II. LA PROPOSITION DE LOI N° 138 : LA RECHERCHE D'UNE MEILLEURE PRISE EN COMPTE DES SPÉCIFICITÉS DES COMMUNES RURALES

La proposition de loi dont notre excellent collègue Serge Vinçon est le premier signataire vise à combler ce que ses auteurs considèrent comme une lacune du code pénal, à savoir l'impossibilité absolue pour certaines élus locaux de conclure des baux ruraux avec leur commune, quand bien même celle-ci ne comprendrait pas plus de 3 500 habitants.

L'exposé des motifs justifie cette démarche par les considérations d'ordre sociologique, évoquées ci-dessus, tenant au rôle fondamental tenu par les exploitants agricoles dans les communes rurales, tant sur le plan économique que sur le plan administratif.

Il met également l'accent sur une situation quelque peu paradoxale dans la mesure où le code pénal reconnaît actuellement auxdits élus la faculté de conclure avec leur collectivité des actes a priori plus graves que des baux ruraux et notamment de se porter acquéreurs de biens communaux. On pourrait invoquer à l'appui de cet argument le fameux dicton : « qui peut le plus peut le moins ». Or, même si les formalités prescrites par la loi sont respectées, la rédaction de l'article 432-12 du code pénal ne peut que conduire les services de l'Etat chargés du contrôle de légalité à déclarer illégales les délibérations des conseils municipaux accordant la location d'un terrain communal à un élu.

Nos collègues concluent leur exposé des motifs en insistant sur le risque d'effets pervers de la situation actuelle pour la démocratie locale : sommés de choisir entre un mandat et leur activité professionnelle, les exploitants agricoles élus au sein des conseils municipaux pourraient démissionner en masse et ce alors même que les dernières élections ont mis en avant une pénurie de candidats dans les petites communes.

Pour remédier à cette situation, la proposition de loi prévoit un nouvel assouplissement du régime de la prise illégale d'intérêts : les élus des communes de 3 500 habitants au plus pourraient non seulement, comme actuellement, acquérir mais également louer un bien appartenant à la commune pour la création ou le développement de leur activité professionnelle. Comme pour l'acquisition, la location des biens devrait être autorisée par une délibération motivée du conseil municipal et le prix ne saurait être inférieur à l'évaluation du service des domaines.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS

A. L'OBJECTIF DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : UN ASSOUPLISSEMENT DE LA LÉGISLATION NE LIMITANT EN RIEN L'EFFICACITÉ DE L'ARTICLE 432-12

Sur le plan des principes, votre commission partage l'analyse des auteurs de la proposition de loi n° 138. Elle considère que l'intérêt de la collectivité n'impose pas d'écarter systématiquement les élus de la vie économique même si des limitations à leur liberté d'action doivent effectivement être prévues.

A ses yeux, la moralisation de la vie publique doit demeurer l'objectif, la raison d'être du délit de prise illégale d'intérêts. Il ne saurait être question de proposer un dispositif qui pourrait, ne serait-ce que dans des cas exceptionnels, empêcher d'atteindre cet objectif.

En d'autres termes, toute modification du régime de la prise illégale d'intérêts doit remplir deux conditions :

- être justifiée par des considérations d'intérêt général ;

- et conserver à la prise illégale d'intérêts son caractère pleinement préventif, empêchant toute possibilité de manquement à la probité.

S'agissant du problème soulevé par M. Serge Vinçon et plusieurs de nos collègues, il est exact que reconnaître la faculté aux élus des petites communes de conclure des baux ruraux avec leur collectivité peut se justifier eu égard à l'intérêt général : placer un élu en face de l'alternative entre l'abandon de son mandat ou la renonciation à son activité professionnelle peut souvent se révéler préjudiciable soit pour la démocratie locale soit pour la vie économique de la commune.

Certes, le code pénal autorise les élus à se porter acquéreurs de biens communaux ; mais, d'une part, le caractère irrévocable d'une telle décision peut dissuader la municipalité d'y recourir et, d'autre part, le coût parfois considérable des terrains agricoles peut se révéler sans commune mesure avec les moyens financiers de l'exploitant.

Encore convient-il de s'assurer que l'assouplissement qui serait prévu afin de permettre aux élus de contracter des baux ruraux avec leur commune ne limite en rien l'objectif de moralisation poursuivi par la prise illégale d'intérêts. Sur ce point, il ne serait guère satisfaisant que l'élu tire profit de sa situation privilégiée pour obtenir des avantages que ne pourrait pas obtenir un simple particulier.

Votre commission a donc recherché un dispositif qui, tout en répondant à l'objectif des signataires de la proposition de loi :

- assure un loyer correspondant à la valeur des biens loués ;

- garantit l'égalité des citoyens en évitant notamment que, par les informations dont il peut disposer, l'élu local puisse gagner de vitesse les simples particuliers ;

- confère à la commune un « droit de repentir » lui permettant de mettre fin à un contrat de bail unilatéralement pour la réalisation d'un projet déclaré d'utilité publique.

B. LA SOLUTION PROPOSÉE PAR VOTRE COMMISSION DES LOIS

Si elle partage l'analyse des auteurs de la proposition de loi n° 138, votre commission ne vous propose pas d'en reprendre le dispositif qui lui apparaît à la fois trop large dans son champ d'application et incomplet quant aux précautions prises pour éviter notamment une rupture de l'égalité entre les citoyens.

Votre commission vous soumet donc un texte comprenant deux articles afin d'autoriser les élus locaux à conclure des baux ruraux avec leur commune sous de strictes conditions destinées à répondre aux objectifs ci-dessus évoqués.

1. Un assouplissement du régime de l'article 432-12 du code pénal limité à certains baux ruraux (article premier)

L'article premier, paragraphe I, propose d'étendre les assouplissements prévus pour les communes de 3 500 habitants au plus aux baux régis par le titre premier du livre IV du code rural. Ne sont dont pas concernés les baux professionnels ni les baux commerciaux ni même certains baux ruraux tels que le bail emphytéotique, dont la durée peut atteindre quatre-vingt-dix-neuf ans.

Ce faisant, sont applicables aux contrats concernés toutes les garanties prévues par le titre premier du livre IV dudit code, et notamment le respect d'un prix compris dans une fourchette fixée par le préfet (article L 411-11), ainsi que la faculté pour la collectivité de résilier le bail à tout moment, en tout ou en partie, lorsque les biens loués sont nécessaires à la réalisation d'un projet déclaré d'utilité publique (article L. 415-11, troisième alinéa).

Les problèmes liés à l'impossibilité pour les communes rurales de conclure un bail commercial ou professionnel avec des élus n'ont pas échappé à votre commission. Ils lui paraissent cependant se poser en des termes différents en raison notamment de la plus grande liberté laissée aux cocontractants (concernant en particulier la fixation du loyer) et, s'agissant des baux commerciaux, des difficultés financières auxquelles pourrait se heurter une commune pour résilier un contrat relatif à un terrain ayant vu sa valeur sensiblement accrue. Votre rapporteur estime cependant souhaitable de conduire une réflexion sur le sujet, tout au moins pour les plus petites communes.

2. Des mesures complémentaires destinées à conserver toute l'efficacité de l'article 432-12 par une meilleure transparence de la procédure (article 2)

a) L'obligation de publier l'estimation du service des domaines

Afin d'assurer un maximum de transparence à la procédure, votre commission estime souhaitable de prévoir la publication de l'estimation réalisée par le service des domaines. Cette publication pourra notamment être effectuée par affichage en mairie. Il vous est proposé de l'exiger non seulement pour la conclusion des baux ruraux, mais également pour celle des baux d'habitation et des contrats de vente, c'est-à-dire pour tous les cas où cette estimation est exigée.

Ainsi, votre commission vous propose de rendre plus transparentes toutes les procédures conduisant à un bail ou à une acquisition intéressant un élu local et sa commune.

b) L'exigence d'un délai entre la publication de l'estimation par le service des domaines et l'autorisation de contracter donnée par le conseil municipal

Afin d'éviter ce que l'on pourrait appeler un « délit d'initié » -lié à la situation privilégiée d'un élu lui permettant d'anticiper la conclusion de baux ruraux- l'article 2 du texte proposé par votre commission exige un délai de deux mois entre la publication de l'estimation du service des domaines et la délibération par laquelle le conseil municipal autorise la conclusion du bail.

Pendant ce délai, toute personne intéressée par le terrain que la commune envisage de louer pourra se proposer comme co-contractant. Ainsi, l'élu ne sera pas avantagé par des informations qui pourraient lui permettre de « prendre de vitesse » les citoyens ne siégeant pas au conseil municipal.

c) Une limitation de la durée du bail

Aux termes de l'article L. 411-5 du code rural, la durée minimale d'un bail est de neuf années.

Afin d'éviter la conclusion de baux d'une durée excessivement longue, votre commission a estimé souhaitable de considérer ces neuf années comme un maximum, dès lors que le contrat serait conclu entre un élu et sa collectivité.

Plusieurs de nos collègues avaient même souhaité fixer cette durée à six ans, afin de la calquer sur la durée d'un mandat municipal. Votre commission n'a pas retenu cette suggestion, estimant, d'une part, qu'un bail de six ans serait trop court pour permettre de rentabiliser les investissements réalisés par le preneur et que, d'autre part, elle compliquerait le dispositif proposé en prévoyant une nouvelle dérogation aux statuts des baux ruraux.

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Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte figurant ci-après.

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