B. LE CHANGEMENT DE STATUT DE FRANCE TÉLÉCOM

Conformément à l'article premier de la loi du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom, l'exploitant public France Télécom est transformé en une entreprise nationale dont l'État détient directement plus de la moitié du capital social à compter du 31 décembre 1996.

Ce changement de statut qui s'inscrit dans le cadre de l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications, a rendu nécessaire une clarification de la situation des personnels et un règlement de la question des charges de retraite des agents fonctionnaires de France Télécom, afin notamment de préparer l'ouverture du capital de l'entreprise.

1. L'évolution de la situation des personnels

L'article 5 de la loi du 26 juillet 1996 prévoit que le changement de statut de France Télécom ne modifie pas le statut des agents fonctionnaires de l'opérateur. Cette solution est d'ailleurs conforme à l'avis rendu par le Conseil d'État le 18 novembre 1993 1 ( * ) .

En outre, ce même article permet à France Télécom de continuer à recruter des fonctionnaires jusqu'au 1er janvier 2002. L'opérateur a, semble-t-il, prévu d'en recruter 4.500 d'ici cette date.

Toutefois, il est aussi rappelé que France Télécom a la possibilité d'embaucher des contractuels, ce que la loi du 2 juillet 1990 avait déjà autorisé "lorsque les exigences particulières de l'organisation de certains services ou la spécificité de certaines fonctions le justifient".

Ainsi, les effectifs fonctionnaires de France Télécom s'élèvent actuellement à 146.800 et les agents contractuels à 8.037, soit 5,2% des effectifs totaux.

Toutefois, pour corriger les défauts de la pyramide des âges des salariés de France Télécom, augmenter les embauches et assurer une plus grande mobilité des personnels, l'article 7 de la loi du 26 juillet 1996 a institué au bénéfice des agents fonctionnaires de France Télécom un dispositif de " congé de fin de carrière ".

Celui-ci s'appliquera jusqu'au 31 décembre 2006, sur leur demande et sous réserve de l'intérêt du service, aux agents fonctionnaires âgés d'au moins 55 ans ayant accompli au moins 25 ans de services à France Télécom ou dans un service relevant de l'administration des postes et télécommunications.

Les intéressés ne pourront revenir sur leur choix. Ils seront mis à la retraite et radiés des cadres à la fin du mois de leur soixantième anniversaire.

Les agents qui auront choisi ce dispositif recevront une rémunération mensuelle, versée par France Télécom, égale à 70 % de leur rémunération d'activité complète (traitement, primes et indemnités) au moment de leur départ en congé. La période de congé de fin de carrière sera prise en compte pour le calcul du droit à pension. Par ailleurs, France Télécom versera une indemnité de départ aux agents qui partiront en congé de fin de carrière (entre un et douze mois de rémunération, selon l'âge de l'employé).

L'article 17 prévoit en outre que la cotisation vieillesse patronale, à la charge de France Télécom, relative aux rémunérations des agents en congé de fin de carrière sera calculée comme si les traitements correspondants étaient maintenus à 100 % de leur niveau antérieur.

Ces dispositions devraient représenter un coût non négligeable pour France Télécom. En effet, le coût actualisé du départ en congé de fin de carrière d'environ 40.000 agents avant le 31 décembre 2006 est évalué à un peu plus de 20 milliards de francs, dont :

- 12,1 milliards de francs au titre du maintien de 70% de la rémunération des agents concernés ;

- 5,5 milliards de francs au titre du maintien de la cotisation vieillesse patronale sur 100 % du traitement ;

- 2,6 milliards de francs pour la prime de départ.

L'article 12 de la loi du 26 juillet 1996 autorise France Télécom à prévoir, dans son bilan au 1er janvier 1996, "l'imputation sur la situation nette des charges exceptionnelles prévues par la présente loi". France Télécom devrait utiliser cette disposition pour provisionner les charges des congés de fin de carrière qui, actuellement, ne sont pas prévues dans les comptes de l'exploitant.

Ainsi, chaque année, France Télécom pourra prélever sur ces provisions le financement des congés de fin de carrière. Selon les indications fournies à votre rapporteur, le montant estimé de cette charge pour 1997 serait de l'ordre de 360 millions de francs.

2. Le règlement de la question des charges de pension

L'article 30 de la loi du 2 juillet 1990 a prévu que l'État assure la liquidation et le service des pensions des agents fonctionnaires de l'opérateur mais que, en contrepartie, France Télécom verse au Trésor Public :

- une retenue sur le traitement de ses agents fonctionnaires, dont le taux est fixé par l'article L. 60 du code des pensions civiles et militaires de retraite, soit 7,85 % aujourd'hui,

- une contribution complémentaire permettant la prise en charge intégrale des dépenses de pensions de ses agents retraités.

Le coût de la prise en charge des retraites des agents
fonctionnaires de France Télécom

Depuis 1991, France Télécom rembourse à l'État le mondant intégral des pensions versées à ses retraités.

Les prévisions relatives aux charges de retraite sont notifiées par le ministre chargé du budget au plus tard le 31 octobre de l'année précédant celle où les paiements correspondants sont effectués. France Télécom verse à l'État des acomptes par douzième mensuel, un paiement complémentaire de régularisation intervenant en fin d'année, pour tenir compte du coût réel des charges de pensions au cours de l'exercice considéré.

Ces ressources sont rattachées par voie de fonds de concours au chapitre 32-97 du budget des charges communes, où sont inscrits, en contrepartie, les crédits correspondants aux pensions des agents fonctionnaires de France Télécom.

Cette charge a suivi, depuis 1991, l'évolution retracée dans le tableau ci-après :

(en millions de francs)

1991

1992

1993

1994

1995

1996

6.065

6.414

7.002

7.254

7.654

7.980

En outre, France Télécom contribue au financement de la compensation généralisée démographique vieillesse ("compensation") et de la compensation spécifique vieillesse ("surcompensation").

Les charges de compensation et de surcompensation que France Télécom a versées au Fonds de compensation géré par la Caisse des dépôts et consignations depuis 1991 sont retracées dans le tableau ci-après.

(en millions de francs)

1991

1992

1993

1994

1995

1996

1.157

1.364

1.758

893

1.320

1.150

Or, un tel système ne pouvait être maintenu avec l'ouverture du secteur des télécommunications à la concurrence. Il aurait constitué un véritable handicap pour France Télécom, notamment au regard de l'évolution prévisible de ces charges de pensions.

Cela aurait en effet créé une très forte distorsion entre France Télécom et les opérateurs concurrents et pesé lourdement sur les conditions de l'ouverture du capital de l'entreprise.

C'est pourquoi, l'article 6 de la loi du 26 juillet 1996 a prévu que l'État verserait désormais les charges de retraite des agents fonctionnaires de France Télécom.

Mais, en contrepartie, deux types de dispositions ont été prévues :

- l'instauration d'une contribution employeur à caractère libératoire, proportionnelle aux sommes payées à titre de traitement et soumises à retenue pour pension ; cette contribution dont le taux 2 ( * ) et les modalités seront fixés par décret en Conseil d'État et assimilable à une cotisation vieillesse doit faire en sorte que France Télécom soit placé dans les mêmes conditions que ses principaux concurrents,

- le versement d'une contribution forfaitaire exceptionnelle destinée à diminuer le montant de la charge qui reviendra en définitive à l'État au titre de ces pensions ; son montant et les modalités de son versement doivent être "fixés en loi de finances avant le 31 décembre 1996".

L'article 28 du présent projet de loi de finances a pour objet de fixer le montant de la contribution forfaitaire exceptionnelle qui sera de 37,5 milliards de francs.

Ce montant devrait être "supportable" pour France Télécom. Il sera imputé au bilan d'ouverture sur la situation nette de l'entreprise et aura pour effet d'accroître son endettement. De ce fait, le ratio dette sur fonds propres passera de 66% à la fin de 1995 à environ 150%. De même, la dette financière de France Télécom qui était passée de 120,6 milliards de francs à la fin de 1991 à 84,3 milliards de francs à la fin de 1995, devrait repasser au- dessus de 100 milliards de francs au cours de l'année 1997.

On observera que ce montant a été en partie provisionné dans les comptes de France Télécom. En effet, conscient de ses obligations en matière de charges de retraite, l'opérateur a commencé dès 1992 à provisionner ces charges. À la fin de 1995, cette provision atteignait 17,5 milliards de francs auxquels s'ajoutent 4,8 milliards de francs inscrits dans les comptes de 1996. C'est donc au total 22,3 milliards de francs que France Télécom a déjà mis de côté.

Il convient de noter que le montant de la contribution a été fixé de manière forfaitaire, sans lien avec la charge que l'État devra réellement assumer au titre des pensions des agents fonctionnaires de France Télécom.

Évolution des charges de retraite des agents fonctionnaires de France Télécom

Pour 1997, le montant prévu des charges de pensions s'établit à 8,26 milliards de francs auxquels s'ajoute 1,15 milliard au titre de la compensation-surcompensation, soit un total de 9,41 milliards de francs.

Compte tenu de la situation démographique déséquilibrée de France Télécom (une moyenne d'âge de 43 ans, 34,4 % des agents ayant plus de 45 ans et à peine 20 % moins de 35 ans), cette charge devrait progressivement s'accroître et atteindre, en francs constants, plus de 30 milliards de francs en 2025, avant de baisser au cours des années suivantes.

De ce fait, avec un taux d'actualisation de 7 %, la charge globale de retraite des agents fonctionnaires de France Télécom devrait s'élever à 242 milliards de francs pour l'État.

On peut y ajouter le coût actualisé de la compensation-surcompensation, soit 9 milliards de francs.

En face de cette charge, figurent, d'une part, le produit de la contribution forfaitaire exceptionnelle, soit 37,5 milliards de francs, et, d'autre part, le produit actualisé de la contribution employeur dont l'entreprise devra s'acquitter chaque année, soit 99 milliards de francs.

La différence entre les charges de retraite et les contributions de France Télécom, soit 114,5 milliards de francs, représente la charge nette actualisée pour le budget de l'État de la prise en charge des retraites des agents fonctionnaires de France Télécom.

Votre rapporteur se félicite que la question des charges de pension ait pu être réglée de cette façon, "pour solde de tout compte". Cela permet, en effet, d'offrir une grande visibilité à l'entreprise France Télécom et à ses futurs actionnaires.

3. L'ouverture du capital de France Télécom

Comme le Gouvernement et le président de France Télécom l'ont annoncé, une partie du capital de l'entreprise devrait être mise sur le marché au cours du 1er semestre de 1997.

Il devrait d'ailleurs s'agir de l'une des principales sources de recettes de privatisation pour l'État en 1997, soit environ 25 milliards de francs.

Cette opération pourra avoir lieu grâce au changement de statut de France Télécom et au règlement de questions annexes importantes telles que la prise en charge par l'État des pensions des agents fonctionnaires. Mais elle pourra aussi se faire dans de bonnes conditions du fait de la situation financière satisfaisante de l'entreprise.

Le tableau ci-après fournit les principales données chiffrées sur la situation de France Télécom.

(en milliards de francs)

1994

1995

Évolution en %

Chiffre d'affaires

142,6

147,8

+ 3,7

Résultat d'exploitation

26,7

27,3

+ 2,3

Résultat net

9,9

9,2

-7,3

Dette financière nette

96,6

87,3

-9,6

Frais financiers (en % du chiffre d'affaires)

5,6

5,0

Investissements

35,8

31,6

-11,7

On observera en particulier le montant élevé des investissements effectués, soit plus de 30 milliards de francs chaque année (en légère diminution en 1995 du fait de l'achèvement du programme de numérisation de l'ensemble du réseau).

On observera également la poursuite du désendettement de l'entreprise, la dette de France Télécom étant passée de 120 milliards de francs en 1991 à un peu plus de 87 milliards de francs à la fin de 1995. Le versement de la "soulte" de 37,5 milliards de francs en 1997 devrait cependant entraîner un nouvel accroissement de cette dette qui devrait dès lors à nouveau franchir le seuil des 100 milliards.

Enfin, il convient de constater la progression du chiffre d'affaires et du résultat d'exploitation, en augmentation particulièrement nette dans certaines filiales et activités du groupe. Le résultat net après impôt est de 9,2 milliards de francs, sur lesquels le dividende prélevé par l'État en 1995 a été de 4,5 milliards de francs.

Ces données font de France Télécom le quatrième opérateur mondial du secteur des télécommunications, après le japonais NTT, l'américain ATT et Deutsche Telekom. Toutefois, après la récente annonce du rapprochement entre British Télécom et MCI, France Télécom devrait revenir à la cinquième place.

L'ouverture du capital de France Télécom devrait donc se révéler attractive et rencontrer le même succès que la privatisation en cours de Deutsche Telekom ou les autres opérations ayant eu lieu en Europe dans ce secteur au cours des derniers mois.

Les principales privatisations dans les télécommunications en Europe

British Télécom

Privatisation en 1991.

PTT Nederland

55 % ont déjà été vendus, une dernière tranche est prévue en 1997-1998.

Telefonica de Espana

Les 20 % restant à l'État doivent être vendus début 1997.

Portugal Télécom

Télécom Italia

Deutsche Telekom

Telia

49 % du capital sont déjà vendus. 25 % du capital doivent être cédés de gré à gré fin 1996.

La privatisation de la STET qui détient 56,5 % de Télécom Italia est prévue en 1997.

Vente d'une première tranche en novembre 1996. La seconde tranche est prévue pour 1998.

100 % du capital sont détenus par l'État suédois. L'ouverture du capital est prévue en 1997.

Votre rapporteur se félicite de la rapidité des évolutions intervenues en 1996 et des conditions dans lesquelles se présente l'ouverture du capital de France Télécom au printemps de 1997.

Une telle opération ne pourra qu'accroître les moyens de l'entreprise et lui permettre d'affronter de façon satisfaisante la concurrence internationale.

En effet, cette concurrence, dans un secteur hautement stratégique, va devenir de plus en plus vive au cours des prochains mois. Il est en conséquence impératif que France Télécom puisse conserver sa position actuelle et son niveau d'excellence, tout en renforçant ses activités à l'international.

Pour lever les derniers obstacles qui pourraient entrave le développement de France Télécom, votre rapporteur souhaiterait vivement que soit rapidement et définitivement réglée la question des arriérés de paiement de l'État à l'égard de France Télécom, comme le Gouvernement s'y est d'ailleurs engagé.

La Cour des comptes en a fait état dans son dernier rapport public, ce qui souligne la nécessité de régler rapidement le problème.

Observations de la Cour des Comptes sur les arriérés de paiement des services de l'État à l'égard de France Télécom

(Rapport public - Octobre 1996)

Les services de l'État ont depuis longtemps pris la mauvaise habitude de ne régler qu'avec retard et parfois incomplètement leurs factures de téléphone.

Avec l'augmentation du nombre de lignes installées et le développement corrélatif des communications ainsi que des prestations connexes procurées par la télécopie et le Minitel, la consommation téléphonique des services publics s'est fortement accrue au cours des dernières années, les retards de paiement dont ils étaient déjà coutumiers prenant dans le même temps une ampleur considérable, sur laquelle la Cour a déjà appelé l'attention dans ses derniers rapports sur l'exécution des lois de finances, à propos des reports de charges à l'exercice suivant.

Le niveau ainsi atteint par ces impayés, soit environ 2 milliards de francs, est devenu d'autant moins supportable que le changement de statut de France Télécom et la libéralisation prochaine de son marché ne permettent plus de maintenir dans ses comptes des créances aussi fortement et durablement incertaines. La régularisation complète et définitive de cette situation s'impose désormais. Les premières mesures engagées à cette fin doivent être généralisées et éventuellement complétées.

* 1 Dans son avis, le Conseil d'État précisait que la loi transformant France Télécom en société anonyme pourrait prévoir le rattachement des fonctionnaires de France Télécom à la nouvelle société, mais qu'elle devrait néanmoins respecter 4 critères :

- définir les missions de service public confiées à la société et les faire figurer dans son objet social ;

- prévoir que le capital de la société anonyme restera majoritairement détenu, directement ou indirectement, par l'État ;

- fixer les règles essentielles d'un cahier des charges imposant à la société anonyme le respect d'obligations garantissant la bonne exécution du service public ;

- édicter des dispositions propres à garantir que la nature d'organisme de droit privé de la société anonyme France Télécom ne puisse avoir pour conséquence qu'il soit porté atteinte au principe de continuité du service public.

* 2 Le taux de cette contribution n'est pas encore arrêté, mais pourrait être proche de 36 %.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page