ARTICLE 28 - Relèvement de la taxe due par les concessionnaires d'autoroutes

Commentaire : Le présent article double le tarif de la taxe créée par l'article 22 de la loi de finances pour 1995. Son produit est affecté au "fonds d'intervention des transports terrestres et des voies navigables" créé par l'article 37 de la loi d'orientation pour le développement et l'aménagement du territoire.

I - LA SITUATION ACTUELLE DES SOCIÉTÉS D'AUTOROUTES AU REGARD DE LA TAXE

Le régime de la taxe d'aménagement du territoire (TAT) n'appelle pas de commentaires particuliers. Il est en effet très simple. Il s'agit d'une taxe ad volumen, assise sur le nombre de kilomètres parcourus par les usagers. Cette assiette est aisément mesurable, puisque les véhicules doivent systématiquement faire l'objet d'un contrôle de distance pour acquitter le péage. Son tarif est de deux centimes par kilomètre en 1995. Ses modalités de recouvrement sont identiques à celles de la TVA.

D'un rendement escompté d'1,1 milliard de francs, la taxe devrait rapporter 980 millions de francs en 1995 répartis entre les différents concessionnaires :

(en millions de francs)

En principe, les sociétés d'autoroutes devront recourir à l'emprunt pour financer cette taxe, car il est expressément prévu qu'elle ne s'imputera pas sur les tarifs de péage, auxquels elle n'est volontairement pas liée (n'étant pas assise sur le chiffre d'affaires), ni sur une réduction des programmes d'investissement.

Mais, remettant en cause l'équilibre financer à moyen terme des sociétés, elle a nécessité des avenants aux contrats de concession afin d'en rallonger la durée : de deux ans pour les trois sociétés mères des pôles d'économie mixte (ASF, SANEF, SAPRR), un an pour les filiales (respectivement ESCOTA, SAPN, AREA) et la STMB (74 ( * )) . Les concessions s'achèvent donc actuellement vers 2013/2017 pour les sections existantes et celles à construire figurant dans les cahiers des charges des différentes sociétés.

II - LES CONSÉQUENCES DU DOUBLEMENT DU TARIF

Le présent article double le tarif de la taxe d'aménagement du territoire.

La logique de ce doublement n'est guère contestable dans son principe. Cette recette servira en effet à alimenter le fonds d'intervention des transports terrestres et des voies navigables (FITTVN), financé par ailleurs par une taxe sur les ouvrages hydroélectriques. Malgré ce doublement, le fonds n'atteindra que 3,05 milliards de francs en 1996, ce qui reste très en deçà des montants nécessaires pour financer les tâches gigantesques qui lui sont assignées : liaisons fluviales à grand gabarit, lignes de TGV, autoroutes de désenclavement.

L'objectif de la taxe sur les autoroutes concédées est conforme à l'esprit de la loi : sur les 2 milliards de francs de recettes attendues, 1,65 iront au financement des trois grandes voies de désenclavement du Massif central A75, A20 et RN7. Il s'agit en quelque sorte d'une péréquation entre les liaisons rentables concédées, et certaines liaisons d'aménagement du territoire non rentables et gratuites.

Cependant, ce doublement ne pose pas moins deux difficultés sérieuses : dans la forme d'une part, et surtout dans ses conséquences financières.

Dans la forme, on peut remarquer que cette augmentation intervient alors même que l'encre des contrats de plan État/sociétés d'autoroute, celle des avenants aux concessions et aux cahiers des charges, est encore humide. Or, ces documents avaient précisément été calibrés sur le tarif initial de la taxe, en prévoyant des clauses d'évolution des tarifs de péage indépendants de cette taxe et un allongement de la durée des concessions. En aucun cas ils n'ont anticipé la hausse du prélèvement.

A peine vient-on d'accroître l'autonomie des sociétés d'autoroute, en contractualisant leurs relations avec l'État, que celui-ci modifie unilatéralement la donne. Quelle que soit la légitimité de cette modification, elle ne peut qu'entamer l'équilibre des concessions à terme, et surtout manifeste la complète instabilité de l'État dans ses relations avec les entreprises publiques. Un fois de plus, l'État fait preuve d'une ambiguïté désormais bien connue entre ses intérêts patrimoniaux à long terme d'actionnaire et ses intérêts budgétaires (75 ( * )) .

Plus préoccupantes sont les conséquences financières qu'il faudra tirer de l'aggravation de la taxe.

Quatre solutions sont envisageables : un nouvel allongement de la durée des concessions ; une augmentation de l'endettement ; une révision en baisse des programmes d'investissement ou une répercussion sur les péages.

La première solution paraît impraticable car sans efficacité. En effet, coûtant 2 milliards de francs par an au total, la taxe représente 8,8 % des recettes de péage (76 ( * )) , et dépasse les deux tiers de la masse salariale des sociétés. Elle est susceptible de provoquer un déficit durable de trésorerie, ainsi que l'illustre le graphique suivant pour les six Sociétés d'Économie Mixte Concessionnaires d'Autoroutes (SEMCA) assujetties :

Répercussion de la taxe sur la situation de trésorerie des 6 SEM

Source : Association française des sociétés d'autoroutes

L'allongement des concessions n'aurait alors de sens que si les sociétés pouvaient bénéficier d'une réduction de leurs charges annuelles d'emprûnt. Mais ces emprûnts sont remboursables in fine et à intérêt annuel : le problème n'est donc pas soluble. Même si l'allongement de la durée des concessions peut faciliter la rentabilité des entreprises à terme, il ne résoud pas le problème de la trésorerie et donc ne peut se substituer à l'une des trois autres solutions.

Le recours à une augmentation de l'endettement serait d'un intérêt économique très douteux. Les sociétés d'autoroutes sont déjà très endettées : plus de 100 milliards de francs ; soit plus de quatre fois leurs recettes de péages. On peut rappeler que la dette de la SNCF n'est que de trois fois son chiffre d'affaires, et que cela est jugé catastrophique... L'accroissement de cet endettement est très dynamique : + 9,4 % en 1994 ; et l'accélération du programme autoroutier aura pour effet de le dynamiser encore. Il pourrait ainsi atteindre 200 milliards de francs à l'horizon 2006. Or les fonds propres des sociétés d'autoroutes restent très faibles : 3 milliards de francs, après recapitalisation par Autoroutes de France, établissement public qui fait le lien entre l'État et les sociétés. Le service de la dette représente actuellement 58 % des recettes des sociétés. Dans ces conditions, il serait très dangereux d'augmenter la dette sans être à peu près sûr d'un bon niveau de retour sur investissement. Or les coûts des programmes sont croissants tandis que l'augmentation du trafic fléchit, et les prévisions de recettes aussi par voie de conséquences.

Évolution de l'intensité kilométrique (à réseau constant)

En fait, le recours à l'endettement n'aurait qu'un intérêt optique : substituer l'endettement des sociétés d'autoroute à celui de l'État. Mais cette substitution ne fait guère illusion : à l'exception de COFIROUTE, qui représente moins de 15 % du chiffre d'affaires consolidé des autoroutes françaises, les sociétés d'autoroutes sont détenues par l'État, directement et via ADF, à plus de 90 %. Qui peut dire que leur dette n'est pas celle de l'État, qui la garantit au travers des emprunts de la Caisse Nationale des Autoroutes (CNA) ? La seule différence est que la charge de la dette de la CNA est plus lourde que celle de l'État qui obtient de meilleures conditions sur le marché obligataire. Si, comme c'est le cas à la SNCF depuis dix ans, les lourds investissements des autoroutes n'avaient pas la rentabilité attendue, une nouvelle hypothèque pèserait sur les finances publiques.

La troisième solution, un ralentissement des programmes d'investissement serait certainement plus efficace financièrement, mais de toute évidence contraire à la volonté du gouvernement. En effet, la taxe d'aménagement du territoire n'a pas pour but de favoriser la construction de certains axes au détriment d'autres. En particulier, ce serait une impasse que de vouloir absolument financer des axes a priori peu fréquentés et ralentir la construction d'itinéraires rentables. L'aménagement du territoire et l'emploi n'y trouveraient pas leur compte. Chaque milliard de francs investi dans les autoroutes représente 3.000 emplois, et un kilomètre en fonctionnement nécessite 4 emplois permanents. Enfin, il serait très peu cohérent de renoncer à l'accélération du programme alors qu'elle vient d'être décidée (début 1994).

Reste la seule solution économique viable : l'augmentation des tarifs de péage. Cette solution est la seule qui concilie une situation financière satisfaisante pour les sociétés sans pour autant retarder les investissements. Cette solution est d'ailleurs assez compatible avec le nouveau rôle dévolu au péage, ; à savoir une péréquation entre les tronçons amortis et rentables et les tronçons à construire, même si elle n'est guère conforme à la loi n° 55-435 du 18 avril 1955 (77 ( * )) portant statut des autoroutes. Cette solution trouve cependant sa limite dans les perturbations qu'elle peut occasionner aux autres rôles du péage : couverture des coûts de construction et d'exploitation des sections sur lesquelles il se situe, orientation conjoncturelle et structurelle du trafic, régulation de la fluidité pour raisons de sécurité. Ceci signifie qu'il ne sera pas possible d'aller très loin dans la taxation des autoroutes : la hausse correspondante des tarifs de péage pourrait nuire à la fonction économique qu'elles doivent remplir.

Devant l'Assemblée nationale, le ministre de l'aménagement du territoire de l'équipement et des transports s'est montré ouvert à toutes les solutions (78 ( * )) (mis à part un accroissement de l'endettement), tout en réaffirmant qu'il veillerait à la poursuite du programme d'investissement. Les solutions à chercher seront adaptées à la situation financière des différentes sociétés. Il est inéluctable qu'une répercussion au moins partielle sur les péages interviendra.

Votre rapporteur général vous propose d'en tenir compte par un amendement invitant le gouvernement à suivre cette voie, modérément désagréable pour les usagers, mais qui évite d'hypothéquer l'avenir des finances publiques.

Décision de la commission : Votre commission vous propose d'adopter le présent article ainsi amendé.

* 74 1 La concession de COFIROUTE a été globalement allongée de 15 ans, en raison surtout du programme de travaux important dont elle aura la charge (20 milliards de francs

* 75 Les "ambiguïtés de l'État actionnaire" - par MM. Jean Arthuis - Paul Loridant - Claude Belot - Sénat n° 591 - 1993/1994-

* 76 Calcul réalisé sur les 7 sociétés acquittant la taxe (la SFTRF, qui n'a pas d'autoroute encore en service, n'y est pas assujettie défait).

* 77 Aticle L 122-4 du code de la voirie routière

* 78 1995 - J.O. Débats n° 52 A.N. (C.R.) p. 2436

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page