ARTICLE 3 - Limitation du champ d'application de la réduction d'impôt accordée au titre des contrats d'assurance-vie

Commentaire : cet article a pour objet de supprimer la réduction d'impôt à l'entrée qui s'applique pour les contrats d'assurance-vie souscrits avant le 20 septembre 1995.

I - LA SITUATION ACTUELLE

L'assurance vie est l'ensemble des contrats souscrits individuellement ou par l'intermédiaire d'une entreprise ou d'une association permettant la constitution d'une épargne et le versement de celle-ci sous forme de capital ou de rente si l'assuré est en vie au terme du contrat. Elle se différencie de l'assurance en cas de décès qui repose sur des contrats souscrits individuellement ou par l'intermédiaire d'une entreprise ou d'une association, ou encore à l'occasion d'un emprunt garantissant le versement d'un capital en cas de décès avant le terme du contrat.

A - L'IMPORTANCE DE L'ASSURANCE-VIE

Avec 325,5 milliards de francs de souscriptions en 1994, contre 26 milliards pour les bons de capitalisation, l'assurance-vie constitue la principale forme d'épargne-assurance.

L'essentiel des placements est constitué sous forme de contrats souscrits sur une base individuelle (308,4 milliards) '1 ( * )) alors que les contrats de groupes professionnels ne représentent que 15,1 milliards '2 ( * )) .

Le tableau ci-dessous permet de mettre en évidence le formidable succès de cette forme d'épargne dont les encours sont passés de 228,3 milliards de francs en 1984 à 1.956,4 milliards en 1994, ce qui représente une augmentation de 757 % sur dix ans.

LES PLACEMENTS EN ÉPARGNE ASSURANCE

En milliards de francs courants

Source FFSA L'Assurance en 1994 p 94 et 96

La structure des placements des sociétés d'assurance-vie est caractérisée par la prépondérance des obligations qui en représentent près de 68 %. L'évolution de cette structure depuis dix ans se caractérise par une augmentation de la part relative des obligations au détriment de l'immobilier.

Structure des placements des sociétés vies

En%

Source FFSA : L'Assurance en 1994 p. 94

B - LA FISCALITÉ DE L'ASSURANCE-VIE

Les placements en assurance-vie bénéficient actuellement de trois avantages fiscaux importants : une réduction d'impôt à l'entrée ; une exonération d'impôt sur le revenu pour les produits capitalisés, si la sortie s'effectue après huit ans ; une exonération de droits de mutation par décès pour les placements effectués avant 70 ans.

1. La réduction d'impôt sur le revenu

Seuls les contrats d'assurance sur la vie, les contrats de "rente survie" et "d'épargne handicap" ouvrent droit à la réduction d'impôt. Initialement éligibles, les contrats d'assurance décès en ont été exclus depuis 1986.

Pour bénéficier de la réduction d'impôt, les contrats d'assurance-vie doivent comporter la garantie d'un capital en cas de vie et être d'une durée effective au moins égale à six ans ou bien comporter la garantie d'une rente viagère avec jouissance effectivement différée d'au moins six ans, quelle que soit la date de la souscription (article 199 septies 1° CGI).

La réduction d'impôt est égale à 25 % de la fraction des primes représentatives de l'opération d'épargne et non pas de l'intégralité des primes, plafonnée à 4.000 francs et majorée de 1.000 francs par enfant à charge.

Supposons par exemple qu'un contribuable ayant un enfant à charge ait versé 20.000 francs de primes, dont 17.000 francs représentatifs de l'effort d'épargne 3 ( * ) . Ce contribuable a droit à une réduction d'impôt de 17.000 F X 25 %, soit 4.250 F.

Ces plafonds s'appliquent à l'ensemble des contrats d'assurance-vie souscrits par les membres du foyer fiscal. La réalisation du contrat avant six ans entraîne la reprise, sans pénalité, de la réduction d'impôt.

Les contrats de "rente survie" garantissent, en cas de décès de l'assuré, le versement d'un capital ou d'une rente viagère à son enfant atteint d'une infirmité qui l'empêche soit de se livrer à une activité professionnelle dans des conditions normales de rentabilité, soit, si l'enfant est âgé de moins de dix-huit ans, d'acquérir une instruction ou une formation professionnelle d'un niveau normal (handicapés hors d'état de subvenir à leurs propres besoins sans l'aide de leur famille). La réduction d'impôt se calcule sur le montant total des primes versées par l'assuré.

Les contrats "d'épargne handicap", d'une durée effective d'au moins six ans, garantissent le versement d'un capital ou d'une rente viagère à un assuré atteint, lors de la conclusion du contrat, d'une infirmité qui l'empêche de se livrer, dans des conditions normales de rentabilité, à une activité professionnelle. La réduction d'impôt s'applique à la seule fraction des primes représentative de l'opération d'épargne. Elle est égale à 25 % du montant des primes ou de la fraction des primes représentative de l'opération d'épargne pris dans la limite de 7.000 francs, plus 1.500 francs par enfant à charge.

En 1993, on dénombrait plus de 8,5 millions de bénéficiaires de la réduction d'impôt dont 6,24 millions imposables et 2,33 millions non imposables, soit près de 23 % des déclarants.

La répartition des bénéficiaires par tranches de revenu imposable, établie par le ministère de l'économie et des finances montre que près de 70 % des bénéficiaires déclaraient des revenus inférieurs à 150.000 francs.

RÉPARTITION DES BÉNÉFICIAIRES PAR TRANCHE DE REVENU

Source : Ministère de l'Économie, des Finances et du Plan

1. L'exonération d'impôt sur le revenu

Les produits attachés aux contrats d'assurance-vie (ainsi que ceux résultant des bons de capitalisation) sont exonérés d'impôt sur le revenu lors du dénouement du contrat (ou de son rachat partiel) dans les cas suivants :

- le contrat a été souscrit avant le 1 er janvier 1983 ;

- il a été détenu pendant plus de six ans s'il a été souscrit entre le 1 er janvier 1983 et le 31 décembre 1989 ;

- il a été détenu pendant plus de huit ans s'il a été souscrit depuis le 1 er janvier 1990 (droit commun) ;

- il se dénoue par le versement d'une rente viagère ;

- il est racheté pour des raisons tenant au licenciement du souscripteur, de sa mise à la retraite anticipée ou de la survenance d'une invalidité affectant le souscripteur lui-même ou son conjoint.

Lorsque les produits d'un contrat d'assurance-vie ne sont pas exonérés d'impôt sur le revenu, le contribuable peut néanmoins opter pour un prélèvement libératoire (majoré des contributions sociales) dans les conditions suivantes :

si le détenteur renonce à l'anonymat fiscal (c'est à dire s'il accepte de communiquer son identité à l'établissement payeur) il subit un prélèvement libératoire égal, hors prélèvements sociaux, à :

- 45 % si le contrat a été détenu moins de 2 ans ; 25 % entre 2 et 4 ans et 15 % entre 4 et 6 ans pour les contrats souscrits avant le 1 er janvier 1990 ;

- 35 % si le contrat a été détenu moins de 4 ans et 15 % entre 4 et 8 ans pour les contrats souscrits après le 1 er janvier 1990 ;

si le détenteur conserve l'anonymat fiscal, il subit un prélèvement libératoire de 50 % quelque soit la durée de détention du contrat.

3. L'exonération de droits de succession

L'article L 132-12 du code des assurances prévoit que les sommes stipulées payables lors du décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé ou à ses héritiers ne font pas partie de la succession de l'assuré, quel que soit le degré de parenté existant entre ce dernier et le bénéficiaire.

Ces dispositions sont en principe réservées aux assurances garantissant le décès, mais la multiplication des contrats mixtes ou de contrats vie complétés par des contrats décès vide en fait cette restriction de toute portée pratique.

L'exonération générale a toutefois été limitée par l'article 757 B du code général des impôts, issu de l'article 26 de la loi de finances pour 1991 dont le but était de prévenir les abus de plus en plus fréquemment observés.

Ainsi, pour les contrats souscrits après le 20 novembre 1991, les primes versées au-delà de 70 ans sont assujetties aux droits de succession pour la fraction qui dépasse 200.000 francs. En cas de pluralité de contrats conclus sur la tête d'un même assuré, il est tenu compte de l'ensemble des primes versées par l'assuré au-delà de 70 ans pour apprécier la limite de 200.000 francs.

II - LE PROJET DE LOI

Le présent article propose de supprimer la réduction d'impôt sur le revenu dont bénéficient les souscriptions aux contrats d'assurance vie, à l'exclusion des contrats de rente survie et d'épargne handicap.

S'agissant de l'entrée en vigueur de cette mesure le projet de loi distingue trois situations :

- pour les contrats à "prime unique", c'est à dire ceux dans lesquels une seule cotisation est versée dans son intégralité au moment de la souscription, la réduction n'est plus applicable dès lors que le contrat a été conclu ou prorogé après le 20 septembre 1995 ;

- pour les contrats à "prime périodiques", c'est à dire ceux dans lesquels sont prévues plusieurs cotisations dont le montant et la périodicité sont fixés au moment de la souscription, il convient de distinguer deux hypothèses :

si le contrat a été conclu ou prorogé avant le 20 septembre 1995, les primes continuent à ouvrir droit à réduction d'impôt ;

si le contrat a été conclu ou prorogé postérieurement à cette date, les primes ne bénéficient plus de la réduction d'impôt.

- enfin, pour les contrats à "versements libres", c'est à dire ceux dans lesquels le montant et la périodicité des versements ne sont pas fixés au moment de la souscription, les primes acquittées après le 20 septembre 1995 sont exclues de la réduction d'impôt, quelle que soit la date de conclusion ou de prorogation du contrat.

III - LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

L'Assemblée nationale, à l'initiative de son rapporteur général, M. Philippe Auberger, a souhaité que les ménages les plus modestes puissent continuer à bénéficier de cet avantage fiscal et en conséquence, a adopté un amendement prévoyant que la réduction d'impôt continuerait de s'appliquer pour les contribuables dont la cotisation d'impôt sur le revenu n'excède pas 7.000 F.

IV - LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

A - L'OPPORTUNITÉ DE LA MESURE

L'opportunité de mettre en place ou de supprimer une dépense fiscale dépend nécessairement du rapport entre les avantages qu'elle est susceptible d'engendrer pour l'économie et les coûts qu'elle comporte pour le budget de l'État.

De ce point de vue, la justification d'un régime fiscal favorable en faveur de l'assurance-vie réside dans le fait que celle-ci constitue ce que les économistes appellent traditionnellement de l'épargne longue, supposée être plus vertueuse au regard du financement de l'économie que l'épargne liquide.

Pour contribuer à orienter l'épargne des français vers cette forme d'épargne longue la réduction d'impôt, dont le projet de loi propose la suppression, coûte chaque année environ 5 milliards de francs au budget de l'État. Le tableau ci-dessous retrace l'évolution de l'ensemble des exonérations fiscales liées à l'assurance vie, aux contrats de rente survie et d'épargne handicap depuis 1984.

PRIMES DÉCLARÉES ET DÉPENSES FISCALES

En milliards de francs

Source : Ministère de l'Économie, des Finances et du Plan

Pour l'imposition des revenus de 1995, le coût de la dépense fiscale est estimé à 6,5 milliards de francs, se répartissant à concurrence de 3,5 milliards pour les contrats à versements libres, 2,9 milliards pour les contrats à primes périodiques et 100 millions de francs pour les contrats de rente-survie et d'épargne handicap.

En prenant en compte le fait que le paiement des primes sur les contrats à versement libres est très concentré sur les trois derniers mois de l'année, l'adoption de cette mesure devrait rapporter un surcroît de recettes de l'ordre de 2 milliards de francs pour 1996.

Ce bref rapport coût-avantage étant établi, que peut-on penser de l'effet incitatif de la réduction d'impôt à l'entrée ?

L'opinion généralement admise par les professionnels est que la fiscalité de l'assurance-vie, tous avantages confondus, joue en réalité un rôle de moins en moins incitatif au fur à mesure que s'élève le revenu du contractant. Une récente enquête menée par la Fédération française des sociétés d'assurance et le groupement des assurances de personnes montre en effet qu'en 1995 la réduction d'impôt était le motif prépondérant de la souscription lorsque celle-ci est inférieure à 10.000 francs, alors que la fiscalité, au sens large, n'arrive qu'en troisième position pour les cotisations supérieures à 10.000 francs, derrière la retraite et la transmission.

Dans le même ordre d'idées, il convient d'observer que les rendements de l'assurance-vie constituent sans doute un des éléments moteurs de leur succès. Ainsi, pour 1994, le taux d'intérêt moyen de l'assurance-vie a été d'environ 7,5 %, après 7,9 % en 1993. En regard, le taux mensuel moyen des emprunts d'État à long terme s'est établi aux environs de 7,4 % et le rendement des SICAV monétaires a été ramené à environ 5 %. Quant aux actions, l'indice CAC 40 a perdu environ 14,4 % sur 1994.

Par ailleurs, les professionnels consultés estiment que des trois incitations fiscales concernant l'assurance-vie, la réduction d'impôt à l'entrée est celle qui est la moins déterminante dans la décision d'épargne.

Enfin, il faut bien convenir que de nombreuses améliorations techniques apportées au produit ces dernières années pour satisfaire les épargnants ont altéré son caractère d'épargne longue. En effet, les formules d'avances, initialement destinées à répondre à des besoins ponctuels, ont été partiellement détournées de leur objet dans le but de contourner le principe du blocage des fonds pendant au moins huit ans et de rendre ainsi plus liquides les contrats d'assurance-vie. Conscients du problème, le groupement des assurances de personnes et la Fédération Française des assurances ont été amenés à élaborer une recommandation professionnelle afin d'encadrer cette pratique '4 ( * )) .

Pour l'ensemble de ces raisons, votre Commission considère que le rapport entre le coût budgétaire de la réduction d'impôt et les avantages qu'elle procure est, aujourd'hui, défavorable et que la suppression de cet avantage fiscal, compte tenu de l'impératif de redressement de nos finances publiques, ne soulève pas d'opposition de fond.

En revanche, votre Commission se montre plus réservée, d'une part quant au moment choisi par le Gouvernement pour procéder à cette réforme et, d'autre part, sur les modalités techniques de l'entrée en vigueur.

S'agissant du moment, votre Commission, tout en comprenant l'urgence de trouver de nouvelles sources de financement, regrette que la réforme de l'assurance-vie intervienne avant la grande réforme fiscale de l'impôt sur le revenu promise par le Gouvernement et avant qu'ait été ouvert le débat sur la mise en place des fonds de pension.

Il est en effet préjudiciable à la bonne compréhension des mesures proposées que la remise en cause des différents avantages fiscaux dont bénéficient les contribuables, en d'autres termes, la réflexion sur l'assiette de l'impôt sur le revenu, soit dissociée de la réflexion sur les taux de cet impôt.

Par ailleurs, les modifications apportées par l'Assemblée nationale ne vont pas dans le bon sens, car on ne saurait en effet obtenir un élargissement significatif de l'assiette de l'impôt si, à chaque remise en cause d'une dépense fiscale, le législateur s'ingénie à poser de nouveaux seuils destinés à amoindrir la portée des mesures qu'il décide. Ce seul projet de loi met en place cinq nouveaux seuils fiscaux et, à ce rythme, on peut craindre que dans un futur proche nos concitoyens paieront leur baguette de pain en fonction de leur feuille d'impôt.

De surcroît, la mise en place d'un seuil calculé en fonction des cotisations d'impôt sur le revenu va nécessairement rétroagir sur le caractère incitatif de la mesure, au moins pour tous les contribuables qui versent des cotisations d'impôt d'un montant proche du seuil. En effet, accorder une incitation fiscale en fonction du seuil d'impôt présuppose que les contribuables soient en mesure, au moment de leur décision d'épargne, de calculer par eux-mêmes le montant de leur impôt futur, ce qui implique qu'ils puissent prédire exactement leurs revenus pour l'année en cours, ce qui est loin d'être la règle.

S'agissant de l'entrée en vigueur de cette réforme, votre rapporteur souhaite faire deux observations.

En premier lieu, la date d'entrée en vigueur du dispositif - le 20 septembre - qui est celle de la présentation du projet de loi en Conseil des ministres, a été retenue afin d'éviter tout effet d'aubaine de la part de contribuables susceptibles de bénéficier d'un avantage fiscal pour des souscriptions qu'ils comptaient faire de toute façon. Cela n'a pas évité une certaine "ruée" des épargnants sur les contrats d'assurance-vie à versements périodiques en raison d'indiscrétions intervenues bien avant le Conseil des ministres.

Ce choix ne suffit pas à donner à la mesure un caractère rétroactif dans la mesure où celle-ci ne remet nullement en cause les effets passés des contrats en cours. En effet, si le principe demeure de la survie de la loi ancienne pour régir les effets futurs des contrats en cours, le législateur (et parfois même le juge) peuvent toujours faire prévaloir la loi nouvelle lorsqu'ils l'estiment nécessaire ce qui est le cas en l'espèce 4 ( * ) . C'est bien ce qu'a affirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 4 juillet 1989 5 ( * ) en considérant qu' "en inscrivant la sûreté au rang des droits de l'homme, l'article 2 de la Déclaration de 1789 n'a pas interdit au législateur d'apporter, pour des motifs d'intérêt général, des modifications à des contrats en cours d'exécution. "

Au demeurant, on rappelle que le principe de non rétroactivité ne s'applique qu'au seul législateur pénal, et encore sous certaines réserves et exceptions (loi pénale plus douce). Le Conseil constitutionnel a en effet jugé dans sa décision du 29 décembre 1989 6 ( * ) que : "par exception aux dispositions de valeur législative de l'article 2 du code civil, le législateur peut, pour des raisons d'intérêt général, modifier rétroactivement les règles que l'administration fiscale et le juge ont pour mission d'appliquer". ( 7 ( * ) )

Ce n'est donc pas ici la rétroactivité qui est en cause, mais le principe de "sécurité juridique" ou de "confiance légitime" dont on comprend sans peine qu'il constitue le fondement de la crédibilité de l'État en matière de politique fiscale, d'une façon générale, et plus encore, lorsqu'il s'agit d'orienter l'épargne publique.

Ce principe d'origine communautaire est relativement nouveau (8 ( * )) , mais bien qu'il ait déjà pénétré le droit français, il ne semble pas, pour l'instant, s'imposer au législateur au regard des seules règles constitutionnelles (9 ( * )) .

Il a néanmoins une portée politique qui repose sur la confiance que les épargnants mettent légitimement dans les engagements de l'État lorsqu'ils effectuent des placements. Ruiner cette confiance, c'est détruire le caractère incitatif de la politique fiscale de l'épargne. Ce risque ne vaut la peine d'être pris qu'en raison de la gravité de la situation de nos finances publiques.

En second lieu, votre rapporteur réprouve la discrimination effectuée entre les contrats à versements libres et ceux à versements périodiques.

On sait que la raison invoquée pour discriminer entre les deux catégories de contrats tient au fait que les versements périodiques ou fixes résulteraient d'une "obligation contractuelle à la charge du contribuable souscrite avant la mesure", alors que les versements libres peuvent être effectués, par définition, à tout moment.

Or une telle discrimination apparaît à la fois juridiquement contestable et économiquement surprenante.

D'un point de vue juridique tout d'abord, on sait que, selon une formule constamment reprise, "le principe d'égalité interdit qu'à des situations semblables soient appliquées des règles différentes". Cependant, il "ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi" ( 10 ( * ) ) .

Doit-on considérer dans ces conditions que les épargnants sont dans une situation différente, selon le régime de prime attaché au contrat qu'ils ont souscrit ?

L'existence d'une différence entre les contrats à prime périodique et ceux à versements libres apparaît, d'un strict point de vue juridique, bien fragile. En effet, tous ces contrats sont soumis au principe posé par l'article L 132-20 du code des assurances qui précise qu'en assurance-vie :

"L'organisme d'assurance n'a pas d'action pour exiger le paiement des primes" et que celle-ci "entraîne soit la résiliation du contrat en cas d'inexistence ou d'insuffisance de la valeur de rachat, soit la réduction du contrat".

En d'autres termes, le fait pour le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie à versement périodiques de ne pas effectuer un versement prévu n'a pour autre effet que de ne pas faire entrer la valeur du versement prévu dans le calcul des droits, ce qui est identique à ce qui se passerait dans le cadre d'un contrat d'assurance-vie à versements libres.

Par ailleurs, il convient d'observer que les contrats à prime périodique, dont la spécificité tient à l'existence d'un précompte de commission, ne sont qu'une variété de contrats à versements programmés. Dans ces conditions, la distinction entre ces deux dernières catégories est encore plus choquante que celle entre les contrats à versements libres et ceux à primes périodiques.

Doit-on considérer, si l'on admet l'absence de différence juridique entre ces contrats, que la différence de traitement se justifie par l'objet de la loi ?

Celui-ci, dans le cas présent, est très prosaïquement de permettre une économie fiscale à l'État et, plus noblement, de réorienter l'épargne vers d'autres placements en actions ou vers la consommation. On ne voit pas, au regard de ce double objectif, ce qui justifie la différence de traitement des assurés vie selon le mode de paiement des primes prévues par leur contrat.

D'un point de vue économique ensuite, la prime donnée aux contrats à versements périodiques est pour le moins surprenante. En effet, ceux-ci constituent la forme la moins moderne des contrats d'assurance-vie. Comme le montre le tableau ci-dessous, les contrats à prime programmés qui comprennent les contrats à prime périodique, ne représentaient plus en 1994 que 17 % de l'ensemble des cotisations d'assurance vie.

Source FFSA

Cette désaffection du public pour les contrats à prime périodique s'explique vraisemblablement par la pratique dite du "précompte de commission" applicable à ce type de contrats.

Cette pratique consiste pour les compagnies d'assurance à prélever d'importants frais de commission (jusqu'à 100 % d'une annuité de cotisations), qui normalement ne devraient intervenir qu'au fur et à mesure des versements, sur la valeur de rachat d'un contrat.

Supposons par exemple, qu'une compagnie d'assurance rémunère son apporteur d'affaires par une commission de 5 % sur un contrat dont la durée de vie est de 20 ans. En cas de précompte, la rémunération de rapporteur d'affaires est de 5 % X 20 soit 100 % des versements qu'il percevra la première année. Le précompte constitue ainsi une forte incitation pour les réseaux collecteurs à distribuer ce type de contrats, quels que soient les versements effectifs réalisés par les souscripteurs. C'est, en quelque sorte l'assuré qui fait les frais de cette incitation puisque s'il décide de racheter son contrat en cours de route, la valeur de celui-ci sera diminuée du précompte : ainsi, son contrat ne vaudra rien la première année et ce n'est que s'il le garde jusqu'au bout qu'il pourra neutraliser ces frais.

Cette pratique légale a été à la source d'une image longtemps négative de l'assurance-vie. En assurant la non application de la suppression de l'avantage fiscal aux contrats à prime périodique, le présent projet de loi semble accorder un privilège à une forme archaïque de l'assurance-vie, probablement condamnée à disparaître.

En outre, il convient de souligner que, cet article fera immanquablement surgir des problèmes techniques d'application, la majorité des épargnants étant vraisemblablement dans l'incapacité de qualifier par elle même la nature des contrats. Par ailleurs, certaines requalifications conventionnelles de contrats initialement à versements programmés voire à versements libres, ne sont pas à exclure.

B - LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION

Considérant que la remise en cause du principe de la sécurité juridique n'est pas démontrée, en l'état actuel de notre jurisprudence constitutionnelle, et que si elle l'était, une telle remise en cause serait néanmoins justifiée au regard de la situation extrêmement préoccupante de nos finances publiques, votre Rapporteur général vous propose d'accepter l'application de la mesure aux effets futurs de contrat déjà nés.

Néanmoins, estimant que la discrimination opérée entre les contrats à versements libres et ceux à versements imposés ne se justifie pas au regard de l'objet assigné au présent article, votre Rapporteur général vous proposera un amendement rétablissant l'égalité entre les deux types de contrats.

Estimant également que les modifications opérées par l'Assemblée nationale préjugent des orientations qui devront être définies dans le cadre de la réforme fiscale de l'impôt sur le revenu, votre Rapporteur général vous proposera également de revenir à la version initiale du projet du Gouvernement.

Décision de la commission : la commission a décidé de reporter à une date ultérieure sa décision sur les amendements proposés.

* 1 Cette catégorie regroupe les contrats individuels pour 97 milliards et les contrats dits "groupes ouverts" pour 21,4 milliards de francs. Les groupes ouverts sont des associations ou groupement formés en vue de la souscription de contrats d'assurance de personnes "ouverts" aux adhésions individuelles, à la différence des assurances collectives qui s'adressent à des groupes "fermés" d'adhérents (par exemple les salariés d'une entreprise ou d'une profession)

* 2 Les contrats de groupe professionnels comprennent, notamment, les contrats dits de l'article 39 ou de l'article 83, par référence aux articles du code général des impôts qui en régissent la fiscalité, et qui constituent les précurseurs des fonds de pension à la française.

* 3 Les modalités de détermination de cette fraction sont fixées par le décret n° 84-269 du 11 avril 1984 et varient selon les types de contrats. Elles sont mises en oeuvre par les compagnies d'assurance.

* 1 Selon cette recommandation, le montant de l'avance ne peut dépasser, pour les contrats en francs, 80 % de la provision mathématique et 60 % pour les contrats en unités de compte. Elle ne peut être consentie que pour trois ans renouvelables par tacite reconduction. Le taux d'intérêt ne peut être nul et doit tenir compte de la rémunération du contrat ou d'un taux de référence à long terme.

* 4 Voir sur ce point Fr. Terré, Introduction générale au droit n° 451 ; p. 386

* 5 Décision n° 89-524 DC du 4 juillet 1989

* 6 Décision n ° 89-268 DC du 23 décembre 1989, J.O. du 30 décembre 1989 p. 16.499

* 7 Cette possibilité de légiférer rétroactivement comporte toutefois deux limites (même décision) : d'une part, "conformément au principe de non rétroactivité des lois répressives posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, elle ne saurait permettre aux autorités compétentes d'infliger des sanctions à des contribuables du fait d'agissements antérieurs à la publication des nouvelles dispositions qui ne tombaient pas également sous le coup de la loi ancienne" ; d'autre part, "l'application rétroactive de la loi fiscale ne saurait préjudicier aux contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée".

* 8 Inspiré du concept allemand de Vertraueusschutz, le principe de confiance légitime qui trouve surtout à s'appliquer en matière économique, fait partie de l'ordre juridique communautaire ainsi que l'a affirmé la Cour de justice des Communautés dès l'arrêt du 3 mars 1978 Tôpfler c/ Commission (Rec 1978, p. 1019). Dans un arrêt de 1983 Mavridis c/ Parlement la Cour a précisé que le droit de se prévaloir du principe de confiance légitime appartient à tout particulier se trouvant dans une situation dont il ressort que l'administration a fait naître à son profit des espérances fondées (19 mai 1983, Rec 1983 p. 1731). Ce principe a été également reconnu par la Cour européenne des doits de l'homme qui, dans l'arrêt de 1979 Marckx c/ Belgique a déclaré : "le principe de sécurité juridique nécessairement inhérent aux droits de la convention comme au droit communautaire" (C.E.D.H. 13 juin 1979, AFD1 1980, p. 317. ) Certains tribunaux administratifs ont commencé à lui conférer une valeur juridique en droit français (Tribunal administratif de Strasbourg, 8 décembre 1994 Entreprise Freymuth c/ Min. de l'environnement, A.J.D.A. 1995, p. 555, concl. J Pommier et note B. Pacteau "La Sécurité juridique, un principe qui nous manque" A.J.D.A. n° spécial juin 1995 p. 151).

* 9 En l'état actuel de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel considère que le principe de sécurité juridique ne repose sur aucune règle ni aucun principe constitutionnel (Cons. Const. 3 août 1994, J.O. 6 août 1994 p. 11.495).

* 10 Conseil constitutionnel, 3 août 1994, décision n° 94-348 DC

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