CHAPITRE V

DES INSUFFISANCES QUI NE PERMETTENT PAS L'ADOPTION DU BUDGET

I. UNE POLITIQUE DE LA MÉMOIRE SACRIFIÉE

La forte diminution des crédits affectés à la mémoire ne traduit pas seulement le manque d'ambition du gouvernement dans ce domaine, mais le sacrifice de cette politique sur l'autel de la régulation budgétaire. Votre rapporteur peut d'autant moins accepter cette décision qu'elle va à l'encontre de ses conclusions à l'issue de la mission d'information sur la politique de la mémoire. En effet, votre rapporteur est persuadé que la légitimité du secrétariat aux anciens combattants dépend de la qualité de sa politique de la mémoire.

Le budget des anciens combattants s'élève à près de 26 milliards de francs, alors que les crédits affectés à la politique de la mémoire se montent à un peu plus de 26 millions de francs, soit moins de 0,1 % du budget global. Pourtant, ces chiffres sont trompeurs car c'est la Délégation à la Mémoire et à l'Information Historique qui justifie l'existence du secrétariat des anciens combattants. En effet, la diminution du nombre des anciens combattants fera nécessairement perdre de l'importance aux tâches traditionnelles, à savoir la gestion de la dette viagère et des mesures à caractère social en faveur des invalides pensionnés et du monde combattant. En revanche, l'entretien et la transmission de la mémoire deviendront d'autant plus prioritaires que le nombre des témoins vivants se réduira, que les associations d'anciens combattants, qui se chargeaient jusqu'alors de l'entretien de la mémoire, disparaîtront progressivement, et que, l'éloignement des conflits et la crise économique aidant, les jeunes se sentiront de moins en moins concernés par ces événements.

Certes, c'est une évolution normale et le signe d'une société saine, qui ne vit pas recroquevillée sur son passé. Mais il ne faudrait pas tomber dans l'excès inverse et, sous prétexte de modernité, négliger le rôle de la mémoire.

En effet, comme le fait remarquer Pierre Nora dans Les lieux de mémoire , celle-ci n'est pas la simple connaissance du passé ; elle incarne la vie, " toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, en évolution permanente ; elle est un phénomène actuel, un lien vécu au présent éternel; elle installe le souvenir dans le sacré " et, parce qu'elle transmet des valeurs, développe le sentiment d'appartenance à une nation.

II. LA DÉCRISTALLISATION DES PENSIONS ENCORE REPOUSSÉE

Plus de 1.400.000 Africains, Indochinois, Maghrébins, Malgaches, Somalis sont venus combattre sur le sol de France au cours des deux guerres mondiales. Plus de 150.000 d'entre eux ont fait le sacrifice de leur vie. La plupart de ces anciens combattants d'outre-mer résident aujourd'hui dans les Etats indépendants issus des anciennes colonies françaises. Or, leurs droits s'en sont trouvés modifiés de façon défavorable par rapport à leurs anciens compagnons d'armes métropolitains.

En effet, les articles 170 de la loi de finances pour 1959 (pour l'Indochine) et 71 de la loi de finances pour 1960 (pour les autres pays) ont " cristallisé " leurs pensions au taux en vigueur au jour de l'indépendance des Etats en question.

Certes, les textes instaurant la " cristallisation " ont réservé au pouvoir réglementaire la liberté de décider des revalorisations discrétionnaires. Mais ces revalorisations ont été rares et parcimonieuses, la dernière en date remontant à 1995. Le niveau actuel des pensions servies aux anciens combattants d'outre-mer reste donc trop faible. En outre, la valeur du point de pension varie d'un pays de résidence à l'autre. Or, ces écarts n'ont pas d'autres motifs que des contingences historiques : globalement, la valeur du point est d'autant plus basse que l'indépendance est ancienne.

Pourtant, aucune mesure de revalorisation des pensions en faveur des anciens combattants d'outre-mer n'est envisagée par le gouvernement.

Certes, un alignement complet sur la valeur du point de pension en vigueur en France aurait un coût estimé à 3 milliards de francs par an (1 milliard de francs pour les pensions militaires d'invalidité et la retraite d'ancien combattant et 2 milliards de francs pour les pensions de retraite), évidemment excessif. Il serait toutefois souhaitable de porter progressivement les pensions servies aux anciens combattants d'outre-mer à un niveau comparable à celui de la métropole, compte tenu du coût de la vie dans les pays concernés. Surtout, il faut réduire les écarts de valeur du point qui existent entre les pays de l'ancienne Indochine, ceux du Maghreb et ceux d'Afrique noire, que rien ne justifie.

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