C. UN ENJEU CRUCIAL : CONCILIER LES IMPÉRATIFS DE COMPÉTITIVITÉ ET DE SERVICE PUBLIC

Dans un environnement économique où, d'une part, l'internationalisation croissante des échanges conduit à une unification du marché mondial et où, d'autre part, l'extraordinaire vigueur des progrès technologiques va modifier tant l'offre de services que les habitudes de consommation, le secteur des télécommunications occupe une position stratégique : il est un des vecteurs privilégiés de ces progrès technologiques et l'un des premiers facteurs d'intégration planétaire des économies nationales.

Tout le processus juridique d'ouverture à la concurrence de ce secteur, engagé pour la Communauté européenne et dont les grandes lignes viennent d'être rappelées, doit être replacé dans ce contexte.

1. L'impératif de compétitivité

Ce mouvement de libéralisation que notre pays a soutenu depuis l'origine -le compromis de 1989 a été réalisé sous présidence française- a, en effet, pour premier objectif d'améliorer la compétitivité des entreprises communautaires et françaises et, par là même, leurs capacités d'emploi.

De fait, comment escompter que nos entreprises puissent affermir leurs positions internationales si, quand les télécommunications deviennent un facteur de plus en plus important de productivité et d'efficacité, leurs coûts de communications sont plus élevés que ceux de leurs concurrents ?

Comment espérer qu'elles puissent bénéficier des avantages du grand marché unique européen, si leurs communications intra-communautaires sont plus chères que leurs communications interurbaines nationales ?

Comment pourraient-elles atteindre une taille critique sur le marché mondial, en développant des partenariats avec leurs homologues des autres pays de l'Union européenne, si les modes de communications modernes mis à leur disposition (téléphonie cellulaire, réseaux informatiques...) n'étaient pas harmonisées à l'échelle du continent ?

Comment France Télécom -quatrième opérateur mondial- aurait-il pu envisager de continuer à rester dans le « peloton de tête », à une époque où les géants du secteur tissent des réseaux sur l'ensemble du globe, s'il était resté replié sur un « pré carré national » jalousement gardé, suscitant en retour des interdictions d'accès aux marchés voisins ? Comment d'ailleurs pourrait-il, sans accepter l'émulation, résister longtemps aux détournements de trafic que permettent les nouvelles techniques d'appel (« call back » par exemple) ?

La politique de libéralisation et d'harmonisation, menée au plan communautaire, a pour objet d'apporter une réponse garante d'avenir à ces questions fondamentales pour nos entreprises. Mais, elle vise aussi à assurer aux ménages les meilleures conditions d'accès aux nouveaux services de télécommunications que permettent les progrès techniques, considérant qu'une offre plurale est mieux à même de les satisfaire rapidement et efficacement qu'une offre monopolistique.

En France, l'ouverture à la concurrence tant des services à valeur ajoutée fournis aux entreprises que de la téléphonie mobile montre que, bien conduites, les orientations retenues favorisent la créativité des agents économiques et permettent de faire face, dans les meilleures conditions, à l'émergence d'une demande de plus en plus exigeante.

2. L'impératif de service public

Il a toutefois toujours été soutenu par la France que cette libéralisation, à maints égards indispensable, ne devait en aucun cas s'effectuer au détriment de la cohésion sociale et régionale que les opérateurs de service téléphonique avaient contribué à forger, notamment dans notre pays, en accomplissant les missions de service public qui leur avaient été dévolues.

Ainsi, pour France Télécom, pour reprendre ici une distinction opérée par notre collègue Gérard Larcher ( ( * )11) , ces missions de service public s'exercent à l'égard de la population (principe d'universalité, d'égalité et de continuité du service offert) mais aussi, d'une manière plus générale, à l'égard de la nation (contribution à la politique de défense et de sécurité, participation à l'effort de recherche au travers du Centre national d'études des télécommunications, formation des ingénieurs en télécommunications ( ( * )12) ).

L'accomplissement de ces missions contribuent, en outre, à conforter l'aménagement du territoire puisque, en application des principes d'universalité et d'égalité du service public, les tarifs de raccordement et d'abonnement pratiqués par l'opérateur public sont identiques quelle que soit la localisation de l'usager du service téléphonique. Ils ne sont pas modulés en fonction du coût réel de la connexion à réaliser. Ceci est rendu possible par un système de péréquation tarifaire interne à France Télécom qui organise, ainsi, une solidarité financière entre tous ses clients, les mieux situés acquittant un prix plus élevé pour financer la desserte de ceux installés dans des zones difficiles d'accès.

Il est donc évident que si un opérateur concurrent pouvait capter la clientèle la plus rémunératrice sans contribuer aux charges de péréquation, l'égalité de traitement entre les différentes parties du territoire et entre les citoyens ne pourrait plus être assurée. Les habitants des zones les plus denses se verraient accorder des conditions d'accès au service téléphonique plus intéressantes que celles offertes aux résidents des campagnes ou des banlieues déshéritées. Les ménages les plus modestes pourraient se voir ainsi indirectement interdire l'accès au service téléphonique par l'ajustement, trop élevé, des prix de l'abonnement et du raccordement sur les coûts réels.

De telles perspectives ont toujours été jugé inacceptables. Aussi, quoique notre mode d'organisation du service public soit assez exceptionnel au sein de l'Union européenne par son efficacité et le soutien dont il bénéficie dans l'opinion, les textes communautaires intervenus en matière de téléphonie vocale ont, à la demande insistante de la France, pris en compte la nécessité de préserver le service public téléphonique. Ils ont reconnu la nécessité d'instaurer un régime dérogatoire au droit commun de la concurrence pour un service dit « universel » .

Notons que le concept « service universel », se révèle quelque peu différent de la notion de service public. En effet, s'il repose sur les mêmes principes d'universalité, d'égalité et de continuité, le service universel ne vise que « d'une part, l'accès à un ensemble minimal de services définis d'une qualité donnée et, d'autre part, la fourniture de ces services à tous les utilisateurs, à un prix raisonnable, où qu'ils se trouvent ». En bref, la notion de service universel recouvre celle de « service public à la population » exposée précédemment, mais exclut celle de « service public à la Nation » (recherche-développement, formation, normalisation, obligations en matière de défense et de sécurité), que met également en oeuvre France Télécom.

Cependant, même dans cette acceptation quelque peu restreinte, la conciliation des exigences de service universel et de celles de l'ouverture à la concurrence suscite parfois des difficultés, dont les textes visés par la proposition de résolution n° 91 fournissent une nouvelle illustration.

* (11) Rapport d'information sur l'avenir du secteur des télécommunications en Europe (N° 123 ; 1993-1994 ; p. 42)

* (12) France Télécom forme 85 % des ingénieurs en télécommunications embauchés par d'autres entreprises qu'elle même.

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