N° 8

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SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 2 octobre 1996

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi, autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Afrique du Sud sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements (ensemble un protocole),

Par M. Nicolas ABOUT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi tend à autoriser l'approbation d'un accord conclu le 11 octobre 1995 entre la France et l'Afrique du Sud, et relatif à l'encouragement et à la protection réciproques des investissements. Cet accord, qui s'ajoutera aux quelque quarante conventions de même objet actuellement en vigueur, ne se distingue que très marginalement du texte-type habituellement retenu par la France en matière de protection des investissements. Les stipulations du présent accord sont donc suffisamment familières à votre Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour que votre rapporteur, après avoir évalué l'évolution récente de la République d'Afrique du Sud et de ses relations avec la France, ne consacre qu'un commentaire rapide au contenu de la convention du ll octobre 1995 qui nous est soumise.

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I. FRAGILITES SUD-AFRICAINES

En dépit des succès incontestables, par rapport à la situation qui prévalait à l'époque de l'apartheid, que sont la réussite de transition politique et la fin de la récession économique, des défis majeurs restent à surmonter : graves déséquilibres sociaux, faiblesses structurelles de l'économie, persistance de la violence et crise d'identité de l'ANC.

A. DES SUCCES INCONTESTABLES

1. Une transition politique réussie

Les premières élections démocratiques et multiraciales d'avril 1994, qui ont consacré la victoire de l'ANC puis l'adoption, en mai 1996, d'une constitution très libérale, fondée sur l'attachement aux Droits de l'Homme, sont les deux grandes étapes de la transition sud-africaine depuis le démantèlement du système de l'apartheid. Désormais assis sur une légitimité démocratique fondée sur le principe "un homme, une voix", le nouveau régime conjugue de manière très spécifique le principe de la majorité et le souci d'associer les minorités au processus de décision politique.

Si, en effet, l'ANC contrôle désormais l'essentiel des postes-clés du pays (Présidence de la République, poste de premier Vice-Président, présidence de l'Assemblée) et dispose de la majorité au Parlement, le gouvernement issu des élections d'avril 1994 faisait une large place aux représentants des partis adverses, notamment à l'Inkhata Freedom Party et au Parti National (jusqu'à ce que celui-ci se retire, le 30 juin 1996, des gouvernements central et provinciaux). Le système politique qui s'est mis en place après les élections de 1994 relève donc d'une sorte de "cogestion démocratique" entre les deux principales forces politiques sud-africaines que sont l'ANC et le Parti National.

2. Un régime à la recherche d'une légitimité nouvelle

La rupture avec l'époque de l'Apartheid s'est manifestée par le changement de drapeau le choix de nouveaux jours fériés et d'hymnes différents et par le changement de nom des bâtiments publics et des infrastructures les plus importantes. Ces gestes symboliques ont contribué à "façonner le nouveau régime et la citoyenneté sud-africaine en proposant de nouveaux mythes politiques" 1 ( * ) .

La normalisation des relations avec les pays voisins, dont a témoigné la rétrocession du port de Walvis Bay à la Namibie, ainsi que le retour de l'Afrique du Sud au sein du Commonwealth, de l'OUA (Organisation pour l'Unité Africaine), de l'UNESCO, et du Groupe des non-alignés, s'inscrivent dans le mouvement de refondation du pays qui passe également par une entreprise de réconciliation nationale rendue nécessaire par les cruautés de l'apartheid.

A cet égard, la Commission de la Vérité et de la Réconciliation, instance multipartite présidée par Mgr Desmond Tutu, a été chargée de purger les tensions de l'après-apartheid au cours de cérémonies expiatoires qui, depuis le printemps 1996, peuvent conduire à l'amnistie des personnes qui viendraient y confesser leurs crimes. Il est, certes, prématuré d'envisager un apaisement rapide des plaies héritées de l'apartheid. Il ne s'agit pas moins d'une forme originale et courageuse de règlement d'un passé proche et douloureux.

3. La fin d'une longue période de récession économique

Les résultats relativement satisfaisants enregistrés depuis 1994 attestent des progrès certains, en dépit de faiblesses structurelles sur lesquelles votre rapporteur reviendra.

En 1995, malgré de mauvaises récoltes et une baisse de la production minière, la croissance du PIB s'est élevée à 3,5 %. Les exportations de marchandises, tant vers les grands pays industrialisés que vers les partenaires africains, ont augmenté de 15 à 25 % chaque année depuis 1993. L'inflation a été ramenée à 6,4 %, soit le meilleur résultat depuis vingt ans. Les investissements - nationaux et internationaux - ont représenté un flux de près de 20 milliards de Rands en 1995. Ce succès montre que la politique libérale conduite par le gouvernement d'unité nationale a su gagner la confiance des investisseurs que toute menace d'instabilité politique aurait pu décourager.

B. LES DEFIS DE LA NORMALISATION

L'Afrique du Sud a donc franchi avec succès le cap de la transition. Elle est désormais confrontée, dans une perspective à plus long terme, aux défis majeurs que constituent l'élaboration d'une identité nationale dans un pays aux particularismes très affirmés, la violence au Kwazulu-Natal, la pauvreté, les faiblesses structurelles de l'économie et l'aptitude de l'ANC à gérer seul les difficultés de l'après-apartheid.

1. Vers la construction d'une identité nationale

• L'Afrique du Sud est avant tout une mosaïque de peuples très divers :

- la communauté noire, très majoritaire (30 millions de personnes sur 40 millions de Sud-Africains), est divisée en huit ethnies d'importance inégale, parlant des langues différentes et attachées à des particularismes très vivants ;

- la communauté blanche ne compte que 4,8 millions de personnes (soit 13 % de la population sud-africaine), soit 2,8 millions d'Afrikaners et 2 millions d'Anglophones. Rappelons que la guerre anglo-boer a scellé de profonds différends entre ces deux groupes, que l'apartheid et les sanctions internationales ont conduit à se rapprocher ;

- les métis ((3,3 millions de personnes) et les Indiens (1 million) constituent les deux minorités non blanches d'Afrique du Sud.

• La construction d'une identité nationale sud-africaine paraît d'autant plus complexe que la Déclaration des Droits reconnaît un statut officiel à onze langues (zoulou, anglais, afrikaner, udebele, sotho, venda, tswana, xhosa, leboa, swali, tsonga), et que le développement de langues telles que l'hindi, le portugais, l'hébreu, le sanskrit et le tamul est encouragé.

• Par ailleurs, le régime sud-africain reconnaît la validité du droit coutumier africain , dont la valeur est équivalente à celle de la loi commune, ainsi que les structures tribales traditionnelles. Bien que la constitution s'appuie sur le principe d'une république unitaire, âprement défendu par l'ANC aux dépens du système fédéral, les particularismes locaux sont puissants, alors même que l'unité de l'Afrique du Sud doit encore être édifiée. A cet égard, la vigueur de l'identité zouloue (communauté de huit millions de personnes concentrées au Kwazulu-Natal), et qui s'incarne dans le parti de l'Inkatha Freedom Party, illustre la réalité des tendances centrifuges en Afrique du Sud.

2. La persistance de la violence

Au Kwazulu-Natal, l'opposition très vive entre partisans de l'ANC et de l'IFP (Inkhata Freedom Party) provoque chaque semaine la mort de nombreux militants. En avril 1996, la famille royale zouloue elle-même a été la cible d'exactions qui ont conduit le président Mandela à repousser les élections municipales. Celles-ci se sont finalement tenues le 26 juin 1996 et ont confirmé l'affaiblissement de l'Inkhata par rapport à l'ANC, qui domine désormais les grandes villes de la province. De manière générale, la persistance d'une forte criminalité demeure liée tant à la pauvreté croissante d'une forte minorité de la population, qu'à sa radicalisation au profit d'organisations politiques plus révolutionnaires. L'apaisement est donc subordonné à la capacité de l'équipe au pouvoir de surmonter les déséquilibres sociaux qui constituent une plaie incontestable de l'Afrique du Sud actuelle.

3. Des déséquilibres sociaux considérables

Alors que le niveau de vie des Blancs est comparable à celui des Européens, la communauté noire dispose d'un revenu moyen près de dix fois inférieur. Le chômage touche environ 50 % de la population noire. Plus préoccupant encore est son faible niveau d'éducation, hérité de l'apartheid. C'est pourquoi l'éducation fait partie des priorités définies dans le cadre du plan de rattrapage économique et social lancé en 1994.

De manière générale, on compte en Afrique du Sud 5 à 8 millions de personnes sans abri ou mal logées ; 60 % de la population vit sans électricité et 16 millions de personnes n'ont pas l'eau courante. Ce fossé est d'autant plus frappant que l'Afrique du Sud est le seul pays d'Afrique sub-saharienne à disposer d'infrastructures développées et modernes.

Les déséquilibres sociaux se sont traduits par un développement préoccupant de la délinquance, qui a inspiré l'adoption par le gouvernement du Programme de reconstruction et de développement, désormais axé sur quatre domaines d'intervention prioritaires : amélioration des infrastructures, lutte contre la criminalité, préservation et développement du potentiel humain (santé et éducation), réforme et démocratisation de l'Etat.

4. Faiblesses structurelles de l'économie sud-africaine

En dépit d'atouts non négligeables - richesses naturelles considérables, bonne formation des cadres, infrastructures performantes -, des faiblesses structurelles incontestables hypothèquent à ce jour le développement rapide de l'Afrique du Sud.

Faiblesse du taux d'épargne et déficit budgétaire sont à l'origine d'une grande dépendance à l'égard des investisseurs étrangers , et, partant, d'une grande vulnérabilité du financement de l'économie sud-africaine à l'égard des risques d'instabilité politique. Cette tendance s'est illustrée par la chute du Rand au premier trimestre 1996, à la suite de rumeurs sur la santé du chef de l'Etat, et du départ des ministres du Parti national.

Une autre fragilité de l'économie sud-africaine réside dans l' étroitesse du marché national (40 millions d'habitants) - situation aggravée par le faible niveau de vie de la population noire. La conquête de parts du marché international s'impose donc aux entreprises sud-africaines, ce qui implique la recherche de gains de productivité, alors même que le faible coût de la main d'oeuvre et une longue autarcie ont renforcé des comportements économiques sensiblement différents.

L'un des enjeux du développement sud-africain est donc de faire accepter peu de créations d'emplois à une société où le chômage touche officiellement près du tiers des actifs.

5. Les contradictions de l'ANC

Principal mouvement d'opposition au régime de l'apartheid, l'ANC est, depuis sa victoire aux élections de 1994, confrontée aux contradictions résultant de son statut de parti de gouvernement, obligé de rassurer communauté économique internationale et investisseurs nationaux tout en préservant l'appui de ses militants.

La grève lancée par le syndicat Cosatu en avril 1996 a illustré les difficultés suscitées par le virage libéral opéré par l'ANC. Le parti au pouvoir pourrait être fragilisé par l'impopularité de mesures telles que les privatisations, ou par la persistance d'un fort taux de chômage. Depuis le départ du Parti national du gouvernement d'union issu des élections de 1994, l'ANC doit faire la preuve de sa capacité à conduire seul des réformes économiques et sociales considérables. C'est pourquoi la succession du Président Mandela, qui ne se représentera pas en 1999, sera le principal enjeu politique des prochaines années.

* 1 Dominique Darbon, "Afrique du Sud - un régime consociatif", L'Etat du Monde 1996

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