel en qualité de président et M. Claude Raynal en qualité de vice-président ;
- M. Philippe Juvin et M. Jean-François Husson en qualité de rapporteurs, respectivement pour l'Assemblée nationale et pour le Sénat.
Étaient également présents MM. Jean-Philippe Tanguy, Matthias Renault, Paul Midy, Philippe Brun, Mme Félicie Gérard, députés titulaires, Mme Christine Lavarde, MM. Stéphane Sautarel, Michel Canévet, Thierry Cozic, Emmanuel Capus, sénateurs titulaires, Mme Claire Marais-Beuil, MM. Jean-René Cazeneuve, Aurélien Le Coq, Mme Estelle Mercier, MM. Jean-Paul Mattei, Michel Castellani, députés suppléants, MM. Bruno Belin, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Sylvie Vermeillet, Florence Blatrix Contat, Solanges Nadille, M. Raphaël Daubet, sénateurs suppléants.
*
* *
À l'issue de l'examen en première lecture par chacune des Assemblées, l'ensemble des articles du projet de loi de finances pour 2026 restaient en discussion. En application de l'article 45 de la Constitution, la commission mixte paritaire a été saisie de ces articles.
*
* *
DISCUSSION GÉNÉRALE
M. Éric Coquerel, député, président. Je souhaite la bienvenue à nos collègues sénateurs.
L'Assemblée nationale a été saisie, le 14 octobre dernier, d'un projet de loi de finances (PLF) qui comprenait 82 articles. Elle a rejeté l'ensemble de la première partie du projet de loi le 21 novembre. Le Sénat, pour sa part, a adopté 72 articles, en a supprimé 10 et en a introduit 181 nouveaux.
Nous voici donc, comme l'an dernier, dans une situation où l'Assemblée nationale a rejeté un texte alors que le Sénat l'a adopté après l'avoir modifié. Cette commission mixte paritaire (CMP) est donc chargée d'élaborer un texte sur l'ensemble du projet ; tous les articles, aussi bien ceux figurant dans le texte initial du Gouvernement que ceux introduits par le Sénat, restent en discussion.
M. Jean-François Husson, rapporteur pour le Sénat. Nous sommes dans une situation exceptionnelle, quelques constats simples suffisent à le montrer.
D'une part, c'est la seconde CMP qui se tient en 2025 sur un projet de loi de finances : nous étions déjà réunis ici même, à la fin du mois de janvier, pour la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2025 qui a été conclusive et qui a permis d'engager enfin le pays sur la voie du redressement de nos finances publiques.
Par ailleurs, les finances publiques de notre pays restent dans un état calamiteux. Nous sommes devenus, à cause des choix politiques des années 2022 à 2024, le pays européen dont les finances publiques sont les plus mal gérées, et dans le pire état.
Les conséquences de ces faits ne sont malheureusement pas théoriques : nous empruntons de plus en plus cher, on nous fait de moins en moins confiance et les intérêts de la dette entravent de plus en plus nos marges d'action.
Le Gouvernement actuel, à la différence des deux précédents, a choisi de ne pas faire du rétablissement des comptes publics une priorité. Nous nous sommes engagés auprès de nos partenaires européens à contenir notre déficit à 4,6 % du PIB ; il a été affiché à 4,7 % dès les textes financiers initiaux de l'automne. L'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2026, dans sa version négociée avec l'Assemblée nationale, a dégradé le solde jusqu'à 5 points de PIB. Le Gouvernement a lui-même amendé le texte au Sénat, ce qui nous a menés jusqu'à 5,1 points de PIB. Enfin, et j'en prends ma part, toute ma part mais rien que ma part, les votes du Sénat, qui ont conduit à davantage de baisses de recettes que d'économies, ont dégradé la copie de 5,1 à 5,3 points de PIB.
Dans un contexte où la ministre des comptes publics elle-même explique devant la commission des finances du Sénat que 5 % de déficit n'est pas un totem et où elle indique qu'aucune économie supplémentaire n'est possible - fait quelque peu étrange et surprenant pour une ministre des comptes publics -, comment demander aux parlementaires d'être plus responsables que le Gouvernement lui-même ?
Enfin, la dégradation du climat politique paraît interminable. Jugez-en : six gouvernements en deux ans, une dissolution funeste et toujours incomprise, deux censures et un Gouvernement qui, je le dis sans détour, ne détermine ni ne conduit la politique de la Nation - en tout état de cause, pas autant ni dans le cadre que prévoit l'article 20 de notre Constitution : pas de déclenchement de l'article 49, alinéa 3, alors que la situation l'impose évidemment ; aucune aide non plus pour bâtir un consensus autour d'un texte issu de la CMP. Les déclarations de soutien sont restées lettre morte dans les faits, ce qui nous laisse entendre que le Gouvernement n'a pas souhaité que cette CMP soit conclusive.
Qu'a fait le Sénat lors de son examen, en moins de vingt jours, de l'intégralité du projet de loi de finances ? Comme vous le savez, du fait du rejet de la première partie par l'Assemblée nationale, nous nous sommes prononcés sur le texte initial.
Le Sénat est revenu sur les hausses massives de fiscalité, à la fois sur les particuliers et sur les entreprises, prévues par le texte du Gouvernement, pour plus de 7 milliards d'euros.
La plus visible des mesures qu'il a adoptées est la suppression de la surtaxe sur l'impôt sur les sociétés, qui était prévue initialement à 4 milliards d'euros, mais nous avons aussi indexé la première tranche du barème de l'impôt sur le revenu, réduit de moitié la fiscalisation des indemnités journalières des personnes en affection de longue durée (ALD), recentré la nouvelle taxe sur les holdings patrimoniales, refusé la nouvelle et énième réforme de la franchise en base de TVA en si peu de temps, annulé la taxe sur les emballages plastiques et enfin protégé nos agriculteurs en supprimant la hausse de fiscalité des biocarburants B100 et E85.
Je n'ai pas de difficulté à reconnaître que le Sénat n'est pas parvenu à compenser intégralement ces baisses fiscales par des économies. Nous en avons toutefois voté, sur la mission Investir pour la France de 2030, sur France compétences, avec le non-remplacement d'un agent public sur deux partant à la retraite - de façon bien choisie dans les ministères concernés -, avec la suppression des crédits de la provision relative aux rémunérations publiques ou encore avec la réforme de l'aide médicale de l'État.
Mon état d'esprit était d'aller le plus loin possible dans les économies pour redresser le solde public lors de cette CMP. Je l'avais déjà indiqué à l'issue du vote en séance publique, lundi, devant le ministre de l'économie et la ministre des comptes publics.
S'agissant des collectivités territoriales, le Sénat a, à mon sens, fait preuve de responsabilité en prévoyant qu'elles supportent 2 milliards d'euros d'économies. Nous savons tous que l'État est le responsable quasi exclusif de la dégradation des comptes publics, et non les collectivités. Malgré cela, nous pensons toujours qu'elles doivent participer au redressement et il n'est pas anodin que notre assemblée ait su voter une nouvelle fois un dispositif de lissage conjoncturel des ressources et une baisse des compensations d'exonérations, quand il aurait été si facile de tout rejeter en bloc.
Le Sénat s'est également pleinement mobilisé pour consolider certains dispositifs fiscaux ou budgétaires plébiscités par les agriculteurs. Je pense bien sûr à la déduction pour épargne de précaution, mais aussi à des crédits pour aider les éleveurs à vacciner leurs troupeaux et pour soutenir les viticulteurs.
Pour répondre à la crise du logement, qui touche aussi bien le secteur privé que le logement social, le Sénat a adopté plusieurs mesures permettant au secteur de fonctionner sur deux jambes. D'une part, la contribution des bailleurs sociaux au fonds national des aides à la pierre a été relevée de 200 millions d'euros par rapport à l'an dernier, afin de sécuriser la relance et les agréments de logements sociaux. D'autre part, le Sénat s'est engagé dans la création d'un statut du bailleur privé, en recherchant un équilibre entre deux impératifs : relancer la construction avec un régime attractif tout en maîtrisant nos finances publiques.
Nos territoires ultramarins n'ont pas été oubliés. Nous avons supprimé la réduction des aides fiscales à l'investissement en outre-mer inscrite dans le texte du Gouvernement. Des dispositifs fiscaux de soutien à Mayotte ainsi qu'aux quartiers de La Réunion particulièrement touchés par le cyclone Garance ont été adoptés. La Nouvelle-Calédonie n'a pas été laissée de côté : l'aide fiscale à la reconstruction des bâtiments détruits pendant les émeutes a été renforcée, et plus de 300 millions d'euros de subventions ont été votés, dont près de 200 millions de soutien à la filière du nickel.
Enfin, les contraintes budgétaires ne doivent pas nous conduire à sacrifier notre jeunesse. Pour cette raison, j'ai personnellement défendu une hausse de 40 millions d'euros des financements du service civique. Il s'agit là d'une des rares politiques dont le montant était, dans la version initiale du projet de loi de finances pour 2026, inférieur à ce qu'il était en 2019.
Le Sénat a également adopté un relèvement de 50 millions d'euros du plafond des taxes affectées à l'Agence nationale du sport pour le financement des équipements structurants des collectivités territoriales.
Sur cette base, avec le rapporteur général du budget de l'Assemblée nationale, nous avons beaucoup travaillé en vue de cette CMP, et nous sommes quasiment parvenus à un accord. Après plus de vingt heures de réunions et de négociations, y compris le soir et les week-ends, nous sommes d'accord sur presque tout : 259 des 263 articles du texte et 43 des 46 missions, budgets annexes et comptes spéciaux du budget de l'État font l'objet d'un accord entre nous.
Ce n'est pas de temps dont nous avons manqué. C'est peut-être davantage d'une vision commune d'un texte qui pourrait être adopté par les deux chambres et qui serait jugé bon pour l'avenir de notre pays. En effet, l'Assemblée nationale a défendu jusqu'au dernier moment une surtaxe de l'impôt sur les sociétés à 6 milliards d'euros, alors que le Sénat s'est opposé aux hausses d'impôts comme baguette soi-disant magique pour régler les problèmes de notre pays. Nous n'étions pas pleinement d'accord sur les économies non plus.
Évidemment, si le Gouvernement avait décidé d'éclairer le chemin et d'indiquer, comme il l'avait fait au mois de janvier de cette année, qu'il procéderait à une adoption du texte à l'Assemblée nationale par l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, cela aurait facilité les négociations : nous aurions eu alors une visibilité sur les conditions d'adoption possibles du texte à l'Assemblée nationale. Mais il nous a fallu nous résoudre à négocier dans le noir, dans une sorte de colin-maillard improbable.
Nos négociations ont fini par échouer. La copie qui est proposée par l'Assemblée nationale est simple. C'est davantage d'impôts, suite directe du projet de loi de financement de la sécurité sociale qui a été adopté par l'Assemblée nationale : hausse de la CSG sur les revenus du capital, contribution supplémentaire des complémentaires santé, réduction des allégements de cotisations patronales. C'est aussi davantage de dépenses, avec la hausse de l'Ondam - objectif national de dépenses d'assurance maladie -, l'indexation des prestations sociales et le renoncement à la réforme des retraites adoptées à l'époque grâce à l'engagement de la responsabilité du Gouvernement - c'était il y a deux ans. La conclusion de ces décisions, c'est un déficit des administrations de sécurité sociale avant transferts passé de 17 milliards d'euros dans le texte initial à 24 milliards dans le texte final.
De tout cela, je dois dire, le Sénat n'a pas voulu ; nous souhaitons et nous attendons, pour améliorer le solde public, moins d'impôts et davantage d'économies.
Force est donc de constater qu'à l'inverse de la CMP que nous avons tenue en janvier, pourtant dans la même configuration politique, nous n'avons pas pu nous mettre d'accord. La seule chose qui a changé depuis, c'est le Gouvernement et notamment le refus d'utiliser l'article 49, alinéa 3.
Il était pourtant de notre devoir d'offrir un budget à notre pays avant la fin de cette année. Je regrette aussi vivement que sincèrement que nous n'ayons pas pu trouver un accord. J'adresse mes voeux de réussite aux députés qui auront à se saisir du texte voté au Sénat pour, je l'imagine, en améliorer son contenu dans le sens qu'ils décideront, afin de donner un budget ambitieux à la France.
M. Philippe Juvin, rapporteur pour l'Assemblée nationale. Une CMP conclusive, c'est une CMP qui est capable non pas de se mettre d'accord sur un texte, mais de se mettre d'accord sur un texte à même d'être adopté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Pouvons-nous y parvenir ? La réponse est malheureusement non.
La CMP est donc non conclusive. Il ne s'agit pas d'un échec, mais d'un constat.
Le temps a manqué pour aboutir à un compromis formalisé. Le Sénat a adopté son texte lundi ; nous sommes vendredi ; il nous revenait d'examiner 263 articles. Bref, le temps a été un paramètre important.
Je crois qu'en dépit de leurs différences d'appréciation, le Sénat et l'Assemblée nationale partagent le même but, celui réduire le déficit public. L'objectif qui a été annoncé, et qui est cohérent avec nos engagements internationaux, consiste à le ramener à moins de 3 % en 2029. Nous en sommes aujourd'hui très loin. Il aurait fallu que nous nous accordions sur des solutions mais nous n'y sommes pas parvenus.
Nous avons travaillé jusqu'au bout et je veux remercier particulièrement le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson, qui n'a pas épargné sa peine. Nous nous sommes réunis pour tenter de trouver des accords - nous en avons d'ailleurs trouvé sur de nombreux points du texte -, y compris lorsqu'il devait lui-même siéger. Ce furent plusieurs dizaines d'heures de réunion le jour, le soir et le week-end.
Je remercie les députés : ceux qui sont membres de la commission mixte paritaire, bien sûr, mais aussi ceux qui, grâce à leur connaissance d'un sujet en particulier, nous ont éclairés. Je pense notamment à Mme Valérie Létard et à M. Inaki Echaniz sur le logement, ainsi qu'à M. Nicolas Ray sur la gestion des finances publiques - et j'en oublie d'autres.
Les échanges ont été constructifs. De réels rapprochements ont été constatés et je crois sincèrement que nous sommes sur le chemin du compromis. Mais nous sommes malheureusement tenus par les délais, en l'occurrence par la date du 23 décembre.
Pour la suite, nous ne partons donc pas de zéro. Les députés ont rapproché leurs positions - c'est la tâche première de chaque rapporteur général du budget au sein de sa chambre que d'y oeuvrer. Tout en appartenant à des groupes politiques différents, nous entrevoyons une possibilité de nous accorder. Des bases communes existent désormais et le travail est largement engagé en vue de la reprise formelle de l'examen du projet de loi de finances début janvier.
La nouvelle lecture du PLFSS a d'ailleurs montré qu'un accord était possible après l'échec d'une commission mixte paritaire. Ce texte, néanmoins, a bénéficié d'un autre calendrier que le nôtre.
Une hypothèse s'ouvrait paradoxalement à nous, consistant à demander le report de la CMP pour nous donner, au rapporteur général Jean-François Husson et moi-même, le temps de continuer à travailler avec vous. Il me semble qu'en faisant cela, nous aurions risqué de nous exposer - ce sont les vicissitudes de la vie politique - à un rejet des conclusions de la CMP par l'Assemblée nationale ou le Sénat. Cela aurait généré une incertitude encore plus grande, que l'adoption d'une loi spéciale - désormais anticipée par beaucoup, avouons-le - permet probablement de lever en partie.
À ceux qui voient dans une CMP non conclusive la fin du monde, je veux rappeler que depuis 2012, seules deux CMP sur des projets de loi de finances initiale ont été conclusives.
Nous nous sommes accordés sur des mesures d'économies, sur des mesures fiscales et sur une réduction du déficit - avec, il est vrai, des différences d'appréciation sur la nature du déficit initial et donc sur la réduction à inscrire dans la copie finale.
Je répète toutefois que le travail qui a été fait n'est plus à faire. Nous devons dès maintenant nous atteler de nouveau à la tâche, en nous fixant l'objectif d'adopter une loi de finances au mois de janvier, dans les plus brefs délais.
M. Éric Coquerel, député, président. Les rapporteurs généraux n'étant pas en mesure de nous présenter des propositions de rédaction de compromis sur l'ensemble des articles du projet de loi de finances, nous allons constater l'absence d'accord. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'engager la discussion de chaque article. Je propose toutefois que le président, le vice-président ainsi que chaque groupe de l'Assemblée et du Sénat puissent réagir.
Je voudrais quant à moi commencer par remercier les deux rapporteurs généraux pour leur travail. L'échec de la CMP n'est pas le leur, pas plus qu'il n'est de leur responsabilité. C'est avant tout l'échec du projet de budget qui nous a été proposé avec deux semaines de retard en octobre dernier, et qui s'apparentait de ce fait à une équation impossible à résoudre.
J'ai bien compris que depuis quelques jours, l'exécutif tend à faire endosser la responsabilité au Parlement - ce n'est pas nouveau. Il l'a fait en mettant en cause l'Assemblée, dont je rappelle qu'elle a rejeté le texte en première lecture par 404 voix contre 1, ce qui est historique. Il le fait aussi depuis quelques jours en incriminant le Sénat ; ce matin encore, j'entendais la porte-parole du Gouvernement Maud Bregeon parler de postures politiques. Sans avoir d'affinités politiques avec la majorité sénatoriale, je pense qu'il est beaucoup trop facile de faire reposer la responsabilité sur les assemblées.
Certes, le texte issu du Sénat est moins bon - selon moi - mais ce sont simplement les traits du texte initial qui ont été grossis. Celui-ci visait déjà à imposer des coupes budgétaires à l'ensemble des Français avec la baisse des budgets des ministères et la non-indexation du barème de l'impôt sur le revenu, sans revenir en contrepartie sur les cadeaux fiscaux faits aux ultrariches et aux multinationales - alors qu'il s'agit simplement de faire payer à ceux-ci la même chose, proportionnellement, qu'à l'ensemble des Français ou qu'aux petites et moyennes entreprises.
Du fait des contradictions dont il était porteur, ce projet de budget a connu à l'Assemblée le sort que j'ai déjà évoqué. Quant au Sénat, je le répète, il en a aggravé les traits mais n'en a pas modifié la logique.
Ce projet de budget ne correspond pas à la situation internationale que nous vivons. Celle-ci rend nécessaires des investissements, de la souveraineté industrielle et des relocalisations. Surtout, elle interdit de couper les moteurs principaux de l'activité économique dans notre pays que sont le pouvoir d'achat et la consommation intérieure, ce que l'effet récessif du texte ne manquerait pas de provoquer.
La responsabilité de la situation ne revient pas aux deux assemblées en premier lieu car elle découle des décisions prises depuis un peu plus d'un an : la dissolution et le refus de suivre le résultat des élections de juillet 2024. Finalement, le Gouvernement a proposé, comme si rien ne s'était passé, avec deux semaines de retard, un projet de budget qui ne pouvait pas trouver de majorité à l'Assemblée. Là est la responsabilité première ; cela devrait interpeller le Gouvernement et le Président de la République, qui l'a nommé.
Nous allons maintenant travailler sur un projet de loi spéciale. À ce sujet, j'invite le Gouvernement à ne pas dramatiser la situation et à ne pas faire pression en vue de l'adoption la plus rapide possible d'un budget, comme son prédécesseur l'a fait il y a un an. C'est en effet très mauvais pour l'économie et le climat des affaires, et cela suscite l'inquiétude des Français. D'après une note interne transmise par Bercy en octobre, et contrairement à ce qui nous a été indiqué l'an dernier, la mise en application de la loi spéciale devrait permettre à l'État de faire 5 milliards d'euros d'économies : les services votés ne seront pas équivalents aux dépenses prévues dans le PLF. N'imputons pas à la loi spéciale tous les problèmes que connaît notre pays, notamment l'incertitude politique.
Nous nous retrouverons vraisemblablement en janvier pour discuter de nouveau d'un projet de budget et, d'ici là, la loi spéciale permettra d'assurer la continuité de l'État. Ce n'était pas mon choix : je souhaitais quant à moi que ce projet soit battu et que l'on retourne aux urnes le plus vite possible, pour donner un cap clair au pays. Ce n'est pas ce qui a été décidé ni imposé par le Gouvernement. Maintenant que nous en sommes là, néanmoins, j'espère que le Gouvernement assumera sa responsabilité et nous permettra de discuter à nouveau du budget en janvier.
Je donne la parole à M. Jean-Philippe Tanguy pour le Rassemblement national.
M. Jean-Philippe Tanguy, député. Je salue le travail des rapporteurs généraux mais j'ajoute immédiatement, monsieur le président, que votre conclusion sera l'introduction du Rassemblement national (RN) : la seule solution, c'est le retour aux urnes. Ce que nous appelons le système, et que l'on pourrait qualifier de parti unique, est incapable de redresser les comptes publics puisqu'il est entièrement responsable de leur effondrement.
Par rapport aux engagements pris dans la loi de programmation des finances publiques de 2023, la copie du Sénat propose sur le déficit un écart de 70 milliards d'euros et, sur la dette, un écart hallucinant de 270 milliards d'euros ! Et je ne parle ni des impôts ni de la dépense publique.
Je ne suis pas là pour renvoyer la faute sur les uns ou sur les autres ; je fais un constat objectif, dénué de toute interprétation de la part du RN. En suivant avec beaucoup d'humilité les travaux du Sénat, j'ai entendu qu'il était possible de baisser les dépenses publiques. Mais le rapporteur général Husson reconnaît lui-même que les sénateurs n'en ont pas été capables. Pourquoi ? Peut-être parce que les municipales et les sénatoriales auront lieu dans quelques mois ! Est-ce vraiment un hasard si l'on ne demande pas d'effort aux collectivités territoriales ?
Nous n'avons aucune responsabilité au Gouvernement, et nous avons de nombreuses critiques à lui adresser. Mais quand j'entends dire que ce serait la faute de l'État, je ne suis pas d'accord.
Là où nous partons dans le décor depuis des années, c'est en matière de recrutement de fonctionnaires territoriaux. S'il n'est pas capable de le constater, le Sénat n'a pas de leçons à donner à l'Assemblée nationale au sujet des autres dépenses ! Il y a beaucoup trop d'échelons administratifs et beaucoup trop de fonctionnaires territoriaux, en particulier dans les EPCI - établissements publics de coopération intercommunale - sans parler des régions ! Au siège de ma région, j'ai passé une journée à voir des gens qui ne servaient à rien ! C'est épouvantable ! J'ai vu des collègues payés 2 200 euros par mois dont je n'ai jamais entendu le son de la voix en quatre ans. Je pourrais même les croiser sans les reconnaître ! On culpabilise d'être payé pour ne servir à ce point à rien.
La situation n'est de la faute ni des pensions de retraite ni des dépenses de santé, mais de ce système totalement incapable de se réformer. Dans l'esprit de Noël, il faudrait que nous réalisions que le seul cadeau que nous pouvons offrir à la France consisterait à rendre tous nos mandats - quel dommage que le Sénat ne puisse être dissous ! - et à les remettre entre les mains des Françaises et des Français. Nous pourrions présenter nos programmes de redressement des finances publiques dans le cadre d'un débat franc. Pourquoi refuser le débat puisque même à deux, et en dépit de vos qualités sincères, vous n'y arrivez pas ?
S'il en est ainsi, c'est parce que nous sommes au bout d'un système totalement usé. Je le dis sérieusement : à force de refuser une possible alternance, vous usez les institutions jusqu'à la corde. C'est d'autant plus ironique que, si nous en sommes à la Ve République, c'est parce qu'au-delà des drames de l'histoire, le système a échoué au moins quatre fois ! J'aimerais que l'on évite un nouvel échec et- désolé, monsieur le président - la VIe République.
M. Claude Raynal, sénateur, vice-président. La parole est à Mme Christine Lavarde pour le groupe Les Républicains.
Mme Christine Lavarde, sénatrice. Je ne tire pas de la situation actuelle les mêmes conclusions que l'orateur précédent. Je déplore que l'on ait accusé le Sénat de s'être radicalisé. Si le fait de ne pas changer d'avis constitue une radicalisation, c'est que l'on a de celle-ci une définition un peu particulière. Le concept de disparition de la droite et de la gauche n'a jamais vraiment fonctionné, nous en tirons les conclusions aujourd'hui : la différence d'appréciation sur l'objectif recherché est manifeste.
Oui, il faut réduire le déficit public. Au Sénat, nous pensons qu'il faut le faire en agissant sur la dépense. Le rapporteur général a rappelé à plusieurs reprises que les dépenses de l'État n'ont toujours pas retrouvé leur niveau d'avant la crise du covid : des dépenses qui avaient vocation à rester conjoncturelles sont devenues structurelles. Nous avons encore des efforts à faire pour ramener la dépense publique à un étiage raisonnable.
Je ne peux pas laisser dire, comme l'a fait M. Tanguy, que les collectivités seraient responsables de la dérive des comptes publics, pour la simple raison qu'elles présentent toujours des budgets équilibrés. Elles contribuent en outre fortement à tirer la croissance du pays car ce sont elles qui investissent en tout premier lieu. Enfin, elles ne représentent qu'une faible part de l'endettement public consolidé.
Les populations les plus vulnérables - auxquelles je vous sais très attaché, monsieur Tanguy - ont souvent pour premier interlocuteur la commune ou le département. Je ne sais pas ce qu'il leur restera comme soutien si vous mettez ces collectivités à plat.
Notre Constitution comporte des outils adaptés à chaque situation. Il me semble que nous aurions pu trouver un accord ce matin, et doter la France d'un budget avant le 31 décembre, si le Gouvernement et le Premier ministre n'étaient pas restés obtus au sujet du recours à l'article 49, alinéa 3. Il n'y avait aucune raison pour que nous ne parvenions pas à faire ce que nous avions réussi au mois de février dernier.
M. Éric Coquerel, député, président. Je donne la parole à M. Paul Midy pour le groupe Ensemble pour la République.
M. Paul Midy, député. On sait que le coût de l'instabilité et du manque de visibilité pour les acteurs économiques représente des dizaines de milliards d'euros. Il faut donc continuer à travailler pour donner le plus rapidement possible un budget à la France.
L'échec de cette CMP est une mauvaise nouvelle. Nous pensions qu'il était possible d'arriver à doter le pays d'un budget avant la fin de l'année.
Je remercie les rapporteurs généraux pour leur travail et tous les collègues qui se sont fortement impliqués, en particulier ces derniers jours, pour essayer d'avancer vers un texte commun. Ce travail a été utile, il faut le poursuivre. Je pense que nous y arriverons, parce qu'il le faut et grâce à l'indispensable compromis que nous essayons chaque jour de construire depuis plusieurs mois. Comme pour le PLFSS, nous parviendrons à adopter un texte en nouvelle lecture sans utilisation de l'article 49, alinéa 3, comme cela a déjà eu lieu à de nombreuses reprises. Évidemment, cela demande un peu plus de temps.
M. Claude Raynal, sénateur, vice-président. La parole est à M. Thierry Cozic pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
M. Thierry Cozic, sénateur. Je remercie les deux rapporteurs généraux d'avoir cherché un compromis acceptable.
J'ai une pensée pour nos concitoyens, parce que les Français attendent un budget et veulent passer à autre chose avant les fêtes.
Quoi qu'on en dise, la situation dans laquelle nous sommes trouve son origine dans la dissolution ratée par le Président de la République et dans l'instabilité politique que nous connaissons depuis deux ans.
J'insiste sur le fait que la majorité sénatoriale a fait preuve d'une certaine intransigeance lors de l'examen du texte. Elle refuse de faire participer les plus riches à l'effort collectif. C'est la pierre d'achoppement.
Je n'accepte pas les propos du représentant du Rassemblement national sur les collectivités. Celles-ci sont souvent le dernier recours et sont source de croissance dans les territoires, où elles réalisent 70 % des investissements publics et contribuent à l'activité. Sans elles, nous serions confrontés à des situations encore plus compliquées. C'est pourquoi je n'accepte pas qu'on les prenne en ligne de mire, sachant qu'on leur demande de participer à hauteur de 15 % à l'effort global alors qu'elles représentent à peine 8 % de l'endettement public et que leur dette est stable depuis trente ans.
Le travail engagé constitue une base pour la suite des discussions. Je reste persuadé que l'on doit rapidement trouver un compromis dès la rentrée, notamment au sein de l'Assemblée nationale, où l'utilisation de l'article 49, alinéa 3, s'impose pour doter la France d'un budget.
M. Éric Coquerel, député, président. Je donne la parole à M. Aurélien Le Coq pour le groupe La France insoumise.
M. Aurélien Le Coq, député. Il n'est pas très étonnant que cette CMP ne soit pas conclusive.
Si la majorité sénatoriale est à droite, les électeurs ont envoyé un message clair à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale : rompre avec la politique du Gouvernement et d'Emmanuel Macron. Or le budget proposé, qui a été adopté par le Sénat, n'a pas d'autre objet que de continuer la politique macroniste - dans une version il est vrai un peu radicalisée, puisque les sénateurs ont baissé les recettes encore davantage que ce qui était voulu par la Macronie.
Il n'y a donc évidemment ni consensus ni compromis possible.
Je relève que la majorité sénatoriale parvient à baisser les recettes et les efforts, demandés aux plus riches. Le texte proposé par le Gouvernement prévoyait une contribution exceptionnelle de ces derniers à hauteur de 5 milliards d'euros. Elle a été ramenée à 1,9 milliard dans la copie du Sénat, tandis qu'il a voté une diminution des recettes qui s'élève à 7 milliards. Le rapporteur général du Sénat a reconnu lui-même que ce dernier n'avait pas suffisamment coupé dans les dépenses pour compenser la baisse des recettes. Cela montre que la politique qui consiste à réduire ces dernières pour essayer de pressurer les dépenses en espérant baisser le déficit est un échec.
Pour le reste, nous avons atteint un point de blocage politique. Ce n'est pas nouveau, puisque c'est le cas depuis la dissolution. Il n'y a qu'une manière de lever ce blocage : écouter les Françaises et les Français. Puisque la configuration du Parlement ne le permet pas et que le Président de la République s'obstine dans la même direction en nommant des gouvernements qui, d'une manière ou d'une autre, finissent par essayer de faire passer en force les mêmes budgets - à tel point que les soutiens du Gouvernement appellent quasiment tous à recourir à l'article 49, alinéa 3 -, la seule solution est de revenir aux urnes.
Mais il faut le faire pour trancher les grands débats. Lors de la discussion de ce budget, les ministres nous ont expliqué à de nombreuses reprises que certaines questions seraient arbitrées lors de l'élection présidentielle. Dont acte : procédons à celle-ci.
M. Claude Raynal, sénateur, vice-président. La parole est à M. Michel Canévet pour le groupe Union Centriste.
M. Michel Canévet, sénateur. Notre groupe regrette que cette CMP n'ait pas pu aboutir.
Lors de l'examen de ce budget, nous avons notamment défendu la stabilité fiscale, car la France a déjà le deuxième taux le plus élevé de prélèvements obligatoires au sein de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il est nécessaire de les réduire pour éviter que nos entreprises aient des boulets aux pieds.
Nous avons également oeuvré en faveur de la justice fiscale et contre l'évitement fiscal. Plusieurs mesures votées par le Sénat sont particulièrement utiles à cet égard et j'espère qu'elles seront mises en oeuvre prochainement.
Nous constatons tous qu'il est difficile de réaliser des économies. Le rapporteur général et moi-même en avons proposé, mais nous avons rarement été suivis car nos collègues sont attachés à diverses politiques. Sans doute faudra-t-il davantage de décentralisation à l'avenir, pour que des actions que l'État n'a pas les moyens d'assumer soient conduites au plus près du terrain.
Les collectivités territoriales n'abusent pas, tout simplement parce que les régions et les départements n'ont plus de pouvoir de décision en matière fiscale et que leurs dotations stagnent ou baissent. Certaines de leurs dépenses étant contraintes, elles sont obligées de faire des efforts. Il faudra rétablir une certaine autonomie fiscale et financière des collectivités pour leur permettre de mieux faire face à leurs responsabilités.
M. Éric Coquerel, député, président. Je donne la parole à M. Philippe Brun pour le groupe Socialistes et apparentés.
M. Philippe Brun, député. Nous remercions également les deux rapporteurs généraux pour leur travail. Nous ne pouvons que déplorer cette situation. Alors que nous sommes dans le bocal de cette salle, est-ce que l'on se rend compte de l'image que nous renvoyons au pays ?
Parce que nous n'avons pas pris suffisamment de temps - cette CMP aurait pu être reportée à lundi pour négocier un compromis -, nous allons entrer dans le régime de la loi spéciale. Nous en connaissons les conséquences : 70 % des crédits gelés ; aucune dépense d'investissement, subvention ou recrutement ; un coût élevé pour les finances publiques et une incertitude croissante. Les marchés sanctionneront très certainement la décision prise ici, avec une augmentation des écarts de taux d'intérêt.
Les Français continueront aussi très certainement à s'agacer de l'impuissance généralisée du système parlementaire et d'élus qui préfèrent partir en vacances plutôt que de négocier jusqu'au bout pour aboutir à un compromis.
Nous sommes convaincus que celui-ci était possible. Cela supposait que chacun fasse preuve de bonne volonté et soit à la hauteur en assumant ses responsabilités dans ce moment.
Nous ne pouvons laisser cette situation perdurer et nous résoudre à ce que le débat budgétaire dure encore un mois et demi, en janvier et en février, alors que les entreprises, les collectivités locales et les associations attendent un budget.
Nous déplorons donc la décision de faire échouer cette CMP. Encore une fois, nous aurions préféré qu'elle soit reportée pour continuer à discuter et à négocier. En tout état de cause, les socialistes souhaitent que nous avancions dans la voie d'un compromis et que le budget soit rapidement adopté dans les meilleurs délais, au mois de janvier, afin d'éviter les effets désastreux de la loi spéciale.
M. Claude Raynal, sénateur, vice-président. La parole est à M. Emmanuel Capus pour le groupe Les Indépendants-République et Territoires.
M. Emmanuel Capus, sénateur. Même si je le regrette, on savait très bien qu'il ne serait pas possible de trouver un accord en CMP.
Pour y arriver, il aurait fallu que quatre conditions soient réunies.
Tout d'abord, obtenir un PLF équilibré suppose que l'on travaille plus. Or c'est impossible en renonçant à la réforme des retraites et en aggravant la situation des finances publiques avec un PLFSS déficitaire - et elle sera encore pire l'année prochaine. C'est le point essentiel.
Ensuite, il aurait fallu que l'Assemblée nationale et le Gouvernement ne cèdent pas à la frénésie fiscale. La version initiale du PLF prévoyait 14 milliards de hausses d'impôts. Le Sénat a réussi à les ramener à 7 milliards, ce qui reste beaucoup trop. L'orateur précédent a indiqué avec des trémolos dans la voix que les entreprises étaient inquiètes. Elles le sont en effet, mais en raison de ce qui était proposé, c'est-à-dire encore plus d'impôts. Si la discussion échoue, c'est en raison de cette frénésie fiscale, et notamment de la volonté d'augmenter l'impôt sur les sociétés encore et encore.
Troisième condition : il aurait fallu mettre fin à notre incapacité collective à baisser les dépenses. À gauche ou à l'extrême droite, on sait augmenter les impôts. Mais nous ne savons pas baisser les dépenses. Je salue les propos du rapporteur général Jean-François Husson, qui a reconnu que le Sénat a été incapable de le faire autant que cela aurait été nécessaire. Mon seul espoir était que nous y parvenions au sein de cette CMP, parce que c'est la seule solution : travailler plus, taxer moins, dépenser moins.
Enfin, une quatrième condition a cruellement fait défaut : le respect de nos institutions. L'article 49, alinéa 3, de la Constitution a été prévu très précisément pour le type de situation dans laquelle nous nous trouvons. Ceux qui ont demandé qu'il ne soit pas utilisé portent une lourde responsabilité - ce sont d'ailleurs souvent ceux qui veulent augmenter les impôts. Ils le regrettent désormais. Ils devraient admettre clairement qu'ils se sont trompés et qu'il faut utiliser cette disposition constitutionnelle destinée à mettre fin aux blocages.
M. Éric Coquerel, député, président. Je donne la parole à M. Jean-Paul Mattei pour le groupe Les Démocrates.
M. Jean-Paul Mattei, député. Je remercie les rapporteurs généraux pour leur travail.
En écoutant M. Husson, il me semble qu'il y avait une voie pour trouver un accord. L'orateur précédent a fait allusion à la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises. On aurait pu travailler sur cette mesure, afin de trouver des recettes raisonnables sans pour autant écraser d'impôts les entreprises. Pour atteindre les fameux 5 % de déficit, symboliquement importants, il faut à la fois réduire les dépenses et trouver des recettes complémentaires.
Même si l'Assemblée nationale n'a pas adopté un texte, elle a abordé de nombreux sujets. Je salue le travail du Sénat, notamment sur la deuxième partie, l'Assemblée n'ayant pas pu débattre des dépenses.
Ne pas adopter un PLF en fin d'année et se contenter d'une loi spéciale est un très mauvais signe adressé à nos concitoyens. On sait très bien qu'elle aura également des effets négatifs, surtout en raison de la rétroactivité de certaines mesures. Nous essaierons de corriger cela.
En tout cas, il faut se remettre au travail. Comme nous le disons depuis longtemps, il faudra certainement recourir à l'article 49, alinéa 3. Mais avant cela, comme l'a dit Philippe Juvin, il faut un texte acceptable par le Sénat et par l'Assemblée. Peut-être aura-t-elle finalement le dernier mot, parce que la navette est ainsi faite, et peut-être en viendra-t-on à l'article 49, alinéa 3.
Nous sommes tenus par les délais constitutionnels et nous avons manqué de temps. Je le regrette amèrement.
Nous faisons ce que nous pouvons avec le résultat des élections de 2024 : l'Assemblée est fractionnée et nous n'arrivons pas à dégager une majorité. Nous devons à nos concitoyens de parvenir à un compromis. Nous allons nous y atteler et j'espère que nous adopterons très rapidement un PLF, car nos concitoyens en ont besoin.
M. Claude Raynal, sénateur, vice-président. La parole est à Mme Solanges Nadille pour le groupe Rassemblement des Démocrates, Progressistes et Indépendants.
Mme Solanges Nadille, sénatrice. Je remercie les rapporteurs généraux pour leur travail. Mon groupe regrette que nous n'aboutissions pas à un accord avant les fêtes - nous sommes prêts, pour notre part, à faire des compromis pour doter la Nation d'un budget.
En ce qui concerne les outre-mer, l'issue de la CMP ne me disconvient pas totalement, puisque nous n'étions pas favorables aux modifications du dispositif d'exonérations de cotisations de sécurité sociale, dit Lodeom, qui figuraient dans le PLF. Nous demanderons au Gouvernement que ce dispositif et ses évolutions possibles fassent l'objet d'une étude d'impact.
Quoi qu'il en soit, le groupe RDPI sera toujours un facilitateur de compromis. J'appelle certains à mettre de côté leurs ambitions - certes légitimes - pour 2027, afin que nous aboutissions à un budget.
M. Éric Coquerel, député, président. La parole est à Mme Félicie Gérard pour le groupe Horizons & Indépendants.
Mme Félicie Gérard, députée. La CMP ne permet pas d'aboutir à un accord sur le PLF pour 2026 : nous le regrettons. Le groupe Horizons & Indépendants défend avec constance un objectif clair : ramener le déficit public sous les 5 % de PIB, sans recourir à des hausses généralisées d'impôts mais par une maîtrise assumée de la dépense publique.
Que ce soit en première lecture à l'Assemblée ou lors de la préparation de la CMP, nous avons toujours abordé les discussions dans un esprit d'ouverture et de compromis. Je tiens d'ailleurs à saluer le travail des deux rapporteurs et leur conduite apaisée des échanges. Nous avons toutefois constaté, au cours de la semaine, que l'objectif de redressement des comptes publics n'était pas pleinement partagé. Cet échec n'est pas inédit ; il n'est pas le signe d'un renoncement à trouver un budget. Le débat se poursuivra en nouvelle lecture dans chacune des chambres dès le début du mois de janvier. Nous serons bien évidemment au rendez-vous pour trouver des compromis utiles pour le pays et lui donner un budget le plus rapidement possible.
M. Claude Raynal, sénateur, vice-président. La parole est à M. Raphaël Daubet pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
M. Raphaël Daubet, sénateur. Je m'associe aux remerciements adressés aux rapporteurs généraux, qui ont cherché jusqu'au bout une solution de compromis. Il nous semble que trouver 9 milliards d'euros, répartis entre les recettes et les dépenses, n'était pas le bout du monde, et que nous n'étions pas loin d'atteindre l'objectif. Nous prenons néanmoins acte de l'échec de la CMP, sans dramatiser la situation - comme chacun ou presque a appelé à le faire - mais en exprimant notre préoccupation très profonde à l'égard des blocages politiques répétés et de la situation économique du pays.
Selon nous, la vraie difficulté n'était pas de bâtir un budget mais d'avoir à faire des coupes budgétaires ou à taxer nos compatriotes, parce que la France s'appauvrit, que notre économie fait face à un changement climatique où le mauvais temps laisse la place à une véritable tempête, et que nous ne sommes pas capables de trouver collectivement le chemin du redressement industriel, agricole et économique. Le chemin du redressement passera forcément par l'instrument budgétaire, à un moment ou un autre. Je forme le voeu que dans les semaines ou les mois à venir, nous retrouvions de l'ambition et de l'allant pour le pays.
M. Éric Coquerel, député, président. La parole est à M. Michel Castellani, pour le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires.
M. Michel Castellani, député. Je remercie à mon tour les rapporteurs et tous ceux qui ont cherché à bâtir un budget pour la France. Chacun, je le crois, reconnaît qu'il faut maîtriser le dérapage des finances publiques, qui est dommageable pour le pays. Les choix pour y parvenir sont fondamentalement contradictoires, d'où l'échec de la CMP : il est difficile de faire coexister deux politiques dont l'une consiste à appuyer sur la pédale de frein et l'autre sur la pédale d'accélérateur. Il faudra bien en sortir, et nous sommes à nouveau devant une page blanche.
Nous devrons résoudre la quadrature du cercle : maîtriser le niveau des prélèvements obligatoires, des dépenses publiques et du déficit sans sacrifier les finances publiques, sans brider la croissance ni entraver l'initiative des collectivités territoriales - je le dis en tant que député de la Corse. Il faudra viser une contribution plus juste à l'effort commun, en proportion des revenus et des ressources, mais aussi une meilleure efficacité de la machine publique, en se penchant sur le millefeuille administratif et sur ces centaines d'organismes à l'utilité incertaine. Il faudra y oeuvrer dans un esprit d'écoute et de compromis, avec la volonté de bâtir un avenir pour nos enfants. Nous en parlerons dès la semaine prochaine à l'occasion de l'examen du projet de loi spéciale, puis en janvier.
M. Éric Coquerel, député, président. La commission mixte paritaire ne pouvant pas aboutir, j'en constate l'échec. Sébastien Lecornu l'a lui-même acté il y a vingt minutes sur le réseau X - je ne suis pas sûr qu'il lui revenait de le faire, mais c'est un autre problème. La Conférence des présidents de l'Assemblée nationale a souhaité que le projet de loi spéciale, s'il était déposé, soit examiné à partir de lundi 22 décembre afin que le Sénat puisse s'en saisir dès le mardi 23 décembre. M. Lecornu semble néanmoins vouloir réunir les principaux responsables politiques lundi pour les consulter sur la marche à suivre. Dès lors qu'il prend acte que le budget ne sera pas voté, je souhaite que l'on n'entretienne pas trop longtemps le feuilleton, car ce ne serait bon pour personne ; c'est toutefois de la responsabilité du Gouvernement.
*
* *
La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur le projet de loi de finances pour 2026.