CHAPITRE II
SANCTIONS PÉNALES

SECTION 1
Armes chimiques et leurs installations

Votre commission des Lois constate que, contrairement à ce que laisse présager son intitulé, cette section contient également des dispositions relatives aux produits chimiques, en l'occurrence ceux inscrits au tableau 1 lorsqu'ils sont utilisés à des fins autres que médicales, pharmaceutiques, de recherche ou de protection. Toutefois selon l'annexe à la Convention sur les produits chimiques, ces produits doivent avoir été mis au point, fabriqués, stockés ou employés en tant qu'armes chimiques. Ils peuvent donc sans conteste être assimilés à de véritables armes.

C'est pourquoi votre commission n'a pas jugé nécessaire de présenter plusieurs amendements à la seule fin de transférer dans la section 2 les dispositions relatives auxdits produits. Elle vous propose en revanche un amendement intitulant la section 1 : " Dispositions relatives aux armes chimiques ".

Articles 55 à 58
Infractions de nature criminelle

Les articles 55 à 58 confèrent une nature criminelle à la méconnaissance de certaines interdictions énoncées par les titres premier et II du présent projet de loi.

C'est ainsi que les articles 55 à 57 prévoient la réclusion criminelle à perpétuité et 50 millions de francs d'amende pour les faits suivants :

- l'emploi d'une arme chimique ou d'un produit chimique inscrit au tableau 1 à des fins autres que médicales, pharmaceutiques, de recherche ou de protection (art. 55). Le principe de cette interdiction est posé par les titres I et II du présent projet, en application de la Convention qui l'exige tant pour les armes (article premier, § 1) que pour les produits chimiques (sixième partie de l'annexe sur la vérification) ;

- la conception, la construction ou l'utilisation d'une installation de fabrication, qu'il s'agisse d'une fabrication d'armes chimiques, de munitions chimiques non remplies et de matériels destinés à l'emploi d'armes chimiques, ou de produits chimiques inscrits au tableau 1 à des fins autres que médicales, pharmaceutiques, de recherche ou de protection (article 56). Le principe de ces interdictions est posé par l'article 3 du présent projet de loi en application de l'article V, § 4 et 5, de la Convention ;

- la modification d'installation ou matériel de toute nature dans le but d'exercer une activité interdite (article 56), dont l'interdiction est également posée dans son principe par l'article 3, conformément à l'article V, § 5, de la Convention ;

- le fait de diriger ou d'organiser un groupement ayant pour objet l'emploi, la mise au point, la fabrication, le stockage, la détention, la conservation, l'acquisition, la cession, l'importation, l'exportation, le transit, le commerce ou le courtage d'armes chimiques ou d'un produit chimique inscrit au tableau 1 à des fins autres que médicales, pharmaceutiques, de recherche ou de protection (article 57). Cette disposition est directement inspirée de l'article 222-34 du code pénal, qui punit également de la réclusion à perpétuité et de 50 millions de francs d'amende le fait de diriger ou d'organiser la production, la fabrication, la détention ou la cession illicites de stupéfiants. Son objet est de prévoir des peines exemplaires pour ce que votre rapporteur pour avis appellera les " professionnels de la terreur ", ceux dont l'action, et parfois la vie, sont vouées à la mise en place d'entreprises d'intimidation ou délibérément destructrices.

Quant à l'article 58, il prévoit 20 ans de réclusion criminelle et 20 millions de francs d'amende pour :

- la mise au point, la fabrication, le stockage, la détention, la conservation, l'acquisition, la cession, l'importation, l'exportation, le transit, le commerce ou le courtage d'une arme chimique (autre qu'ancienne ou abandonnée) ou d'un produit chimique inscrit au tableau 1 à des fins autres que celles précitées ;

- l'importation, l'exportation, le commerce ou le courtage de tout matériel de fabrication d'armes chimiques ou de tout document ou support de technologie et d'information, destinés à permettre ou à faciliter la violation d'une interdiction. A la différence de l'article 57, qui vise l'organisateur, cet article 58 vise l'exécutant, ce qui explique la différence des peines encourues.

Chacun de ces articles rend applicable aux infractions qu'il prévoit les deux premiers alinéas de l'article 132-23 du code pénal relatif à la période de sûreté. Ainsi, en cas de condamnation à une peine ferme privative de liberté égale ou supérieure à dix ans, le condamné ne pourrait bénéficier des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle pendant une période correspondant à la moitié de la peine, ou à dix-huit ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité (la cour d'assises ou le tribunal pouvant toutefois, par décision spéciale, soit porter cette durée jusqu'aux deux tiers de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion à perpétuité, jusqu'à vingt-deux ans, soit réduire ces durées).

Ainsi qu'il a été indiqué dans l'exposé général du présent avis, votre commission des Lois, fort attachée au principe de proportionnalité des peines, ne vous propose pas de réduire celles prévues par ces articles, même si certaines d'entre elles correspondent aux peines maximales de notre droit (réclusion criminelle à perpétuité et 50 millions de francs d'amende). Le législateur doit en effet donner au juge, comme il l'a fait pour le trafic de stupéfiants, un large pouvoir d'appréciation dans la mesure où les comportements en question peuvent aller jusqu'à la mise en oeuvre d'un réseau de déstabilisation, de destruction et de terreur. Parallèlement, il appartiendra au juge, comme le lui impose d'ailleurs l'article 132-24 du code pénal, de tenir compte des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur afin d'individualiser la peine.

Aussi votre commission des Lois vous soumet-elle quatre amendements purement rédactionnels : un à l'article 55, un à l'article 56 et deux à l'article 57.

Article 59
Provocation à commettre certaines infractions

Cet article a pour objet d'incriminer " le fait d'aider, de provoquer, d'encourager ou d'inciter quiconque de quelque manière que ce soit " à commettre certaines infractions, à savoir :

- l'emploi d'une arme chimique ou d'un produit chimique du tableau 1 à des fins autres que médicales (incriminé par l'article 55) ;

- la construction ou l'utilisation d'une installation de fabrication d'armes chimiques, de munitions chimiques non remplies ou de produits chimiques inscrits au tableau 1 à des fins autres que médicales (incriminées par l'article 56) ;

- la fabrication, la détention ou le commerce d'une arme chimique (autre qu'ancienne ou abandonnée), d'un produit chimique inscrit au tableau 1 à des fins autres que médicales ou de tout matériel ou support destiné à faciliter la violation des interdictions posées par le titre premier (incriminés par l'article 58).

Le présent article 59 opère toutefois une distinction selon que les faits sont ou ne sont pas suivis d'effet :

- dans le premier cas, ces faits seraient punis des peines prévues pour les infractions objets de l'aide, de la provocation ou de l'incitation ;

- si, en revanche, ladite aide ou provocation n'était pas suivie d'effet, elle serait passible de 7 ans d'emprisonnement et de 700 000 F d'amende.

Votre commission des Lois, qui approuve cet article dans son principe, vous propose toutefois, outre un amendement rédactionnel, deux amendements tendant à en réduire le champ d'application :

- le premier amendement supprime la référence à l'aide, référence inutile dans la mesure où l'aide donnée pour commettre une infraction relève de la complicité (article 121-7 du code pénal), passible en tout état de cause des peines prévues pour l'infraction elle-même ;

- le second amendement précise que la provocation non suivie d'effet ne sera punissable que dans la mesure où l'absence d'effet résultera de circonstances indépendantes de la volonté du provocateur. Cette précision, qui est également prévue par l'article 411-11 du code pénal à propos de la provocation à l'espionnage, évitera la poursuite des repentis qui auront permis d'empêcher la réalisation de l'infraction.

Article 62
Opposition à la saisie par l'autorité administrative d'une arme chimique

Cet article a pour objet d'incriminer le fait de s'opposer à la saisie d'une arme chimique par l'autorité administrative, qui serait passible de cinq ans d'emprisonnement et de 500 000 F d'amende.

Cette disposition n'est pas sans rappeler l'article 433-6 du code pénal, aux termes duquel " constitue une rébellion le fait d'opposer une résistance violente à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant, dans l'exercice de ses fonctions, pour l'exécution des lois, des ordres de l'autorité publique, des décisions ou mandats de justice ". Ce délit est passible de six mois d'emprisonnement et de 50 000 F d'amende, ces peines étant doublées lorsqu'il est commis en réunion. La rébellion armée est, quant à elle, passible de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende, ces peines étant portées à sept ans et 700 000 F lorsque le délit est commis en réunion.

L'article 62 présente toutefois deux différences notables avec le délit de rébellion :

- en premier lieu, l'opposition à la saisie d'une arme chimique serait pénalement punissable en dehors même de tout acte de violence ;

- en second lieu, la référence à l'autorité administrative permet indiscutablement de viser les personnes investies du pouvoir de saisie, alors que l'article 433-6 contient sur ce point une ambiguïté.

Par ailleurs, cet article 62 contient des peines qui, pour les cas d'opposition les plus caractérisés et compte tenu du danger que présentent par hypothèse les objets en question, seront bien mieux adaptés à la gravité de l'infraction que les peines prévues pour la rébellion simple.

Votre commission des Lois approuve ce dispositif et vous propose de le compléter par un amendement qui étend l'incrimination nouvelle à l'opposition à la saisie d'un produit chimique. Bien entendu, le délit ne sera constitué que si la saisie elle-même est autorisée. Votre commission des Lois vise ainsi à sanctionner avant tout l'opposition à la saisie de produits du tableau 1 telle que l'autorise l'article 5 du projet de loi.

Articles 63 et 64
Défaut de déclaration

Ces articles prévoient deux ans d'emprisonnement et 200.000 F d'amende en cas de défaut de déclaration dans les cas suivants :

- défaut de déclaration par l'exploitant d'une installation de fabrication, de stockage, de conservation ou de destruction d'armes chimiques (article 63, 1° et 3°) ;

- défaut de déclaration par l'exploitant d'une installation de fabrication de munitions chimiques non remplies ou de matériels destinés à l'emploi d'armes chimiques (article 63, 1°) ;

- défaut de déclaration par l'exploitant d'une autre installation ou équipement, y compris les laboratoires et les sites d'essais et d'évaluation (article 63, 2°) ;

- détention d'une arme chimique ancienne ou abandonnée sans déclaration à l'autorité compétente (article 63, dernier alinéa) ;

- défaut de déclaration, par son détenteur, d'une arme chimique détenue à la date d'entrée en vigueur de la loi (article 64).

Le principe des déclarations susmentionnées est posé par l'article 4 du projet de loi.

Votre commission des Lois a adopté sur ces articles, outre un amendement de précision, trois amendements tendant à en clarifier la présentation.

SECTION 2
Produits chimiques et leurs installations

Comme pour l'intitulé de la section 1, votre commission des Lois vous propose un amendement simplifiant l'intitulé de la présente section qui deviendrait : " Dispositions relatives aux produits chimiques ".

Articles 66 et 67
Infractions relatives aux produits chimiques
inscrits au tableau 1 et fabriqués à des fins médicales,
pharmaceutiques, de recherche ou de protection

Ces articles ont pour objet de prévoir des sanctions en cas de manquement aux obligations relatives aux produits chimiques du tableau 1 et à leurs installations lorsque ces produits sont fabriqués à des fins médicales, pharmaceutiques, de recherche ou de protection.

Selon l'article 66, seraient punis de sept ans d'emprisonnement et de 700.000 F d'amende :

- l'exploitation sans autorisation, ou en violation des conditions de l'autorisation, d'une installation de fabrication de ces produits. Cette autorisation est exigée par l'article 9 du projet de loi. La référence à la violation des conditions de l'autorisation permettrait de réprimer le dépassement de la limite de quantités globales annuelles autorisées ;

- l'importation, l'exportation, le transit, le commerce ou le courtage desdits produits en provenance ou à destination d'un Etat non partie à la Convention. L'interdiction de ces activités est posée par l'article 7, § II, du projet de loi.

Quant à l'article 67, il prévoit trois ans d'emprisonnement et 300.000 F d'amende pour les manquements suivants (toujours lorsqu'ils sont relatifs aux produits chimiques du tableau 1 réalisés à des fins médicales, pharmaceutiques, de recherche ou de protection) :

- la mise au point, la fabrication, l'acquisition, la cession, l'utilisation, la détention, la conservation ou le stockage desdits produits sans autorisation ou en violation des autorisations délivrées. C'est l'article 7 qui prévoit une autorisation pour ces activités, ladite autorisation devant fixer les quantités pour lesquelles elle est accordée ;

- l'importation, l'exportation ou le transit, sans autorisation de ces produits en provenance ou à destination d'un Etat partie à la Convention. En vertu de l'article 7 du projet de loi, ces activités seraient soumises aux autorisations prévues par les articles 11, 12 et 13 du décret-loi du 18 avril 1939 fixant le régime des matériels de guerre, armes et munitions (qui subordonnent notamment l'importation des matériels des catégories 1 à 6 à une autorisation accordée par le ministre chargé des douanes sur avis favorable des ministres de la défense, de l'intérieur et des affaires étrangères) ;

- le commerce ou le courtage desdits produits, sans autorisation, lorsqu'ils proviennent d'un Etat partie à la Convention et sont destinés à un tel Etat. Le principe d'une autorisation en ces hypothèses est posé par le dernier alinéa de l'article 7 ;

- la réexportation de ces produits, que l'article 7 interdit quel que soit l'Etat de destination.

Votre commission des Lois a adopté sur l'article 67 un amendement de présentation, tendant à regrouper deux alinéas.

SECTION 3
Dispositions communes
Article 71
Assimilation d'infractions au regard de la récidive

Cet article assimile, pour la récidive, les infractions suivantes :

- l'incitation à commettre les crimes relatifs aux armes chimiques (emploi d'une arme chimique, construction ou utilisation d'une installation de fabrication d'armes chimiques ou de certains produits chimiques...), incriminée par l'article 58 du projet de loi ;

- le trafic illicite d'armes chimiques anciennes ou abandonnées (article 60) ;

- le défaut de déclaration d'une installation de fabrication de stockage d'armes chimiques (article 63) ;

- les infractions relatives aux produits chimiques (articles 66 à 68).

Votre commission vous soumet un amendement tendant à corriger une erreur de décompte des alinéas.

Article 76
Responsabilité pénale des personnes morales

Cet article prévoit la responsabilité pénale des personnes morales pour les infractions prévues par le projet de loi.

Les peines encourues par les personnes morales sont l'amende (dont le taux, en vertu de l'article 131-38 du code pénal, pourra être cinq fois celui de l'amende encourue par les personnes physiques) ainsi que les peines mentionnées à l'article 131-39 du code pénal, en particulier la dissolution, le placement sous surveillance judiciaire, la fermeture des établissements ayant servi à commettre les fautes, l'exclusion des marchés publics, l'interdiction d'exercer une ou plusieurs activités professionnelles ou sociales.

Si la dissolution de la personne morale prévue par cet article pourrait, pour les cas les plus graves, constituer une sanction adaptée, elle serait en revanche excessivement sévère pour certaines infractions, notamment en cas de simple oubli d'une déclaration.

Aussi, votre commission vous soumet-elle un amendement tendant à ne permettre la dissolution des personnes morales que lorsqu'elles sont condamnées pour l'une des infractions prévues aux articles 55 à 59 du projet de loi, à savoir :

- pour un crime ;

- ou pour le délit d'incitation à commettre un crime relatif aux armes chimiques.

Article 77
Divulgation sans autorisation de documents
provenant de vérifications internationales

Cet article tend à punir de deux ans d'emprisonnement et de 200.000 F d'amende la communication ou la divulgation d'un document provenant d'une vérification, lorsqu'elle n'a pas été autorisée par la personne concernée, ses ayants-droit, le signataire ou le destinataire dudit document.

Cette disposition vise donc à prévenir le risque d'espionnage industriel toujours possible dans un secteur tel que celui de la chimie.

Votre commission des Lois partage ce souci et juge insuffisante la sanction prévue par cet article pour assurer une protection efficace du potentiel économique et scientifique de nos entreprises.

Aussi vous soumet-elle, outre un amendement de précision, un amendement tendant à porter à trois ans d'emprisonnement et à 300.000 francs d'amende la sanction prévue à cet article.

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Sous le bénéfice de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption du présent projet de loi.

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