III. LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE ET LE DÉFI AMÉRICAIN

A. L'EFFORT DE DÉFENSE EUROPÉEN : UN PEU PLUS DE LA MOITIÉ DE CELUI DES ÉTATS-UNIS

La comparaison et les rapprochements des données budgétaires d'un pays à l'autre, se heurtent à de nombreuses difficultés, qu'il s'agisse de certaines réticences des pays concernés ou de données plus objectives celles des différences dans la définition même des dépenses militaires, la structure des budgets, la durée des exercices budgétaires.

Nous retiendrons ici les données produites par les pays membres de l'OTAN qui normalisent la présentation du budget autour de trois agrégats.

ï dépenses de personnel : rémunérations, habillement, alimentation ;

ï dépenses de fonctionnement : pensions et retraites, entretien des matériels, carburants et munitions ; vie courante des unités ;

ï dépenses d'équipement recherches, développement, fabrications et infrastructures.

S'agissant plus précisément des dépenses d'équipement la comparaison s'établit comme suit :

(En milliards d'unités de compte courantes)

On constate que les États-Unis consacraient en 1992 à leur budget d'équipement le double des crédits figurant aux budgets des quatre principaux pays européens, et malgré la diminution de ce budget, en 1994, 1,7 fois le total de ceux-ci. L'impact des dépenses militaires américaines est, en outre, beaucoup plus bénéfique aux entreprises nationales puisque ces dépenses ne sont pas fragmentées entre des industries de 4 pays, redondantes et parfois concurrentes.

La décroissance du budget d'équipement américain est, du reste, sélective : elle touche beaucoup plus les fabrications (- 25 % de 1992 à 1994) que les recherches (- 10 % durant la même période).

Et globalement, l'effort de défense des États-Unis se traduit par un prélèvement de 4 % sur le P.I.B. contre un prélèvement moyen de 2,5 % pour les pays européens.

B. LA NOUVELLE POLITIQUE DE DÉFENSE AMÉRICAINE ET L'AGRESSIVITÉ PERSISTANTE SUR LES MARCHÉS D'ARMEMENT

1. La nouvelle politique de défense

Amorcé après l'éclatement de l'URSS par le Président Bush, le nouveau cours de cette politique a été accentué par le Président Clinton dès son arrivée au pouvoir. La ligne générale est celle d'une intervention sélective mais directe de l'État fédéral pour renforcer le dynamisme et la compétitivité de l'industrie américaine dans son ensemble. Dans cette perspective, l'industrie de défense est considérée comme devant contribuer à ce dynamisme et à cette compétitivité : elle sert l'économie autant que les armées.

La réduction très sensible des effectifs ramenés d'ores et déjà de 2 millions d'hommes en 1989 à 1,5 million et qui va se poursuivre rend possible une diminution sensible des dépenses de fabrication d'équipement.

En revanche la recherche reste préservée pour assurer, au moins, et dans tous les domaines, une « veille technique » et permettre des fabrications, en quelques exemplaires, destinés à être testés sur le terrain. Le financement de la recherche sur fonds publics permet, à la fois, d'orienter celle-ci vers des secteurs jugés prioritaires, de pousser à l'innovation et à la performance et de maintenir la compétitivité à l'exportation d'entreprises ainsi exonérées d'une partie au moins des dépenses de recherche.

Parallèlement des mesures très importantes ont été prises pour réduire les coûts par une révision systématique des spécifications proprement militaires destinées à en éliminer le plus grand nombre pour aboutir à des achats de pièces, d'éléments ou de composants existant sur le marché. L'ensemble du système de normes spécifiquement militaires est actuellement réexaminé au sein du ministère de la Défense américain. La plupart d'entre elles seront abandonnées. On attend de cette réforme, elle aussi très profonde et très rapidement menée, une amélioration sensible des conditions d'acquisition des matériels : disparition des limitations à la concurrence, la complexité du système normatif privilégiant quelques sociétés ayant investi pour être conformes à celles-ci, atténuation des surcoûts importants dus aux procédés de fabrication spécifiques, stimulation des technologies de pointe et accroissement de la productivité, les normes étant remplacées par des spécifications de performances laissant aux industriels le choix des procédés de réalisation. Privilégiant ainsi les standards des marchés, l'industrie américaine va, de plus, renforcer sa capacité d'adaptation à la coopération et à l'exportation et renforcer sa position dans ces deux domaines.

La politique de reconversion et de restructuration, quant à elle, est menée avec une détermination - pour ne pas dire une brutalité - sans failles : elle admet la disparition de la moitié des effectifs et de la moitié des entreprises existantes. Mais elle n'est pas exclusive d'aides publiques à celles qui se restructurent.

L'événement marquant de l'année 1994 - nous l'avons signalé dans notre précédent rapport - a été, sans conteste, le rapprochement Northrop-Grumann qui a permis la création d'un groupe dont le chiffre d'affaires est d'environ 50 milliards de francs et surtout la fusion de Martin Marietta et de Lockheed. La nouvelle entité comptera 170 000 salariés et son chiffre d'affaires sera d'environ 125 milliards de francs (il sera donc largement supérieur au budget d'équipement de l'ensemble de nos armées). Ce « géant » américain qui est également un « géant » mondial dans le domaine des missiles et des avions de combat est né du reste très rapidement. Il n'a fallu, en effet, que 5 mois pour mener à son terme l'opération qui a nécessité notamment de négocier l'échange d'actions d'un montant de plus de 50 milliards de francs. La rapidité de l'opération montre la réactivité de l'économie américaine et ses facultés d'adaptation.

L'événement marquant de 1995 pourrait être le rapprochement voire la fusion des deux plus grandes entreprises mondiales de l'aéronautique : Boeing et Mc Donnel Douglas. A elles deux ces entreprises monopolisent près de 85 % des commandes aéronautiques civiles dans le monde mais sont complémentaires puisque Mc Donnel Douglas doit la plupart de ses ventes et de ses profits à l'aéronautique militaire (avion de combat F 15 et F 18, hélicoptère APACHE, avions de transports) alors que Boeing réalise les ¾ de ses activités dans le secteur aéronautique civil. Le chiffre d'affaires de ces deux entreprises est d'environ 120 milliards de dollars (108 par Boeing, 13 pour Mc Donnel Douglas).

Il suffit de rappeler le chiffre d'affaires de l'Aérospatiale (50 milliards de francs) ou de Dassault-Aviation (12 milliards de francs) pour mesurer toute la portée qu'aurait un tel rapprochement et toutes les conséquences pour l'industrie aéronautique européenne.

2. L'agressivité sur les marchés à l'exportation

Le premier pays exportateur est, de loin, les États-Unis, même si à certaines périodes et pour certains armements ils sont supplantés par d'autres pays. Signalons d'ailleurs que la position de l'Allemagne telle qu'elle ressort des tableaux ci-dessous paraît surtout circonstancielle : ce pays « brade » actuellement les surplus d'équipements de l'ex « Volksarmee » plus qu'il ne vend les produits de son industrie.

Principaux pays exportateurs d'engins terrestres de 1992 à 1994

Principaux pays exportateurs de bâtiments de guerre de 1992 à 1994

Principaux pays exportateurs d'aéronefs de 1992 à 1994

Sources : Registre des ventes d'armes de l'ONU (publiées d'après les déclarations des pays fournisseurs et des pays clients). Ce registre minore les livraisons d'armes effectuées par la Russie qui ne les déclare pas systématiquement.

Fortifiées par de profondes restructurations, contraintes par la baisse du budget fédéral à trouver de nouveaux marchés, les entreprises américaines se montrent de plus en plus agressives, et ne dissimulent pas qu'elles visent à évincer l'Europe des marchés où celle-ci était présente de longue date.

L'implication directe des plus hauts responsables politiques dans le placement des contrats les plus importants vient encore fortifier la position exportatrice des industries américaines.

Les manipulations monétaires constituent, en outre, une arme d'une redoutable efficacité ; elles favorisent l'industrie nationale et en même temps qu'elles pénalisent les concurrents étrangers. Une baisse du dollar de 10 centimes fait ainsi perdre 250 millions de francs à l'Aérospatiale ; on peut également rappeler les déboires financiers de GIAT-Industries provoqués par la gestion malheureuse des acomptes en dollars versés par les Emirats arabes unis qui a déjà engendré une perte d'un milliard de francs pour cette société.

Face à ce formidable concurrent, les pays européens ne montrent pas toujours la solidarité que l'on pourrait attendre de leur appartenance géopolitique, culturelle, historique et institutionnelle à une même entité. Faut-il rappeler que le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont préféré acheter l'hélicoptère américain « APACHE » plutôt que de soutenir le programme « TIGRE » ? Faut-il souligner que le programme de l'avion de transport futur ne s'est pas trouvé fortifié - tant s'en faut - par l'achat britannique d'avions américains C 130 et que la participation de la Grande-Bretagne au consortium industriel ne devra être envisagé que sous réserve d'un engagement d'achat ?

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page