III. LE RAPPORT CONSACRÉ À LA FISCALITÉ ET AU FINANCEMENT DE LA PRESSE ÉCRITE.

Le rapport du groupe de travail n° 1, présidé par M. Bernard PORTE, président du directoire du groupe Bayard Presse et dont M. Christian PHELUIRE, contrôleur d'État a été rapporteur, esquisse en préalable un « état des lieux » qui prend la mesure de la situation financière des entreprises de presse, des évolutions qu'elles subissent au regard du pluralisme et le rôle assumé par les aides publiques de caractère fiscal et financier.

Il propose ensuite un ensemble de dispositions qui, par rapport au système actuel des aides- automatique, récurrent et sans contreparties- tracent la voie nouvelle d'une politique d'accompagnement financier des entreprises de presse dans leur évolution.

A. L'ÉTAT DES LIEUX

1. Les tendances les plus importantes


• La situation économique de la presse offre une situation contrastée.

Les différents rapports et études font ressortir comme une constante l'inquiétude marquée devant la situation des quotidiens et en premier lieu des quotidiens nationaux. Ils reflètent, en effet, si on les compare sur une vingtaine d'années, une dégradation de la situation. Alors que le rapport Vedel estimait la rentabilité satisfaisante en 1974-1975, et la situation financière saine, l'étude Arthur Andersen, en 1989, portait un diagnostic plus réservé du fait d'une rentabilité inférieure à la moyenne de l'industrie, tandis que le BIPE observait, en 1993, une baisse des capacités d'autofinancement et, avec le développement la crise générale, une rentabilité insuffisante.

Le groupe de travail constate que la situation économique et financière des entreprises de presse reste néanmoins mal connue, ce qui devrait conduire les différents services concernés (SJTI, INSEE, BIPE...) à poursuivre leur coopération afin de présenter un tableau de bord permettant de suivre l'évolution des indicateurs les plus significatifs.


Les indicateurs de rentabilité et de structure financière apparaissent préoccupants particulièrement pour les quotidiens nationaux.

Depuis 1990, le chiffre d'affaires enregistre les conséquences du retournement du marché publicitaire. Les quotidiens nationaux, notamment, qui ont cumulé baisse des recettes publicitaires et érosion du lectorat, ont été les plus touchés par la crise avec une baisse de 10 % de leur chiffre d'affaires sur les deux premières années de la récession alors que la presse magazine a maintenu ses recettes nominales jusqu'en 1993.

La rentabilité du secteur, d'un niveau déjà médiocre, a subi une érosion sensible, et la capacité d'autofinancement, très satisfaisante au milieu des années 70, chute fortement à partir de 1989.

L'insuffisance des capitaux permanents touche l'ensemble de la presse, sauf les publications professionnelles ; la plupart disposent d'un fonds de roulement négatif, à l'inverse de ce qu'observait le rapport Vedel en 1975. Cet indice rend compte de la fragilité des entreprises de presse.

Demeurées longtemps à un niveau très bas, les charges financières se sont alourdies par le recours au crédit court terme entre 1989 et 1991, notamment pour les quotidiens, même si le secteur n'est pas beaucoup plus endetté que l'ensemble de l'industrie.

Les comportements des entreprises de presse s'écartent parfois d'une rationalité purement économique. Des facteurs spécifiques à l'organisation sociale de la presse écrite, tels que les rapports entre les éditeurs et le syndicat du livre et les objectifs d'indépendance et d'autonomie éditoriale, apportent des correctifs parfois importants au principe selon lequel le pouvoir de décision s'exerce à stricte proportion des apports de capitaux. Ces comportements influencent les décisions économiques tout en expliquant une certaine méfiance au regard de l'endettement long, une tendance au surinvestissement, un retard en matière de rééquipement.

Les entreprises éditrices souffrent d'une anticipation parfois insuffisante du changement. Ainsi, le déclin du lectorat traduit une difficulté de la presse française à sentir suffisamment vite la diversification et le renouvellement des attentes du public. De même, la création des grands sites d'impression s'est faite en méconnaissance de 1'évolution à moyen terme. La crise publicitaire est venue frapper des titres devenus de plus en plus dépendants de ce type de ressources.

La sortie de crise résultant du redressement vraisemblable des recettes publicitaires sera peut-être différée en raison de la hausse du prix du papier de 1 ordre de 20 % au minimum en 1995, ce qui représentera 1,9 % de la valeur ajoutée des quotidiens et 1,9 % de celle des magazines grand public.

2. La relative faiblesse économique des groupes de presse français explique les incertitudes sur le devenir du pluralisme et de l'indépendance de ce secteur.

La plupart des groupes nationaux sont d'une taille et parfois d'une solidité sensiblement inférieure à celle des groupes européens de communication. Cependant, dans le même temps, les tendances à la concentration justifient des inquiétudes sur le maintien du pluralisme.

Le pluralisme s'est affaibli au sein de la presse quotidienne en raison de la baisse du nombre de titres, du déclin du lectorat et du recul des publications indépendantes.

De 1983 à 1992, l'ensemble de la presse éditeur a connu une croissance nette de 158 titres grâce au dynamisme de la presse magazine spécialisée. Néanmoins, la presse d'information politique et générale a perdu 55 titres, parmi lesquels 17 quotidiens. En outre, nombre de titres de la presse d'information sont entrés dans des groupes financiers.

L'évolution dualiste de l'économie de la presse se confirme ainsi : à une presse magazine spécialisée dynamique s'opposent les difficultés de la presse politique et générale.

Les groupes de presse français restent d'une puissance économique relativement limitée.

Hormis « Havas » et « Matra-Hachette », la concentration s'est organisée autour de groupes dont l'activité est spécifiquement centrée sur la presse. Seulement six de ces groupes ont un chiffre d'affaires supérieur à 1,5 milliard de francs, la concentration n'excluant pas la fragilité financière (comme le démontre la situation de la « Socpresse »).

La relative faiblesse économique de la presse française constitue l'une des raisons qui ont limité sa capacité d'initiative comme le montre l'exemple du groupe « Hersant » et de « Matra-Hachette » se retirant successivement de la chaîne de télévision appelée La Cinq. Les éditeurs n'ont pu s'imposer comme partenaires dans les restructurations intervenues dans des secteurs stratégiques pour eux (industrie papetière, impression - « CIPP » ou « Groupe Jean Dider ») ou dans leur propre domaine, laissant la place à des groupes étrangers ou à des groupes directement liés à l'industrie.

Des incertitudes majeures pèsent sur l'évolution de la presse d'information politique et générale.

Nombre d'entreprises de presse locale ou régionale sont à la veille d'une transmission de patrimoine. La déstabilisation financière du principal conglomérat de quotidiens peut, à terme rapproché, remettre sur le marché trois titres nationaux et plus d'une dizaine de sociétés ou de groupes gérant des publications régionales ou locales. Enfin, les réformes statutaires rendent indécis l'avenir de plusieurs titres nationaux.

Dans le cadre du développement multimédia la presse ne pourra toujours se défendre des différentes formes d'intégration verticale.

Même si ce sont de grands groupes industriels qui constituent les opérateurs dominants du secteur audiovisuel privé, et non des groupes de presse, ceux-ci disposent néanmoins d'atouts, et, par exemple, l'importance de leur fonds documentaire.

La création de Matra-Hachette Multimédia, les alliances nouées par Havas avec France TÉLÉCOM, Ted Turner ou Sony Software, l'action de la Générale Occidentale en matière de programmes ou le développement international de Bayard Presse montrent cependant les potentialités de développement externe dont disposent ces groupes.

3. L'aide fiscale est un facteur structurel de l'économie de la presse

Estimée à 2 milliards de francs, l'aide fiscale représentait, en 1991, 3,7% du chiffre d'affaires (elle pouvait même atteindre jusqu'à 12 % de la valeur ajoutée), soit l'équivalent de la capacité d'autofinancement du secteur.

Cette prestation fiscale représente le tiers au total des aides indirectes à la presse écrite et huit fois les aides budgétaires directes.

La presse se voit, en effet, reconnaître un régime d'exception conjuguant :

- une exonération, celle de la taxe professionnelle,

- un taux de faveur en matière de TVA -celui appliqué aux biens de première nécessité-

- et enfin un mécanisme différé d'impôt, le dispositif de l'article 39 bis du CGI.

L'incidence de ces aides fiscales sur les finances publiques est controversée.

ï La moins-value que représente pour les collectivités locales l'exonération de la taxe professionnelle -dont le principe remonte à 1844- est estimée à 900 millions de francs, mais il s'agit d'une estimation brute ne prenant en compte ni le versement de la taxe d'habitation, ni l'incidence de l'exonération sur le bénéfice imposable.

ï En matière de TVA, la prestation fiscale, évaluée à 1 milliard de francs, s'apprécie comparativement au taux réduit alors que - la Cour des Comptes l'a fait remarquer - on aurait pu se référer au taux normal, ce qui aurait conduit à une évaluation beaucoup plus importante de l'aide. Le choix retenu est cependant conforme aux pratiques constatées à l'étranger.


• L'arbitrage fiscal constitué par l'article 39 bis devrait être mesuré non par le niveau brut des provisions passées au titre de l'exercice mais déduction faite des réintégrations opérées au cours de cette même année. Le montant de la dépense fiscale -250 millions apparaît donc surévalué.

De même, les effets économiques sur le comportement des entreprises ne correspondent pas nécessairement aux objectifs de l'aide fiscale.

Le taux préférentiel de TVA n'a pas eu, semble-t-il, les effets anti-inflationnistes par lesquels aurait pu se manifester la finalité « d'aide aux lecteurs » d'une telle mesure. En effet, de 1982 à 1992, les prix des périodiques ont cru nettement plus vite que le niveau général des prix. En fait, l'économie de la presse s'inscrit toujours dans le même « cercle vicieux » où fléchissement du lectorat et hausse des prix se sont mutuellement entretenus.

De même, les extensions successives de l'application de la TVA au taux de 2,1 % n'ont pas entraîné de détente durable sur l'évolution des prix.

Il est donc probable que la décrue de la fiscalité indirecte depuis 15 ans a moins profité aux lecteurs qu'elle n'a servi à limiter la tendance à la dégradation des comptes d'exploitation des entreprises de presse.

Le dispositif du 39 bis n'est pas non plus exempt de critiques. Inégalitaire par principe, puisqu'il ne peut être ouvert qu'à des entreprises bénéficiaires, il ne crée aucune obligation réelle d'investissement, de sorte que les entreprises ont la possibilité de ne l'utiliser que pour améliorer leur résultat financier. Enfin, il n'incite pas toujours au meilleur mode de financement.

En revanche, l'article 39 bis permet d'améliorer les ratios de financement, ainsi que le fonds de roulement et la trésorerie de l'entreprise.

Parfois séculaires, les avantages fiscaux en faveur de la presse apparaissent à celle-ci comme des avantages acquis qu'il semble aux auteurs du rapport difficile de remettre en cause.

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