Rapport n° 126 (1986-1987) de M. Hubert HAENEL , fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 décembre 1986

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N ° 126

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1986-1987

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 décembre 1986

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur :

1° la proposition de résolution de Mme Hélène LUC et les membres du groupe communiste et apparenté tendant à créer une commission d'enquête parlementaire sur les violences policières qui ont été commises le 4 décembre et les conditions dans lesquelles un étudiant, Malik Oussekine, a été tué dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986 à Paris ;

2° la proposition de résolution de MM. Marcel LUCOTTE, Daniel HOEFFEL, Jacques PELLETIER, et Roger ROMANI tendant à la création d'une commission d'enquête chargée de recueillir des éléments d'information sur la préparation, l'organisation , le déroulement et la présentation des évènements de novembre et décembre 1986

Par M. Hubert HAENEL,

Sénateur.

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(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; Félix Ciccolini, Charles de Cuttoli, Paul Girod, Louis Virapoullé, vice-présidents ; Germain Authié, René-Georges Laurin, Charles Lederman, Pierre Salvi, secrétaires; Guy Allouche, Alphonse Arzel, Gilbert Baumet, Christian Bonnet, Raymond Bouvier, Michel Charasse, Maurice Charretier, Henri Collette, Raymond Courrière, Étienne Dailly, Michel Darras, Marcel Debarge, Luc Dejoie, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM. François Giacobbi, Jean-Marie Girault, Jacques Grandon, Paul Graziani, Hubert Haenel, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Christian de la Malène, Bernard Laurent, Guy Male, Paul Masson, Hubert Peyou, Albert Ramassamy, Roger Romani, Marcel Rudloff, Michel Rufin, Jacques Thyraud, Jean-Pierre Tizon.

Voir les numéros :

Sénat : 94 et 120 (1986- 1987 )

Ordre public - Police - Commission d'enquête de contrôle - Enseignement supérieur - Etudiant - Manifestation sur la voie publique p

Mesdames, Messieurs,

La Commission des Lois a été saisie de deux propositions de résolution tendant à la création de commissions d'enquête dont l'objet est, d'une part, d'enquêter sur les "violences policières qui ont été commises le 4 décembre et les conditions dans lesquelles un étudiant, Malik Oussekine, a été tué dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986 à Paris" (n°94), et, d'autre part, "de recueillir des éléments d'information sur la préparation, l'organisation, le déroulement et la présentation des événements de novembre et décembre 1986" (n° 120).

Avant d'exposer la teneur des travaux auxquels votre Commission a procédé aujourd'hui même et d'en présenter les conclusions, il a paru utile à votre rapporteur de rappeler schématiquement les conditions de création et les règles de fonctionnement des commissions d'enquête parlementaires.

I. LES REGLES DE CREATION ET DE FONCTIONNEMENT DES COMMISSIONS D'ENQUETE

Ces règles figurent à l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et, en ce qui concerne essentiellement la composition de ces commissions, à l'article 11 du Règlement du Sénat.

1. La création d'une commission d'enquête a pour objet de recueillir des éléments d'information sur des faits déterminés et de soumettre les conclusions auxquelles elle a abouti à l'Assemblée qui l'a créée. L'ordonnance précise toutefois qu'il ne peut être créé de commission d'enquête lorsque les faits ont donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours". Afin de respecter ces dispositions, et de permettre à la Commission des Lois de se prononcer en toute connaissance de cause, la procédure suivante est mise en oeuvre : le Président de la Commission écrit à M. le Président du Sénat afin que celui-ci puisse s'enquérir auprès du Garde des Sceaux de l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits visés par la proposition de résolution. A ce stade de la procédure, la Commission des Lois ne dispose donc que d'un simple pouvoir d'information et de constatation.

2. La composition d'une commission d'enquête doit, aux termes de l'article 11 du Règlement du Sénat, respecter la règle de la proportionnalité fondée sur le rapport existant entre le nombre total des membres composant le Sénat et les effectifs des différents groupes politiques. Il faut, à cet égard, observer que le Règlement du Sénat dispose que le nombre des membres de la commission d'enquête "ne peut comporter plus de vingt et un membres".

3. Les pouvoirs d'une commission d'enquête sont étendus bien que la durée d'existence de la commission soit limitée à six mois à compter de la date d'adoption de la résolution qui l'a créée, ou même à la date du dépôt de son rapport si celui-ci est antérieur.

• Les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place et sont donc habilités à effectuer tous les déplacements qui leur apparaissent utiles. Tous les renseignements de nature à faciliter leur enquête doivent leur être fournis : ils peuvent ainsi se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'Etat, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs.

• Toute personne dont une commission d'enquête a jugé l'audition utile est tenue de déférer à la convocation qui lui est délivrée, si besoin est, par un huissier ou un agent de la force publique, à la requête du président de la commission. Le défaut de comparution ou le refus de prêter serment ou de déposer est passible de sanctions pénales.

4. Les travaux de la commission bénéficient enfin d'une protection particulière. D'une part, tous les membres de la commission ainsi que ceux qui, à un titre quelconque, assistent ou participent à leurs travaux sont tenus au secret et aucune information ne peut être donnée qui concernerait les travaux, délibérations, actes ou rapports non publiés des commissions d'enquête.

D'autre part, l'assemblée intéressée peut décider, par un vote spécial, et après s'être constituée en comité secret, de ne pas autoriser la publication de tout ou partie du rapport d'une commission d'enquête, ce qui -faut-il le préciser ?- n'a jamais été le cas depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance.

Telles sont, Mesdames et Messieurs, les dispositions élémentaires concernant les conditions de création et de fonctionnement des commissions d'enquête. A l'évidence, celles-ci, qui correspondent d'ailleurs à une tradition parlementaire très ancienne, disposent donc de pouvoirs d'investigation étendus ainsi que l'ont prouvé au demeurant les précédentes commissions créées par le Sénat dont les objets étaient très divers puisqu'ils concernaient, par exemple, les conditions de création d'une cinquième chaîne de télévision ( 1 ( * ) ), l'évaluation de la structure et du montant de la dette extérieure de la France ( 2 ( * ) ), ou les conditions financières dans lesquelles sont produits les programmes des sociétés nationales de télévision ( 3 ( * ) )... C'est donc compte tenu de l'ensemble de ces règles que votre Commission des Lois a procédé à l'examen des deux propositions de résolution qui lui étaient soumises.

II- L'EXAMEN DES PROPOSITIONS DE RESOLUTION

L'examen de ces deux propositions appelle une triple analyse portant sur leur conformité aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée, sur l'opportunité de leur donner suite et, enfin, s'il est répondu positivement aux deux questions précédentes, sur la rédaction de la proposition adoptée par la commission.

1, L'existence de poursuites judiciaires.

Conformément à la procédure décrite ci-dessus, le ministre de la justice a été interrogé par M. le Président du Sénat sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits visés par les propositions de résolution. Le Garde des Sceaux a apporté la réponse suivante :

"J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'une information judiciaire a été ouverte, le 8 décembre 1986, contre X..., au Tribunal de Grande Instance de Paris, des chefs de violences à agents de la force publique, violences, dégradations d'objets d'utilité publique et dégradation d'objets mobiliers ou de biens immobiliers appartenant à autrui, visant des faits commis à Paris, lors des manifestations estudiantines des 4, 5, 6 et 7 décembre 1986.

J'ajoute qu'à la suite du décès de M. Malik OUSSEKINE, survenu dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, deux informations ont été ouvertes au Tribunal de Grande Instance de Paris : la première le 6 décembre 1986, pour recherches des causes de la mort de l'intéressé, la seconde, le 8 décembre 1986, sur la plainte avec constitution de partie civile contre X..., coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, formée par la mère et les frères de la victime.

Si l'engagement de ces deux dernières procédures paraît faire obstacle à la création d'une commission d'enquête sur les circonstances de la mort de M. OUSSEKINE, je ne peux, en revanche, que vous laissez le soin d'apprécier si l'ouverture de l'information contre X..., des chefs de violence à agents de la force publique, violences, dégradations d'objets d'utilité publique et dégradations d'objets mobiliers ou de biens immobiliers appartenant à autrui, dans le cadre de laquelle le magistrat instructeur saisi peut être amené à instruire sur les conditions de l'intervention des forces de l'ordre, pourrait encore limiter l'étendue des pouvoirs des commissions d'enquêtes dont la création est proposée."

En fonction de ces informations, la Commission a donc dû constater que les faits précis visés par la proposition de résolution n° 94 déposée par Mme Hélène LUC et les membres du groupe communiste et apparenté, limitée dans son objet aux "violences policières... commises le 4 décembre et aux conditions dans lesquelles un étudiant, Malik OUSSEKINE, a été tué dans la nuit du 5 au 6 décembre à Paris", font l'objet dans leur quasi-intégralité de poursuites judiciaires faisant obstacle à la création d'une commission d'enquête portant sur ces faits. Par conséquent, il apparaît que cette proposition de résolution n'a, en réalité, plus d'objet.

En revanche la proposition de résolution n° 120 déposée par MM. Marcel LUCOTTE, Daniel HOEFFEL, Jacques PELLETIER et Roger ROMANI, et dont l'objet est de "recueillir des éléments d'information sur la préparation, l'organisation, le déroulement et la présentation des événements de novembre et décembre 1986" couvre l'ensemble des faits qui se sont déroulés non seulement en décembre mais également en novembre à l'occasion de l'examen du projet de loi sur l'enseignement supérieur. L'existence de poursuites judiciaires sur certains de ces faits ne peut donc faire obstacle à la création d'une commission d'enquête portant sur l'ensemble des autres faits ne faisant pas l'objet, eux, de poursuites judiciaires.

Le problème soulevé par la conformité aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 étant ainsi résolu, il importe de s'interroger sur l'opportunité de la création d'une telle commission d'enquête.

2. L'opportunité de ta création d'une commission d'enquête.

Deux séries de considérations ont paru justifier, pour votre Commission, la création d'une commission d'enquête :

1. Elle a en premier lieu constaté que la création d'une telle Commission, sous des formulations diverses, avait été demandée par des parlementaires appartenant à la totalité des groupes politiques existant au Sénat, seul le groupe socialiste n'étant ni auteur ni cosignataire de l'une des deux propositions de résolution déposées. Il faut toutefois noter que M. André MERIC, Président de ce groupe, a déclaré devant le Sénat le 11 décembre 1986 : "Nous demandons... la constitution d'une commission d'enquête parlementaire afin que la lumière soit faite sur tous ces événements". Par conséquent, l'unanimité paraît exister en faveur de la création d'une telle commission d'enquête.

2. Elle a en second lieu observé que la totalité des événements liés à la discussion du projet de loi sur l'enseignement supérieur avait suscité des interprétations et commentaires extrêmement divers justifiant qu'un travail à la fois précis, objectif et complet soit conduit sur l'enchaînement de ces événements. Le trouble jeté dans de larges secteurs de l'opinion publique, et dont témoigne l'unanimité déjà relevée, justifie que le Sénat entreprenne ce travail qui comprendra nécessairement -et je tiens à le préciser- une réflexion et une interrogation sur les causes du malaise qu'ont provoqué ces événements.

3. L'objetde la commission d'enquête.

1. En fonction des considérations précédentes, il apparaît utile que la Commission soit dotée d'une compétence suffisamment large pour que la totalité des événements soient appréhendés dans leur contexte global, seule cette appréhension permettant de comprendre l'exacte signification de chaque événement qui, isolé de ce contexte, serait malaisément compréhensible ou du moins susceptible d'une interprétation erronée.

2. Le texte de la proposition de résolution déposée par MM. Marcel LUCOTTE, Daniel HOEFFEL, Jacques PELLETIER et Roger ROMANI répond aux critères retenus par la Commission qui a donc décidé d'en conserver la rédaction.

Ce libellé est tel que la Commission pourra notamment enquêter sur les violences qui se sont greffées sur les manifestations et sur les conditions dans lesquelles l'ordre public a été maintenu.

La Commission pourra ainsi aller aussi près que possible des faits, dans la mesure, bien évidemment où ils ne font pas l'objet de poursuites judiciaires, de leur préparation, organisation, déroulement et présentation.

Mais que l'on ne se méprenne pas sur la portée du terme "présentation". Il s'agit de donner la possibilité à la Commission, si elle l'estime utile et opportun, de procéder à l'audition de toutes celles et de tous ceux qui sous quelque forme que ce soit et à quelque titre que ce soit, ont concouru à porter à la connaissance du public, les faits et événements visés par l'objet de la proposition de résolution.

3. En conclusion, la commission des Lois -après avoir successivement rejeté :

• une proposition de M. Charles Lederman tendant à transformer en commission de contrôle la commission d'enquête dont la création est proposée par la Commission des Lois ;

• un amendement présenté par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT tendant à supprimer dans le texte de l'article premier de la proposition de résolution les mots "et la présentation" ;

• puis une proposition de résolution présentée en séance par M. Michel DREYFUS-SCHMIDT, tendant à créer également une commission de contrôle sur la gestion administrative, financière et technique du service public de la police à Paris pendant les événements de novembre et décembre 1986 et plus particulièrement du "peloton motorisé de maintien de l'ordre", notamment dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, a adopté la proposition de résolution suivante :

PROPOSITION DE RESOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête

chargée de recueillir des éléments d'information

sur la préparation, l'organisation, le déroulement

et la présentation des événements

de novembre et décembre 1986

Article premier.

En application des dispositions de l'article 25 de la Constitution, de l'article 6 de l'Ordonnance n ° 58-1100 du 17 novembre 1958 modifiée relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires et de l'article 11 du Règlement du Sénat, il est créé une Commission d'enquête chargée de recueillir des éléments d'information sur la préparation, l'organisation, le déroulement et la présentation des événements de novembre et décembre 1986.

Article 2

Cette commission est composée de 21 membres.

* 1 Rapport n° 290 (1985-1986) de M. Josselin de Rohan.

* 2 Rapport n°301 (1983-1984) de M. Marcel Lucotte

* 3 Rapport n° 373 (1978-1979) de M. Jean Cluzel

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