Rapport général n° 77 (1995-1996) de M. Maurice BLIN , fait au nom de la commission des finances, déposé le 5 décembre 1995

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N°77

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995.

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances pour 1996, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

Par M. Alain LAMBERT,

Sénateur,

Rapporteur général.

TOME III

LES MOYENS DES SERVICES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

(Deuxième partie de la loi de finances)

ANNEXE N° 46

DÉFENSE


• EXPOSÉ D'ENSEMBLE ET DÉPENSES EN CAPITAL

Rapporteur spécial : M. Maurice BLIN

(1) Cette commission est composée de MM. Christian Poncelet, président ; Jean Cluzel, Henri Collard, Roland du Luart, Jean-Pierre Masseret, vice-présidents ; Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Emmanuel Hamel, René Régnault, François Trucy, secrétaires ; Alain Lambert, rapporteur général ; MM. Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Bernard Barbier, Jacques Baudot, Claude Belot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Guy Cabanel, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Yvon Collin, Jacques Delong, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Philippe Marini, Marc Massion, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Oudin, Alain Richard, Maurice Schumann, Michel Sergent, Henri Torre, René Trégouët.

Voir les numéros ;

Assemblée nationale (l0 ème législ.) : 2222, 2270 à 2275 et T.A. 413.

Sénat : 76 (1995-1996).

Lois de finances.

PRÉSENTATION GÉNÉRALE

1 - Le projet de budget pour 1996 aurait dû être la deuxième annuité de la loi de programmation 1995-2000.

Cette référence cesse d'être pertinente pour deux raisons essentielles :

ï les annulations de crédits opérées par la loi de finances rectificative de 1995 (- 8,4 milliards de francs puis - 3,5 milliards de francs) ;

ï le décalage de - 10,7 milliards de francs de l'annuité 1996 par rapport aux prévisions de la loi.

Il convient d'ajouter les conséquences de l'augmentation de la TVA qui diminue d'environ 2 milliards de francs le « pouvoir d'achat » du budget de la Défense, en année pleine, ainsi que l'incidence de l'évolution prévue des prix du PIB (+ 2 %).

2 - Exercice obligé, le projet de budget pour 1996, dans la mesure où il s'efforce de préserver l'avenir doit permettre d'assurer la transition vers des budgets, dont tout porte à croire qu'ils continueront à décroître. Ceux-ci devront s'inscrire dans de nouveaux choix - que le ministre de la Défense a qualifié de « draconiens » - permettant de redonner aux programmes d'équipement une cohérence mise à mal par les palliatifs habituels (étalements, reports, réductions de cibles, gels et reports de crédits etc...)

C'est dire l'intérêt des travaux du Comité stratégique installé par le ministre de la Défense au mois de juillet dernier. Il est composé des principaux responsables civils et militaires du ministère et de collaborateurs du Président de la République et du Premier Ministre.

Ce Comité - c'est son mandat - doit proposer au gouvernement et au chef de l'État de véritables choix. Sa tâche n'est donc pas facile, ce d'autant moins que ses travaux sont enserrés dans des délais très courts puisque les premières propositions sont attendues pour le mois d'octobre et que le Comité est expressément invité à réexaminer certaines orientations du Livre blanc lui-même (hypothèses d'engagement des forces, taux de professionnalisation, notamment).

3- Budget de transition, le budget en projet est également un budget d'orientation dans la mesure où il amorce une diminution des crédits militaires.

Si l'on considère, en effet, que les annuités budgétaires, 1995 et 1996, annoncent ce que pourrait être à l'avenir une croissance nulle du titre V, les enjeux d'une telle évolution sont considérables et le sont encore plus, bien entendu, en cas d'évolution négative :

ï enjeux financiers : par rapport aux mesures prévues par la loi de programmation 1995-2000 : baisse du niveau des ressources de 55 milliards de francs sur la période considérée (auxquels s'ajoute une baisse de 10 milliards de francs consécutive à l'alourdissement du poids de la TVA) ;

ï enjeux opérationnels, compte tenu des programmes majeurs en cours de développement ou de fabrication : RAFALE, char LECLERC, porte-avions nucléaire, hélicoptère TIGRE et NH 90, notamment ;

ï enjeux industriels aussi bien en terme de capacités et de compétences, que d'emplois (on considère qu'une réduction d'un milliard de francs en investissement entraîne, à terme, la suppression d'environ 2500 emplois directs et indirects).

Tous ces enjeux ont, bien entendu, une résultante européenne, pour ce qui concerne l'avenir des programmes en coopération ou l'intégration des forces dans des structures multinationales.

4 - La politique industrielle de défense qui fait l'objet des travaux de l'un des cinq groupes du Comité stratégique appelle quelques commentaires particuliers :

L'industrie nationale de défense représente un chiffre d'affaires de plus de 100 MdF et des effectifs directs de 215.000 personnes. Soutenue par des programmes d'équipements nationaux substantiels et par de grands contrats à l'exportation, elle a pu jusqu'à une date récente, maintenir globalement son activité. Dans le même temps, les industries de nos alliés (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne) régressaient ce qui les a obligés à des restructurations que nous sommes maintenant obligés d'engager plus tardivement sous l'effet de divers facteurs :

ï réduction prévisible de l'effort d'équipement militaire en raison de contraintes budgétaires accrues ; et cela alors que plusieurs entreprises (Aérospatiale, SNECMA, GIAT-Industries) ont besoin d'être recapitalisées ;

ï atténuation de la distinction traditionnelle entre industrie et recherche, compte tenu de l'évolution du secteur vers la haute technologie ;

ï mise en cause du cloisonnement des secteurs militaires et civils en raison du développement des technologies dites duales et des progrès des technologies civiles.

Deux grands objectifs ont été assignés au groupe de travail « ad'hoc » :

ï la réduction des coûts par une rationalisation de la politique d'acquisition (développement des avances remboursables et des commandes fermes, gestion des compensations en cas d'achats à l'étranger, auto-financement du développement etc...) et par une rénovation des méthodes d'achats (mise en concurrence plus systématique dans un cadre européen, forfaitisation, conclusion de contrats de longue durée etc) ;

ï la réforme de la conduite des programmes d'armement : accroissement de la rapidité de l'information technique et financière sur le déroulement des programmes, adaptation des méthodes issues du secteur civil, distinction plus nette dans le suivi des programmes des fonctions commerciales (évaluation financière, négociation éventuelle) et des fonctions techniques (spécifications), prise en compte des conséquences de la coopération internationale sur le mode de gestion et de financement des programmes.

Il importe que ces objectifs soient considérés comme des objectifs à court terme, pouvant produire leurs premiers effets dès 1996.

5 - S'agissant des personnels, le budget en projet prévoit une diminution des effectifs (- 5718 emplois) cohérente avec les prévisions de la programmation (- 5000 par an en moyenne).

Les personnels font l'objet d'un examen approfondi par le Comité stratégique, qu'il s'agisse de leurs effectifs, de leur statut, de leur répartition par catégories (civils et militaires).

De ce point de vue tout accroissement notable de la professionnalisation des armées, dans l'hypothèse d'une enveloppe budgétaire rétrécie, trouve sa limite dans l'équilibre nécessaire entre le titre III et le titre V pour éviter, du fait du coût de la professionnalisation, le transfert d'une part des ressources d'équipement sur les dépenses de fonctionnement, grevées, par ailleurs, année après année, par le surcoût des opérations extérieures.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des Finances a procédé le jeudi 9 novembre 1995 à l'examen des crédits de la Défense : exposé d'ensemble et dépenses en capital et article 36, sur le rapport de M. Maurice Blin, et dépenses ordinaires et article 35 et État D annexé à l'article 37, sur le rapport de M. François Trucy.

M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a tout d'abord souligné que le projet de budget, qu'il a qualifié de budget de transition et de budget d'attente, marquait, d'ores et déjà, une rupture par rapport aux budgets précédents et aux prévisions de la loi de programmation.

Il a fait remarquer que globalement les crédits régressaient de 3,3 % et que l'essentiel de la réduction portait sur le titre V (- 6,3 %) puisque le titre III progressait de 1,3 %. Par rapport à la première annuité de la loi de programmation, même en tenant compte des crédits de report et de fonds de concours, l'écart est de plus de 10 milliards de francs ; la part du budget de la Défense dans le PIB passe ainsi de 2,6 en 1995 à 2,4 % en 1996.

M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a ensuite présenté les différents postes du titre V. Pour tous ceux-ci les crédits diminuent mais le nucléaire, l'espace et le renseignement sont relativement moins touchés que les études et les équipements conventionnels. La baisse des crédits va donc entraîner des reports de commandes ou des décalages de fabrication.

Le rapporteur spécial a estimé indispensable de préserver en priorité les programmes en coopération et de ne les retarder ou les décaler, si la nécessité s'en faisait sentir, qu'en accord avec nos partenaires.

Après avoir mentionné les courts délais imposés au comité stratégique constitué par le ministre de la Défense, pour proposer les choix fondamentaux, qui devraient inspirer la prochaine loi de programmation, le rapporteur spécial s'est interrogé sur l'avenir de notre industrie d'armement, soumise à une concurrence de plus en plus rude, du fait de la réduction du marché des armes, venue des États-Unis mais également d'Allemagne et du Royaume-Uni. Il a rappelé les besoins de recapitalisation de plusieurs entreprises, parmi les plus importantes.

Il a ensuite insisté sur l'effort indispensable en matière de réduction de coûts compte tenu aussi bien des possibilités de financement nationales que des exigences de compétitivité à l'exportation.

Un large débat s'est alors ouvert au cours duquel sont intervenus Mme Marie-Claude Baudeau, MM. Christian Poncelet, président, Alain Lambert, rapporteur général, François Trucy, Jean-Philippe Lachenaud, Jean-Pierre Masseret, Paul Loridant et Roland du Luart. En réponse aux intervenants, M. Maurice Blin, rapporteur spécial, a exprimé son entier accord sur la nécessité de bien faire connaître à l'opinion les enjeux des réductions de crédits, fait le point de la coopération européenne dans le domaine des armements, donné des indications sur l'avenir de notre panoplie nucléaire et sur les reconversions inévitables dans le secteur industriel, évoqué la conduite des essais nucléaires et insisté sur les coûts entraînés par les retards de fabrication.

La commission a alors décidé de proposer au Sénat d'adopter les crédits de la Défense (dépenses en capital). Elle a, par ailleurs, adopté les articles 36 et 37 du projet de loi de finances.

INTRODUCTION

Consacrée à la présentation générale du budget en projet, cette introduction s'attachera à le situer dans le budget de l'État, retracera l'évolution et la répartition des crédits, par grandes masses et analysera brièvement sa structure.

I. PLACE DU BUDGET DE LA DÉFENSE DANS LE BUDGET DE L'ÉTAT ET DANS LE P.I.B.

La décroissance de la part du budget de la Défense dans le budget de l'État, est due à l'accroissement de la dette publique (+ 6,1 %) et du montant des budgets civils (+ 1,7 %) alors que le budget de la Défense, en moyens disponibles, recule de 3,3 %.

La part dans le P.I.B. doit être appréciée en tenant compte d'une augmentation prévue de 4,9 % du P.I.B.

On peut noter que le montant des dépenses militaires en capital : 88,9 milliards de francs en L.F.I. dépasse légèrement celui des dépenses civiles : 84,1 milliards de francs et représente 51,4 % du total des dépenses en capital de l'État.

II. L'ÉVOLUTION ET LA RÉPARTITION DES CRÉDITS

Le projet de budget marque une régression de l'évolution constatée les années précédentes.

(En milliards de francs constants 1994)

La notion de crédits disponibles couvre, on le sait, en plus des dotations de la loi de finances de l'année, les crédits de report et les fonds de concours

COMPARAISON EN TERMES DE MOYENS DISPONIBLES

(hors pensions)

(En millions de francs courants)

L'expérience a toutefois montré l'inconsistance de cet agrégat « ressources disponibles » qui « affiche » des ressources initiales amoindries au fil des mois par les gels suivis d'annulations, des fonds de concours surévalués et des reports dont la consommation est entravée par le caractère de plus en plus tardif des arrêtés de report (1 ( * )) .

Suivre l'évolution des ressources de la Défense nécessite désormais une arithmétique complexe faite d'additions fragiles et de lourdes soustractions. Le tableau ci-dessous reconstitue toutes les opérations nécessaires pour saisir cette évolution qui altère chaque année la portée de l'autorisation parlementaire.

* Estimations.

Sources : Rapport de la Cour des Comptes sur l'exécution des lois de finances en 1993 et 1994 - Revue « Défense nationale » novembre 1995 (Y. Artru).

Depuis la date de parution de ce tableau, une nouvelle annulation de 3,5 milliards de francs, a porté les crédits votés définitifs à 83 milliards, le total des crédits ouverts à 88,9 milliards et le total des dépenses effectives à 81,5 milliards de francs

La répartition des crédits est illustrée ci-dessous.

TITRE III

Total : 100,6 milliards de francs

R.C.S. : Rémunérations et charges sociales E.P.M. : Entretien programmé des matériels

TITRE V

Total : 94,9 milliards de francs

E.P.P. : entretien programmé du personnel

III. LA STRUCTURE DU PROJET DE BUDGET

a/ Services votés et mesures nouvelles

Pour 1996, les services votés s'élèveront à 221.8 milliards de francs, les mesures nouvelles à 19.6 milliards de francs.

La révision des services votés s'est plus particulièrement traduite par des réductions d'effectifs (- 6148 emplois sur un total de 7819 emplois supprimés au budget de l'État) et des économies sur les moyens de fonctionnement.

Pour ce qui concerne le titre V. les mesures nouvelles (18,5 milliards de francs) se partagent, pour l'essentiel, entre les études et recherches (7,5 milliards de francs contre 8 milliards de francs en 1995) et les fabrications (9,1 milliards contre 10,6 milliards de francs en 1995).

b/ Autorisations de programme et crédits de paiement

Les autorisations de programme demandées pour 1996 diminuent par rapport à 1995 et 1994.

1994  : 99,1 milliards de francs

1995  : 98,2 milliards de francs

1996  : 92,4 milliards de francs

Pendant ces cinq dernières années les autorisations de programme n'ont cessé de régresser (leur montant était de 121,7 milliards de francs en 1990).

Les autorisations de programme du titre V - qui comptent pour 88,9 milliards de francs - sont exactement du même montant que les crédits de paiement.

Toutefois les autorisations de programme disponibles dépassent ces chiffres compte tenu notamment des reliquats d'autorisations non utilisées (34,5 milliards de francs à la fin de 1994).

Mais, même pour ce qui concerne les autorisations disponibles, leur montant est passé de 136,5 milliards de francs en 1991 à 130 milliards de francs en 1994. Cette situation se révèle évidemment contraignante pour la passation de commandes importantes. Il y a là un autre aspect de la « régulation budgétaire ».

PREMIÈRE PARTIE - LE PROJET DE BUDGET POUR 1996 : LA RUPTURE

La loi de programmation pour les années 1995-2000 a prévu un total de crédits pour l'équipement des armées s'élevant à 613,1 milliards de francs, et, si la situation économique et financière le permet, à 619,2 milliards de francs.

Celle-ci a toutefois perdu sa signification.

En effet, les annulations de crédits d'équipement sur la gestion de 1995 ont porté sur près de 12 milliards de francs. Pour 1996, le décalage est, d'emblée de plus de 10 milliards de francs par rapport aux prévisions de la programmation.

Les conséquences de l'augmentation de la T.V.A. vont diminuer les ressources d'environ 2 milliards de francs et l'évolution négative du titre V en francs courants est encore accrue par la hausse des prix du P.I.B. estimée à plus de 2 % pour 1996.

La rupture avec la loi de programmation est donc très nette.

Elle l'est également avec le budget pour 1995 puisque le « décrochement » porte sur près de 8 milliards de francs.

BUDGETS ET PROGRAMMATION

CHAPITRE I

LES CRÉDITS D'ÉTUDES, DE RECHERCHES ET DE DÉVELOPPEMENT

En loi de finances initiale ces crédits s'élèvent à 30,1 milliards de francs (nucléaire compris). Une ressource supplémentaire attendue des crédits de report (2,2 milliards de francs) portera les ressources à 32,3 milliards de francs soit une diminution de 7,2 % sur les moyens disponibles initiaux de 1995.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS D'ÉTUDES, RECHERCHES ET DÉVELOPPEMENT

(En millions de francs)

Les études amont, c'est-à-dire la recherche proprement dite, se verront dotées de 6,9 milliards de francs, en diminution de 300 millions de francs par rapport à 1995. Ces études porteront notamment sur le renseignement, les systèmes d'information et de communication, la réduction des vulnérabilités et la recherche de synergies civiles et militaires.

Les développements requièrent des crédits assez substantiels du fait de l'arrivée à ce stade d'un certain nombre de programmes importants dont l'avenir n'a pas encore été tranché (hélicoptères Tigre et NH 90, RAFALE, lance-roquettes multiples, missiles etc.).

Dans l'ensemble la rétractation des crédits va conduire à abandonner certaines études (vraisemblablement des études amont) et à ralentir le rythme de beaucoup d'entre elles. Mais les études sur les équipements à produire en coopération seront privilégiées.

Il convient de relever que sur ces crédits globalement réduits, le prélèvement pour recherches duales reste du même montant qu'en 1995 : 2 milliards de francs. Ces 2 milliards se répartissent en 982 millions de francs pour la recherche spatiale, 650 millions pour la recherche aéronautique et 368 millions de francs pour la recherche nucléaire.

Ce prélèvement appelle un jugement nuancé. Dans son principe il ne soulève pas d'objection car certaines recherches présentent effectivement une double finalité, civile et militaire. Certaines de ces modalités peuvent susciter toutefois certaines réserves, ce d'autant plus que la tendance à financer sur les crédits de la Défense le développement de programmes civils n'a fait que s'accentuer : de 700 millions de francs en 1994, cette participation est maintenant de 2 milliards de francs depuis 1995 : elle a donc pratiquement triplé d'une année à l'autre. C'est plus particulièrement dans le domaine spatial qu'il est permis de se demander si la notion de recherche duale n'est pas un moyen de pallier la stabilité du budget d'investissement du C.N.E.S. qui avait été en forte croissance de 1981 jusqu'à 1992.

(En millions de francs)

Il importe donc que le ministère de la Défense soit mis en mesure de vérifier l'emploi des crédits ainsi transférés et que ceux-ci résultent d'un programme approuvé conjointement par les ministères intéressés.

Les crédits budgétaires de recherche et de développement accusent sur six années - 1990-1996 - une baisse de 30 % en francs constants.

Une compensation par un accroissement de l'auto-financement des entreprises paraît, globalement, difficile à envisager. Les décalages dans le temps, les réductions de commandes compromettent, en effet, l'amortissement des dépenses d'études auto-financées sur les productions de série. Et les marges à l'exportation qui pouvaient alimenter celles-ci se sont réduites.

Il est d'ailleurs très frappant - et préoccupant - de constater que le budget fédéral américain finance dans des proportions beaucoup plus fortes que le budget français les dépenses de recherche et de développement indispensables pour maintenir le potentiel technique et préparer l'avenir.

CHAPITRE II

LES GRANDS PROGRAMMES

I. LES PROGRAMMES NUCLÉAIRES

A. L'ÉVOLUTION GÉNÉRALE DES CRÉDITS

Les crédits de paiement s'élèvent à 20,5 milliards de francs, crédits de reports compris, et à 19,4 milliards de francs en P.L.F.I.

Depuis 1990, où la part des crédits militaires représentait le tiers des crédits d'équipement, les crédits ont diminué de 17 milliards de francs (francs constants) soit une évolution négative de 47 %. Les crédits nucléaires ont donc pratiquement été divisés par deux en l'espace de 6 ans ;

Il est inévitable qu'une telle évolution entraîne des conséquences sur le secteur industriel consacré au nucléaire (arsenal de Cherbourg, Aérospatiale pour les missiles, SEP et SNPE pour les propulseurs, établissements de la D.C.N. pour les chaufferies etc.), secteur qui n'a cependant pas subi, jusqu'à présent, de reconfiguration importante.

ÉVOLUTION DES CRÉDITS NUCLÉAIRES DEPUIS 1990

(Crédits de paiement)

B. LES FORCES NUCLÉAIRES STRATÉGIQUES

a) Pour ce qui concerne la nouvelle génération de SNLE, leur date d'admission au service actif reste fixée à 1996 pour le TRIOMPHANT, à1999 pour le TÉMÉRAIRE (dont la présentation aux essais officiels sera toutefois retardée) ; celle du VIGILANT, prévue pour 2001, sera décalée d'un an. La commande du 4 ème SNLE/NG, programmée pour 1996, est reportée.

Du seul point de vue financier, la construction d'un quatrième SNLE/NG pose un difficile problème. Le choix est, en tout cas, entre la poursuite ou l'abandon de cette construction ; le décalage de celle-ci n'apporterait, en effet, que de faibles économies du fait de l'obligation de maintenir le site et l'outil de production.

Les installations et les moyens de l'établissement constructeur semblent d'ailleurs avoir été très largement dimensionnés : le passage de 6 à 4 SNLE n'apporte, en effet, qu'une faible diminution du coût du programme : 65 milliards de francs pour 6 SNLE, 63,7 milliards de francs pour 4 SNLE, soit une différence de 2 % (évolution au coût des facteurs de 1986).

b) le missile M 45 doit équiper, on le sait, les SNLE/NG à raison de 16missiles par submersible. Par ailleurs, l'entrée en service du missile M 5 a été reportée de 2005 à 2010. La capacité opérationnelle du M 45 (portée plus élevée, faculté de pénétration améliorée) permet ce décalage. L'embarquement du premier lot de missiles M 45 est prévu pour le mois de septembre 1996.

Les dotations prévues pour le missile M 4 et M 45 s'élèvent à 2,4 milliards de francs. Celles pour le missile M 5 se montent à 1,1 milliard de francs.

c) Le plateau d'Albion

Il accueille la composante terrestre (sol-sol) de nos forces nucléaires stratégiques, constituée par 18 missiles S 3 installés au début des années 1980. Chaque missile a une puissance d'une mégatonne.

Le Président de la République a annoncé qu'il avait demandé au gouvernement « d'examiner les conditions de fermeture du site d'Albion ». En attendant les résultats de cet examen, les travaux d'adaptation du missile M 4 qui avaient été décidés en vue du remplacement des missiles S 3 (coût global : environ 15 milliards de francs) ont été suspendus.

Le coût du maintien en condition opérationnelle du plateau d'Albion est estimé à près de 500 millions de francs pour 1996.

d) La composante aérienne

Les bombardiers MIRAGE IV de la force aérienne stratégique, porteurs du missile ASMP, progressivement modernisés, pourront remplir leur office jusqu'au seuil du troisième millénaire.

Le remplacement des avions ne pourra être assuré que par le RAFALE. Mais la quantité prévue pour l'armée de l'Air, soit 234 appareils, n'englobe pas cette mission. Elle devrait donc être remplie soit par l'acquisition d'exemplaires supplémentaires soit par prélèvement sur la force de combat.

La « fin de vie » du missile ASMP est prévue pour 2010. Différentes solutions sont étudiées : ASMP rénové, ASMP « Plus » ou versions de l'ASLP, solution dont le coût s'étage entre un à deux et quinze milliards de francs. On sait que les espoirs fondés sur une coopération avec le Royaume-Uni pour le programme ASLP ont été déçus.

C. LES EXPÉRIMENTATIONS NUCLÉAIRES

Les décisions prises par le chef de l'État en 1992 de suspendre les essais nucléaires n'a pas manqué d'avoir des conséquences importantes et dans l'ensemble néfastes :

ï opérationnellement, la commission d'experts nommés par le Premier Ministre au printemps de 1993 a conclu que si notre pays ne reprenait pas ses essais nucléaires, la crédibilité à long terme de sa force de dissuasion pourrait être compromise ; il importait, de surcroît, de réaliser quelques essais pour développer le plus rapidement possible une capacité de simulation destinée à nous affranchir de la nécessité d'essais « en vraie grandeur ».

ï financièrement, le maintien du dispositif de tir pendant 3 ans, sans essais (coût 2 milliards de francs) a représenté, bien évidemment, une dépense « à fonds perdus ».

ï diplomatiquement, notre pays s'est retrouvé dans une situation bien plus difficile en reprenant des essais qui ont été arrêtés que si le programme d'essais avait été poursuivi, poursuite qui aurait pu s'accommoder d'une décroissance progressive du nombre d'essais.

La décision de reprendre les essais a été prise par le nouveau chef de l'État, le 13 juin 1995 ; on peut toutefois regretter qu'elle ne soit pas accompagnée d'un dispositif d'information suffisant, surtout à l'échelon international. Cette décision ouvre une période d'essais qui a débuté au mois de septembre 1995 et qui doit s'achever au plus tard le 31 mai 1996. Notre pays a, du reste, l'intention de signer, avant la fin de l'année 1996, un traité interdisant les essais nucléaires (CTBT : Compréhensive Test Ban Treaty), traité universel et vérifiable.

Les crédits prévus pour les essais sur sites se montent à 1,7 milliard de francs soit 544 millions de francs sur le titre III (fonctionnement de la direction des centres d'essais) et 1,244 milliard de francs sur le titre V.

Le programme de simulation des essais nucléaires (PALEN) est bien entendu poursuivi. Il s'agit d'un programme complexe qui nécessite des investissements importants (notamment de puissants moyens de calcul).

En 1995 près de 1 000 personnes sont affectées à ce programme. Son coût global, sur une période d'environ 15 ans, approchera 16 milliards de francs.

D. LES CRÉDITS TRANSFÉRÉS AU C.E.A.

Les crédits transférés, pour les armes, la propulsion navale et les matières nucléaires, s'élèveront en 1996 à 8 338 millions de francs contre 9 204 millions en 1995 soit une diminution de 9,4 %.

Au titre de la recherche duale 200 millions de francs iront, en outre, au C.E.A.

TRANSFERTS DU BUDGET DE LA DÉFENSE AU PROFIT DU C.E.A.

(En milliards de francs)

II. L'ESPACE

A. LES CRÉDITS

Les crédits budgétaires s'élèvent à 4 085 millions de francs. S'ajoutent à cette somme 488,5 millions de francs de crédits de report soit au total 4 573,5 millions de francs, en retrait de 7 % par rapport aux crédits disponibles pour 1995.

Pour autant, l'effort se maintient puisque la part des crédits spatiaux dans l'ensemble des crédits d'équipement passe de 4,05 % en 1995 à 4,81 % en 1996.

(En millions de francs)

Le projet de budget pour 1996 va donc permettre de maintenir les deux orientations prioritaires :

ï maintien des services de télécommunication par satellites ;

ï accès à l'observation dans un premier temps optique, ultérieurement tout temps ; et de confirmer la voie suivie, celle d'une recherche de coopération européenne.

Cette coopération apparaît d'autant plus indispensable si l'on examine les coûts des principaux programmes.

COÛT DES PRINCIPAUX PROGRAMMES

(1) . Avec les installations au sol.

B. LES PROGRAMMES

1. L'observation : HÉLIOS

Le programme de satellite de reconnaissance et d'observation HÉLIOS a été décidé en 1986. Réalisé en coopération avec l'Italie et avec l'Espagne, il comprend deux satellites et des installations au sol : une station de réception et un centre de traitement des images dans chacun des trois pays participants.

Le premier satellite HÉLIOS I A (prise de vue optique) a été lancé avec succès au mois de juillet dernier et les images reçues sont satisfaisantes. Le deuxième satellite HÉLIOS I B devrait pouvoir être lancé à partir du milieu de l'année prochaine.

La seconde génération, HÉLIOS II (observation par infra rouge) est destinée à prendre la relève des satellites HÉLIOS I au début du troisième millénaire. Le coût total du programme HÉLIOS II a été évalué à près de 12 milliards de francs ; un milliard de francs de dotations est prévu au projet de budget. La recherche de coopérants - qui, outre l'Italie et l'Espagne, associées à la réalisation d'HÉLIOS, pourrait concerner l'Allemagne - se poursuit à la fois pour le programme HÉLIOS II et un programme de satellite d'observation radar (Osiris ou Horus).

2. La communication SYRACUSE

Le programme SYRACUSE I comporte, outre la charge militaire intégrée aux satellites civils de télécommunications, des stations de réception terrestres et navales et des centres de contrôle et de raccordement aux réseaux des armées.

La relève de SYRACUSE I est assurée par SYRACUSE II, en phase avec le programme civil Telecom II, qui permettra notamment une extension des capacités du système par la création de nouvelles stations et une amélioration de la protection contre l'intrusion et le brouillage. Les crédits prévus pour ce programme pour 1996 s'élèvent à 378 millions de francs en autorisations de programme et 761 millions de francs en crédits de paiement.

Le programme SYRACUSE III fait actuellement l'objet d'études de faisabilité.

3. L'écoute : CERISE et CLÉMENTINE

L'écoute doit permettre de localiser les sources d'émission, de surveiller leurs déplacements et de saisir les variations d intensité.

Elle est assurée par des moyens maritimes (le « Berry »), des moyens aériens (avions Sarigue) ou des moyens terrestres (stations d'écoute), moyens qui présentent l'inconvénient d'être visibles et intrusifs.

La loi de programmation adoptée l'année dernière n'a pas retenu le programme Zénon d'écoute électronique. Une veille technologique est toutefois assurée : un petit satellite scientifique - CERISE - a été lancé en juillet 1995, un projet analogue - CLÉMENTINE - pourrait être lancé en 1997.

La coopération se heurte, en ce domaine au fait que les principaux partenaires sont liés, dans le cadre de l'OTAN, à des accords avec les États- Unis.

4. La surveillance de l'espace

Elle vise à connaître la nature, le rôle et les déplacements des engins satellitaires et la menace qu'ils font peser sur notre pays.

Un projet préparé par l'ONERA s'oriente vers un système radar de détection et d'identification.

Un panorama d'ensemble de nos moyens et de leur calendrier est donné par le tableau ci-dessous :

III. LES ÉQUIPEMENTS CLASSIQUES

La concentration des échéances, pour de nombreux équipements majeurs, pose l'épineux problème du renouvellement de nos chars, de nos avions de combat et de transports, de nos hélicoptères et de nos bâtiments de surface.

Compte tenu de l'impossibilité d'opérer d'ores et déjà des choix dans les programmes, choix qui appartiennent à la prochaine de loi de programmation, un grand nombre de ceux-ci connaissent un « moratoire » qui les fige dans la phase de réalisation où ils se trouvent ou qui retarde leur entrée en service. Plus de 60 milliards de francs seront consacres aux équipements conventionnels contre près de 65 milliards dans le budget de 1995.

A. L'ARMÉE DE TERRE

Les crédits s'élèveront à 19,8 milliards de francs en autorisations de programme et à 19,5 milliards de francs en crédits de paiement. Ces chiffres étaient respectivement de 20,5 milliards et de 22,5 milliards de francs pour 1995.

1. Les blindés

Les commandes de chars LECLERC seront de 44 unités selon le rythme prévu par la programmation, les livraisons de 40 exemplaires. Les commandes s'élèvent, actuellement, à 222, les livraisons à 89. L'objectif initial fixé à 1 300 chars a été ramené à 650, ce qui doit permettre l'équipement de trois divisions blindées.

Les dépenses déjà faites sur le programme s'élèvent à 10 milliards de francs sur un coût total de 40 milliards de francs.

Par ailleurs, 144 VBL (véhicules blindés légers) et 7 engins de franchissement de l'avant seront livrés en 1996.

Le véhicule blindé modulaire (VBM) en est au stade final des études de faisabilité et devrait être réalisé en coopération franco-allemande. A partir d'ensembles ou de sous-ensembles communs ou complémentaires, plusieurs versions de véhicules pourront être fabriquées : véhicule de transport de troupe, véhicule de commandement, véhicule d'appui direct, véhicule de détection et de contre-mesures etc.. Le nombre total d'exemplaires prévu est de 2 500 destinés à remplacer, à partir du début du prochain millénaire les véhicules actuels. Soixante quatre millions de francs de crédits de paiement et 150 millions de francs en autorisations de programme sont prévus pour 1996.

2. La mobilité

L'armée de Terre se verra livrer 198 camions lourds TRM 10000 ; une commande de 164 unités supplémentaires sera passée à Renault RVI.

Doivent s'ajouter à ces moyens terrestres l'hélicoptère de combat TIGRE et, en principe, l'hélicoptère lourd de transport NH 90.

Le développement de l' hélicoptère TIGRE dans ses deux versions appui-protection (HAP) et anti-char (HAC) sera poursuivi et achevé en 1996 mais son industrialisation sera retardée d'un ou deux ans. A ce sujet, nous soulignons la nécessité de ne procéder à des ajustements des programmes réalisés en coopération, qu'en accord avec nos partenaires et selon les mêmes rythmes que ceux-ci. Si l'Allemagne reste partie prenante à ce programme, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, en revanche, ont préféré acheter l'hélicoptère américain concurrent « APACHE ». On ne peut que regretter une telle décision de la part de deux pays européens. Les dotations prévues pour 1996 s'élèvent à 310 millions de francs en crédits de paiement et 353 millions de francs en autorisations de programme.

Le développement de l'hélicoptère NH 90, commun à neuf armées (Marine, armée de Terre ou armée de l'Air) de quatre pays (France, Allemagne, Italie et Pays-Bas) est maintenu. Toutefois le besoin de renouvellement des hélicoptères existants est inégalement ressenti par la Marine qui se trouve dans l'obligation de remplacer ses LYNX et par l'armée de Terre dont le parc est excédentaire.

Le coût du programme est estimé, pour la France, à 40 milliards de francs sur lesquels 10 milliards ont déjà été dépensés. Selon les accords passés entre les quatre pays concernés, si l'un d'entre eux se retirait, il s'engage à permettre aux autres pays de continuer le développement en leur versant un dédit qui, pour la France, serait de plus d'un milliard et demi de francs.

3. La puissance de feu

Cent soixante systèmes anti-chars à courte portée (ACCP ERYX) seront livrés en 1996. Mais l'industrialisation et la fabrication des anti-chars à longue et moyenne portée de 3 ème génération (AC 3 G LP et MP) sera décalée d'un an.

4. Les communications et l'acquisition du renseignement

Le programme de modernisation du réseau intégré des transmissions (RITA) sera poursuivi ainsi que l'équipement en postes de radio dits de 4 ème génération (PR 46). C'est en 1996 qu'interviendra la fin de la livraison du premier système héliporté de surveillance du champ de bataille HORIZON.

Au total, le financement de l'équipement de l'armée de Terre va poser des problèmes qui iront en s'aggravant lorsque tous les programmes retenus entreront en phase de fabrication : char LECLERC, hélicoptère TIGRE HAP/HAC, hélicoptère NH 90 alors que les formes nouvelles d'intervention de l'armée de Terre engendreront des besoins (drones ; de reconnaissance, surveillance du champ de bataille par exemple) sans doute insuffisamment pris en compte.

B. LA MARINE

Vingt et un milliards de francs en crédits de paiement et 21,6 milliards de francs en autorisations de programme doteront les fabrications classiques de la Marine. Pour 1995 les crédits de paiement s'élèvent à 24,3 milliards de francs et les autorisations de programme à 22,5 milliards de francs.

1. Le groupe aéronaval

L'admission au service actif du porte-avions nucléaire (P.A.N) Charles de Gaulle sera une nouvelle fois retardée, essentiellement à cause de difficultés techniques génératrices de surcoûts qui dépasseront vraisemblablement le milliard de francs. En l'état actuel des prévisions, le P.A.N. serait admis au service actif au cours du second semestre 1999, équipé de ses premiers avions RAFALE dont les commandes ont été décalées d'un an.

Un milliard cinquante millions de francs en crédits de paiement et une somme équivalente en autorisations de programme sont destinés, en 1996, à la construction du P.A.N. ; au total à la fin de 1995, près de 12 milliards de francs auront été dépensés pour ce programme.

On rappelle que la construction d'un second P.A.N. était prévue dans la loi de programmation 1996-2000, à partir de 1997 dans l'hypothèse où la croissance en volume des crédits d'équipement pourrait passer de 0,5 à 1,5 %.

Le coût du programme du premier P.A.N. est évalué à 17 milliards de francs, le coût des 86 avions RAFALE Marine à 50 milliards et celui de l'achat éventuel de 4 avions HAWKEYE de guet aérien à 7 milliards de francs. Il ne semble pas que la Marine envisage de diminuer ses commandes de RAFALE dans l'hypothèse où le second porte-avions ne serait pas construit.

2. Le renouvellement des autres capacités

- La flotte de surface

Les deux premières frégates de type La Fayette seront admises au service actif d'ici à la fin de l'année, la troisième en 1996. Les trois autres, commandées en 1992 seront décalées de 6 mois pour la 4 ème , de deux ans pour la 5 ème et la 6 ème . En 1996, 550 millions de francs de crédits de paiement et 100 millions de francs d'autorisations de programme iront à la construction de ces frégates.

Un deuxième transport de chaland de débarquement (TCD) doit être commandé en 1996 et livré en 1999. Son coût est estimé à 1,8 milliard de francs. Pour 1996 il est prévu de doter ce programme de près de 500 millions de francs de crédits de paiement et de 360 millions d'autorisations de programme.

- L 'aéronavale


• On a signalé que les commandes d'avions «  RAFALE  » ont été décalées d'un an. La « cible » pour l'an 2000 est de 16 avions pour constituer la première flottille ; appelé à remplacer les avions CRUSADER et SUPER-ETENDARD.


• Pour les hélicoptères embarqués, 15 hélicoptères légers de combat PANTHER (dérivé du Dauphin) ont été commandés. Leur livraison s'étalera de 1993 à 2000. Le cas du NH 90 a déjà été examiné. La loi de programmation avait prévu l'achat de deux avions de guet embarqués HAWKEYE ; le besoin était estimé par la Marine à 4 appareils pour 7 milliards de francs. Cet achat aux États-Unis est, évidemment, coûteux. Il ne trouve sa raison d'être que si les avions AWACS ne peuvent remplir de façon satisfaisante la mission de détection et de protection attendue des HAWKEYE. La question mérite une attention toute particulière.

- Le renseignement

Le remplacement des avions de patrouille maritime ATLANTIC 1 par les ATLANTIQUE 2 sera terminé vers la fin de l'année prochaine, vingt cinq appareils auront été livrés à la fin de l'année, les trois derniers doivent l'être en 1996.

Cet examen des programmes de la Marine ne peut faire abstraction de l'outil industriel indispensable à celle-ci. C'est actuellement D.C.N., l'un des derniers services industriels en régie, qui assure l'entretien de la flotte mais aussi une bonne part de la construction de celle-ci. Un groupe de travail a été constitué pour étudier le statut à venir de celle-ci. Il est nécessaire que la Marine prenne position sur ce point et puisse faire entendre son point de vue.

Les choix qui doivent être faits dépassent d'ailleurs le seul cadre de la D.C.N. et se situent dans les perspectives d'ensemble de la construction navale et dans les possibilités de rapprochement des structures privées et étatiques.

C. L'ARMÉE DE L'AIR

Elle disposera en 1996 de 21,9 milliards de francs de crédits de paiement et de 21,1 milliards de francs d'autorisations de programme (contre, respectivement, 24,2 et 22,6 milliards de francs en 1995).

1. Les avions de combat

La modernisation des avions existants va permettre à l'armée de l'Air de prendre livraison, en 1996, de 16 appareils nouveaux ou rénovés : 12 MIRAGE 2000 D (protection et attaque au sol) et 4 MIRAGE F 1 CT (avion d'assaut).

L'armée de l'Air poursuivra, en outre, le programme de transformation du MIRAGE 2000 DA (défense aérienne) en MIRAGE 2000-5 (23 transformations en 1996).

Pour ce qui concerne le RAFALE, la phase de fabrication de cet appareil sera décalée d'un an ; il pourra être livrable à l'armée de l'Air en 2002 ; le calendrier primitif de mise en service prévoyait celle-ci en 1996. A noter que le programme concurrent EUROFIGHTER 2000, quant à lui, a dérivé de plus de 3 ans sur le calendrier initial ; la livraison des premiers appareils devrait intervenir à partir de l'an 2000.

En fait, les très bonnes performances du MIRAGE 2000-5 ne poussent pas l'armée de l'Air à demander une livraison rapide du MIRAGE, ce d'autant moins que le cumul du financement du RAFALE et de l'avion de transport futur (ATF) lui posera un grave problème de financement à partir de la fin de la décennie. Il n'est pas sûr que les contraintes budgétaires permettent de résoudre ce problème autrement que par un arbitrage d'une part entre les capacités opérationnelles qui peuvent être maintenues grâce au MIRAGE 2000-5 et les besoins de l'industriel, d'autre part entre les programmes RAFALE et ATF. Si les arbitrages ne portent pas sur l'existence des programmes eux-mêmes, ils devront, pour le moins trancher sur les dates et les quantités.

2. Les avions de transport

Les capacités de transport reposent actuellement sur les avions TRANSALL. L'armée de l'Air possède 48 exemplaires de la première génération et 21 exemplaires de la seconde génération ravitaillables en vol, livrés à partir de 1981. Douze C 130 HERCULES achetés à la firme Lockheed à partir de 1987 et 8 avions cargos légers 235 Casa produits en Espagne, complètent cette capacité.

Le retrait du service de tous ces appareils doit intervenir entre 2003 et 2017, compte tenu des rénovations déjà effectuées et restant à faire : onze appareils TRANSALL seront ainsi rénovés selon un programme qui ne connaît pas d'étalement.

Pour ce qui concerne l'avion de transport futur, la loi de programmation l'incluait parmi les programmes dont la réalisation dépendait des décisions qui devaient être prises en 1997 (passage de 0,5 % à 1,5 % de la croissance en volume annuel du budget de la Défense). Il est clair que, envisagé dans cette perspective financière, le programme ATF paraît très compromis. Mais l'enjeu du programme est tel qu'il mérite un examen attentif. Le projet paraît, en effet, vital pour l'avenir et l'existence même d'une industrie aéronautique européenne.

Quelle est la situation actuelle ?

Les divergences techniques sur la motorisation ont disparu puisque le choix d'un moteur à hélices a été arrêté. L'ATF doit être un avion quadriturbo propulseur pouvant acheminer 25 tonnes sur une distance de 5400 km à vitesse subsonique.

Au plan industriel, la création d'une filiale d'Airbus Industries -Airbus Military Compagny (AMC) a été décidée. Cette société sera détenue par Airbus Industries (28 %), par Aérospatiale, Dasa, British Aerospace, Alenia, Casa. La participation de British Aerospace nous paraît cependant devoir être remise en cause si elle ne s'accompagne pas d'un engagement d'achat de l'ATF ; or la Grande-Bretagne vient de commander 25 HERCULES C 130. Il est prévu de gérer le programme ATF selon des normes aussi proches que possible des normes commerciales.

Au plan financier, le coût du programme pour la France, qui a exprimé un besoin de 60 à 65 appareils, serait d'environ 43 milliards de francs (12 milliards pour le développement, une trentaine de milliards pour la fabrication) ; la mise en service devant, pour notre pays, se situer vers 2003-2005. Pour 1996, 32 millions de francs de crédits d'études sont prévus. Ce financement symbolique indique que notre pays ne se désintéresse pas de ce projet dans l'attente des décisions de la nouvelle programmation. Mais d'ores et déjà l'Allemagne a fait connaître son intention de consacrer plus de 4 milliards de marks - 15 milliards de francs - à ce programme.

Au plan politique, c'est, en effet, l'Allemagne qui manifeste le plus grand dynamisme : première par le nombre d'avions qu'elle compte commander, elle l'est également par sa part industrielle et sa participation au consortium AMC.

Rappelons enfin que pour ce qui concerne les besoins des armées, l'ATF s'il sera mis en oeuvre par l'armée de l'Air répond à des besoins interarmées dont le Livre blanc sur la défense a souligné la nécessité : celle d'une projection de nos forces. Or ces besoins opérationnels indépendamment de toutes autres considérations, pourraient difficilement être satisfaits par l'achat d'avions américains C 130, compte tenu du volume des hélicoptères ou des chars à transporter (dimensions de la soute inférieures à celles de l'ATF), ou par l'achat d'appareils russo-ukrainiens dont la maintenance est problématique.

3. Les missiles

La dotation prévue de 1,6 milliard de francs permettra notamment la livraison de 111 missiles MAGIC 2 (aucune commande en 1996) et 190 missiles SATCP (20 commandes en 1996). Le lancement de la production des missiles MICA et APACHE sera retardé d'un an. La conception du missile de précision à très grande portée SCALP, prévu pour être emporté par le RAFALE et le MIRAGE 2000 D sera poursuivie.

4. Les systèmes de commandement et de communication

Le programme de systèmes de commandement et de conduite des opérations aériennes (SCCOA) sera réaménagé dans sa première phase (SCCOA 1) et retardé dans sa deuxième (SCCOA 2).

L'armée de l'Air doit donc faire face au financement de programmes importants et coûteux : avions de combat et de transport, systèmes d'armes (missiles), systèmes de commandement et de communication. Elle n'a d'autre choix - comme d'autres armées au demeurant - que de subir des étalements ou des reports de programmes - et les inconvénients bien connus qu'ils entraînent - ou de renoncer à certains programmes. Ces choix ne sont pas faciles, mais ils sont nécessaires.

D. LA GENDARMERIE

Son budget d'équipement sera de 2,1 milliards de francs (2,4 milliards en 1995).

Le programme le plus important, financièrement, le RUBIS - programme de transmissions - va subir quelques retards : les commandes nécessaires à l'équipement de 18 groupements, initialement prévues devront être reportées. L'achèvement du programme, pour la couverture de tous les départements devra vraisemblablement être décalé de 1999 à 2000.

Plus de 2 500 véhicules de tous types seront commandés en 1996 et, autant livrés.

Le budget en projet prévoit un peu plus d'un milliard de francs en autorisations de programmes et le même montant, en crédits de paiement pour les infrastructures et les acquisitions immobilières.

La diminution du nombre de logements réalisés sous l'égide des collectivités locales, compte tenu des dispositions de la loi de finances rectificative du 30 octobre 1993 excluant les constructions de casernes du fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), paraît être enrayée par les nouvelles dispositions (décret du 27 décembre 1994 et circulaire du Premier Ministre du 10 janvier 1995) permettant de répercuter sur les subventions versées et sur les loyers payés par l'État l'incidence du paiement de la TVA.

Ainsi, en baisse de plus de 10 % par rapport aux prévisions de la loi de programmation, le budget en projet ne permet plus de financer les programmes prévus par la programmation dès sa première phase.

Il contraint, ainsi, à étaler et retarder plusieurs programmes importants.

D'ores et déjà les conséquences sur l'industrie de défense risquent d'être importantes. Mais c'est bien entendu en fonction de la définition, et peut-être, de la redéfinition des missions confiées aux armées, des besoins qui en découlent, que doivent être conduites les évaluations financières à venir et apprécié le poids des contraintes budgétaires. En ce sens le projet de budget est autant qu'un budget de rupture, un budget d'attente.

DEUXIÈME PARTIE - LE PROJET DE BUDGET POUR 1996, BUDGET D'ATTENTE

L'attente est à la mesure de la rupture qu'amorce et qu'annonce le projet de budget, rupture d'ores et déjà sensible mais appelée à s'affirmer encore davantage.

Sans doute le processus de rétractation des moyens de la défense a-t-il été entamé depuis la fin de la guerre d'Algérie, c'est-à-dire depuis une trentaine d'années. Ainsi en 30 ans, les effectifs militaires sont passés de plus d'un million à 500 000 personnes, la part du budget de la Défense qui était de 7 % au début des années 60, a décru à 4 % au début des années 80 pour atteindre 2,6 % en 1995 et 2,4 % en 1996. Cette évolution restrictive a nécessité des efforts d'adaptation aussi bien dans le domaine de l'organisation de la défense que dans celui de la gestion des ressources. Mais cette évolution est restée progressive et a toujours assuré à la défense le maintien sinon la croissance en volume de ses dotations. C'est maintenant une chute, importante, rapide et durable de ses moyens que va très probablement subir la défense

Les programmes prévus par la loi de programmation ne pourront plus être financés ; non seulement ceux prévus dans une deuxième phase éventuelle d'accroissement des ressources à + 1,5 % en volume par an, mais même ceux bâtis sur l'accroissement minimal de + 0,5 % par an en volume.

Une nouvelle programmation est donc désormais nécessaire. La tâche du Comité stratégique mis en place, cet été, par le ministre de la Défense est, on le sait, de préparer un certain nombre de choix soumis au gouvernement et au chef de l'État avant la mise au point de la nouvelle loi de programmation qui sera présentée au Parlement vers la fin de la session actuelle.

Ces choix nécessiteront de revoir l'ensemble des orientations fondamentales : avenir de la dissuasion nucléaire, adaptation des forces classiques et nouveaux modèles d'armées, part de la professionnalisation et définition du format des armées, nouvelle politique industrielle de défense, modernisation de la gestion.

La tâche est énorme - puisqu'elle amènera même à réécrire une partie du Livre blanc sur la défense, qu'il s'agisse des hypothèses d'emploi des forces, du format des armées ou de l'équilibre conscription-professionnalisation - et le temps imparti au Comité - 6 mois - est court. Ce d'autant plus que le Comité, dans ses diverses formations ne pourra marcher d'un même pas. A l'évidence, certaines orientations en conditionnent d'autres. On voit mal, en particulier, comment sans avoir préalablement défini le format des armées et précisé la part respective de la professionnalisation et de la conscription, il peut être possible d'examiner les nouveaux modèles d'armées, se prononcer sur la gestion et les structures, déterminer la nature et l'importance des équipements, ce qui n'est pas sans rapport avec la politique industrielle elle-même.

Votre Rapporteur ne vous dissimulera pas que l'ampleur de la tâche rapprochée de la minceur des délais lui paraît préoccupante.

Les développements qui suivent permettront, au demeurant, de mieux saisir la difficulté des travaux demandés au Comité stratégique qu'il s'agisse, notamment de l'avenir de la dissuasion nucléaire et de la reconfiguration de nos forces, ou de la conduite des programmes d'armement et de la restructuration des industries de défense. Difficultés encore accrues du fait qu'elles se situent dans le contexte de la construction européenne et dans l'affirmation nécessaire de l'Europe face à l'omniprésence et à l'omnipotence américaines.

I. LES MOYENS À VENIR DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE ET LA RECONFIGURATION DE NOS FORCES

Quelques considérations fondamentales s'imposent en ce domaine :

ï la nécessité de disposer de moyens propres permettant l'autonomie de la décision pour la protection de nos intérêts vitaux ;

ï la probabilité, de plus en plus grande, d'interventions à distance du territoire national impliquant une capacité de projection des forces, sans pour autant négliger l'indispensable protection du territoire ;

ï l'existence de coalitions, alliances, ensembles divers à l'intérieur desquels il importe que nous puissions tenir notre rang, en particulier pour ce qui concerne la sécurité en Europe.

1/ - Compte tenu de ces données, le maintien de la dissuasion nucléaire, « au niveau de suffisance indispensable », pour reprendre l'expression du Livre blanc s'impose comme une évidence. Mais ce maintien nécessite-t-il pour autant le lancement de nouveaux programmes dont l'aboutissement se situerait dans la décennie 2010-2020 ? La question est, d'abord, celle du maintien simultané des moyens des trois composantes -terrestre, maritime et aérienne. Elle a commencé à recevoir un début de réponse : le plateau d'Albion est laissé en l'état et la flotte de bombardiers stratégiques va en s'amenuisant.

Mais deux programmes continuent à être financés : le missile M 5, accompagné de la tête nucléaire TN 100 qui doit l'équiper, et le missile ASLP.

Le programme M 5 est évalué à une centaine de milliards de francs. Son décalage de 2005 à 2010 a déjà appelé une économie de l'ordre de 20 milliards de francs. La question - difficile - est de savoir si le missile M 5 et sa tête TN 100 sont, dans la situation géo-politique actuelle, vraiment indispensables à l'échéance actuellement prévue si l'on considère la portée et la capacité de pénétration d'une charge assurée par le M 45 et des têtes TN 75.

Quant à l'ASLP, sa « valeur ajoutée » par rapport à l'ASMP, se trouve dans une portée plus grande. On peut se demander si l'éclatement du Pacte de Varsovie qui permettait à l'URSS d'intercaler l'épaisseur des « pays frères » entre elle-même et les nations occidentales, ne rend pas inutile l'allongement de cette portée.

2/ - La configuration de nos forces se situe dans des échéances plus rapprochées. En effet, la part respective de la professionnalisation et de la conception, dont dépend le format de celles-ci, doit donner lieu à des décisions prochaines.

Du point de vue financier, auquel nous nous limiterons ici, même si les enjeux sont beaucoup plus vastes, les coûts respectifs de la conscription et de la professionnalisation ne paraissent pas encore être évalués de façon satisfaisante, bien que la question ne date pas d'hier. Il est vrai que des facteurs nombreux, divers et complexes doivent être pris en compte. Et les coûts ne peuvent être appréciés seulement au niveau du ministère de la Défense, ils concernent la nation toute entière, notamment du fait, malheureusement très actuel, des relations entre le chômage et l'incorporation.

A l'heure actuelle l'organisation de la défense repose largement sur la conscription qui fournit 40 % des effectifs militaires. Le maintien de ces effectifs, en cas de suppression de la conscription serait certainement hors de ses possibilités financières et, de toutes façons, irréaliste puisqu'il postulerait un flux d'engagements de 32000 par an soit 12 % d'une classe d'âge.

Si l'objectif des effectifs constants est ainsi hors d'atteinte, celui des coûts constants nécessiterait, pour une professionnalisation totale, une réduction d'un tiers de l'ensemble des effectifs (près de 40 % pour l'armée de Terre qui a le plus fort pourcentage d'appelés, 10 % pour la Gendarmerie déjà très largement professionnalisée).

Or, actuellement pour la seule armée de Terre un effectif de 230000 hommes permet d'affecter 130000 hommes dans les formations opérationnelles, compte tenu des tâches de soutien et d'administration et de participations interarmées et interministérielles. C'est dire que dans une armée de Terre réduite à 140000 hommes, les formations opérationnelles recevraient, selon le ratio actuel, environ 78000 hommes. On mesure immédiatement quelle devrait être la révision, en baisse, des missions qu'assure actuellement cette armée.

Sans doute, des civils pourraient-ils remplacer des appelés actuellement employés dans des fonctions de soutien et d'administration. Mais cela entraînerait nécessairement un accroissement des dépenses de personnel qui devrait être compensé par une diminution des dépenses d'équipement et d'investissement.

La professionnalisation - qui n'est d'ailleurs pas antagoniste avec la conscription, celle-ci fournissant déjà des volontaires pour un service long et étant le « vivier » d' une part appréciable des engagements ultérieurs - assure, cependant, une capacité de forces immédiatement disponible ; à ce titre convient-il sans doute de l'accroître.

Il reste que l'équilibre indispensable entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses d'équipement limite, au plan financier au moins, toute possibilité de modification substantielle de la part respective des engagés et des appelés, sauf à revoir à la baisse les hypothèses d'emploi des forces.

II. LA CONDUITE DES PROGRAMMES D'ARMEMENT ET LA RESTRUCTURATION DES INDUSTRIES DE DÉFENSE

A. LA CONDUITE DES PROGRAMMES D'ARMEMENT

Si un seul impératif de l'actuelle loi de programmation doit être poursuivi c'est, à coup sûr, celui qui concerne la réduction des coûts.

Il conviendra certainement d'aller plus loin dans la recherche des économies - c'est une des tâches du Comité stratégique -, notamment :

- Vis-à-vis des entreprises :

ï par une meilleure connaissance, permettant un meilleur contrôle, de la structure et de l'évolution des coûts des entreprises ; sur ce point on ne peut que souhaiter que la réforme, en cours, des procédés d'enquêtes de coûts (recours à la comptabilité des entreprises, forfaitisation de certains frais, notamment) aboutisse rapidement ;

ï par un réexamen des méthodes d'achat : commandes pluriannuelles, contrats de longue durée, mise en concurrence plus systématique, dans un cadre européen le cas échéant, partage des risques si la mise en concurrence est impossible etc.. ;

ï par un recours, dans toute la mesure du possible, à des composants non spécifiques (dans le domaine électronique, en particulier) ;

ï par des relations nouvelles avec les industriels : recours plus systématique aux avances remboursables et au système des redevances, gestion des compensations en cas d'achat à l'étranger et même financement partagé, auto-financement du développement, lorsque la situation des entreprises le permet ;

- Dans les pratiques internes :

ï par un accroissement de la rapidité de l'information financière et technique sur le déroulement des programmes, notamment à chaque étape importante de celui-ci ;

ï par une attention plus grande portée, en plus de la fonction technique, à la fonction commerciale (négociations contractuelles, mise en forme juridique, évaluations financières) ;

ï par des méthodes de gestion faisant davantage appel à l' analyse de la valeur ;

ï par une évaluation du coût résultant d'un arbitrage raisonnable entre la performance et le coût et prenant en compte non pas seulement le coût d'acquisition mais ce qu'il est convenu d'appeler le coût de possession ;

ï par une meilleure adaptation à la réalité des programmes actuels, qui sont de plus en plus, à côté des programmes nationaux propres à une armée qui ont inspiré les règles actuelles, soit des programmes nationaux interarmées, soit des programmes internationaux nécessitant une approche différente, en particulier pour ce qui concerne les relations entre les états-majors et les réalisateurs.

Il importe que ces objectifs, qu'ils portent sur les relations avec des fournisseurs ou sur les pratiques internes au ministère, soient considérés comme des objectifs à court terme pouvant produire leurs premiers effets dès 1996

B. LA RESTRUCTURATION DES INDUSTRIES DE DÉFENSE

L'industrie nationale de défense représente un chiffre d'affaires de plus de 100 milliards de francs et des effectifs directs de 215 000 personnes. Elle a pu, jusqu'à une date récente, maintenir globalement son activité grâce aux programmes nationaux d'équipement qui n'avaient pas fléchi et à sa position sur les marchés à l'exportation. Dans le même temps, les industries de nos voisins européens et celles des États-Unis régressaient ce qui les a obligés à des restructurations que nous sommes maintenant obligés d'engager plus tardivement.

Devant les perspectives budgétaires et financières actuelles, c'est, en fait, la survie même du secteur industriel de l'armement qui est en jeu, aussi bien en termes de capacités et de compétences qu'en termes d'emplois (on estime qu'une réduction d'un milliard en investissement entraîne, à terme, la suppression d'environ 2 500 emplois directs et indirects).

Il importe d'éviter l'écroulement de pans entiers de cette industrie mais, tout au contraire, de mener à bien les initiatives qu'impose le défi de la compétitivité provoqué par la réduction, dans la plupart des pays développés, de l'effort d'équipement militaire.

S'il appartient d'abord aux entreprises d'armement d'opérer les restructurations indispensables, l'État - toujours client et parfois actionnaire -ne peut être absent de ce processus.

Il ne peut l'être à l'égard des entreprises publiques. Or leurs besoins en recapitalisation - qu'il s'agisse de GIAT-Industries, de l'Aérospatiale, de la SNECMA - sont importants et dépasseraient 10 milliards de francs, selon certaines estimations. Sans doute n'est-il pas question, le ministre de la Défense l'a souligné lors de son audition par votre Commission, de demander une recapitalisation sans qu'auparavant les entreprises aient établi un plan de restructuration ; ce plan doit viser à l'équilibre d'exploitation, préserver les acquis technologiques et permettre le développement des activités les plus dynamiques et les plus productives.

Il reste que les besoins en recapitalisation sont élevés et qu'ils s'accroissent avec le temps. Or, en 1995, le montant des dotations en capital prévu par la loi de finances, soit 8 milliards de francs, s'est révélé tout à fait insuffisant pour répondre aux besoins des entreprises publiques (Air France, le Crédit Lyonnais, la Société marseillaise de crédit, la Compagnie générale maritime, en particulier, s'ajoutant aux entreprises publiques de l'armement). Parallèlement le programme des privatisations, dont une partie du produit a déjà été affecté aux dotations en capital, porte maintenant sur des entreprises moins attractives dont bon nombre affichent un résultat net en déficit : c'est le cas en particulier de l'Aérospatiale : - 480 millions de francs en 1994 et de la SNECMA : - 2 179 millions de francs en 1994. De plus, dans la conduite de ses actions à l'égard des entreprises publiques l'État, n'a pas de vision patrimoniale, notamment dans la gestion de ses participations. Le précédent Rapporteur général de votre Commission, appelé depuis à de hautes fonctions gouvernementales, tout comme l'actuel Rapporteur général, ont signalé, à diverses reprises cette anomalie. Le Sénat a, du reste, à l'initiative de sa commission des Finances, adopté un amendement devenu l'article 20 de la loi du 8 août 1994 portant divers dispositions d'ordre économique et financier, tendant à prévoir le dépôt annuel d'un rapport au Parlement sur la situation des entreprises publiques à partir de leurs comptes consolidés. (2 ( * ))

S'agissant toujours des entreprises publiques, et outre leur état financier préoccupant, leurs handicaps sont dus à la multiplicité des sites (D.C.N., GIAT-Industries, S.N.P.E.) à la rigidité des statuts (D.C.N.) et des règles de fonctionnement (D.C.N., GIAT-Industries).

Sur un plan plus général, intéressant toutes les entreprises de l'armement, l'État ne peut se dispenser d'un certain accompagnement des restructurations industrielles, qu'il s'agisse de l'accompagnement social en faveur des personnels des entreprises publiques ou de l'accompagnement économique en faveur des collectivités concernées (dispositifs spécifiques du F.R.E.D. - fonds de restructuration des entreprises de défense - et du programme européen de conversion KONVER, action de la DATAR).

En outre, l'État doit, par la programmation militaire et le budget de l'État donner aux industriels des prévisions fiables, fussent-elles envisagées à la baisse ; il n'est plus possible de poursuivre une politique budgétaire annonçant des moyens que les gels, les annulations et les reports de crédits viennent amputer au fil des mois. Sans prévisions fiables, dans le domaine financier, celui - essentiel - des commandes publiques, aucune restructuration viable ne peut être entreprise.

Pour le moment, les projets de restructurations qui sont annoncés et qui paraissent concerner THOMSON-CSF, la D.C.N., Matra-défense, Dassault-Aviation, Dassault-électronique, la SNECMA, le GIAT ne semblent pas avoir pris corps. Or le temps presse...

III. LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE ET LE DÉFI AMÉRICAIN

A. L'EFFORT DE DÉFENSE EUROPÉEN : UN PEU PLUS DE LA MOITIÉ DE CELUI DES ÉTATS-UNIS

La comparaison et les rapprochements des données budgétaires d'un pays à l'autre, se heurtent à de nombreuses difficultés, qu'il s'agisse de certaines réticences des pays concernés ou de données plus objectives celles des différences dans la définition même des dépenses militaires, la structure des budgets, la durée des exercices budgétaires.

Nous retiendrons ici les données produites par les pays membres de l'OTAN qui normalisent la présentation du budget autour de trois agrégats.

ï dépenses de personnel : rémunérations, habillement, alimentation ;

ï dépenses de fonctionnement : pensions et retraites, entretien des matériels, carburants et munitions ; vie courante des unités ;

ï dépenses d'équipement recherches, développement, fabrications et infrastructures.

S'agissant plus précisément des dépenses d'équipement la comparaison s'établit comme suit :

(En milliards d'unités de compte courantes)

On constate que les États-Unis consacraient en 1992 à leur budget d'équipement le double des crédits figurant aux budgets des quatre principaux pays européens, et malgré la diminution de ce budget, en 1994, 1,7 fois le total de ceux-ci. L'impact des dépenses militaires américaines est, en outre, beaucoup plus bénéfique aux entreprises nationales puisque ces dépenses ne sont pas fragmentées entre des industries de 4 pays, redondantes et parfois concurrentes.

La décroissance du budget d'équipement américain est, du reste, sélective : elle touche beaucoup plus les fabrications (- 25 % de 1992 à 1994) que les recherches (- 10 % durant la même période).

Et globalement, l'effort de défense des États-Unis se traduit par un prélèvement de 4 % sur le P.I.B. contre un prélèvement moyen de 2,5 % pour les pays européens.

B. LA NOUVELLE POLITIQUE DE DÉFENSE AMÉRICAINE ET L'AGRESSIVITÉ PERSISTANTE SUR LES MARCHÉS D'ARMEMENT

1. La nouvelle politique de défense

Amorcé après l'éclatement de l'URSS par le Président Bush, le nouveau cours de cette politique a été accentué par le Président Clinton dès son arrivée au pouvoir. La ligne générale est celle d'une intervention sélective mais directe de l'État fédéral pour renforcer le dynamisme et la compétitivité de l'industrie américaine dans son ensemble. Dans cette perspective, l'industrie de défense est considérée comme devant contribuer à ce dynamisme et à cette compétitivité : elle sert l'économie autant que les armées.

La réduction très sensible des effectifs ramenés d'ores et déjà de 2 millions d'hommes en 1989 à 1,5 million et qui va se poursuivre rend possible une diminution sensible des dépenses de fabrication d'équipement.

En revanche la recherche reste préservée pour assurer, au moins, et dans tous les domaines, une « veille technique » et permettre des fabrications, en quelques exemplaires, destinés à être testés sur le terrain. Le financement de la recherche sur fonds publics permet, à la fois, d'orienter celle-ci vers des secteurs jugés prioritaires, de pousser à l'innovation et à la performance et de maintenir la compétitivité à l'exportation d'entreprises ainsi exonérées d'une partie au moins des dépenses de recherche.

Parallèlement des mesures très importantes ont été prises pour réduire les coûts par une révision systématique des spécifications proprement militaires destinées à en éliminer le plus grand nombre pour aboutir à des achats de pièces, d'éléments ou de composants existant sur le marché. L'ensemble du système de normes spécifiquement militaires est actuellement réexaminé au sein du ministère de la Défense américain. La plupart d'entre elles seront abandonnées. On attend de cette réforme, elle aussi très profonde et très rapidement menée, une amélioration sensible des conditions d'acquisition des matériels : disparition des limitations à la concurrence, la complexité du système normatif privilégiant quelques sociétés ayant investi pour être conformes à celles-ci, atténuation des surcoûts importants dus aux procédés de fabrication spécifiques, stimulation des technologies de pointe et accroissement de la productivité, les normes étant remplacées par des spécifications de performances laissant aux industriels le choix des procédés de réalisation. Privilégiant ainsi les standards des marchés, l'industrie américaine va, de plus, renforcer sa capacité d'adaptation à la coopération et à l'exportation et renforcer sa position dans ces deux domaines.

La politique de reconversion et de restructuration, quant à elle, est menée avec une détermination - pour ne pas dire une brutalité - sans failles : elle admet la disparition de la moitié des effectifs et de la moitié des entreprises existantes. Mais elle n'est pas exclusive d'aides publiques à celles qui se restructurent.

L'événement marquant de l'année 1994 - nous l'avons signalé dans notre précédent rapport - a été, sans conteste, le rapprochement Northrop-Grumann qui a permis la création d'un groupe dont le chiffre d'affaires est d'environ 50 milliards de francs et surtout la fusion de Martin Marietta et de Lockheed. La nouvelle entité comptera 170 000 salariés et son chiffre d'affaires sera d'environ 125 milliards de francs (il sera donc largement supérieur au budget d'équipement de l'ensemble de nos armées). Ce « géant » américain qui est également un « géant » mondial dans le domaine des missiles et des avions de combat est né du reste très rapidement. Il n'a fallu, en effet, que 5 mois pour mener à son terme l'opération qui a nécessité notamment de négocier l'échange d'actions d'un montant de plus de 50 milliards de francs. La rapidité de l'opération montre la réactivité de l'économie américaine et ses facultés d'adaptation.

L'événement marquant de 1995 pourrait être le rapprochement voire la fusion des deux plus grandes entreprises mondiales de l'aéronautique : Boeing et Mc Donnel Douglas. A elles deux ces entreprises monopolisent près de 85 % des commandes aéronautiques civiles dans le monde mais sont complémentaires puisque Mc Donnel Douglas doit la plupart de ses ventes et de ses profits à l'aéronautique militaire (avion de combat F 15 et F 18, hélicoptère APACHE, avions de transports) alors que Boeing réalise les ¾ de ses activités dans le secteur aéronautique civil. Le chiffre d'affaires de ces deux entreprises est d'environ 120 milliards de dollars (108 par Boeing, 13 pour Mc Donnel Douglas).

Il suffit de rappeler le chiffre d'affaires de l'Aérospatiale (50 milliards de francs) ou de Dassault-Aviation (12 milliards de francs) pour mesurer toute la portée qu'aurait un tel rapprochement et toutes les conséquences pour l'industrie aéronautique européenne.

2. L'agressivité sur les marchés à l'exportation

Le premier pays exportateur est, de loin, les États-Unis, même si à certaines périodes et pour certains armements ils sont supplantés par d'autres pays. Signalons d'ailleurs que la position de l'Allemagne telle qu'elle ressort des tableaux ci-dessous paraît surtout circonstancielle : ce pays « brade » actuellement les surplus d'équipements de l'ex « Volksarmee » plus qu'il ne vend les produits de son industrie.

Principaux pays exportateurs d'engins terrestres de 1992 à 1994

Principaux pays exportateurs de bâtiments de guerre de 1992 à 1994

Principaux pays exportateurs d'aéronefs de 1992 à 1994

Sources : Registre des ventes d'armes de l'ONU (publiées d'après les déclarations des pays fournisseurs et des pays clients). Ce registre minore les livraisons d'armes effectuées par la Russie qui ne les déclare pas systématiquement.

Fortifiées par de profondes restructurations, contraintes par la baisse du budget fédéral à trouver de nouveaux marchés, les entreprises américaines se montrent de plus en plus agressives, et ne dissimulent pas qu'elles visent à évincer l'Europe des marchés où celle-ci était présente de longue date.

L'implication directe des plus hauts responsables politiques dans le placement des contrats les plus importants vient encore fortifier la position exportatrice des industries américaines.

Les manipulations monétaires constituent, en outre, une arme d'une redoutable efficacité ; elles favorisent l'industrie nationale et en même temps qu'elles pénalisent les concurrents étrangers. Une baisse du dollar de 10 centimes fait ainsi perdre 250 millions de francs à l'Aérospatiale ; on peut également rappeler les déboires financiers de GIAT-Industries provoqués par la gestion malheureuse des acomptes en dollars versés par les Emirats arabes unis qui a déjà engendré une perte d'un milliard de francs pour cette société.

Face à ce formidable concurrent, les pays européens ne montrent pas toujours la solidarité que l'on pourrait attendre de leur appartenance géopolitique, culturelle, historique et institutionnelle à une même entité. Faut-il rappeler que le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont préféré acheter l'hélicoptère américain « APACHE » plutôt que de soutenir le programme « TIGRE » ? Faut-il souligner que le programme de l'avion de transport futur ne s'est pas trouvé fortifié - tant s'en faut - par l'achat britannique d'avions américains C 130 et que la participation de la Grande-Bretagne au consortium industriel ne devra être envisagé que sous réserve d'un engagement d'achat ?

C. LA COOPÉRATION EUROPÉENNE

Politiquement, parce qu'elle exprime et renforce la solidarité entre voisins et alliés, économiquement parce qu'elle apparaît comme le seul moyen d'assurer la survie d'industries de pointe, socialement parce qu'elle permet le maintien d'emplois, et d'emplois qualifiés, financièrement parce qu'elle peut amoindrir les coûts et techniquement parce qu'elle accroît l'interopérabilité des matériels, la coopération européenne dans le domaine des armements s'impose comme une évidence.

Mais pour évidente qu'elle soit, elle n'occupe encore qu'une place marginale dans nos équipements : 5 à 10 % environ des crédits du titre V lui sont consacrés. Le montant des économies correspondantes pourrait être chiffré à environ 3 % ; pour que ces économies atteignent 10 milliards de francs il faudrait donc qu'elles quadruplent.

La coopération se heurte, en effet, à des obstacles nombreux :

Elle repose d'abord sur un certain degré d' entente politique qui pour être extérieurement manifestée s'effrite parfois devant le souci de sauvegarder des capacités indépendantes et s'efforce devant des liens privilégiés avec d'autres pays qui ne sont pas nécessairement européens.

Elle implique, ensuite, la convergence, au moment voulu de besoins opérationnels et techniques, de moyens industriels et financiers qui ne sont pas toujours nécessairement appelés à se rencontrer.

Elle suppose, aussi, dans la conduite des programmes, des procédés qui prennent en compte la spécificité d'opérations internationales et ne peut être vraiment profitable qu'entre États possédant des compétences équivalentes.

Ces conditions ne sont pas toujours faciles à réunir et certaines expériences malheureuses ont, du reste, provoqué une diminution du nombre de programmes en coopération au cours des années 80. Des déconvenues sont nées, en particulier, de la lourdeur de la gestion provoquée par des « sur-spécifications » génératrices de retards et de dépassements des prévisions initiales, ou d'évasion de compétences subie par les pays les plus avancés qui ont dû constater la création de capacités de production concurrentes.

Le rétrécissement général des budgets d'équipement, phénomène relativement nouveau, a quant à lui des conséquences ambiguës : il pousse à la coopération en tant que facteur de réduction des coûts, mais il peut également amener à davantage réserver les crédits nationaux aux industries nationales ou à renoncer purement et simplement à certains programmes.

Cela étant, la coopération recouvre d'un mot unique des réalités très diverses. Cette diversité vient des acteurs : États et industriels, des motivations (politiques, financières, techniques), des domaines partagés (études préliminaires, recherche, développement, production, soutien etc..) ou des modalités de mise en oeuvre (gestion, « juste retour »...) (3 ( * )) .

Il est donc intéressant de rechercher dans cette diversité, quelques lignes directrices permettant de discerner les réalisations souhaitables. Deux d'entre elles paraissent plus particulièrement s'imposer.

1/ L'évolution vers des rapprochements de plus en plus durables

La coopération, faite d'associations momentanées sur un programme, a suscité des rapprochements plus durables, prémices d'entités industrielles transnationales où sont partagés aussi bien le capital (échange d'actions et de participation) que les activités qui ne sont plus cantonnées à un programme préalablement défini. Citons, ainsi, pour prendre quelques exemples, la prise de participation majoritaire dans des sociétés étrangères (prise de participation de Thomson-CSF dans Philips Signal), la création d'une nouvelle société (Thomson et la société britannique Ferranti Thomson Powers System ; Airbus-industries, Aérospatiale, Alenia, British Aerospace, Dasa, Casa s'apprêtent à créer la société « Airbus Military Company »), ou la mise en commun d'activités à travers une société holding (Eurocopter réunissant les filiales hélicoptères, de l'Aérospatiale et de la DASA.

Ainsi grâce au dynamisme propre aux entreprises, se dessine peu à peu les contours d'une industrie européenne des armements réunissant les partenaires les plus performants dans le secteur considéré. On évite ainsi les inconvénients d'un partage purement financier qui ne tient pas compte des compétences de chacun, pour édifier une coopération ou une base vraiment industrielle tenant compte des aptitudes de chacun.

Les prises de participation, les créations de filiales communes nouent ainsi des liens plus solides entre les différents pays européens. Sous cette forme, la coopération, même si elle n'apporte pas, au moins dans un premier temps, d'économies substantielles, doit de plus en plus contribuer - et cet apport est essentiel - aux restructurations nécessaires des industries européennes d'armement.

2/ Les institutions, freins ou moteurs de la coopération ?

De nombreuses structures ont déjà été créées dans le domaine de l'Europe, certaines étant plus spécifiquement consacrées à l'armement. Toutes ne paraissent toutefois pas emprunter les mêmes voies et considérer les mêmes objectifs.

A l'actif de ces institutions, on peut citer l'action du Groupe européen indépendant des programmes (GEIP) en faveur d'un programme européen de recherches et d'un décloisonnement des marchés nationaux, ou celle de l' Union de l'Europe occidentale (UEO) en vue de créer une agence européenne pour les armements, annoncée du reste par la déclaration annexée au Traité de Maastricht. D'ores et déjà, une agence franco-allemande de l'armement doit être créée le 1 er janvier prochain. Cette agence réunira ainsi deux partenaires parmi les pays engagés dans la coopération. C'est également au nom de l'UEO que pourrait être étudiée la coordination des besoins opérationnels et le renforcement de la coopération sur les programmes ainsi que la mise en place du mécanisme d'une préférence européenne dans les acquisitions d'armement.

En revanche, c'est avec prudence, pour ne pas dire suspicion que doivent être considérées certaines tentatives de la Commission pour soumettre aux directives de Bruxelles les marchés publics d'armement en invoquant le caractère dual de nombreuses fabrications. De telles tentatives, on l'a vu pour de nombreux secteurs civils, l'électronique grand public notamment, risquent, en effet, de faciliter la pénétration des industriels américains sur le marché européen.

CONCLUSION

Le projet de budget pour 1996, budget de rupture ne peut cependant s'affranchir du poids des programmes lancés. La rupture doit tenir compte du poids du voté et de l'acquis, des engagements européens et dans certains domaines devra donc limiter ses effets à de simples infléchissements.

Mais le budget en projet est également un budget d 'attente. On ne peut donc l'apprécier au-delà de ce qu'il est : un exercice obligé pour donner à la Défense les moyens de préserver l'avenir.

Or les budgets à venir continueront à porter l'empreinte de la rigueur. Ils devront s'inscrire dans de nouveaux choix permettant de donner aux programmes d'armement une cohérence mise à mal par les procédés devenus, malheureusement, habituels : étalements, réductions des cibles, gels et reports des crédits.

A la rigueur acceptée doit nécessairement répondre une crédibilité accrue, des prévisions fiables, assises sur des ressources financières soustraites aux aléas de crédits annoncés comme disponibles mais amoindris en cours d'année par des blocages et des annulations.

Seule, cette crédibilité qu'il convient de recouvrer permettra aux armées de mettre en service tous les équipements annoncés et donnera aux industriels les repères financiers nécessaires à la conduite de leurs entreprises et à l'amélioration de leurs performances.

PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 1996 EXTRAIT Art. 36

Mesures nouvelles - Dépenses en capital des services militaires

Texte de l'article

I. - Il est ouvert au ministre de la Défense pour 1996, au titre des mesures nouvelles sur les dépenses en capital des services militaires, des autorisations de programme ainsi réparties :

Titre V « Équipement  » 88 039 854 000 F

Titre VI «  Subventions d'investissements accordées par l'État  » 901 178 000 F

Total 88 941 032 000 F

II. - Il est ouvert au ministre de la Défense pour 1996, au titre des mesures nouvelles sur les dépenses en capital des services militaires, des crédits de paiement ainsi répartis :

Titre V «  Équipement  » 18 542 184 000 F

Titre VI «  Subventions d'investissement accordées par l'État » 602 109 000 F

Total 19 144 293 000 F

Exposé des motifs

La comparaison par titre des autorisations de programme et des crédits de paiement prévus pour 1996, au titre des dépenses militaires en capital avec les autorisations de programme et les crédits de paiement accordés en 1995 figure au tableau VI annexé à l'exposé des motifs du présent projet de loi.

Les justifications détaillées par chapitre sont présentées dans l'annexe « Services votés » - Mesures nouvelles » établie au titre des dépenses en capital du budget de la Défense.

Modifications apportées par l'Assemblée nationale

L'article 36 du projet de loi de finances adopté par l'Assemblée nationale en première lecture est le suivant :

Art. 36

I. - Il est ouvert au ministre de la Défense pour 1996, au titre des mesures nouvelles sur les dépenses en capital des services militaires, des autorisations de programme ainsi réparties :

Titre V « Équipement  » 88 044 764 000 F

Titre VI «  Subventions d'investissements accordées par l'État  » 901 178 000 F

Total 88 945 942 000 F

II. - Il est ouvert au ministre de la Défense pour 1996, au titre des mesures nouvelles sur les dépenses en capital des services militaires, des crédits de paiement ainsi répartis :

Titre V «  Équipement  » 18 547 094 000 F

Titre VI «  Subventions d'investissement accordées par l'État » 602 109 000 F

Total 19 149 203 000 F

La majoration de 4 910 000 francs en autorisations de programme et en crédits de paiement correspond à :


• une majoration de 5 410 000 francs sur le chapitre 53-70, art. 71 et sq. (Gendarmerie - Equipement et matériels) ;


• une minoration de 500 000 francs sur le chapitre 51-80, art. 33 pour abonder la subvention à l'IFRI (SGPM).

ANNEXE N° 1

I. TABLEAU N° 1 - PRINCIPAUX PROGRAMMES RÉALISÉS EN COOPÉRATION

* La phase III de ce programme est marquée par le désengagement des États-Unis, de l'Allemagne et du Royaume-Uni.

II. TABLEAU N° 2 - PRINCIPAUX PROGRAMMES ENVISAGÉS EN COOPÉRATION

* Les États-Unis se sont retirés du programme.

ANNEXE N° 2

I. ÉVOLUTION DU CHIFFRE D'AFFAIRE DE L'ARMEMENT ENTRE 1984 ET 1994

II ÉVOLUTION DE LA RENTABILITÉ DU SECTEUR DE L'ARMEMENT ENTRE 1984 ET 1994

Source : Rapport analysant la situation économique et financière des entreprises publiques et des établissements publics industriels et commerciaux.

La forte hausse du chiffre d'affaires de 1991 résulte de la prise en compte de GIAT-Industries.

ANNEXE N° 3

L'AVENIR DU CORPS EUROPÉEN ( 4 ( * ) )

La constitution d'un Corps européen (CE) composé d'unités françaises, allemandes et belges puis ultérieurement espagnoles résulte d'une décision commune de la France et de l'Allemagne prise fin 1991.

Outre le bataillon de quartier général (470 personnes) et l'état-major (370 officiers), l'ensemble, susceptible de doubler en temps de guerre, réunit les formations suivantes :


• France : 1 ère Division blindée

42 ème Régiment de transmissions équipé du RITA 6 ème Régiment de matériel


• Allemagne : 10ème Division blindée

12 ème Brigade blindée 30 ème Brigade mécanisée


• Belgique : 1 ère Division mécanisée (3 Brigades), soit 12 000 militaires professionnels


• Espagne : une brigade, après 1997 une division.

A quoi s'ajoute la Brigade franco-allemande créée en 1989 et forte de 5 100 hommes.

Le Corps européen qui compte près de 42 000 militaires présente deux caractéristiques :

ï sa structure est à finalité purement opérationnelle les unités concernées restent en effet sous commandement national et peuvent le réintégrer à tout moment. Le CE se distingue en cela de la Brigade franco-allemande composée à parité de militaires français et allemands intégrés jusqu'au niveau de la compagnie ;

ï seul son état-major est totalement intégré : le commandement de corps et le chef d'état-major sont alternativement français et allemand.

Quatre caractéristiques

Cette formule équilibrée a manifesté son efficacité. Elle appelle néanmoins plusieurs observations :

1. Le nombre de quatre nations engagées constitue un maximum. Au-delà, l'efficacité du Corps serait compromise ;

2. Le problème de l'harmonisation des matériels mis en oeuvre n'est pas sans solution : à preuve, l'interconnectabilité pourra être atteinte entre les deux systèmes d'informatique rivaux l'HÉROS allemand et le SIC (système informatisé de commandement) français ;

3. En revanche, les différences des statuts du personnel qui restent nationaux posent problème : au plan des rémunérations et compléments divers qui s'y rattachent, celui des Français étant nettement moins favorable ; mais aussi au plan opérationnel ; la professionnalisation de l'armée belge entraîne par exemple un vieillissement marqué de ses sous-officiers ;

4. Le budget du CE géré par la France est de 40 millions, soit la moitié de celui de la Force d'action rapide et moins de 20 % du 3 ème Corps d'armée, il est abondé par le canal du budget des armées des quatre nations. En cas de stagnation ou de réduction de leurs crédits militaires, on peut craindre que priorité ne soit donnée aux armées nationales avec pour conséquence une réduction correspondante des moyens du CE La diminution envisagée de 55 à 44 du nombre des sous-officiers français en est un exemple.

5. Enfin la création du Corps européen a conduit au maintien des unités françaises stationnées en Allemagne dont certaines, tel le 42 ème Régiment de transmissions, relèvent de lui. L'opinion allemande y a été sensible comme en témoignent les excellentes relations que ce dernier entretient avec la municipalité d'Achern.

Un outil performant

Lors de sa constitution, il avait été prévu que le Corps européen devrait être opérationnel à la fin de 1995. Selon le Général Willmann, ce délai sera tenu. De fait, le CE a multiplié les exercices y consacrant en 1995 la moitié de son budget de fonctionnement. C'est ainsi que se dérouleront cette année :


• cinq exercices humanitaires : EUROTRANSITEX, le plus important a mobilisé en mai dernier 1 300 militaires qui ont rallié par terre et mer le sud de la France sur le thème de l'évacuation de ressortissants menacés par des troubles intervenant dans un pays donné ;


• cinq opérations proprement militaires : par exemple, PEGASUS mobilisera en décembre prochain durant deux semaines 2 500 hommes dans un quadrilatère de 300 km de côté à cheval sur la France et la Belgique.

Le programme des opérations pour 1996 est de même ampleur.

Une question clé

La mise en place du Corps européen peut donc être considérée comme terminée. Se pose maintenant la question de son utilisation, c'est-à-dire, plus clairement encore, celle de son utilité. Seul, en effet, son emploi pourra justifier la décision politique qui lui a donné naissance il y a trois ans. A cet instrument prémice, dans l'esprit de ces parrains, d'une armée et d'une politique de défense européennes, il convient de confier les taches et d'assigner un rôle. Sous peine de le voir tomber en déshérence.

Des conditions d'emploi complexes

En fait l'utilisation du Cors européen est soumise à des conditions complexes. Ses missions qui s'inscrivent dans le cadre de l'Union européenne sont au nombre de deux :

ï la défense commune des alliés en application de l'article 5 du Traité de Washington (OTAN) ou du Traité de Bruxelles (UEO). Il est alors subordonné au commandement suprême allié en Europe (SACEUR) ;

ï à quoi les conseils de l'Atlantique nord de Bruxelles et d'Oslo en 1992 ont ajouté que le CE pourrait être également affecté soit à des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix, soit à des actions humanitaires conduites sous l'autorité politique de l'ONU et de la CSCE.

Ce dispositif entraîne deux conséquences :

ï concernant l'OTAN, le CE ne serait pas sous le simple contrôle opérationnel des responsables militaires de l'Alliance (conforme aux accords spécifiques de 1966) mais sous leur commandement. Cette mutation est évidemment soumise à la décision de la France ;

ï quant à l'emploi du CE dans le cadre de l'UEO, il ne peut être envisagé, au terme d'une décision du Conseil des ministres de l'UEO de 1993qu'« après décision conjointe des États participant au Corps européen ».Dans ce cas, le commandement désigné pourrait être soit l'OTAN, soit le commandement national d'un des États participants, soit enfin l'état-major du Corps européen lui-même.

Dans les deux cas, la décision politique de l'emploi du CE répond donc à un mécanisme lourd. C'est d'ailleurs pour tenter de l'alléger qu'a été mis en place un Comité commun, à composition à la fois politique et militaire puisque chacun des quatre États y a deux représentants : le directeur politique du ministère des Affaires étrangères et le chef d'état-major des armées. Mais la décision d'engagement du Corps ne peut y être prise qu'à l'unanimité.

A la lumière de ce principe, on constate que l'emploi du Corps européen dépend essentiellement d'un choix politique de la part :

ï de la France touchant ses relations avec l'OTAN ;

ï de l'Allemagne concernant l'engagement de ses troupes soit dans un conflit où elle peut ne pas souhaiter s'investir, tel actuellement celui de Bosnie, soit dans une zone située hors de l'Europe, ce à quoi, même si l'obstacle constitutionnel a disparu, ne paraît pas encore pleinement acquise l'opinion allemande.

Deux voies

Ainsi, entre l'instrument d'intervention performant qu'est devenu le Corps européen et les conditions politiques de son emploi, il existe aujourd'hui un pas qui reste à franchir. Car, il faut y insister, il y aurait péril grave à ne pas lui donner l'occasion de manifester ses qualités opérationnelles et, plus fondamentalement, de justifier son existence.

Deux voies pourraient être explorées à cette fin :

ï un engagement à finalité humanitaire aurait plusieurs avantages : il soulèverait, semble-t-il, moins de réserve de la part d'une opinion allemande par ailleurs en cours d'évolution : un exercice en vraie grandeur sur le terrain contribuerait à renforcer la cohésion des unités nationales qui le composent ; son utilité démontrée fortifierait l'intérêt que les jeunes militaires (appelés, AVAE ou professionnels) peuvent et doivent lui porter.

ï Cet engagement pourrait aussi accélérer l'adoption par le CE du statut qui lui fait actuellement défaut. Il ne s'agit pas seulement, en effet, de régler les problèmes juridiques, financiers, fiscaux ou douaniers qui résultent de l'implantation de l'état-major du Corps européen à Strasbourg. Il s'agit de doter ce dernier d'un ensemble de règles communes qui assure sa cohésion et son efficacité opérationnelle (règles de subordination, d'ouverture du feu, couverture des risques, etc...

Or, le régime auquel est soumis le Corps européen est provisoire, inspiré des règles de l'OTAN c'est-à-dire d'une simple coalition. Or, il s'agit en réalité d'une entité militaire tout autre puisqu'elle réunit des partenaires égaux dans un esprit communautaire. Il conviendrait donc de rapprocher les réglementations nationales en vue d'aboutir à un régime commun qui pourrait s'inspirer de celui des membres des organisations internationales.

Faute de quoi, la disparité des conditions des personnels qui joue actuellement, on l'a vu, en défaveur de la France, risque d'entraîner demain de la part de ses militaires une désaffection à l'égard du Corps européen.

Ce dernier constitue aujourd'hui une réussite technique. Il lui faut devenir davantage c'est-à-dire conquérir sa dimension politique. Voici trois ans sa singularité, son originalité, son utilité se sont imposées aux yeux d'hommes politiques clairvoyants. Elles doivent désormais s'imposer sans tarder aux yeux de l'ensemble des Européens.

* 1 En 1994, le principal arrêté de report des crédits disponibles est intervenu le 25 octobre ; en 1995, le 6 novembre...

* 2 On note que la circulaire du premier Ministre du 20 juillet 1995 relative à la préparation et à la mise en oeuvre de la réforme de l'État et des services publics prévoit, pour mieux gérer le patrimoine de l'État, la création d'un organisme chargé notamment de mettre en place « une véritable comptabilité patrimoniale de l'État ».

* 3 Le tableau en annexe donne le panorama des différentes coopérations réalisées ou envisagées.

* 4 Votre Rapporteur a rendu visite au Corps européen les 8 et 9 juin 1995. Cette note a été rédigée au mois de juin à l'issue de cette visite.

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