EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 3 novembre 1999, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a procédé, sur le rapport de M. René Trégouët, rapporteur spécial , à l'examen des crédits de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - III. Recherche et technologie ,

M. René Trégouët, rapporteur spécial, a d'emblée exposé les raisons de son insatisfaction face à ce budget :

- l'évolution globale des crédits, tout d'abord, ne lui semble pas refléter la priorité nationale dont la recherche devrait faire l'objet ;

- la dotation néglige, d'autre part, des investissements essentiels pour l'avenir de la science et de la technologie française ;

- la dotation laisse douter, enfin, de ce fait, de la pertinence des processus de décision relatifs aux arbitrages budgétaires et au pilotage de la recherche française.

Les dépenses du budget civil de recherche et de développement technologique (BCRD) doivent passer, en 2000, -a indiqué le rapporteur spécial- de 53,9 à 54,6 milliards de francs, soit une progression de 1,3 %, inférieure à celle de l'ensemble des dépenses de l'Etat qui est de 0,9 %.

Dans cet ensemble, la dotation du ministère chargé de la recherche et de la technologie, recule de 0,4 % (de 40 à 39,86 milliards de francs). Elle progresse toutefois, à structure constante, c'est-à-dire en ne tenant pas compte d'un transfert de 600 millions de francs de certaines dépenses spatiales au ministère de la défense, mais seulement de 1,1 %, soit moins que la moyenne des budgets civils.

M. René Trégouët, rapporteur spécial, a estimé que cette évolution était en contradiction avec les déclarations du Comité interministériel scientifique et technologique, de juillet 1998, pour qui la recherche constituait l'une des clés essentielles de l'avenir de notre pays et pour qui la France devait se donner les moyens d'adapter son dispositif public de recherche pour relever les défis du siècle prochain.

Les statistiques disponibles montrent, en effet, -selon le rapporteur spécial- que le moment de relâcher notre effort n'est pas encore venu, malgré la progression de plus de 4 % en 1998 des dépenses de recherche des entreprises.

La part du produit intérieur brut (PIB) réservée à la dépense nationale de recherche développement (DNRD) est revenue de 2,50 % en 1993 à 2,22 % en 1998, celle de la dépense intérieure de recherche développement (DIRD), de 2,45 % à 2,21 % durant la même période. L'OCDE classe la France en queue du peloton des grands pays industriels, derrière les Etats-Unis, le Japon et l'Allemagne, en ce qui concerne la DIRD par habitant et le ratio chercheur/population active. Enfin, la proportion des brevets déposés, en Europe et aux Etats-Unis, par les laboratoires français, recule continuellement depuis 10 ans.

S'agissant des investissements importants pour l'avenir de la science et de la technologie française que ce budget lui semble négliger, M. René Trégouët, rapporteur spécial, a évoqué le projet de " Synchrotron Soleil ".

Il a développé à son sujet les points suivants :

- il convient de s'interroger sur l'avenir de l'installation actuelle d'Orsay ;

- d'autres pays conservent des équipements nationaux, tout en participant à l'exploitation de machines européennes ;

- il existe une tendance à la saturation de ce type d'équipements, du fait de leur très grand intérêt scientifique et de la variété de leurs utilisations ;

- leurs caractéristiques étant très diverses, ils peuvent être réalisés, selon leur dimension et leur coût, au niveau soit européen, soit national ;

- leur usage, enfin, est, par essence, coopératif, c'est-à-dire international, d'une part, interdisciplinaire, d'autre part.

M. René Trégouët, rapporteur spécial, a également évoqué l'abandon, au nom de la réduction du poids des grands équipements scientifiques dans ce budget, de projets tels que le satellite astronomique Corot ou le nouveau navire océanographique que l'IFREMER (Institut français pour l'exploitation de la mer) devait construire, en partenariat avec la marine nationale.

Il a déclaré approuver pourtant plusieurs des priorités annoncées par le ministre, notamment celles en faveur des sciences du vivant et des nouvelles technologies dans la communication et l'information, domaines où la France se trouve en retard et où la valorisation des résultats de la recherche peut être particulièrement forte et rapide.

Il s'est déclaré satisfait des encouragements à la mobilité des chercheurs et à la création d'entreprises et de la facilitation, par la loi sur l'innovation et la recherche, de la valorisation des travaux des organismes publics de recherche.

Mais, trop souvent -a estimé le rapporteur spécial-, les orientations de la politique de la recherche semblent dictées par des oppositions sommaires, entre laboratoires et très grands équipements, par exemple, Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et universités, recherche fondamentale et recherches finalisées, disciplines traditionnelles et disciplines nouvelles...

Or, les arbitrages de ce budget ont semblé à M. René Trégouët témoigner d'une stratégie de contournement des grands organismes de recherche, et d'une certaine défiance à leur égard.

La faible progression de leur dotation - il est vrai, a-t-il concédé, souvent importante en valeur absolue- contraste, en effet, avec la très grande augmentation des capacités d'intervention du ministère : + 35 %, par exemple, pour les autorisations de programme du fonds de la recherche technologique (FRT) et + 130 % pour les crédits de paiement du fonds national de la science (FNS).

Certes -a admis le rapporteur spécial- ce peut être un moyen de favoriser les jeunes chercheurs et les disciplines nouvelles, mais, sous prétexte de limiter l'influence des grands organismes, ne risque-t-on pas -s'est-il interrogé- une centralisation excessive de la politique de la recherche ?

Le problème de la façon dont sont instruites les décisions relevant du budget et de la politique de la recherche se trouve, ainsi, à ses yeux, posé.

La coexistence de plusieurs instances consultatives ou chargées d'évaluation -a poursuivi M. René Trégouët - sème la confusion :

- le Conseil national d'évaluation de la recherche (CNER) est réellement indépendant, mais doté de faibles moyens et intervient a posteriori ;

- le Conseil des très grands équipements, créé en 1988, a cessé d'exister en 1995 ;

- les membres du Conseil national de la science sont tous nommés par le Gouvernement.

Concernant les fonds d'intervention, FNS et FRT, dont l'affectation n'est pas déterminée à l'avance, le ministre a reconnu, lors de son audition par la commission le 19 octobre dernier, que leur contrôle, par le Parlement, était délicat et s'est engagé à tenir les commissaires informés de leur utilisation.

M. René Trégouët, rapporteur spécial, n'en a pas moins estimé nécessaire de se pencher sur le processus de prise des décisions de la politique de la recherche. Il a jugé anormal, notamment, qu'une décision aussi importante que l'abandon, malgré le soutien du Président de la République, du " projet Soleil ", soit présentée, au Parlement, comme irréversible.

En conclusion, M. René Trégouët, rapporteur spécial, a préconisé le rejet des crédits de la recherche et de la technologie.

M. Philippe Marini, rapporteur général , s'est dit impressionné par la cohérence et la fermeté de l'intervention du rapporteur spécial et a approuvé, à titre personnel, sa proposition de rejet.

M. Pierre Laffitte, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, a déclaré partager les appréciations du rapporteur spécial sur les insuffisances, les redondances, et l'opacité des mécanismes de l'évaluation de la recherche.

Il a affirmé déplorer lui aussi, l'insuffisance de crédits. Il s'est inquiété particulièrement du financement de la recherche sur les nouvelles technologies de l'information et de la communication, en raison du désengagement de France-Télécom depuis l'ouverture de ses activités à la concurrence.

Il s'est réjoui de l'augmentation du FNS et du FRT, de la création de postes d'accueil pour les étrangers et a vanté la politique menée par l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) en matière de créations d'entreprises et de mobilité des chercheurs.

Il a avoué comprendre la défiance du ministre à l'égard des grands organismes, sans approuver, pour autant, le manque de transparence des décisions les concernant.

M. Jacques-Richard Delong a regretté le confinement de la recherche scientifique à un cercle restreint de savants, et s'est interrogé sur les conditions d'une meilleure vulgarisation de ce qui touche le nucléaire.

M. Paul Loridant a déclaré partager entièrement les analyses du rapporteur spécial en ce qui concerne l'abandon du " projet Soleil " et a souligné son impact négatif sur le pôle scientifique et technologique d'Orsay. Il a évoqué les difficultés rencontrées par les jeunes docteurs pour trouver un emploi ainsi que les effets néfastes des restrictions apportées à l'accueil de chercheurs et étudiants étrangers par la loi  du 11 mai 1998 sur l'entrée et le séjour des étrangers en France et le droit d'asile.

En réponse aux différents intervenants, M. René Trégouët, rapporteur spécial a tout d'abord manifesté son accord avec les observations du rapporteur pour avis. Il a observé que le parc scientifique de Palo Alto, en Californie, déposait à lui seul, plus de brevets que la totalité de la recherche publique française dont l'évaluation devait être effectuée selon ce critère plus que d'après le nombre de publications scientifiques. Il a rappelé à M. Jacques-Richard Delong le rôle joué par l'OPECST (office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) en matière d'information sur l'utilisation et la sécurité des installations nucléaires. Il s'est interrogé, à propos du synchrotron Diamond qui doit être implanté en Grande-Bretagne sur la nature juridique de l'accord liant les gouvernements français et britannique à une fondation scientifique anglaise de droit privé dépendant du groupe pharmaceutique " Wellcome ".

M. René Trégouët, rapporteur spécial , s'est engagé vis-à-vis de M. Paul Loridant à interroger le ministre de la recherche sur la nocivité des effets sur les échanges de chercheurs, de la loi du 11 mai 1998.

Il a souligné, à ce propos, l'importance capitale de l'ouverture aux échanges internationaux de notre communauté scientifique, citant en exemple l'effet d'attraction exercé par les universités américaines sur les chercheurs du monde entier.

Enfin, il a observé que l'évolution démographique des effectifs de la recherche française offrait une occasion unique de rénover cette dernière.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat de rejeter les crédits de la recherche et de la technologie .

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