EXAMEN DES ARTICLES

ARTICLE PREMIER

Intégration de la Banque de France
au système européen de banques centrales

Commentaire : Le présent article introduit la participation de la Banque de France au système européen de banques centrales, et garantit son indépendance dans l'exercice des missions qu'elle accomplit à raison de cette participation.

Le présent article modifie l'article 1er de la loi n° 93-980 du 4 août 1993 relative au statut de la Banque de France, à l'activité et au rôle des établissements de crédit, lequel article constitue l'élément central du texte de 1993 puisqu'il instaure l'indépendance de la Banque de France pour l'exercice de la politique monétaire, cette disposition étant une exigence de l'Union économique et monétaire (UEM).

I. LE STATUT ACTUEL DE LA BANQUE DE FRANCE

A. SA COMPÉTENCE MONÉTAIRE


L'article 1er de la loi du 4 août 1993, modifié par la loi n° 93-1444 du 31 décembre 1993, donne une mission essentielle à la Banque de France : celle de la définition et de la mise en oeuvre de la politique monétaire .

L'article 4 de la loi du 3 janvier 1973 définissait la compétence de la Banque de France dans ce domaine comme une simple contribution à une politique alors menée par le Gouvernement .

L'article 1er de la loi du 4 août 1993 a ainsi transféré la compétence de la politique monétaire du Gouvernement à la Banque de France.

Il est nécessaire de préciser que la mise en oeuvre de la politique monétaire, distincte de sa définition par le Conseil de la politique monétaire (CPM), n'incombe pas à ce Conseil, mais au gouverneur de la Banque de France.

Cette distinction existait déjà dans la loi du 3 janvier 1973 et répond à une logique simple et forte, celle de la pratique quotidienne.

B. LA STABILITÉ DES PRIX

L'article 1er de la loi de 1993 définit très simplement l'objectif de la politique monétaire définie et mise en oeuvre par la Banque de France, son but étant " d'assurer la stabilité des prix ".

Cet objectif est repris de l'article 105 du Traité sur l'Union européenne, signé à Maastricht le 25 février 1992.

La Banque de France estime que la stabilité des prix est assurée lorsque la croissance de la masse monétaire n'excède pas 2 % par an.

Votre commission se réjouit de constater qu'un tel objectif est atteint depuis le 1er janvier 1994.

C. SON INDÉPENDANCE

La loi du 4 août 1993 a rendu la Banque de France indépendante. Cette indépendance était une obligation posée par la conjonction des articles 108 et 109 E du Traité.


L'article 107 du Traité de Maastricht et l'article 7 du protocole sur les statuts du système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, définissent l'indépendance des banques centrales , sous forme négative :

"Article 107

"Dans l'exercice des pouvoirs et dans l'accomplissement des missions et des devoirs qui leur ont été conférés par le présent Traité et les statuts du SEBC, ni la BCE, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions ou organes communautaires, des gouvernements des Etats membres ou de tout autre organisme. Les institutions et organes communautaires ainsi que les gouvernements des Etats membres s'engagent à respecter ce principe et à ne pas chercher à influencer les membres des organes de décision de la BCE ou des banques centrales nationales dans l'accomplissement de leurs missions."


Le second alinéa de l'article 1er de la loi du 4 août 1993 propose un dispositif directement inspiré de l'article 107 du Traité pour garantir l'indépendance des membres du Conseil de la politique monétaire (CPM).

L'idée dont il s'inspire consiste à préserver les membres du CPM de toute influence dans la conduite de la politique monétaire.

Le texte de ce second alinéa se présente comme une version synthétique de l'article 107 du Traité :

"Dans l'exercice de ces attributions, la Banque de France, en la personne de son gouverneur, de ses sous-gouverneurs ou d'un membre quelconque du Conseil de la politique monétaire ne peut ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement ou de toute personne".

Cette rédaction appelle deux remarques :

- en dépit de son caractère ramassé, ce dispositif semble mieux assurer l'indépendance des membres protégés que celui du Traité, notamment parce qu'il exclut l'influence de toute autre personne physique ou morale ;

- l'indépendance est garantie "dans l'exercice de ces attributions" , c'est-à-dire d'une part en qualité de membre responsable dans le collège du Conseil de la politique monétaire, chargé de définir la politique monétaire (ce collège de neuf personnes comprenant entre autres le gouverneur et les deux sous-gouverneurs) et d'autre part en qualité de gouverneur (délégation pour les sous-gouverneurs) mettant en oeuvre la politique monétaire. Dans tous les autres cas, en particulier lorsque les mêmes membres se réunissent dans le collège du Conseil général, ils sont appelés à solliciter ou à accepter des instructions du Gouvernement.

L'intérêt de confier la définition de la politique monétaire à une autorité indépendante mérite d'être rappelé.


·
L'intérêt de la formule vient tout d'abord de ce que l'indépendance du Conseil de la politique monétaire, qu'on qualifie parfois de "sanctuaire", rejaillit sur la banque centrale , renforce la crédibilité de la politique monétaire et donc son aptitude à assurer et maintenir la stabilité des prix pour un coût économique minimum. L'indépendance des personnalités qui composent le Conseil permet d'adopter un point de vue à long terme, dégagé des contingences conjoncturelles de la politique économique. Une telle option permet aussi de limiter les effets de ce que l'on désigne parfois par "l'incohérence temporelle" des politiques monétaires.

Un gouvernement imaginant de poursuivre plusieurs objectifs en même temps sur les plans de l'inflation, de l'emploi ou de la production, pourrait, par exemple, être tenté de modifier sa politique monétaire précédemment non inflationniste, soit pour réaliser une croissance de la production à court terme, soit pour modifier la répartition des revenus. Une telle politique conduirait en principe à une diminution relativement lente des anticipations inflationnistes et à des taux d'intérêt nominaux plus élevés que si les agents économiques considéraient que la stabilité des prix reste le seul objectif poursuivi.

Pour résoudre ce problème d'"incohérence temporelle", et pour convaincre les acteurs économiques de l'intangibilité de la politique monétaire -dès lors qu'on ne dispose plus d'une forme de règle fixe comme l'étalon or- l'une des mesures les plus souhaitables qui semble pouvoir être prise consiste à désigner une autorité indépendante qui donne, par son pouvoir discrétionnaire dans un domaine de compétence limité, le degré de flexibilité nécessaire à la politique monétaire pour réagir à des perturbations inattendues, telles qu'un choc dans la demande de monnaie ou sur le prix du pétrole.

Assurer un pouvoir clair et indépendant pour définir la politique monétaire favorise en outre la crédibilité de cette politique en la rendant plus transparente, c'est-à-dire en rendant ses objectifs directement compréhensibles par le public. La transparence des politiques monétaires est d'autant plus nécessaire qu'il est, en général, plus difficile, à court terme, de contrôler et d'évaluer leurs résultats.


·
La clarté du mandat statutaire des membres du Conseil de la politique monétaire chargé de définir la politique monétaire était impérative pour rendre cette politique monétaire crédible, notamment parce que, en 1993, la Banque de France bénéficiait depuis moins longtemps que d'autres d'une réputation bien établie de rigueur monétaire.


Cependant, même s'il est clair, ce mandat a été considéré par certains comme peu conforme aux principes démocratiques dès lors qu'il ne procède pas de l'élection.

C'est oublier le fait que la mission de l'autorité chargée de définir la politique monétaire est délimitée nettement, qu'une telle politique doit inéluctablement être coordonnée avec la politique économique générale du Gouvernement, et que le législateur pouvait, à tout moment, revenir sur cette indépendance.

II. LA PARTICIPATION DE LA BANQUE DE FRANCE AU SYSTEME EUROPEEN DE BANQUES CENTRALES (SEBC)

A. L'INSERTION DE LA BANQUE DE FRANCE AU SEIN DU SEBC

Le premier alinéa du présent article assure,
conformément à l'article 106-1 qui dispose que "le SEBC est composé de la BCE et des banques centrales nationales", l'intégration de la Banque de France dans le SEBC.

Cet alinéa transfère donc la définition de la politique monétaire au SEBC, et dispose que la Banque de France participe à l'accomplissement des missions assignées par le Traité au SEBC, dont l'objectif principal est d'assurer la stabilité des prix.


A cet égard, le premier alinéa du présent article fait référence à l'article 4 A du Traité :

"Il est institué, selon les procédures prévues par le présent Traité, un Système européen de banques centrales, ci-après dénommé "SEBC", et une Banque centrale européenne, ci-après dénommée "BCE" ; ils agissent dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés par le présent Traité et les statuts du SEBC et de la BCE, ci-après dénommés "statuts du SEBC" qui lui sont annexés."

Une version précédente du présent projet de loi faisait, en revanche, référence aux articles 105-1 et 105-2 du Traité qui définissent, respectivement, l'objectif principal et les missions fondamentales du SEBC. La différence ne paraît pas, à première vue, considérable.

Comment expliquer, dès lors, cette évolution du texte ? Il semble, d'après les informations reçues par votre commission, que la présente rédaction réponde à un souhait du Conseil d'Etat qui a estimé que la référence aux articles 105-1 et 105-2 du Traité présentait le risque d'une interprétation éventuelle trop restrictive et qu'il était par conséquent préférable d'évoquer un article dont la portée est très générale, comme c'est le cas pour l'article 4 A.

En outre, le premier alinéa du présent article, tel qu'il est rédigé, permet de prendre en considération l'avis de l'Institut monétaire européen (IME), relatif à la situation de la Banque de France au regard des exigences du Traité.

En effet, au regard des exigences de l'article 107 du Traité relatives à l'indépendance, la situation de la Banque de France apparaît contrastée. La loi du 4 août 1993 distingue, en effet, clairement la politique monétaire des autres missions fondamentales du SEBC et notamment de la politique de change.

Pour ce qui concerne la définition et la mise en oeuvre de la politique monétaire qui constituent l'une des missions fondamentales du SEBC, la Banque est incontestablement déjà indépendante. L'article 1er du statut de la Banque relatif à la politique monétaire ainsi que les articles 7 à 10 relatifs à la mise en oeuvre de la politique monétaire et au fonctionnement du Conseil de la politique monétaire n'appellent pas de critiques au regard de l'indépendance.

En revanche, pour les autres missions fondamentales du SEBC énumérées à l'article 105-2 du Traité, à savoir la conduite des opérations de change, la détention et la gestion des réserves officielles de change et le fait de promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement, les dispositions de la loi du 4 août 1993 n'assurent pas expressément l'indépendance de la Banque de France.

B. LES OBJECTIFS STATUTAIRES DE LA BANQUE DE FRANCE

L'objectif principal de la Banque de France est le respect des objectifs du SEBC.

La deuxième phrase du premier alinéa de l'article 1 er de la loi du 4 août 1993 modifiée dispose que la Banque de France "accomplit sa mission dans le cadre de la politique économique générale du Gouvernement".

Votre commission rappelle que cette disposition, intégrée au texte originel de la loi du 4 août 1993, avait été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 93-324 du 3 août 1993, au motif qu'elle méconnaissait l'article 20 de la Constitution qui attribue au Gouvernement, notamment, la détermination et la conduite de la politique monétaire, le traité de Maastricht, à cette époque, n'étant pas encore entré en vigueur (il le sera le 1 er novembre 1993).

Cette disposition a donc été de nouveau intégrée à l'article 1 er de la loi du 4 août par la loi n° 93-1444 du 31 décembre 1993.

Le deuxième alinéa du présent article , qui constitue la transcription du Traité au niveau national, dispose que "la Banque de France apporte son soutien à la politique économique générale du Gouvernement," prend acte de deux faits :

- d'une part, de l'exposé des motifs du projet de loi de 1993, qui indiquait "qu'une fois entrées en vigueur, les dispositions pertinentes du Traité sur l'Union européenne relatives à l'Union économique et monétaire, il y aura lieu de modifier sur ce point l'article premier" ;

- d'autre part, de l'avis de l'IME qui estime que cette disposition, si elle n'est pas contraire à l'indépendance, devait néanmoins être aménagée dans la mesure où elle ne fait pas apparaître clairement la primauté de l'objectif de stabilité des prix.

C'est pourquoi, le deuxième alinéa du présent article dispose que la politique économique générale du Gouvernement sera soutenue par la Banque de France, "sans préjudice de l'objectif principal de stabilité des prix".

C. L'EXERCICE DES MISSIONS DU SEBC PAR LA BANQUE DE FRANCE DOIT ÊTRE INDÉPENDANT


Le troisième alinéa du présent article
reprend les dispositions du second alinéa de l'article 1er de la loi du 4 août 1993 relatives à la garantie de l'indépendance des membres du Conseil de la politique monétaire, ce texte étant lui-même une version synthétique de l'article 107 du Traité (cf. supra), en l'adaptant à l'exercice des missions que la Banque de France accomplit "à raison de sa participation au système européen de banques centrales".

De cette disposition, il ressort également que la Banque de France reste dépendante dans l'exercice de toutes ses autres activités.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter le présent article sans modification.

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