3. La question persistante de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière

Lors de l'examen de la loi du 24 avril 1997, votre commission des Lois avait tenu à souligner que si le taux de réussite de l'éloignement avait commencé à progresser, il reflétait encore un taux d'échec (72 % des cas) qui méritait que l'on en recherche les causes.

Sans qu'il soit besoin de reprendre les analyses longuement développées à cette occasion par votre rapporteur (cf rapport n° 200, 1996-1997, pages 75 à 77), il suffira de rappeler que les services chargés de l'exécution des mesures d'éloignement - devant faire face à l'absence de collaboration de l'intéressé et aux lenteurs ou aux atermoiements de certains consulats- sont en outre et surtout enserrés dans des délais stricts beaucoup trop brefs et confrontés à des procédures complexes éparpillées entre trois juges différents , dont les étrangers concernés, souvent utilement conseillés par des associations, mettent à profit les arcanes pour tenter de se maintenir sur le territoire.

· La rétention administrative , prévue à l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, peut, à l'issue d'un délai de quarante-huit heures , être prolongée pour cinq jours par le président du tribunal de grande instance ou son délégué. A la suite de la loi du 30 décembre 1993, cette rétention peut être prolongée à nouveau pour soixante douze heures , soit une durée totale de dix jours maximum.

Cependant, conformément à la décision du Conseil constitutionnel n° 93-325 DC du 13 août 1993 qui a repris une motivation déjà énoncée dans la décision 86-216 DC du 3 septembre 1986, cette seconde prolongation a été subordonnée à des conditions très strictes qui en rendent la mise en oeuvre difficile.

En effet, elle n'est possible qu'en cas d' urgence absolue et de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public . Elle peut être également décidée lorsque l'étranger n'a pas présenté à l'autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution d'une mesure d'éloignement et que des éléments de fait montrent que ce délai supplémentaire est de nature à permettre l'obtention de ces documents.

Cette limitation des délais de la rétention administrative -en dépit de l'intervention du juge dans la procédure- explique très largement le relatif insuccès des mesures d'éloignement.

Elle favorise, en effet, la fraude par destruction des papiers et par dissimulation d'identité. Elle suscite entre le fraudeur et les autorités une " course contre la montre ", les uns misant à tout prix sur l'expiration du délai qui leur permettra de sortir de la rétention, les autres étant incités à bouleverser les procédures pour aboutir à la mise en oeuvre effective de la mesure.

Comment, en outre, sérieusement envisager le rapprochement de notre législation dans ce domaine de celles de nos partenaires européens -rapprochement programmé par le Traité sur l'Union européenne, signé à Amsterdam- alors que les durées actuellement admises en matière de rétention vont du plafond de dix jours en France à l'absence de durée maximale en Grande-Bretagne ?

En Allemagne , où les Länder sont compétents, la rétention peut être d'une durée maximale de six mois , prolongée jusqu'à douze mois lorsque l'étranger refuse de collaborer à l'exécution de la mesure.

En Belgique , l'étranger peut être retenu aux fins d'éloignement pendant le temps strictement nécessaire à l'exécution de la mesure sans que la durée de la rétention puisse dépasser deux mois . Le ministre peut toutefois prolonger cette rétention par période de deux mois, lorsque les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'étranger ont été engagées dans les sept jours ouvrables de la mise en rétention de l'étranger, lorsqu'elles sont poursuivies avec toute la diligence requise et qu'il subsiste toujours une possibilité d'éloigner effectivement l'étranger dans un délai raisonnable. Après huit mois de rétention, l'étranger doit être remis en liberté.

En Espagne , la mesure d'éloignement peut s'accompagner d'une détention préventive qui, après intervention du juge peut atteindre quarante jours.

Ce sujet devrait être abordé avec réalisme, la durée de la rétention administrative étant un élément de dissuasion à se maintenir irrégulièrement sur le territoire. Il va de soi que l'intéressé sera beaucoup plus tenté d'opposer des manoeuvres dilatoires à son éloignement s'il sait que cette attitude ne l'expose en fait qu'à une rétention d'une durée très limitée.

En outre, la limitation très stricte de la durée de rétention administrative est en grande partie responsable de la relative précipitation dans laquelle chaque dossier individuel doit être traité par l'administration.

· La sophistication de la procédure, sa complexité très grande se traduisent par un marathon administratif et judiciaire, renforcé par la séparation des ordres de juridiction dont le Conseil constitutionnel a jugé opportun de confirmer le principe en matière de reconduite à la frontière.

Ainsi, la reconduite à la frontière avec rétention administrative fait actuellement intervenir trois juges en l'espace de dix jours : le juge administratif , saisi dans les 24 heures d'un recours en annulation de l'arrêté préfectoral et qui se prononce dans les 48 heures (article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945) ; le juge civil qui peut être éventuellement saisi après les premières 48 heures d'une demande de prolongation de la rétention administrative (article 35 bis de l'ordonnance) ; le juge pénal , si des poursuites sont engagées, par exemple sur le fondement de l'article 27 de l'ordonnance (refus de présenter ses papiers ou de communiquer les renseignements nécessaires à l'éloignement) afin que celui-ci se prononce sur ces infractions et place, le cas échéant, l'intéressé en rétention judiciaire (article 132-70-1 du code de procédure pénale) 1( * ) .

Votre rapporteur ne peut que renouveler le constat qu'il avait établi lors de l'examen de la loi du 24 avril 1997 quant aux effets pernicieux de cette procédure : annulation de celle-ci en raison de dossiers incomplets, alors même que l'irrégularité du séjour n'est pas contestée ; remise en liberté d'un étranger en situation irrégulière dont le tribunal administratif confirme le bien-fondé de l'arrêté de reconduite à la frontière prononcé à son encontre.

Cette situation ne peut qu'être ressentie difficilement par les services chargés de l'éloignement qui accomplissent une mission par nature difficile.

Ainsi, l'interprétation constitutionnelle qui vise à protéger des droits fondamentaux aboutit paradoxalement à des procédures bâclées et à une exploitation subalterne des incohérences résultant de délais exigus conçus en dehors de toute réalité.

Enfin, votre commission des Lois déplore la mise en oeuvre très insuffisante de la procédure de rétention judiciaire -créée par la loi du 24 août 1993- qui peut pourtant, dans des conditions garantissant parfaitement les droits de la personne, constituer une mesure efficace en vue de l'éloignement d'étrangers en situation irrégulière.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page