EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 9 novembre, sous la présidence de M. Roland du Luart, vice-président, la commission a procédé à l'examen des crédits de l'intérieur, de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la citoyenneté : collectivités locales et décentralisation.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial, a rappelé que l'examen des crédits du fascicule budgétaire de l'intérieur relatifs aux collectivités locales et à la décentralisation étaient traditionnellement l'occasion d'un débat sur l'évolution des concours financiers de l'État à ces collectivités. Il a ajouté que ce débat revêtait toutefois cette année un caractère un peu particulier du fait de l'annonce par le Gouvernement d'un pacte de stabilité des relations financières entre l'État et les collectivités locales.

L'article 18 du projet de loi de finances prévoit en effet que l'ensemble des concours déjà indexés en vertu de dispositions de précédentes lois de finances doit progresser, à structure constante, de 2,1 % en 1996 par rapport à 1995, et de 2,2 % en 1997 par rapport à 1996 et en 1998 par rapport à 1997.

Le rapporteur spécial a précisé que ces taux globaux résultaient de l'application combinée de trois régimes distincts : en premier lieu, les règles d'indexation fixées par les précédentes lois de finances sont respectées pour l'ensemble des dotations à l'exception de celles applicables à la première part de la dotation globale d'équipement (DGE) des communes et à la dotation de compensation de la taxe professionnelle (DCTP) hors réduction pour embauche et investissement. En particulier, l'indexation de la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur les prix et sur la moitié du taux d'évolution du produit intérieur brut (PIB) de l'année en cours est préservé.

En deuxième lieu, la première part de la dotation globale d'équipement des communes est supprimée à compter du 1er janvier 1996 au détriment des communes et groupements de communes de plus de 20.000 habitants, dans la version de l'article 19 du projet de loi de finances initiale votée par l'Assemblée nationale.

Enfin, en troisième lieu, la dotation de compensation de la taxe professionnelle, hors remboursement au titre de la réduction pour embauche et investissement, devient, dans cette configuration, la "variable d'ajustement" permettant de limiter, au franc près, au taux prévisionnel d'évolution des prix hors tabac la progression des concours financiers de l'État inscrits dans le "périmètre" du pacte de stabilité.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial, a indiqué qu'ainsi "l'enveloppe normée" devait passer de 150.5 milliards de francs à 153,7 milliards de francs en 1996.

Poursuivant son exposé, le rapporteur spécial a précisé qu'en revanche les concours et subventions de l'État dont l'évolution n'est pas déterminée par une indexation établie par les précédentes lois de finances, sont placées hors du périmètre du pacte de stabilité. Tel est le cas en particulier du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) et du produit des amendes de police relatives à la circulation routière. La spécificité du FCTVA, qui est un remboursement et non une subvention de l'État ajustable en fonction de ses propres contraintes budgétaires, est ainsi reconnue. Se trouvent également hors de l'enveloppe normée les différentes compensations de dégrèvements et d'exonérations d'impôts locaux.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial, a souligné le fait que ces dernières n'en étaient pas moins soumises à la volonté du Gouvernement de maîtriser leur évolution. Notamment, le coût pour l'État des dégrèvements des taxes professionnelles et de taxes d'habitation serait stabilisé l'an prochain à hauteur de 34,5 milliards de francs grâce à diverses mesures dont, en particulier, le "gel" du taux appliqué aux bases nettes de taxe professionnelle dégrevées pour le calcul de la compensation versée aux collectivités locales.

Après avoir dressé ce tableau d'ensemble, le rapporteur spécial a indiqué que la commission ne devait en principe, pour l'heure, se prononcer que sur l'adoption d'une mince fraction des dotations de l'État aux collectivités locales, qui correspondent aux dotations inscrites dans le fascicule budgétaire de l'intérieur, de la réforme de l'État et de la citoyenneté, et qui s'élèvent en effet à 27,4 milliards de francs en dépenses ordinaires et crédits de paiement. Toutefois, si faible que puisse être la fraction des concours de l'État aux collectivités locales inscrites dans le "bleu" budgétaire, son adoption ou son rejet préjugerait nécessairement de la position d'ensemble de la commission sur le contenu des articles 18 et 19 du projet de loi de finances relatifs l'un et l'autre au pacte de stabilité puisque l'un des ajustements permettant à l'ensemble des concours indexés d'évoluer dans la limite fixée au niveau de l'inflation prévisionnelle est la suppression de la première part de la dotation globale d'équipement.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial, a donc annoncé d'emblée qu'il était conduit à demander à la commission de réserver son vote sur les crédits des collectivités locales et de la décentralisation jusqu'à l'examen définitif du projet de budget pour 1996 par l'Assemblée nationale en première lecture.

Au terme de cette présentation des crédits des collectivités locales et de la décentralisation, M. Michel Mercier, rapporteur spécial, a souhaité exprimer sa position personnelle sur le "pacte de stabilité" des relations financières entre l'État et les collectivités locales.

Il a jugé que la proposition du Gouvernement constituait certes une "offre alléchante". Les collectivités locales ont, en effet, la garantie de ne plus voir modifier, au cours des trois prochains exercices, les règles de progression des dotations qu'elles perçoivent. Surtout, la plus importante d'entre elles, la dotation globale de fonctionnement, conserve le régime d'indexation issu de la loi de finances pour 1994 et imposé par le Sénat, qui prévoit que l'indice de progression de la DGF est égal à l'addition du taux prévisionnel d'inflation et de la moitié du taux d'évolution du produit intérieur brut de l'année en cours.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial, a toutefois immédiatement ajouté que "l'offre alléchante" du Gouvernement avait un "goût amer". En effet, à l'issue du vote sur la première partie par l'Assemblée nationale, la dotation globale d'équipement n'est plus réservée qu'aux groupements de moins de 35.000 habitants ainsi qu'aux communes de moins de 20.000 habitants dont le potentiel fiscal par habitant est inférieur à 1,5 fois le potentiel fiscal moyen par habitant des communes de moins de 20.000 habitants. Cette disposition affecte essentiellement les grandes villes et les villes moyennes. Les départements sont également touchés avec une nouvelle amputation de la dotation de compensation de la taxe professionnelle.

Le rapporteur spécial a ainsi estimé que le pacte de stabilité apparaissait ni plus ni moins comme un instrument de maîtrise des dépenses publiques. Dans ces conditions, il est difficile de voir en lui un contrat passé entre l'État et les collectivités locales.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial, s'est finalement demandé si l'on n'assistait pas à l'apparition d'un paysage fiscal nouveau pour les collectivités locales. Pour la première fois, en effet, un dégrèvement d'impôt local décidé par l'État ne ferait plus l'objet d'une compensation intégrale puisque le projet de loi de finances prévoit que le dégrèvement accordé aux entreprises lorsque leur cotisation de taxe professionnelle dépasse une fraction de la valeur ajoutée qu'elles produisent sera désormais déterminé en multipliant les bases dégrevées par le taux appliqué par la collectivité en 1995. Si cette dernière décide de majorer son taux de taxe professionnelle à compter de 1996, le supplément de cotisation devra donc être acquitté par l'entreprise qui fera, dans ces conditions, pression pour que ce taux soit "gelé".

Le rapporteur spécial a cependant jugé que le plus grave dans le nouveau paysage fiscal qu'il voit se profiler était l'apparition de deux taxes professionnelles. L'une, la taxe professionnelle issue de la réforme de 1975, archaïque et assise sur des bases qui font l'unanimité contre elles : cette taxe vient en ressource des collectivités locales qui en contrôlent le taux. L'autre, la cotisation minimale de taxe professionnelle prévue par le projet de loi de finances, moderne car assise sur la valeur ajoutée produite par l'entreprise : cette taxe professionnelle-là est levée au profit de l'État.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial, a alors souligné le caractère dangereux de ce partage qui revient à affecter une assiette moderne à l'État et une assiette archaïque aux collectivités locales. Il a rappelé qu'en outre le Parlement avait refusé, lors de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, de s'engager sur la voie d'une taxe professionnelle levée à l'échelon national et reversée aux collectivités locales en fonction de mécanismes partiellement péréquateurs.

Un large débat s'est alors ouvert auquel ont participé MM. Philippe Adnot, René Régnault et Jean-Philippe Lachenaud et Mme Marie-Claude Beaudeau.

M. Philippe Adnot s'est, en premier lieu, réjoui du choix du Gouvernement de ne pas placer dans le périmètre du pacte de stabilité le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée.

Il a, ensuite, fait observer que si les communes subissaient la suppression de la première part de la dotation globale d'équipement, elles étaient aussi les bénéficiaires indirects de la réduction des parts départementale et régionale des droits de mutation sur immeubles d'habitation. En effet, l'abattement décidé lors du dernier collectif budgétaire devrait avoir pour effet de relancer les transactions et donc d'accroître les droits communaux qui ne sont pas eux affectés par la réduction.

M. Philippe Adnot a noté qu'en revanche les départements étaient relativement plus défavorisés par le pacte de stabilité puisque le solde négatif des gains réalisés par la croissance de la DGF et des pertes constatées sur la DCTP s'élèverait de 50 à 60 millions de francs.

Il a souhaité que le rapporteur spécial précise, à ce sujet, les règles d'amputation de la dotation de compensation de la taxe professionnelle.

Enfin, M. Philippe Adnot s'est inquiété des modalités proposées par le Gouvernement pour la répartition de la majoration de DGF prévue pour compenser le coût de la suppression de la franchise postale pour les communes. Le principe d'une ventilation en fonction exclusive du nombre d'habitants ne permet pas, en effet, de tenir compte du poids proportionnellement plus élevé des charges d'affranchissement du courrier dans les petites communes.

M. René Régnault a salué comme un élément positif le respect des règles d'indexation de la DGF pour les trois prochaines années tout en rappelant que, depuis la réforme inscrite dans la loi de finances pour 1994, l'indice de progression n'était plus calculé sur deux tiers mais sur la moitié du taux d'évolution du produit intérieur brut.

Portant un jugement d'ensemble sur le pacte de stabilité, il a toutefois affirmé que l'État n'était pas "raisonnable" avec les collectivités locales. Il a, en particulier, estimé que la suppression de la dotation globale d'équipement pour les villes moyennes et les grandes villes était une atteinte aux règles de la décentralisation puisque c'est la loi du 7 janvier 1983 qui avait prévu la globalisation des subventions d'équipement.

M. René Régnault a ensuite attiré l'attention de la commission sur les modalités de calcul de la dotation spéciale instituteurs (DSI) qui entraînent des transferts insidieux de charges au détriment des communes. Le comité des finances locales a ainsi rejeté, au cours de sa séance du 24 octobre, la proposition du Gouvernement de fixer le montant unitaire de la DSI versée en 1995 au même niveau qu'en 1994, alors que les charges réelles imposées par les préfets aux communes sont en augmentation.

Puis, M. René Régnault a dressé un tableau de l'évolution des dégrèvements et des exonérations de taxe professionnelle décidés par les différents gouvernements et a souligné la dégradation des conditions de leur compensation aux collectivités locales par l'État.

S'agissant des dispositions du projet de loi de finances pour 1996, il a exprimé son opposition au "gel" du taux de taxe professionnelle servant de référence pour le calcul de la compensation du dégrèvement accordé aux entreprises dont la cotisation excède un certain seuil de leur valeur ajoutée. Il s'est également interrogé sur la constitutionnalité du détournement au profit de l'État d'un impôt local, la taxe professionnelle, au travers des mécanismes de la cotisation minimale instituée par l'article 11.

Revenant sur la notion même de pacte de stabilité, M. René Régnault a estimé que les collectivités locales devaient se sentir "trahies" : alors qu'elles réclamaient une non remise en cause définitive des règles en vigueur, le Gouvernement leur offre une simple stabilité en volume des concours financiers de l'État. En outre, le relèvement de 3,8 points du taux de la cotisation employeur de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, imposé au début de l'année, paraît définitivement acquis lors que ses conséquences financières ont été lourdes pour les collectivités locales.

En conclusion, M. René Régnault a souhaité que le rapport du Gouvernement dressant le bilan de la réforme de la dotation globale de fonctionnement en 1994 et en 1995 fasse l'objet d'un examen et d'un débat au sein de la commission.

M. Jean-Philippe Lachenaud a, tout d'abord, souligné l'ambiguïté de la notion de pacte de stabilité. Il a ainsi regretté qu'elle ne recouvre pas les conséquences financières pour les collectivités locales des dispositions d'ordre légal ou réglementaire prises par l'État.

S'agissant de la suppression de la dotation globale d'équipement pour les villes moyennes et les grandes villes, il s'est déclaré surpris d'une mesure qui revient à créer une discrimination entre les communes selon leur population.

M. Jean-Philippe Lachenaud a, ensuite, souhaité que le rapporteur spécial demande au Gouvernement de dresser un bilan de la première année d'application du dispositif de la loi du 6 février 1992 relative à l'administration territoriale de la République qui prévoit le reversement, par priorité, au profit des groupements à fiscalité propre dont les bases ont été écrêtées. de deux tiers au moins, trois quarts au plus du montant de l'écrêtement transitant par le fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle. Il s'est, à titre personnel, montré inquiet de ce mécanisme dont il a estimé qu'il avait pour effet de conduire à la création de groupements dotés d'une fiscalité propre pour des motifs de pure opportunité.

Il a jugé souhaitable d'obtenir du Gouvernement qu'il précise sa vision à plus ou moins long terme de l'avenir de la dotation de compensation de la taxe professionnelle. Plusieurs indices laissent, en effet, penser qu'il en souhaite la disparition mais il serait préférable, dans ces conditions, qu'il le dise franchement.

M. Jean-Philippe Lachenaud s'est également interrogé sur la volonté du Gouvernement de mener une réforme d'ensemble de la taxe professionnelle. Là encore, il serait souhaitable que ce dernier précise ses intentions, notamment en indiquant s'il désire ou non inscrire cette réforme dans le projet de loi d'orientation fiscale qui devrait être discuté au début de l'année prochaine.

S'agissant enfin de la réduction des droits de mutation à titre onéreux sur immeubles d'habitation prévue dans le collectif budgétaire du 4 août 1995, M. Jean-Philippe Lachenaud a indiqué que cette mesure priverait cette année la région d'Île-de-France de 800 millions de francs sur un budget de 9 milliards de francs et le département du Val d'Oise de 60 millions de francs, soit l'équivalent de cinq points de fiscalité. Il s'est demandé si la compensation par l'État des pertes ainsi subies était garantie par le pacte de stabilité.

Mme Marie-Claude Beaudeau a jugé à son tour décevant le pacte de stabilité proposé par le Gouvernement, notant que l'objectif du Gouvernement demeurait, sous cet habillage, d'imposer plus de rigueur aux collectivités locales.

Elle a ensuite estimé insuffisantes les augmentations de la dotation régionale d'équipement scolaire et de la dotation départementale d'équipement des collèges.

Elle s'est enfin interrogée sur les répercutions sur les budgets des collectivités locales des mécanismes de financement des contrats emploi-solidarité.

En réponse aux questions de M. Philippe Adnot, le rapporteur spécial a jugé contestable l'idée selon laquelle la suppression de la dotation globale d'équipement des villes moyennes et des grandes villes pourrait, en quelque sorte, être justifiée par les gains qui devraient revenir aux communes du fait de l'augmentation du volume des transactions sur immeubles d'habitation.

Il a précisé les règles de calcul de la dotation de compensation de la taxe professionnelle en 1996 : le montant théorique compte tenu des règles habituelles d'évolution fera l'objet d'une première réduction de 7,48 % uniformément imposée à toutes les collectivités bénéficiaires ; c'est sur cette enveloppe réduite que viendra ensuite s'imputer la ponction instituée par l'article 54 de la loi de finances pour 1994.

Il a enfin suggéré au même intervenant de faire des propositions en vue d'une nouvelle clé de répartition entre les communes de la majoration de 67,5 millions de francs de la DGF prévue au titre de la compensation des coûts liés à l'abandon de la franchise postale.

M. Michel Mercier, rapporteur spécial, a ensuite estimé qu'il convenait de nuancer les propos de M. René Régnault : d'une part, en effet, le pacte de stabilité contient deux points forts qui sont le respect scrupuleux des règles d'indexation de la DGF et la reconnaissance du caractère de remboursement du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée. D'autre part, il est excessif de voir dans la suppression de la première part de la dotation globale d'équipement des communes une atteinte aux principes de la décentralisation alors que personne ne conteste que le taux de subvention autorisé par ce mécanisme - 2,04 % en 1995 - était trop faible.

Réunie une première fois le jeudi 9 novembre 1995, sous la présidence de M. Roland du Luart, vice-président, la commission des finances a décidé de reporter, après l'examen en séance publique des articles de première partie du projet de loi de finances pour 1996 sa décision relative aux crédits du budget de l'Intérieur, réforme de l'État, décentralisation et citoyenneté, consacrés aux collectivités locales et à la décentralisation.

Réunie le samedi 25 novembre 1995, sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, à l'issue de l'examen par le Sénat des articles de première partie du projet de loi de finances pour 1996 et notamment des articles 18 ("Détermination de l'enveloppe des concours de l'État aux collectivités locales") et 19 ("Suppression de la première part de la dotation globale d'équipement des communes"), la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de l'Intérieur, réforme de l'État, décentralisation et citoyenneté consacrés aux collectivités locales et à la décentralisation.

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