COUR DE CASSATION

M. Jean-François Burgelin,
procureur général près la Cour de cassation,
M. Christian Le Gunehec,
président de la chambre criminelle de la Cour de cassation

M. Jean-François Burgelin a tout d'abord indiqué que la philosophie même du projet de loi ne pouvait qu'être approuvée, qu'elle répondait aux nécessités contemporaines rappelées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Il a fait observer qu'elle emportait toutefois un certain nombre de conséquences, notamment l'allongement de la durée de la détention provisoire en raison du retard induit dans la création d'une nouvelle juridiction. Il a estimé que le taux de détention provisoire s'en trouverait accru au risque d'une nouvelle détérioration de l'image internationale de la justice française.

Il a également relevé que cet allongement se traduirait par un encombrement accru des maisons d'arrêt alors que celles-ci connaissaient un taux d'occupation préoccupant.

Enfin, il a évoqué l'accroissement de la charge de travail des magistrats, des greffiers et des fonctionnaires de justice si des personnels nouveaux n'étaient pas recrutés en quantité suffisante. Il a, en outre, souligné la difficulté pour certains palais de justice de trouver des locaux adaptés à la création des nouveaux tribunaux.

Evoquant ensuite l'abaissement de l'âge minimum des jurés de vingt-trois à dix-huit ans, M. Jean-François Burgelin a tout d'abord rappelé que, vue de l'étranger, la justice française était rendue par des magistrats très jeunes et qu'il était peut-être maladroit d'accentuer ce caractère. Il a par ailleurs estimé que des conversations avec des jurés montraient que la participation à une session de cour d'assises pouvait être la cause d'un trouble et d'un traumatisme profonds et difficiles à assumer pour de jeunes majeurs. En conclusion, il a recommandé le maintien de la situation actuelle.

S'agissant de la motivation des décisions, M. Jean-François Burgelin a considéré qu'une contradiction fondamentale mettait en opposition le secret d'un vote justifié par l'intime conviction et la motivation de la décision. Il a par ailleurs craint que des désaccords entre le président et le premier des jurés n'empêchent la rédaction de la motivation. Il a également fait valoir que, grâce aux débats à l'audience, le condamné savait les raisons pour lesquelles sa culpabilité avait été retenue. Il a en outre observé que le projet de loi retenait l'expression inhabituelle de " raisons " au lieu des " motifs " alors même que les définitions de ces deux termes montraient que la raison n'était pas moins exigeante que le motif.

Enfin, il a considéré que l'idée suggérée par certains de prévoir la préparation de canevas de décisions avant que les avocats ne se fussent exprimés était en contradiction avec les principes fondamentaux des droits de la défense.

M. Jean-François Burgelin a évoqué le nouvel article 231-78 que l'Assemblée nationale avait complété pour prévoir que l'avocat de l'accusé pouvait rappeler à tout moment au président qu'il ne devait pas manifester son opinion. Il a estimé que ces dispositions étaient inutiles en raison des obligations d'impartialité pesant sur le président et qu'elles avaient en outre l'inconvénient d'affaiblir la portée de cette obligation dans les autres juridictions. Il a par ailleurs considéré que si cette faculté de rappel devait être retenue, elle devrait au moins être étendue au parquet. En conclusion, il a fait valoir que ces dispositions introduisaient une suspicion à l'égard du président, estimant donc préférable de s'en tenir à la pratique actuelle permettant à l'avocat de faire prendre acte des propos du président par le greffier dans la perspective, le cas échéant, d'un pourvoi en cassation.

M. Christian Le Guhenec a indiqué qu'il souscrivait aux propos du procureur général, notamment sur l'interpellation du président par l'avocat de l'accusé.

Evoquant son expérience d'avocat d'assises dans les années 50, il a rappelé qu'il avait toujours pensé que le fonctionnement de la cour d'assises devrait être revu et qu'il conviendrait même de réfléchir au rôle du jury. Il a toutefois estimé que si le jury devait être maintenu, il n'était pas cohérent d'exiger qu'il motive ses décisions dans la mesure où, contrairement aux juges professionnels qui statuent au nom du peuple français, les jurés sont le peuple qui juge et que sa qualité de souverain justifie qu'il n'ait pas à expliquer ses motivations.

Rappelant les termes de l'article 342 du code d'instruction criminelle de 1808 qui confiait au jury le soin de se prononcer en l'absence des magistrats sur la culpabilité, il a mentionné le texte alors affiché dans les lieux de délibéré disposant notamment que " la loi ne demande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus " et que la seule question que les intéressés devaient se poser était la suivante : " Avez-vous une intime conviction ? ".

M. Christian Le Gunehec a ensuite exposé que les arrêts d'assises faisaient d'ores et déjà l'objet d'une motivation. Il a évoqué à cet égard un arrêt du 30 avril 1996 dans lequel la chambre criminelle avait estimé que l'ensemble des réponses des jurés, reprises dans l'arrêt de condamnation, tenaient lieu de motifs. Il a souligné que le dispositif des questions satisfaisait aux exigences de procès juste et équitable posées par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme dès lors que trois conditions étaient également respectées : l'information préalable sur les charges, le libre exercice des droits de la défense et la garantie de l'impartialité des juges. Il a signalé que cette jurisprudence s'inscrivait dans une longue tradition, illustrée notamment par un arrêt du 19 février 1897, par lequel la Cour de cassation avait cassé un jugement de cour d'assises pour contradiction de motifs à partir d'un moyen soulevé d'office.

Il a estimé qu'il convenait de ne pas aller au-delà des exigences actuelles, surtout si la motivation pouvait intervenir quinze jours après la décision elle-même. Il a en outre considéré qu'une motivation collégiale serait difficile à rédiger et que des risques de contradiction de motifs n'étaient pas à écarter alors même qu'une telle contradiction constituait par nature un motif de cassation. Il a par ailleurs craint des conflits entre le président et le premier juré. Enfin il a observé que le législateur, expression du peuple souverain, n'avait pas à motiver son vote.

Evoquant ensuite la question de l'abaissement de l'âge minimum des jurés, il a rappelé qu'en 1972, alors qu'il était à la direction des affaires criminelles et des grâces, cet âge avait été fixé à vingt-trois ans dans un souci d'harmonie avec l'âge minimum retenu pour exercer les fonctions de magistrat. Il a indiqué que cet âge minimum avait été supprimé mais que les exigences de la formation empêchaient en pratique l'accès aux fonctions de magistrat avant l'âge de vingt-trois ans. En conclusion, il s'est déclaré plutôt partisan du maintien du droit en vigueur, les étudiants étant peu disponibles pour exercer des fonctions de juré.

M. Christian Le Gunehec a par ailleurs précisé qu'il souscrivait aux propositions formulées par Me Hervé Temime en faveur du passage de la majorité de défaveur de huit à neuf devant la cour d'assises.

S'interrogeant ensuite sur le nombre d'appels à envisager, il a estimé qu'il était difficile de l'évaluer. Il a toutefois signalé qu'à l'heure actuelle, les cours d'assises rendaient 2.000 à 3.000 décisions par an et que le pourcentage des pourvois en cassation s'établissait à 8 %, dont la moitié n'était pas soutenue, les condamnés préférant pouvoir bénéficier des réductions de peine. Il a précisé que les cassations ne représentaient qu'une dizaine d'arrêts par an.

M. Christian Bonnet a fait valoir que la société contemporaine favorisait les solutions complexes et tendait à privilégier la transparence alors même que celle-ci n'était pas toujours justifiée ainsi que le montraient les réticences formulées par les deux intervenants.

M. Pierre Fauchon a considéré que la question de la motivation constituait l'un des aspects les plus contestables du projet de loi et risquait, si elle était retenue, de se révéler inapplicable dans la pratique. De manière générale, il a considéré comme inacceptable que la motivation intervînt après la décision.

M. Jean-François Burgelin lui a rappelé que, de nombreuses audiences d'assises se terminant tard dans la soirée, il n'était pas rare que la décision fût rendue au milieu de la nuit. Il a considéré en conséquence qu'il n'était pas souhaitable qu'un président commence à rédiger immédiatement des motifs. Il s'est par ailleurs inquiété des conditions dans lesquelles le président pourrait rédiger ces motifs, alors même que le vote était secret.

M. Christian Le Gunehec a mis l'accent sur l'harmonisation des conditions de notification du jugement ou de l'arrêt au condamné afin d'éviter un doute sur le point de départ du délai d'appel et de pourvoi en cassation.

M. Jacques Larché, président, a constaté que nombre de débats portaient sur le bien-fondé de la motivation. Il a rappelé qu'il avait eu l'occasion de suggérer que la Cour de cassation s'inspirât des techniques utilisées par le Conseil d'Etat pour statuer sur la contradiction des motifs, le défaut de motifs ou l'insuffisance manifeste de motifs.

M. Christian Le Gunehec a précisé que les cassations pour violation de procédure étaient devenues très rares en raison de l'amélioration de la formation des présidents et des greffiers de cours d'assises.

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