B. LA SPÉCIFICITÉ DE L'OCM BANANE

En mars 1957, la banane, objet d'un différend, a retardé de quatre jours la signature du Traité de Rome. L'organisation de ce marché s'est élaborée d'une façon segmentée pendant une trentaine d'année. Or la volonté d'achever le marché unique pour le 1er janvier 1993 a rendu urgente l'instauration d'un régime communautaire unifié. C'est ainsi que différentes organisations nationales qui coexistaient dans un premier temps, ont laissé place en 1993 à une organisation commune qui a tenté d'uniformiser les régimes et d'harmoniser un système relativement éclaté 1 ( * ) .

1. Une organisation longtemps éclatée

L'organisation du marché de la banane a été caractérisée jusqu'en 1993 par l'addition de marchés nationaux spécifiques. Chaque Etat membre pouvait imposer des mesures discriminatoires à l'entrée des bananes sur son territoire afin d'accorder un accès préférentiel à certaines zones productrices. Ainsi, on distingue traditionnellement les pays à « marché fermé » qui donnaient de façon privilégiée des avantages à des pays exportateurs proches, et les pays à « marché ouvert » au sein desquels la situation de l'Allemagne apparaissait spécifique depuis le traité de Rome.

a) Les marchés nationaux protégés

L'Espagne, la France, l'Italie, le Portugal et le Royaume-Uni étaient communément qualifiés de pays à « marché fermé » ou à « accès préférentiel ». Au-delà de quelques similitudes 2 ( * ) chaque marché possédait une réelle spécificité.

L'Espagne restreignait le marché national des bananes aux seules importations en provenance des Iles Canaries en application d'un loi datant de 1972. Le traité d'adhésion à la Communauté de 1986 prévoyait le maintien de ce tarif préférentiel jusqu'au 31 décembre 1995. Enfin pour les importations exceptionnelles de bananes de pays tiers, un droit de 20 % était appliqué.

La France voyait au minimum les deux tiers de ses besoins couverts par les régions qui lui étaient historiquement ou commercialement proches, à savoir les départements d'outre-mer, et certains pays de la zone ACP (Côte d'Ivoire, Cameroun Madagascar) exonérés de tout droit d'importation. Pour le reste, la France accordait des licences à certains pays tiers en les assujettissant au droit de 20 %. En fait, existait depuis 1932 un système de protection du marché national réservant quasi-exclusivement son accès aux bananes de la Martinique, la Guadeloupe, la Côte d'Ivoire, du Cameroun et de Madagascar.

Seul le comité interprofessionnel bananier (CIB) 3 ( * ) était chargé d'ouvrir un contingent pour l'importation de bananes de pays tiers, uniquement lorsque le marché français n'était pas suffisamment approvisionné par la production « nationale ». Or, pendant de nombreuses années, s'est posé un problème quant au prix selon la zone de production concernée. En effet, en 1986 par exemple, le prix des bananes antillaises était de 653 écus par tonne, de 612 écus pour les bananes des pays ACP et de 525 écus seulement pour celles de la zone dollar. Ainsi, à partir de 1987, la France, comme la Grèce, l'Italie et le Royaume-uni ont eu recours à l'article 115 4 ( * ) du traité de Rome pour protéger leur production nationale ou leurs importations des pays ACP. La France a, de la sorte, été autorisée à plusieurs reprises par la Commission à exclure du traitement communautaire les bananes de la « zone dollar » mises sur le marché dans d'autres Etats membres.

L'Italie , jusqu'en 1965, connaissait un monopole d'Etat pour le transport maritime et la commercialisation des bananes. Elle a, en outre, entretenu de façon traditionnelle des relations privilégiées avec la Somalie, exemptée de droits de douane.  Elle allouait à des pays ACP tels le Costa-Rica, l'Equateur, la Colombie des licences d'importation en exonération des droits de douane. Enfin, elle appliquait le taux communautaire de 20 % pour environ 10 % de ses importations.

Le Portugal favorisait pareillement les îles de Madère jusqu'au 31 décembre 1995, tout en permettant à partir de 1985 des importations supplémentaires en provenance d'Amérique latine au taux ordinaire de 20 %.

Le Royaume-Uni offrait un marché garanti aux Iles Sous-le-Vent (Dominique, Sainte Lucie, Saint Vincent, Grenade) ainsi qu'à la Jamaïque en leur accordant l'exonération des droits de douane. Les Winward Island assuraient ainsi 50 % de l'approvisionnement du marché britannique. Les autorités britanniques attribuaient également des licences d'importations à la Colombie, au Belize et au Surinam pour les besoins non satisfaits au taux normal de 20 %, l'octroi de licences à ces pays de la zone dollar étant garanti à un minimum de 10  % du marché à partir de 1988.

On voit ainsi que sur les « marchés nationaux protégés », les opérateurs économiques, commercialisant des bananes communautaires et traditionnelles ACP, étaient assurés de pouvoir écouler leur production sans être exposés à la concurrence des distributeurs plus compétitifs de bananes pays tiers. C'est par contre sur les « marchés nationaux ouverts » que la compétitivité des bananes pays tiers a pu être appréciée.

b) Les marchés nationaux ouverts

Deux catégories de pays à « marché ouvert » coexistaient dans la CEE.

D'une part, la Belgique, le Danemark, la Grèce 5 ( * ) , l'Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas , étaient des pays à « accès libre ». Il était possible dans ces Etats d'importer des bananes en provenance d'Amérique latine sans limitation de quantité, mais en les soumettant à une taxe d'entrée au taux uniforme de 20 %.

D'autre part, l'Allemagne revêtait au sein de ces pays libéraux un aspect particulier puisque son marché était l'un des plus importants 6 ( * ) et que les prix y étaient les plus bas. Mais surtout, en vertu d'un protocole spécial annexé au traité de Rome 7 ( * ) , ce pays bénéficiait d'une exonération totale des droits de douane pour les importations de bananes sur son territoire, et ne pratiquait pas de restrictions quantitatives. Historiquement, les bananes importées en Allemagne provenaient pour plus de 90 % des pays latino-américains, où des sociétés allemandes étaient implantées 8 ( * ) .

A cet égard, la déclaration d'intention contenue dans le protocole au sujet des pays et territoires d'outre-mer n'a pas entraîné de modification notables dans la source des approvisionnements allemands.

Ainsi, en 1992, 63 % des achats de la CEE provenaient de pays tiers, 19 % de pays ACP et 18 % avaient une origine communautaire. L'adhésion des trois nouveaux Etats membres en 1995 a accru le poids des pays à marché ouvert, puisque l'Autriche, la Finlande et la Suède s'approvisionnent exclusivement en bananes provenant des pays tiers.

Du fait d'une telle hétérogénéité des réglementations nationales et communautaires relatives à l'importation de bananes, l'organisation commune des marchés mise en place en 1972 pour les fruits et légumes n'a pas été appliquée aux bananes. Il a fallu attendre 1993 pour qu'une organisation commune des marchés spécifique aux bananes soit réalisée. En effet, l'avènement du marché unique européen en 1993 a nécessité la mise en place d'une réglementation communautaire spécifique aux bananes, permettant leur libre circulation au sein du marché communautaire.

* 1 Revue du marché commun et de l'Union européenne, n° 411, septembre-octobre 1997 - Article de M. Paul Cassia et Mme Emmannuelle Saulnier.

* 2 Dans les pays à marché fermé, les bananes des pays tiers était soumises au tarif extérieur commun de 20 % et devaient obtenir des licences d'importation.

* 3 Le CIB, qui regroupe tous les représentants de la filière, déterminait le volume des approvisionnements pour chaque origine admise. C'est exclusivement le Groupement d'intérêt économique bananier (GIEB) qui effectuait les achats complémentaires nécessaires à l'approvisionnement du marché.

* 4 Par cet article, la Commission peut autoriser les Etats membres à prendre des mesures de protection.

* 5 La Grèce était en fait un marché très protégé jusqu'en 1987, puisqu'elle s'approvisionnait presque exclusivement en Crête tout en imposant des restrictions à l'importation des bananes des pays tiers. Ce marché a été progressivement ouvert à d'autres origines par l'attribution de quotas, jusqu'à devenir un marché libre en février 1990 suite à l'abolition des restrictions à l'importation.

* 6 Le marché allemand est toujours le plus important des l'Union européenne. En 1994, l'Allemagne était le second importateur dans le monde avec 762 millions de dollars, devançant largement le Japon (483 millions de dollars) ou la France (426 millions de dollars).

* 7 Protocole concernant le contingent tarifaire pour les importations de bananes. Ce protocole a continué à être appliqué malgré le fait que la Convention d'association ait cessé d'être en vigueur à compter du 31 décembre 1962.

* 8 Ces sociétés ont été progressivement remplacées par les groupes américains Chiquita, Dole et Del monte.

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