N° 226

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1997-1998

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 janvier 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux ,

Par M. Pierre FAUCHON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Robert Pagès, Georges Othily, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Jean Derian, Michel Dreyfus-Schmidt, Michel Duffour, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Jean-Claude Peyronnet, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich, Robert-Paul Vigouroux.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 10 ème législ.) : 469 , 3411 et T.A. 674 .

Sénat : 260 (1996-1997).

Responsabilité civile.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 21 janvier 1998, sous la présidence de M. Jacques Larché, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Pierre Fauchon, la proposition de loi n° 260 (1996-1997), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la responsabilité du fait des produits défectueux.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a rappelé que la proposition de loi tendait à transposer une directive communautaire adoptée en 1985 et qui aurait dû être transposée en droit français depuis 1988. Il a indiqué que même si cette directive n'améliorait guère le droit français de la sécurité des produits, déjà très protecteur, la France était néanmoins tenue de la transposer sous peine d'une condamnation par la Cour de justice des Communautés européennes.

Le rapporteur a précisé que la proposition de loi reprenait largement les conclusions de la commission mixte paritaire qui s'était réunie en 1992, après deux lectures par l'Assemblée nationale et le Sénat d'un projet de loi de transposition. Ces conclusions n'avaient pas été soumises pour approbation aux deux assemblées par le Gouvernement de l'époque.

Il a toutefois noté que la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale permettait l'exonération de responsabilité pour risque de développement, exclue par le texte de la commission mixte paritaire de 1992. Il a en outre ajouté que la proposition soumise au Sénat écartait du champ d'application du nouveau régime de responsabilité les éléments et produits du corps humain.

M. Pierre Fauchon, rapporteur, a fait valoir que l'exonération de la responsabilité liée au risque de développement n'existait pas en droit français et qu'elle avait été exclue par la jurisprudence dans des arrêts importants relatifs au sang contaminé. Il s'est déclaré opposé à cette exonération de responsabilité, soulignant notamment qu'elle n'inciterait guère les producteurs à effectuer rapidement les recherches nécessaires pour déterminer la défectuosité éventuelle de leurs produits. Le rapporteur a, par ailleurs, souhaité que les produits du corps humain soient inclus dans le champ d'application du texte.

Le rapporteur a enfin fait observer qu'en marge de la directive, le texte contenait des dispositions relatives à la garantie des vices cachés, sujet qui faisait l'objet d'une proposition de directive en cours de discussion.

A l'issue de l'exposé du rapporteur, la commission des Lois a pris les décisions suivantes :

- à l' article 2 (responsabilité du producteur), elle a adopté un amendement de suppression de l'alinéa qui prévoit l'exclusion de la responsabilité des constructeurs pour reporter cette disposition à l'article 7.

- à l' article 4 (définition du produit), elle a supprimé la disposition introduite par l'Assemblée nationale visant à exclure des éléments du corps humain et des produits issus de celui-ci du champ d'application du nouveau régime de responsabilité.

- à l' article 6 (mise en circulation), la commission a adopté un amendement supprimant la mention précisant qu'un produit ne pouvait faire l'objet que d'une seule mise en circulation.

- à l' article 7 (notion de producteur), la commission a adopté un amendement réintégrant l'exclusion de la responsabilité des constructeurs qui figurait auparavant à l'article 2 en prévoyant en outre l'exclusion de la responsabilité de leurs sous-traitants.

- à l' article 8 (responsabilité du vendeur, du loueur ou de tout autre fournisseur), la commission a adopté, outre un amendement rédactionnel, un amendement excluant les crédits-bailleurs du champ de la responsabilité.

- à l' article 10 (charge de la preuve), la commission a proposé de supprimer l'obligation pour la victime de faire la preuve du défaut du produit, celle-ci devant, dans le cadre d'une responsabilité de plein droit, simplement prouver le dommage et le lien de causalité entre le produit et le dommage.

- à l' article 12 (causes d'exonération de la responsabilité), la commission a adopté un amendement supprimant l'exonération de responsabilité prévue par le texte pour le risque de développement.

- à l' article 12 bis (obligation de suivi des produits), la commission a adopté un amendement de précision, afin de permettre l'application de certaines causes d'exonération.

- à l' article 13 (réduction ou suppression de la responsabilité du producteur en cas de faute de la victime), elle a adopté un amendement de suppression de l'alinéa définissant la faute de la victime, préférant s'en remettre sur ce point à la jurisprudence.

- à l' article 16 (clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité), la commission a adopté un amendement supprimant les restrictions prévues par le texte à la validité des clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité passées entre professionnels.

- à l' article 19 (cumul de la responsabilité du fait des produits défectueux avec les régimes de responsabilité existants), la commission a adopté un amendement supprimant l'impossibilité prévue par le texte de mettre en jeu la responsabilité du producteur à raison de la garde du produit après sa mise en circulation.

Dans l'attente de l'intervention prochaine d'une directive européenne sur la question, la commission a proposé de disjoindre les articles 21 à 24 relatifs à la garantie des produits non couverte par la présente directive.

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi soumise à votre examen constitue une nouvelle étape d'une procédure législative complexe qui, commencée il y a plus de sept ans, a eu pour objet de transposer en droit interne la directive du conseil des communautés européennes du 25 juillet 1985 relative au " rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ". Il s'agit, ici, de la responsabilité pour la sécurité des produits et non pas de la question, certes très importante, de la qualité de ces derniers.

La France a ainsi pris un retard considérable dans l'adaptation de son droit national puisque cette directive aurait dû y être transposée avant le 30 juillet 1988.

Si différents facteurs peuvent expliquer ce retard, force est de constater que l'existence en droit interne de régimes de responsabilité, précisés au fil du temps par la jurisprudence, rend plus difficile l'adaptation de nouvelles règles qui ne sauraient aboutir à diminuer le niveau de protection des consommateurs exposés à des produits défectueux, conformément d'ailleurs aux prescriptions de l'article 13 de la directive.

Toujours est-il que la première tentative engagée pour assurer cette transposition par le dépôt d'un projet de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale au mois de mai 1990 n'a pu aboutir en dépit de l'élaboration d'un texte par la commission mixte paritaire réunie au mois de décembre 1992 à l'issue des deux lectures effectuées à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Le Gouvernement de l'époque n'a, en effet, curieusement pas jugé utile de soumettre ce texte à l'Assemblée nationale et au Sénat. Il est permis de s'interroger sur les raisons de cette abstention.

Dans ces conditions, ce défaut de transposition de la directive en droit interne a été sanctionné par la Cour de Justice des Communautés Européennes dans une décision du 13 janvier 1993 et l'on ne peut exclure que la France soit de nouveau condamnée pour ce manquement à ses obligations communautaires.

Depuis lors, une proposition de directive (97/0244) du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive du 25 juillet 1985 a été présentée, afin d'étendre le champ d'application de cette dernière aux produits agricoles.

La proposition de loi -issue d'une initiative de Mme Nicole Catala et adoptée par l'Assemblée nationale le 13 mars 1997 après le rejet d'une question préalable- a donc pour finalité de relancer la procédure législative avec l'espoir qu'elle puisse aboutir dans un délai rapproché.

Le présent rapport, après avoir rappelé le contenu de la directive et les principaux aspects de la première tentative de transposition, vous présentera l'économie de la proposition de loi et les propositions de votre commission des Lois.

*

* *

I. LA DIRECTIVE DU 25 JUILLET 1985 : UNE PREMIÈRE TENTATIVE DE TRANSPOSITION EN DROIT INTERNE QUI N'A PU ABOUTIR

A. LE CONTENU DE LA DIRECTIVE

Sur l'excellent rapport de notre ancien collègue M. Jacques Thyraud (n° 425, seconde session ordinaire 1991-1992), la commission des Lois avait soumis au Sénat une présentation détaillée du contenu de la directive du 25 juillet 1985. Votre rapporteur en rappellera les principales caractéristiques.

La directive organise un régime de responsabilité réputée de plein droit du producteur en cas de dommages aux personnes ou aux biens causés par un défaut de son produit, dès lors que sont établis par la victime le dommage , le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Ce régime concerne tout meuble même incorporé dans un autre meuble ou un immeuble, à l'exclusion possible des matières premières agricoles et des produits de la chasse. Une proposition de directive (97/0244) prévoit d'inclure les produits agricoles dans le champ d'application de la directive du 25 juillet 1985.

La directive écarte, par ailleurs, toute différence entre les demandeurs selon qu'ils ont acquis l'usage d'un produit par un contrat ou non.

Elle centre la responsabilité sur le producteur considéré comme le principal agent de la production et le plus apte à s'assurer. Sont néanmoins assimilés au producteur l'importateur et, à titre subsidiaire, le vendeur lorsque le producteur ou l'importateur ne peut être identifié.

Elle écarte la possibilité de prévoir dans les contrats des clauses limitatives ou exonératrices de la responsabilité qu'elle institue.

La mise en oeuvre de la responsabilité du producteur est néanmoins enfermée dans des délais assez courts qui contrastent avec ceux applicables en droit interne pour la mise en oeuvre d'une action en réparation.

La directive établit ainsi deux délais : un délai de prescription de l'action d'une durée de trois ans à compter de la date à laquelle le plaignant aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur (article 10) ; un délai d'extinction de la responsabilité du producteur, d'une durée de dix ans à compter de la mise en circulation par le producteur du produit même qui a causé le dommage (article 11).

Elle prévoit en outre un certain nombre de causes d'exonération de responsabilité au profit du producteur, à charge pour celui-ci d'apporter la preuve de sa non-responsabilité.

Enfin, elle ouvre aux Etats membres trois options :

- inclure les produits agricoles et les produits de la chasse dans le champ d'application du nouveau dispositif ;

- laisser à la charge du producteur ce qui est communément désigné comme le " risque de développement " , c'est-à-dire la responsabilité des dommages causés par un défaut du produit que " l'état des connaissances scientifiques et techniques ne permettait pas de déceler, au moment où le produit a été mis en circulation " ;

- limiter la responsabilité globale du producteur pour les dommages résultant de la mort ou des lésions corporelles et causées par des articles identiques présentant les mêmes défauts, à un montant qui ne peut être inférieur à 70 millions d'écus (490 millions de francs environ).

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