III. POUR UNE MEILLEURE UTILISATION DES FRÉQUENCES RADIOPHONIQUES

Les difficultés de gestion des fréquences radiophoniques ont conduit les principaux observateurs de ce secteur à préconiser une réorganisation générale de la bande MF , en introduisant des mono-fréquences pour les réseaux nationaux . Les grandes radios généralistes, les radios thématiques nationales et les stations nationales du secteur public pourraient ainsi être entendues sur une fréquence unique , de quelque partie du territoire où l'auditeur se trouverait.

Ce nouveau plan de fréquences, souhaité par les opérateurs 65( * ) , théoriquement possible 66( * ) , " pacifierait " le paysage radiophonique mais, au préalable, il nécessiterait une révolution des mentalités chez les principaux acteurs. Il permettrait également de préparer la radio à l'ère numérique en facilitant l'introduction du DAB. Il pose toutefois de redoutables problèmes techniques dont l'audit demandé par le Gouvernement devrait mettre en lumière l'ampleur .

A. LA SITUATION ACTUELLE FAIT APPARAÎTRE LA SINGULARITÉ FRANÇAISE

1. La question de l'utilisation optimale des fréquences

a) La répartition réelle des fréquences radio

On fait souvent état d'une répartition des fréquences radiophoniques strictement équilibrée entre le secteur privé et le secteur public, disposant de 3 050 fréquences chacun. Cette information n'est pas exacte .

Le rapport de janvier 1996, présenté au Parlement par le Conseil supérieur de l'audiovisuel et intitulé " bilan de l'usage des fréquences affectées à la radiodiffusion sonore et à la télévision par voie hertzienne terrestre " 67( * ) , fournit des indications très précises.

Répartition des fréquences radiophoniques au 15 janvier 1996

2 861 fréquences privées :

· 778 pour 550 opérateurs de radios " associatives ". Elles vivent du fonds de soutien alimenté par les télévisions ou radios commerciales, d'un tout petit peu de publicité locale et des dons de la divine providence quand il s'agit de radios chrétiennes.

· 575 fréquences pour les 250 opérateurs de radios locales commerciales.

· 682 fréquences pour les radios filiales ou franchisées à un réseau thématique. Ce sont des antennes mixtes qui proposent des émissions locales dans un programme national.

· 469 fréquences pour les réseaux thématiques NRJ, Fun Radio, Skyrock, RTL2, Chérie FM, RFM, BFM, Radio Classique.

· 357 pour les radios nationales généralistes comme RTL, Europe 1, RMC.

2 569 fréquences publiques :

· 221 pour France Info

· 453 pour les radios locales

· 629 pour France Inter

· 626 pour France Culture

· 629 pour France Musique

· 2 pour Radio Bleue et 9 pour FIP

Une comparaison entre secteur public et privé portant uniquement sur les quantités de fréquences est insuffisante. En effet, toutes les fréquences ne sont pas équivalentes puisque leur efficacité dépend des puissances avec lesquelles elles sont émises et du " dégagement du point d'émission ", qui contribue - avec la puissance - à fixer l'entendue de la zone de service.

La répartition entre secteur public et secteur privé tourne à l'avantage du privé, avec 3 256 fréquences pour ce dernier, contre 2 570 pour le secteur public.

Il est cependant impossible de savoir si ces fréquences sont réparties de manière optimale, c'est-à-dire d'évaluer la part d'espace hertzien occupée par une catégorie de radio.


Les indicateurs statistiques de la radio, réalisés par le SJTIC en collaboration avec le CSA, ne répartissent en effet les audiences qu'entre:

- les radios généralistes,

- les radios thématiques nationales (en distinguant les " radios musicales " des " autres " catégories qui recoupent quatre des cinq radios du secteur public : France Info, Radio Bleue, France Culture et France Musique),

- les radios locales,

- et enfin une rubrique " autre " qui rassemble les radios étrangères, RFI et les radios non identifiées.

Cette répartition ne recoupe pas celle des 5 catégories définies par le CSA. Il est donc impossible de connaître l'audience des radios selon les catégories définies par le CSA, et notamment entre les catégories B, C et D.

b) Les fréquences ont été réparties de façon optimale

On prétend que l'écart entre deux stations de radio , techniquement nécessaire pour éviter les brouillages entre deux stations qui occupent un site de fréquence contigu, est plus faible aux États-Unis qu'en France. Il serait de 0,3 mégahertz outre-Atlantique et de 0,4, voire 0,5 mégahertz en France. Il s'agit également d'une idée reçue qui mérite une analyse lucide .

Les écarts recommandés par la Federal communication commission atteignent en réalité 0,6 mégahertz, soit plus qu'en France. Les États-Unis peuvent ainsi se permettre de sous-utiliser la bande MF, dans la mesure où leur territoire est infiniment plus vaste. Mais ce n'est pas toujours le cas, notamment pour les grandes villes du nord-est, de la Nouvelle-Angleterre.

Si les mêmes écarts de fréquence étaient utilisés à New-York et à Paris 68( * ) , notre capitale ne disposerait que de 24 fréquences pour la bande MF au lieu de 45 fréquences actuellement attribuées .

Une autre comparaison se révèle également instructive.

Le CSA a, dans l'étude précitée, comparé le nombre de fréquences de radiodiffusion sonore en modulation de fréquences en service en France métropolitaine à celui des fréquences utilisées en Allemagne et au Royaume-Uni.

Le choix de ces deux pays est fondé sur les raisons suivantes :

- leurs superficies respectives sont peu différentes de celle de la France ;

- la gestion de la bande MF, dans ces deux pays, est effectuée rigoureusement, ce qui permet de considérer que les informations statistiques obtenues sont raisonnablement fiables. Il n'en va pas de même dans tous les pays. L'Italie, par exemple, présente une situation très confuse, ce qui a rendu difficile, voire impossible jusqu'à ce jour, toute tentative de coordination franco-italienne.

La comparaison entre le nombre de fréquences autorisées en France, en Allemagne et au Royaume-Uni est donnée dans le tableau ci-dessous :

 

Allemagne

Royaume-Uni

France (métropole)

Service Public

760

666

2 570

Radios privées

577

176

3 256 *

Total

1 337

842

5 826*

* y compris les fréquences des radios d'autoroute

Il convient toutefois de pondérer ces résultats en tenant compte des différences de superficie de territoire entre les deux pays considérés, ceux-ci étant d'une superficie inférieure à celle de la France.

Le tableau suivant donne le nombre moyen de fréquences MF diffusées sur une zone de 1 000 km² :

 

Allemagne

Royaume-Uni

France (métropole)

Surface en km²

356 000

230 000

550 000

Nombre (N) de fréquences/1 000 km²

3,75

3,66

10,57

Ce tableau permet de dresser le constat suivant :

1/ Le nombre N de fréquences diffusées sur 1 000 km² est du même ordre de grandeur en Allemagne et au Royaume-Uni ;

2/ Le nombre N pour la France est approximativement 2,8 fois plus élevé que celui de ses voisins.

On peut cependant expliquer -au moins en partie- cette différence en notant que :

- Les gammes de puissance des stations MF Outre-Rhin sont généralement plus élevées qu'en France. Il en résulte, pour l'Allemagne, une réduction de l'utilisation de la ressource du spectre en terme de quantité de fréquences.

- Le Royaume-Uni, à de rares exceptions près, n'a pas encore fait usage de la bande MF entre 105 et 108 Mhz. Quand il exploitera à son tour cette ressource, le gain potentiel en quantité de fréquences sera de l'ordre de 15 %, ce qui devrait l'amener à un nombre N de l'ordre de 4,2. Il faut noter que la stratégie adoptée par ce pays, ayant conduit à dédier des portions de la bande MF pour différentes classes de services (publics et privés), induit des contraintes pour la gestion des fréquences. Elles contribuent donc à limiter le nombre global de fréquences disponibles.

- En France, sont comprises dans le nombre total des fréquences, celles qui ont des puissances faibles ou modestes, utilisées essentiellement par Radio France (complément de couverture sur des zones de faible étendue pour les programmes nationaux) et par les radios d'autoroute (environ 400 fréquences de 200 W maximum).

On observe, en outre, qu'en Allemagne, comme au Royaume-Uni, l'avantage du nombre de fréquences est au bénéfice du secteur public, alors que la France se trouve en situation inverse.

De cette analyse, il ressort, à quelques réserves près, que l'utilisation de la bande MF, en terme de fréquences, est plus dense en France que dans les deux pays voisins . Ceux-ci, il est vrai, sont probablement encore dans une phase de développement des radios privées, alors que la France est en voie de stabilisation (la saturation de la bande de fréquences peut être considérée comme atteinte dans la plupart des zones peuplées).

En conclusion, l'intensité de l'utilisation de la bande MF ne peut donc qu'aviver la gravité de la pénurie de fréquences.

2. La question de l'attribution de monofréquences

Cette attribution d'une fréquence unique, sur laquelle on pourrait capter, de quelque point du territoire, une radio, est délicate à résoudre sur le plan technique.

Aucun des réseaux , y compris ceux du secteur public, comme celui de France Info par exemple, -bien que la notoriété de la station soit bâtie autour de sa fréquence " 105,5 "- ne possède la même fréquence sur tout le territoire .

Une fréquence unique ne fonctionne qu'en mode linéaire , par exemple comme les radios d'autoroute (107,7), pour un coût assez élevé (50 000 francs du kilomètre). La fréquence unique est incompatible avec un maillage dense du territoire , en raison des risques de brouillage. Techniquement, il serait plus raisonnable de bâtir un plan de fréquences autour d'une fréquence-mère et d'attribuer les fréquences se rapprochant le plus d'une valeur nominale, par exemple 105,3, 105,1, 105,7 pour 105,5.

Il s'agit donc, là encore, d'une fausse-bonne idée.

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