B. LE DÉBAT SUR L'ADAPTATION DU MODE DE RÉGULATION DU PAYSAGE RADIOPHONIQUE

Après avoir lancé un ballon d'essai, le CSA a procédé à une adaptation de ses procédures d'attribution des fréquences. L'adaptation du code législatif reste en chantier par suite du changement de Gouvernement.

1. La mise aux enchères des fréquences, un système séduisant mais inadaptable

a) Le système britannique de gestion des fréquences radio

Certains ont proposé de s'inspirer du système adopté en Grande-Bretagne pour gérer l'attribution des fréquences radiophoniques.

L'organisation de la bande MF dans le secteur commercial et associatif est profondément différente comparée à notre pays :

Il existe en France 12 réseaux nationaux, 2 réseaux semi-nationaux et 3 regroupements nationaux de stations locales, contre un seul réseau national en Grande-Bretagne. On compte en France 680 radios locales, et 110 en Grande-Bretagne. Enfin, on recense en France 542 radios associatives, et seulement 106 en Grande-Bretagne.

Comparées au système français, les principales caractéristiques du système britannique sont les suivantes :

1/ Le plan de fréquences britannique introduit une distinction claire entre les fréquences attribuées à la BBC, et les fréquences disponibles pour les radios relevant de la compétence de la Radio Authority.

2/ La procédure d'attribution des fréquences par la Radio Authority prévoit une enquête préalable d'intérêt public. Celle-ci est notamment destinée à repérer les besoins en programmes, identifier les fréquences disponibles, et préciser les formats manquants, justifiant l'attribution d'une nouvelle fréquence, compte tenu de la réalité du marché publicitaire local et des autres ressources disponibles.

3/ Une fois ce repérage effectué, un appel d'offres est lancé sous forme d'une mise aux enchères . Celle-ci porte sur l'attribution de fréquences associées à des formats.

Un opérateur qui déciderait de changer de format perdrait automatiquement sa fréquence. Celle-ci serait alors, soit remise aux enchères sur le format initial, soit proposée sur un autre format si l'enchère est infructueuse, et après une nouvelle enquête préalable.

L'autorité de régulation a pour principe d'exclure la présence sur une même zone de deux radios ayant des formats identiques, susceptibles de se faire concurrence.

4/ Les réseaux nationaux émettant en AM (Talk Radio, Virgin 1215, Atlantic 252) ne sont généralement pas repris en MF. Le seul réseau national en MF est " Classic FM ".

Sur les 160 radios indépendantes, locales ou régionales, les 2/3 sont en modulation de fréquence, 1/3 en modulation d'amplitude.

Pour le reste, il n'existe pas de réseaux au sens où nous l'entendons en France.

Des groupes peuvent être propriétaires de plusieurs radios locales indépendantes. Toutefois, il n'y a pas confusion entre la propriété d'un réseau et la nature de sa programmation. Le Broadcasting Act interdit du reste à un groupe de posséder plus d'une radio AM ou MF dans une même zone. Le Gouvernement de M. John Major avait toutefois proposé de lever cette interdiction.

Les banques de programmes susceptibles d'alimenter en partie les radios indépendantes (comme par exemple Independent Radio News, Network News, Reuters Radio News ou Sport Media Broadcasting,...) ont un statut spécifique auprès de la Radio Authority.

Les situations apparaissent donc profondément différentes entre les deux pays. Si le paysage radiophonique de Grande-Bretagne est moins tourmenté que le paysage radiophonique français, ce dernier est, de l'avis des observateurs, sensiblement plus diversifié.

b) Un système difficilement transposable

La transposition du ce système fut néanmoins proposé par M. Hervé Bourges 62( * ) , qui s'est prononcé " à titre personnel " en faveur du système britannique avec appel d'offres et mise aux enchères des fréquences. Compte tenu de la pénurie de fréquences, il se déclarait persuadé de l'évolution de la gestion des fréquences une telle formule, qui serait néanmoins réservée aux radios commerciales. Cette évolution s'accompagnerait d'une péréquation, puisque les recettes ainsi dégagées alimenteraient le Fonds de soutien à l'expression radiophonique, et, par conséquent, les radios associatives.

Ces propositions ont rencontré l'hostilité des principaux acteurs 63( * ) .

Incessibilité des fréquences hertziennes et gratuité de leur utilisation sont liées. On ne peut modifier l'une sans renoncer à l'autre. Mettre fin au principe de gratuité des fréquences et instaurer leur libre cessibilité poseraient cependant plus de problèmes que ces réformes n'en résoudraient. En apparence, lorsque l'exploitation du domaine public donne lieu à des gains privés, il ne semble pas anormal que l'Etat fasse rétribuer celle-ci sous la forme d'une redevance, en fonction par exemple de l'importance du réseau ou de la puissance des émetteurs. En introduisant un coût dans l'usage des fréquences, on instaure davantage de rationalité dans l'utilisation du spectre. L'application de ce principe à la radio, qui prend la forme d'une alternative, est toutefois difficile.

· La fin de la gratuité pour l'utilisation des fréquences constituerait tout d'abord une menace sérieuse pour les radios associatives. Cela signifierait la fin du secteur radiophonique non commercial, sauf à maintenir sous perfusion budgétaire un secteur associatif qui deviendrait étroitement dépendant des interventions du fonds de soutien radiophonique, alimenté par les redevances versées par les exploitants commerciaux.

· La fin de la gratuité pour l'obtention des fréquences, et l'instauration d'une procédure de mise aux enchères conduiraient à substituer à l'appréciation de l'autorité de régulation la "main aveugle" du marché, en l'occurrence la prime au plus offrant. Ce serait en réalité renoncer à toute politique radiophonique d'inspiration française. Les enchères conduiraient nécessairement à des luttes financières que seuls les groupes les plus puissants pourraient supporter.

2. Les amorces de réforme

La modification de la réglementation du secteur radiophonique s'est opérée en deux temps : après un communiqué du CSA, fixant les principes de la nouvelle organisation, le Gouvernement a déposé (en discussion au Parlement au cours du premier trimestre 1997) déposait deux amendements sur le projet de loi modifiant la loi du 30 septembre 1986.

a) L'adaptation de la doctrine du CSA : le communiqué 343 du 10 février 1997

Dans ce communiqué, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a estimé qu'il n'était pas actuellement souhaitable de bouleverser profondément l'organisation du secteur radiophonique qui se caractérise par une réelle richesse et une grande diversité des opérateurs . En revanche, il s'est exprimé en faveur de l'obtention de nouveaux moyens afin de corriger certains déséquilibres.

Le communiqué 343 du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel
du 10 février 1997

1/ (...), le Conseil confirme les principes qui ont guidé sa politique radiophonique depuis la publication de son communiqué 34 et qui correspondent à la volonté du législateur d'assurer et de garantir le pluralisme de l'expression radiophonique à travers la diversité des formats et des opérateurs. A cet égard, si les catégories définies dans le communiqué 34 sont appelées à poursuivre leur évolution, elles restent à l'heure actuelle le moyen nécessaire pour garantir aux auditeurs la diversité de l'offre.

Le Conseil continuera à soutenir l'existence d'un secteur radiophonique associatif fort (catégorie A). Il suivra donc avec une attention particulière les travaux en cours quant à l'avenir du Fonds de soutien à l'expression radiophonique, dont le renouvellement est la condition du développement et de la survie de ces radios. Le Conseil veillera à favoriser les projets associatifs clairement définis et identifiés comme tels, qui concourent véritablement à une communication sociale et de proximité et au pluralisme des courants d'expression socioculturels. Il conserve l'objectif de réserver environ 25 % des fréquences aux projets de cette nature.

Le Conseil est convaincu de la nécessité de soutenir les radios généralistes existantes (catégorie E). Au-delà des évolutions de grille, rendues nécessaires par la transformation du paysage radiophonique, le Conseil note avec satisfaction que toutes restent fidèles à leur vocation, fondée sur la place essentielle de l'information pluraliste et la diversité des émissions et des publics. Le Conseil veillera, dans toute la mesure du possible, à leur assurer une couverture nationale, y compris sur la bande MF.

Le Conseil souhaite parallèlement la croissance cohérente et équilibrée des réseaux thématiques. Cet équilibre passe notamment par le développement équitable des troisièmes réseaux. Néanmoins, compte tenu de l'étroitesse du marché publicitaire, le Conseil est hostile à ce que ces réseaux, lorsqu'ils émettent en passif (catégorie D), aient accès au marché publicitaire local.

S'agissant des radios locales à caractère commercial, le Conseil est attaché à l'existence de deux catégories qui ont vocation à demeurer distinctes : radios locales indépendantes sur le plan capitalistique, qui correspondent à des projets locaux effectifs, radios locales liées à des réseaux. Pour ces deux catégories, le Conseil restera attentif à la réalité et au caractère effectif des programmes locaux. A ce propos, il est favorable à l'inscription dans le décret d'une définition plus précise du programme d'intérêt local, de sa durée et de ses conditions de production. La définition même de la catégorie B exige de la part des opérateurs un programme local plus important et plus substantiel encore. En contrepartie, afin de protéger les radios locales indépendantes de la concurrence des réseaux nationaux sur le marché publicitaire local, le Conseil souhaite que soit instaurée une distinction dans le régime d'accès à la publicité locale entre les radios liées à un réseau national et les radios locales indépendantes, par exemple en modulant la durée des écrans publicitaires.

Enfin, le Conseil estime qu'il ne pourra pleinement garantir l'équilibre global du paysage radiophonique que s'il est consulté sur l'évolution des missions de la radio publique.

2/ Le Conseil tient à nouveau à souligner certains effets néfastes de la loi du 1er février 1994. L'économie du secteur de la radio, le souhait légitime de nouveaux opérateurs d'entrer sur le marché nécessitent une évolution maîtrisée du paysage radiophonique. En instituant un régime de reconduction automatique des autorisations, la loi a figé les situations, en contradiction avec le relèvement du seuil à 150 millions d'habitants : elle interdit par exemple au Conseil de favoriser le développement de nouveaux réseaux ; elle freine fortement l'extension de la couverture nationale des généralistes sur la bande MF ; elle maintient des radios artificiellement en survie. Dans ces conditions, le Conseil, tout en étant conscient de la difficulté de remettre en cause le mécanisme de reconduction simplifiée des autorisations, souhaite disposer d'une plus grande marge d'appréciation lors du renouvellement des autorisations (situation financière d'un opérateur et respect des engagements en termes de programme propre ou de projet radiophonique).

3/ S'agissant du seuil de concentration fixé par la loi à 150 millions d'habitants, outre la prise en compte des réseaux, le Conseil demande qu'une disposition législative permette la prise en compte du poids des régies publicitaires.

4/ Une des difficultés majeures rencontrées par le Conseil lors des appels à candidatures résulte de la durée excessive de ces appels. Ce phénomène préjudiciable aux opérateurs tient essentiellement aux conditions légales dans lesquelles doivent être établis les plans de fréquence. A ce sujet, le Conseil souhaite pouvoir, en pleine sécurité juridique, lancer des appels à candidatures sur des fréquences déterminées, ce qui lui permettrait d'accélérer de façon importante les procédures.

5/ Le Conseil souhaite que certains pouvoirs soient déconcentrés au niveau des Comités Techniques Radiophoniques. Dans cette perspective, il estime nécessaire que ses liens avec les CTR soient renforcés. Il demande en particulier à être associé à la désignation des présidents des CTR.

Ce communiqué allait, lors du débat sur la réforme de la loi de 1986, (en février 1997 au Sénat), inspirer la réforme de l'encadrement législatif de la régulation du paysage radiophonique.

b) Le projet de loi du Gouvernement Juppé modifiant la loi de 1986

Lors du débat au Sénat le 19 février 1997 sur le projet de loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, le Gouvernement a présenté un amendement " réécrivant " intégralement l'article 29 . La nouvelle rédaction apportait plusieurs modifications au dispositif existant.

1/ Tout d'abord, elle fixait de nouveaux critères tels que :

·  l'accès du public à l'information politique et générale,

·  l'expression de la vie associative ou la variété des services offerts au public,

·  la " capacité du marché publicitaire local ".

C'est en fonction de ce critère que le Conseil supérieur de l'audiovisuel accorderait les autorisations d'émettre. Le Gouvernement Juppé avait voulu ainsi renforcer les moyens du CSA pour garantir tout à la fois le pluralisme et la diversité du paysage radiophonique.

2/ Le Gouvernement avait souhaité la création d'une commission technique regroupant des représentants du Conseil supérieur de l'audiovisuel et des opérateurs chargés de faire des propositions sur les nouveaux plans de fréquences. Cette commission pourrait également, de sa propre initiative, proposer au Conseil toute modification des plans de fréquences susceptible d'améliorer la mise à disposition du public des services de radiodiffusion sonore.

3/ Enfin, l'article 29 prévoyait l'institution d'un appel partiel à candidatures pour attribuer des fréquences déterminées.

· Le Sénat avait, sur proposition du Gouvernement, adopté un article 29-1, faisant obligation au CSA de se prononcer dans un délai de deux mois lorsqu'il était saisi par un opérateur d'une demande de modification des caractéristiques de son service.

Pour le Ministre, il ne s'agissait en aucun cas de " créer une procédure détournée pour autoriser sans examen une modification substantielle que le CSA doit continuer d'apprécier au cas par cas, selon les procédures qu'il s'est toujours fixées et les règles générales qui encadrent son action ".

Les opérateurs auraient pu ainsi obtenir la modification de certaines caractéristiques de leur service dans des délais relativement brefs. Toutefois, selon l'interprétation de cet amendement, telle qu'elle fut donnée par le rapporteur de la Commission des Affaires culturelles, cette procédure n'aurait pas permis qu'une radio passe d'une catégorie à l'autre : une radio aurait donc eu le droit, après trois mois de silence du CSA, de changer de capital, de nom, de format, de dirigeants, mais il lui aurait été interdit de se syndiquer et de diffuser, en complément de son programme local, un programme identifié parce que cela l'aurait conduite à changer de catégorie ?

A l'Assemblée nationale, en revanche, le rapporteur n'avait pas écarté la possibilité que cette disposition soit effectivement utilisée par le CSA pour accepter "une demande de modifications qui entraîneront de fait un changement de catégorie du service" 64( * ) .

Le débat reste donc ouvert jusqu'au vote de la prochaine loi sur l'audiovisuel.

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