CHAPITRE IV -

LES TRAVAUX DE VOTRE COMMISSION

Outre, les auditions de la commission, votre rapporteur a entendu une trentaine d'organisations professionnelles et d'experts dont la liste figure en annexe de ce rapport.

I. LES AUDITIONS DE VOTRE COMMISSION

A. L'AUDITION DE M. JEAN GLAVANY, MINISTRE DE L'AGRICULTURE ET DE LA PÊCHE

La commission a procédé, à l'audition de M. le ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le projet de loi n° 18 (1998-1999) d'orientation agricole.

Il s'est déclaré prêt à réunir à nouveau l'ensemble des partenaires de la filière lait afin de résoudre cette crise.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, a rappelé les raisons qui ont conduit à l'élaboration du projet de loi d'orientation agricole, faisant notamment valoir que si la politique agricole menée jusqu'à présent avait permis d'importants progrès, elle avait également favorisé la concentration des exploitations et entraîné des déséquilibres entre les productions et entre les territoires. De plus, a-t-il ajouté, les consommateurs contestent les " excès du productivisme " et réclament plus de transparence et une meilleure lisibilité dans la chaîne agro-alimentaire. Ils remettent également en cause -a-t-il indiqué- les conséquences négatives d'une certaine forme d'agriculture sur l'environnement, et dans un contexte économique, marqué par le chômage, ils s'interrogent sur le coût de la politique agricole au regard des avantages qu'elle procure.

Le ministre a observé qu'au sein de l'Europe elle-même, le consensus autour de la politique agricole commune était menacé, tant par les pays du sud -qui considèrent que cette politique est trop favorable aux grandes productions des pays du nord, comme les céréales, le lait et la viande bovine- que par certains pays de l'Europe septentrionale, qui souhaitent s'en remettre au libre jeu du marché dans ce secteur.

Enfin, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, a souligné qu'au niveau international, les partenaires de l'Europe s'étaient opposés à la politique agricole commune lors des difficiles négociations du GATT et que les accords de Marrakech avaient instauré une trêve fragile, dont le contenu devrait être fermement défendu dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce. A ce sujet, le ministre a jugé dangereuse la proposition de la commission européenne tendant à compenser la baisse des prix garantis par une augmentation des aides directes aux agriculteurs, et a fait valoir que l'Europe devait s'engager dans la voie du découplage partiel entre les aides et la production, afin de garantir à la politique agricole commune une existence durable.

Face à toutes ces remises en cause, le ministre a préconisé une refondation de la politique agricole, sur des bases renouvelées et modernisées afin d'en assurer la pérennité, et fait valoir que tels étaient les objectifs du projet de loi d'orientation agricole.

Il a ajouté que la justification de l'intervention publique en faveur des agriculteurs en dépit de la diminution de leur nombre, reposait sur trois idées principales :

- la multifonctionnalité de l'agriculture ;

- la nécessité d'agir en faveur de l'équilibre territorial et social ;

- la contractualisation de la politique agricole.

Le ministre a tout d'abord rappelé qu'une agriculture bien conduite devait remplir trois fonctions : une fonction économique, une fonction environnementale et une fonction sociale. Il a reconnu que la fonction de production était essentielle, et qu'elle devait bénéficier de soutiens publics, car l'alimentation était une fonction particulière, indispensable à toute activité humaine.

Mais, a fait valoir le ministre, la politique agricole doit aussi encourager le développement de pratiques agronomiques respectueuses de l'environnement et la création d'emplois dans le monde rural et, enfin, rémunérer la production de services d'intérêt général rendus par les agriculteurs.

S'agissant de la deuxième idée fondant une politique agricole rénovée, le ministre a souligné que la politique agricole ne serait légitime et acceptée durablement que si les concours publics permettaient le maintien d'une activité agricole sur tout le territoire, en étant équitablement répartis entre les agriculteurs.

Il a rappelé qu'aujourd'hui les aides à l'agriculture étaient concentrées sur les régions les plus productives et les mieux dotées agronomiquement, contribuant par là même à accentuer les déséquilibres résultant du jeu de l'économie.

Enfin, s'agissant de la contractualisation de la politique agricole, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, a indiqué que le contrat territorial d'exploitation (CTE) serait le moyen de moderniser la gestion de la politique agricole, en permettant de proportionner l'attribution des moyens publics à l'intérêt des projets présentés par les agriculteurs, tant pour le développement de richesses sur leur exploitation que pour l'accomplissement des objectifs publics que l'Etat aurait fixés pour la politique agricole.

Le ministre a observé que l'agriculture devrait jouer son rôle dans la bataille de l'emploi et que la politique agricole ne devrait plus favoriser la réduction du nombre d'agriculteurs et la concentration des exploitations, mais au contraire conforter l'existence des exploitations, leur transmission dans de bonnes conditions, et l'installation de jeunes agriculteurs.

C'est pourquoi le projet de loi d'orientation agricole, a-t-il ajouté, renforce le contrôle sur l'installation et l'agrandissement des exploitations agricoles en étendant aux sociétés le contrôle qui pèse aujourd'hui, en cette matière, sur les seules personnes physiques, et en fixant au niveau départemental le seuil de déclenchement des demandes d'autorisation d'exploiter.

Pour favoriser le développement de l'emploi salarié dans les exploitations, le ministre a souligné que les formalités administratives dont doivent s'acquitter les employeurs seraient simplifiées, notamment par la généralisation du titre d'emploi simplifié agricole (TESA) et a indiqué que le projet de loi créait le statut du conjoint collaborateur.

Le projet de loi d'orientation agricole, a-t-il ajouté, fait une place importante à la politique de qualité et d'identification des produits agricoles en créant des interprofessions spécifiques qui n'affaibliront pas les interprofessions générales, là où elles existent. Elles permettront de structurer les démarches d'identification des produits dans un cadre qui assure la représentation de tous les acteurs concernés. Les mesures proposées visent à traiter dans un cadre identique toutes les demandes de protection d'une dénomination géographique qui seront instruites par l'Institut national des appellations d'origine.

Le ministre a souligné, par ailleurs, que de nombreuses dispositions visaient à conforter les outils d'organisation économique, notamment les interprofessions générales, dont le rôle était renforcé et élargi, et qu'elles ouvraient la possibilité pour les partenaires des filières de production de prendre des mesures d'organisation des marchés en cas de crise, même en l'absence d'interprofessions.

Pour l'avenir, le ministre a considéré que l'agriculture devrait mobiliser un appareil de formation et de recherche de grande qualité pour inventer de nouveaux modes de développement, faire de la protection de l'environnement un atout et, enfin, intégrer des préoccupations de qualité toujours plus importantes.

En conclusion, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, a déclaré qu'il était ouvert à toutes les propositions des parlementaires qui viendraient améliorer et enrichir ce projet de loi.

M. Michel Souplet, rapporteur, a alors interrogé le ministre sur les mesures permettant d'informer les propriétaires fonciers lors de la mise en place des contrats territoriaux d'exploitation.

A propos des cessions d'exploitation, qui constituent pour beaucoup d'agriculteurs " une forme de retraite complémentaire ", le rapporteur a souhaité voir définies des incitations fiscales pour encourager le cédant à privilégier les jeunes agriculteurs qui veulent s'installer. Il a émis la crainte que le renforcement des contrôles sur l'agrandissement des exploitations agricoles constitue un véritable carcan administratif. Enfin, il a rappelé que 15 % de la population mondiale souffrait de sous-alimentation et que, dans les économies occidentales, les prix alimentaires avaient peu augmenté en raison des interventions publiques financées par la voie budgétaire.

M. Albert Vecten, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, a interrogé le ministre sur les modalités d'exercice de la co-tutelle exercée sur les établissements d'enseignement agricole.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, a indiqué que les représentants des propriétaires fonciers avaient été associés à la préparation du projet de loi et qu'il ne fallait pas alourdir le processus de consultation prévu lors de la mise en place d'un CTE qui s'inscrit d'ores et déjà dans le statut du fermage.

S'agissant des incitations fiscales, le ministre a indiqué que, sur la base d'un rapport remis au Parlement à la fin du premier semestre 1999, des dispositions fiscales accompagnant la loi d'orientation agricole seraient inscrites dans le projet de loi de finances pour 2000. Sur le contrôle des structures, le ministre a souligné que le projet de loi simplifiait les procédures existantes en instituant un système unique d'autorisation, en donnant une priorité absolue à l'installation des jeunes et à la lutte contre l'agrandissement des exploitations. S'agissant de la population mondiale qui souffre de malnutrition, le ministre a rappelé également l'existence des excédents agricoles, notamment au niveau communautaire, et considéré que le problème se posait en termes d'accès à l'alimentation et de mode de répartition de l'aide alimentaire.

Enfin, il a indiqué que l'exercice de la co-tutelle n'était pas modifié et que les directeurs d'établissement d'enseignement supérieur agricole étaient nommés conjointement par les ministres de l'agriculture et de l'éducation nationale.

Répondant à Mme Janine Bardou et M. Jean-Marc Pastor, qui soulignaient la nécessité, pour les agriculteurs installés dans des zones difficiles, comme en montagne, de développer des activités annexes et complémentaires telles que l'agri-tourisme, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, a indiqué qu'il n'était pas hostile à une meilleure définition de l'activité agricole telle que prévue par l'article 6 du projet de loi.

M. Raymond Soucaret s'est demandé comment les agriculteurs ayant opté pour un CTE pourraient concilier la création d'emploi et la semaine de 35 heures. Il a émis des doutes sur la capacité des CTE à moderniser l'agriculture, en rappelant que, dans le passé, les petites structures agricoles avaient disparu.

Il a jugé que la volonté de réduire la taille des exploitations n'était pas réaliste sur le plan économique, même si le contrôle sur les agrandissements des superficies pouvait être amélioré. A propos du statut de conjoint-collaborateur, dont il a reconnu le bien-fondé, M. Raymond Soucaret a souligné que la question de son financement n'était pas résolue. Il s'est interrogé sur les modalités de fonctionnement des comités d'entreprise regroupant des salariés appartenant à plusieurs exploitations agricoles.

M. André Lejeune, rapportant les propos tenus par la Coordination agricole, s'est demandé si l'examen du projet de loi d'orientation agricole ne venait pas trop tôt, compte tenu des négociations en cours à Bruxelles sur la politique agricole commune, et si ce texte ne risquait pas d'affaiblir la position française vis-à-vis de ses partenaires.

M. Jean-Paul Emorine s'est interrogé sur la faiblesse des moyens financiers prévus pour appliquer la loi d'orientation agricole.

Pour favoriser l'installation des jeunes, il a suggéré que le dispositif de la préretraite à 55 ans soit réservé aux agriculteurs qui cesseraient leur activité pour la céder à des jeunes. Il a souhaité voir défini un modèle unique d'exploitation sociétaire, avec les mêmes contraintes et les mêmes avantages que l'exploitation individuelle. Il a regretté, enfin, qu'un dispositif d'assurance-récolte n'ait pas pu être défini dans le projet de loi d'orientation agricole.

M. Gérard Cornu a interrogé le ministre sur les modalités de financement du CTE et a jugé que la politique de redéploiement de crédits prélevés sur le fonds de gestion de l'espace rural, les OGAF et le fonds d'intervention des agriculteurs, avait ses limites. Il s'est demandé si le financement des CTE serait inclus dans les contrats de plan Etat-région, ce qui aurait pour conséquence d'obliger les régions et les départements à participer à leur financement. Il a enfin souhaité connaître le montant de la prime annuelle versée sur chaque CTE.

M. Roger Rinchet a jugé que le moyen le plus radical pour soutenir l'agriculture défavorisée était de plafonner les aides versées.

Leur répondant, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, a indiqué que le CTE constituait un outil nouveau indispensable pour faire reconnaître la multifonctionnalité de l'agriculture et réorienter la politique agricole dans un sens moins productiviste et intensif. Il a souligné que la mise en oeuvre du CTE nécessitait beaucoup de souplesse et de pragmatisme pour s'adapter à la diversité des réalités agricoles et que la politique agricole menée, tant au plan national qu'au plan européen, devait sortir de la seule logique de l'aide à la production. Tout en reconnaissant que ces aides à la production ne seraient pas supprimées, mais plus certainement plafonnées et modulées, il a souligné la nécessité de mettre en place des aides à l'exploitation pour enrayer l'exode rural.

S'agissant du statut du conjoint collaborateur, il a indiqué qu'il serait financé comme toutes les prestations sociales agricoles.

Il a jugé que le projet de loi d'orientation agricole s'inscrivait en parfaite cohérence avec les propositions françaises faites dans le cadre des négociations sur la politique agricole commune, et fait valoir que les partenaires européens étaient très intéressés par le contenu et les objectifs du CTE. S'agissant des négociations sur la politique agricole commune, le ministre a rappelé que la France refusait le cofinancement des aides directes, afin d'éviter des distorsions de concurrence, et que les discussions portaient également sur l'éventualité d'un plafonnement ou d'une modulation des aides directes, et sur le financement du règlement horizontal, c'est-à-dire, du développement rural, de " l'écoconditionnalité " et des aides à l'emploi.

Le ministre, après avoir souligné que l'importance d'une loi ne tenait pas seulement aux moyens financiers dont elle était assortie, a rappelé qu'en matière de préretraite, il y avait aujourd'hui plus de départs d'agriculteurs que de candidats à l'installation, et qu'il ne fallait donc pas accentuer le rythme des départs. Sur la forme juridique des exploitations, le ministre n'a pas jugé souhaitable d'unifier les différents régimes juridiques existants, considérant qu'ils apportaient des réponses adaptées à la diversité des modes d'exploitation agricole.

Concernant l'instauration d'une assurance-agricole, le ministre en a reconnu tout l'intérêt et indiqué que le projet de loi prévoyait qu'un rapport sur le sujet serait remis au Parlement à la fin du premier trimestre 1999.

Rappelant le calendrier parlementaire d'adoption du projet de loi d'orientation agricole, M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, a considéré que les crédits prévus pour 1999 pour les CTE permettraient de financer les premiers contrats signés à partir d'août 1999. Pour les années suivantes, a-t-il précisé, il y aurait un financement européen et au plan national, au-delà des crédits du budget de l'agriculture, les régions et les départements pourraient participer de façon volontaire au financement des CTE s'inscrivant dans les orientations définies au niveau régional ou départemental. Il a fait valoir que, dans le cadre des contrats de plan Etat-Régions, seraient débattues des orientations de la politique agricole à mettre en oeuvre au niveau de chaque région. Il s'est refusé, enfin, à donner des indications chiffrées sur les primes liées à la mise en oeuvre d'un CTE en rappelant que les montants pourraient varier en fonction des objectifs définis contractuellement avec l'agriculteur.

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