N° 54

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1998-1999

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 novembre 1998

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant la ratification d'une convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif ,

Par M. André ROUVIÈRE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Michel Barnier, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Roger Husson, Christian de La Malène, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, Jean-Luc Mélenchon, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Michel Pelchat, Alain Peyrefitte, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir le numéro :

Sénat : 4 (1998-1999).

Traités et conventions.

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi tend à autoriser la ratification d'une convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, adoptée à New York, dans le cadre des Nations unies, le 12 janvier 1998.

Il convient de saluer la rapidité de mise en oeuvre, par notre pays, de sa procédure interne de ratification : en effet, dix mois très exactement sépareront la signature de ce texte par la France, de son examen en séance publique par notre Haute assemblée. Cette rapidité relativement inhabituelle tient au souci de faire en sorte que la France soit le premier pays signataire à ratifier la convention du 12 janvier 1998, afin de souligner par cet acte symbolique la part prise par la France dans l'élaboration de ce texte. La présente convention a, en effet, pour origine une demande exprimée par la France lors du sommet du G8 de juillet 1996 à Paris . Le texte qui est proposé à l'autorisation parlementaire résulte ainsi, dans une très large mesure, de propositions françaises, même si l'idée d'élaborer une telle convention a été exprimée en mars 1996, lors du Sommet des "bâtisseurs de la paix" à Charm-El Cheik, après qu'une vague d'attentats particulièrement meurtriers avaient frappé Israël.

La convention du 12 janvier 1998 fait partie d'un droit international du terrorisme dont l'élaboration a commencé en 1963, avec l'adoption de la convention de Tokyo relative aux infractions commises à bord d'aéronefs. Cet arsenal juridique destiné à assurer la répression des actes de terrorisme impliquant plusieurs Etats sera prochainement complété par une convention consacrée au terrorisme nucléaire, partiellement pris en compte par la présente convention, puis par un accord concernant le financement du terrorisme.

A ces divers textes portant sur des aspects sectoriels et spécifiques du terrorisme international succédera par la suite une convention globale, supposée cerner toutes les implications du terrorisme et toutes les formes d'attentat.

En attendant cette échéance, il importe, en vue de la ratification de la présente convention, de présenter un bilan de la menace terroriste à la fin des années 1990, d'évaluer les réponses qui lui ont été successivement opposées par la communauté internationale, avant de commenter la convention du 12 janvier 1998.

*

* *

I. UNE MENACE TERRORISTE OMNIPRÉSENTE, DANS UN PAYSAGE STRATÉGIQUE RENOUVELÉ

Les statistiques attestent la tragique permanence de la menace terroriste, en dépit des modifications intervenues, depuis la fin de la guerre froide, dans un contexte international désormais éclaté, rendant aujourd'hui le danger terroriste plus imprévisible que jamais.

1. Un danger permanent

Les statistiques publiées par le Département d'Etat américain sur les actes de terrorisme international, mettant en cause des étrangers (victimes ou auteurs des attentats), font état d'un risque aujourd'hui permanent et universel. C'est en 1985 que la menace du terrorisme international s'est intensifiée à un rythme effrayant. Mais la période antérieure a connu des attentats spectaculaires (détournement en 1968, par le Front populaire de libération de la Palestine de Georges Habache, de deux avions de la compagnie El Al, attentat de 1992 aux Jeux olympiques de Münich contre des athlètes israéliens...), à l'origine de la prise de conscience d'un danger qui n'a cessé, par la suite, de s'aggraver.

Entre 1976 et 1986, plus de 6 000 actes de terrorisme auraient ainsi, selon les sources américaines précitées, été perpétrés dans le monde, faisant 5 000 morts et 8 000 blessés 1 ( * ) . Pendant la seule année 1985, ont été recensés 785 attentats, ayant fait 2 042 victimes dont 825 morts. Les statistiques de 1986 font état de 774 actes de terrorisme, ayant fait 2 321 victimes dont 604 morts. En 1986, 64 % des actes de terrorisme enregistrés dans le monde ont visé la France, Israël et les Etats-Unis.

Parmi les attentats les plus tragiques commis pendant la décennie 1976-1986, on peut citer les attentats simultanés des aéroports de Romes et Vienne, en décembre 1985, puis la vague d'attentats dont Paris a été le cadre en septembre 1986, ainsi que l'attentat au camion piégé de Beyrouth, en 1983, qui provoqua la mort de 241 marines. En 1986, la découverte, par les forces de sécurité de la compagnie El Al, d'une bombe qu'un terroriste tentait d'introduire à bord d'un appareil en partance de Londres pour Tel Aviv, permit de prévenir la mort de quelque 500 passagers. Cette même année, le FBI déjoua un projet de terroristes Sikhs visant l'explosion d'une bombe à bord d'un avion d'Air India assurant le vol New York-Londres.

Les statistiques du Département d'Etat américain relatives à la période 1987-1997 font état de 4 804 actes de terrorisme international, soit une certaine baisse par rapport à la précédente décennie, en dépit de "pics" en 1987 (666 attentats) et 1991 (565 attentats).

La répartition des actes de terrorisme international par région souligne l' importance du risque terroriste en Europe , où 272 attentats ont été commis en 1995, soit 62 % de l'ensemble des attentats terroristes commis dans le monde (43 % en 1993, 41 % en 1996).

L'Europe détient le triste privilège du plus grand nombre d'attentats terroristes commis sur le territoire de ses Etats pendant la période 1992-1997. Sur 2 156 actes de terrorisme international, 831, soit 38,5 % , ont été perpétrés en Europe. Le ratio est également accablant en Amérique Latine (deuxième région concernée, soit 28 %) et, à un moindre degré, au Moyen-Orient (19,5 %), où le terrorisme vise à affecter le processus de paix (cf les quatre attentats-suicides commis en moins de dix jours par des islamistes palestiniens en Israël en février 1996, qui justifièrent la réunion, le 13 mars 1996, du sommet international contre le terrorisme de Charm-el-Cheikh).

En revanche, le danger paraît moins important en Amérique du Nord (0,7 %), en Afrique (3,3 %) et en Asie (5 %). Ces proportions plus faibles n'impliquent néanmoins pas que les pays de ces régions ne soient pas concernés par la menace terroriste. Les attentats de 1996 à Khobar Towers, en Arabie saoudite, puis d'août 1998 à Nairobi et Dar-el-Salam montrent, en effet, que le danger terroriste ignore les frontières des Etats. L'attentat de 1993 contre le World trade center avait, par ailleurs, déjà clairement illustré que le terrorisme d'origine moyen-orientale avait pris les Etats-Unis pour cible.

Une enquête effectuée dans le cadre du Conseil de l'Europe sur la menace terroriste en Europe pendant la période 1982-1986 2 ( * ) montre que, si "le plus grand nombre de décès est imputable à des groupes nationaux comme l'IRA au Royaume-Uni, le PKK en Turquie et l'ETA en Espagne", en revanche, les "attentats les plus meurtriers" sont imputables au terrorisme international . Ainsi l'attentat commis en 1988 contre un avion de la PANAM, détruit par une bombe au-dessus de Lockerbie en Ecosse, a-t-il fait à lui seul 270 morts. L'attentat commis en 1989 contre un avion d'UTA, qui a explosé au-dessus du désert de Ténéré au Niger, a quant à lui causé la mort de 171 personnes.

2. Un contexte international substantiellement transformé

Depuis la fin de la guerre froide, le terrorisme international a connu des évolutions sensibles, liées notamment à la disparition du soutien autrefois apporté par l'Union Soviétique.

. En cette fin des années 1990, le terrorisme international est caractérisé par 3 ( * ) :

- un soutien plus dispersé (les terroristes se trouvent dans un pays, les commanditaires dans un autre, les armes dans un autre encore, l'argent provenant d'un pays encore différent), qui accroît l' éclatement des groupes par rapport à l'époque où les mouvements terroristes avaient intérêt à maintenir leur unité face à un "sponsor" unique ;

- un fractionnement des mouvements , dû à des divergences de vues entre politiques et militaires, pragmatiques et jusqu'auboutistes, qui paraît n'épargner aucun mouvement et qui contribue à aggraver la menace ;

- une extension de la menace terroriste aux pays d'Europe centrale et orientale , qui étaient épargnés à l'époque soviétique, quand des organisations terroristes internationales étaient basées sur leur territoire : la perception d'un danger terroriste par ces pays (attestée par l'enquête effectuée dans le cadre du rapport précité du Conseil de l'Europe) tient notamment à l'augmentation rapide de la criminalité organisée, à l'apparition d'extrémistes sur les scènes politiques nationales, et à l'implantation de représentations diplomatiques et commerciales d'Israël dans ces pays ;

- une déprofessionnalisation des acteurs par rapport aux années 1970-1980, liée au remplacement des entités permanentes de l'époque par des groupuscules, mobiles et fanatisés : cette tendance contribue à rendre le terrorisme international beaucoup plus imprévisible qu'à l'époque où l'URSS, en apportant son soutien, contribuait aussi à tempérer certains excès ;

- une nouvelle forme d'internationalisation , du fait de la circulation des individus et des capitaux (ainsi l'attentat contre le World trade center, en 1993 à New York, mettrait-il en cause des réseaux comprenant des Egyptiens, des Pakistanais et des Palestiniens).

Cette dernière évolution souligne l'impossibilité de "diaboliser" un seul pays : ainsi le Hamas frappe-t-il en Israël, "mais ses "politiques" ont des bureaux en Jordanie ou en Syrie, tandis que ses militaires se terrent à Gaza ou en Cisjordanie. L'argent vient essentiellement des pays du Golfe ou de la diaspora palestinienne en Occident" 4 ( * ) .

La vague d'attentats qui a frappé la France en 1995 a confirmé ces diverses observations. Le terrorisme islamiste qui a ainsi été mis en cause était sensiblement différent des réseaux étatiques ou para-étatiques des années 1980, et ne paraissait pas disposer, selon les observateurs, de relais en profondeur dans la population musulmane française.

. Quant à la nature de la menace terroriste , elle pourrait avoir pris une tournure plus inquiétante encore, parallèlement à l' augmentation d'actes de violence aveugle perpétrés par des extrémistes religieux (cf les attentats commis en Egypte contre des touristes occidentaux) et des groupes "apocalyptiques" n'excluant pas le recours à des armes non conventionnelles comme les armes chimiques. L'attentat au sarin dans le métro de Tokyo, en mars 1995, pourrait illustrer cette tendance effrayante où les Etats-Unis voient l'émergence d'un "nouveau terrorisme".

Le terrorisme semble donc plus que jamais devenu "l' arme nucléaire du pauvre ". Les moyens chimiques et biologiques confèrent, en effet, aux nombreux groupuscules politiques et religieux susceptibles de commettre des attentats terroristes un pouvoir de destruction sans précédent (cf. le dépôt de substances radioactives dans un parc de Moscou vraisemblablement par un mouvement tchétchène).

. Selon d'autres interprétations cependant, la menace terroriste pourrait être relativisée par la constatation que les moyens auxquels ont recours les terroristes ne diffèrent pas de ceux qu'ils utilisaient avant la fin de la guerre froide. Il s'agit toujours d'explosifs, certes puissants, mais néanmoins ordinaires, aucun moyen biologique ou nucléaire n'ayant, à ce jour, été mis en oeuvre. Certains observateurs soulignent ainsi 5 ( * ) la permanence de modes opératoires traditionnels , comme l'attentat à la voiture piégée (attentats de Nairobi et Dar-el-Salam en août 1998, de Beyrouth en 1983 ...), ou comme le recours aux explosifs classiques utilisés par les terroristes pendant les deux grandes vagues d'attentats en France, en 1986 et 1995. Cette interprétation du terrorisme international s'appuierait notamment sur le fait que les terroristes cherchent avant tout à convaincre l'opinion de leur capacité à frapper n'importe où et n'importe quand, et non à exterminer de manière massive.

*

* *

Le précédent redoutable que constitue l'attentat au sarin dans le métro de Tokyo, joint à la simple constatation de la prolifération actuelle de groupuscules fanatisés et imprévisibles, et à l'évidence que l'effondrement du communisme est allé de pair avec une dispersion incontrôlée des armes de destruction massive , ne saurait toutefois occulter le fait que la menace terroriste semble bien s'être aggravée.

* 1 Assemblée de l'Atlantique Nord, rapport intérimaire de la sous-commission sur le terrorisme - septembre 1987.

* 2 Rapport sur la lutte contre le terrorisme en Europe , Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, septembre 1992. Doc 6669.

* 3 Le Figaro, Les nouveaux défis de la lutte antiterroriste, 14 mars 1996.

* 4 Le Figaro op. cit.

* 5 tel Gérard Chalian, Directeur du centre européen d'étude des conflits dans Perspectives stratégiques - n° 41 - octobre 1998.

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