ANNEXE 2 : RÉSUMÉ DE LA JOURNÉE D'AUDITIONS PUBLIQUES DU JEUDI 25 AVRIL 1996

Réunie le jeudi 25 avril sous la présidence de M. Jacques Larché, la commission des Lois a procédé à une journée d'auditions publiques sur la délinquance juvénile, dans la perspective de l'examen du projet de loi portant modification de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

M. Jacques Larché ainsi que le rapporteur de la commission, M. Michel Rufin, avaient souhaité que cette journée permette d'aborder le problème de la délinquance juvénile dans son ensemble et non le seul point soulevé par le projet de loi, à savoir l'accélération des procédures pénales. La commission a ainsi entendu, outre le Garde des Sceaux, des praticiens de l'ordonnance de 1945 (avocats, magistrats, du siège et du parquet, et éducateurs) et des personnes quotidiennement confrontées à ce difficile problème (fonctionnaires de police, membres du corps préfectoral et du corps enseignant).

Me Marie-France Ponelle, responsable de l'antenne des mineurs de Paris, a fait part de ses inquiétudes, en ce que le projet de loi lui a paru remettre en cause le rôle essentiel du juge des enfants en conférant au parquet, sous réserve de l'appel devant un magistrat de la Cour d'appel, la faculté de lui imposer la date de l'audience. En revanche, le dispositif de « césure » pénale, c'est-à-dire la déclaration immédiate de culpabilité et le renvoi de la décision sur la mesure à une audience ultérieure, lui a paru susceptible de faire prendre conscience au jeune délinquant de l'existence d'interdits tout en continuant à subordonner le prononcé d'une mesure à des investigations approfondies sur sa personnalité.

Me Marie-Elisabeth Breton, avocat à Arras, a vu dans la délinquance juvénile le symptôme de l'incapacité de la société à répondre aux besoins des adolescents. Insistant sur la carence éducative des parents et sur celle des institutions, elle a considéré le projet de loi comme un texte conjoncturel et sécuritaire. À ses yeux, le remède au problème réside avant tout dans l'accroissement des moyens consacrés à « l'éducatif », que la responsabilité en revienne aux juridictions pour enfants ou aux départements.

M. Alain Bruel, président du tribunal pour enfants de Paris, a mis en avant la nécessité d'une réponse judiciaire plus rapide à la délinquance juvénile. Il s'est déclaré favorable au principe de la césure pénale, estimant même souhaitable de la permettre devant le tribunal pour enfants et non seulement, comme le prévoit le projet de loi, devant le juge des enfants. Il a en revanche contesté le dispositif de comparution à délai rapproché, notamment en ce qu'il permettrait au parquet de faire appel d'une décision du juge ne faisant pas droit à ses réquisitions. Cette faculté lui a paru contenir en germe un risque de conflit entre le procureur et le juge des enfants.

Mme Martine Bagot, juge des enfants à Versailles, s'est inquiétée des conséquences pratiques du projet de loi qui lui a paru de nature à accroître sensiblement la charge de travail des juridictions et des services éducatifs auprès des tribunaux.

M. Christian Kulyk, juge d'instruction à Montbéliard, qui fut durant neuf ans juge des enfants à Belfort, a insisté sur la vocation éducative de l'ordonnance de 1945 et sur la nécessité de prendre en compte la personnalité du mineur avant de prononcer une mesure à son égard. Il a estimé inutile de modifier cette ordonnance -dont les dispositions lui ont paru permettre l'intervention rapide d'une décision judiciaire- et a suggéré l'institution d'un « contrat de procédure » en vertu duquel la juridiction accorderait au mineur un délai lui permettant de faire ses preuves.

M. Schmit, procureur de la République de Rouen, a apporté son soutien au projet de loi. Après avoir évoqué l'évolution récente de la délinquance juvénile, caractérisée notamment par son augmentation et son caractère de plus en plus violent, il a estimé nécessaire d'apporter dans les meilleurs délais une réponse judiciaire à chaque fait délictuel. Il a jugé indispensable de toujours préférer, dans la mesure du possible, la solution éducative à l'incarcération.

M. Jean-Pierre Valensi, procureur de la République à Saint-Omer, s'est également déclaré favorable au projet de loi. Estimant que le temps pénal devait s'adapter au temps vécu par le mineur, il a considéré comme trop tardive une mesure prononcée plus de six mois après les faits, le délinquant ayant en général « oublié » ce qui lui est reproché.

M. Roland Maucourant, commissaire divisionnaire du XVIII e arrondissement de Paris, a précisé que le véritable problème venait des mineurs « multiréitérants », à savoir ceux régulièrement appréhendés par la police, parfois plus de vingt fois par an. Favorable au dispositif de la césure pénale, il a estimé que l'important n'était pas de prononcer une sanction mais de faire savoir au délinquant que l'autorité judiciaire avait pris acte de son comportement anti-social.

M. Lutz, commissaire principal au Blanc-Mesnil, a résumé l'évolution récente de la délinquance juvénile, marquée notamment par l'augmentation des « incivilités », à savoir des faits peu répréhensibles pénalement mais particulièrement mal ressentis, par leur répétition, par les citoyens (dégradations des boîtes aux lettres, injures...).

M. Claude Lanvers, sous-préfet à la ville du Rhône, a avancé plusieurs facteurs explicatifs de la délinquance juvénile : crise de l'emploi, insuffisance des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse, recours limité à l'ilôtage policier. Il a présenté certaines solutions retenues dans le département du Rhône consistant notamment à élaborer des « parcours de resocialisation » du jeune (d'une durée de six mois au cours de laquelle celui-ci doit participer à des travaux d'utilité sociale, à des stages...) et à prévenir les problèmes sanitaires par des conventions avec les secteurs intervenant dans le domaine psychiatrique et dans le traitement de la toxicomanie. Il a également mis en avant le rôle essentiel des mesures de réparation à l'égard des victimes.

Mme Marie-Danielle Pierrelée, principal du collègue Garcia-Lorca à Saint-Denis, a évalué à une cinquantaine -sur 650 élèves- le nombre de jeunes délinquants ou prédélinquants dans son établissement. Elle a cependant distingué d'une part les meneurs, pratiquement jamais appréhendés par la police, et d'autre part les jeunes choisis par ceux-ci pour commettre des délits. Parmi ces mesures, elle a insisté sur le sort des plus fragiles, souvent humiliés par leurs camarades et fréquemment appréhendés par les autorités.

M. Garden, proviseur à Vaulx-en-Velin, a indiqué n'avoir jamais eu d'incident dans son établissement, inauguré en septembre 1995 et accueillant 165 élèves. Selon lui, la sanction à l'égard du mineur délinquant doit toujours être dictée par le souci de l'amendement du fautif.

M. Jacques Toubon a présenté l'évolution de la délinquance juvénile au cours des dernières années précisant qu'elle s'était accrue notablement alors même que la délinquance en général s'était stabilisée, qu'elle était le fait de mineurs de plus en plus jeunes et qu'elle s'accompagnait d'un sentiment d'impunité propice à la réitération des actes délictueux. Présentant son projet de loi, il a rappelé que celui-ci s'inscrivait dans le cadre plus général du pacte de relance pour la ville, lequel prévoyait notamment la création de cinquante « Unités à Encadrement Educatif Renforcé » (UEER) chargées de suivre les mineurs en situation particulièrement difficile. Il a indiqué que le projet de loi avait pour objet d'accélérer la procédure relative aux jeunes délinquants en prévoyant notamment, pour les infractions les moins graves et les plus simples, la faculté pour le juge des enfants de se prononcer sans instruction préalable. Pour les délits plus graves commis par des mineurs plus fortement ancrés dans la délinquance, le Garde des Sceaux a présenté la procédure de comparution à délai rapproché qui permettrait au parquet de demander le jugement du mineur dans un délai n'excédant pas trois mois. Il a conclu son propos en précisant que la réforme ne remettrait aucunement en cause les principes de l'ordonnance de 1945, et notamment le primat de l'éducatif.

M. Bernard Cassagnabère, éducateur au Havre, a approuvé le dispositif du projet de loi relatif à la césure pénale. Il a relativisé les propos tenus sur l'impunité des mineurs délinquants en évoquant l'augmentation du nombre de jeunes incarcérés. Il a regretté l'allongement de la durée de la détention provisoire pour les mineurs.

Mme Dauphant, éducatrice à Grenoble, a également approuvé la césure pénale, regrettant même que celle-ci ne concerne pas le tribunal pour enfants. Elle a cependant estimé que la réponse à la délinquance juvénile devait être avant tout recherchée par une augmentation des moyens de la Protection Judiciaire de la Jeunesse.

Enfin, M. Max Longeron, directeur régional de la protection judiciaire de la jeunesse de la région Île-de-France, a vu dans la carence des adultes le principal facteur du passage à la délinquance. Il a fait observer qu'une large partie des mineurs, tels les trafiquants de stupéfiants, n'étaient pas traduits devant la justice. Il a également mis l'accent sur le problème des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse et notamment des services éducatifs auprès des tribunaux.

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