Projet de loi de finances pour 2000, adopté par l'Assemblée nationale, TOME III - Les moyens des services et les dispositions spéciales (deuxième partie de la loi de finances) Annexe n° 33 : Justice

HAENEL (Hubert), Rapporteur spécial

RAPPORT GENERAL 89-TOME III Annexe n° 33 (1999-2000) - COMMISSION DES FINANCES


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Table des matières





N° 89

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès verbal de la séance du 25 novembre 1999.

RAPPORT GÉNÉRAL

FAIT

au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances pour 2000 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

Par M. Philippe MARINI,

Sénateur,

Rapporteur général.

TOME III

LES MOYENS DES SERVICES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES

(Deuxième partie de la loi de finances)


ANNEXE N° 33

JUSTICE

Rapporteur spécial : M. Hubert HAENEL

(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 11 ème législ.) : 1805 , 1861 à 1866 et T.A. 370 .

Sénat : 88 (1999-2000).



Lois de finances.

PRINCIPALES OBSERVATIONS

1. Un effort budgétaire réel qui ne se traduit pas encore par une amélioration du fonctionnement de la justice

Le projet de budget 2000 poursuit l'effort budgétaire entrepris depuis le vote de la loi de programme relative à la justice en 1995 et accentué par le gouvernement actuel.

Ainsi, le budget de la justice voit ses crédits augmenter de 3,9  % par rapport à l'année dernière et atteindre 27,3 milliards de francs. Par ailleurs, 1237 emplois sont créés, dont 256 magistrats, 145 greffiers et greffiers en chef, 290 personnels de surveillance pénitentiaire et 258 personnels éducatif.

Or, ce renforcement considérable des moyens de la justice n'a pas entraîné d'amélioration visible pour le citoyen dans le fonctionnement de cette dernière. Ainsi, le stock d'affaires en cours auprès de la Cour de cassation, des Cours d'appel, des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance s'est accru en 1998 tandis que la durée moyenne des procédures s'est encore allongée.

Les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel sont également confrontés à une augmentation inquiétante de leur stock d'affaires. Ainsi, à Paris, le stock en 1998 a atteint 50.575 affaires pour 16.561 affaires réglées. Quant au délai moyen de jugement dans les cours administratives d'appel, il est passé d'un an en 1993 à près de trois ans en 1998.

Certes, les juridictions doivent faire face à un afflux toujours croissant d'affaires nouvelles tandis qu'une partie non négligeable des emplois créés ne sont réellement pourvus qu'avec un décalage de plusieurs années en raison des impératifs de formation.

Pour autant, la justice sera jugée sur sa capacité à tirer profit des moyens financiers et humains qui sont mis à sa disposition pour améliorer la qualité des missions qu'elle remplit.

2. Le nombre de vacances de postes : la difficulté d'obtenir un chiffre fiable

En 1997, l'Union syndicale des magistrats avait envoyé un questionnaire auprès de toutes les juridictions afin de comptabiliser le nombre des postes officiellement vacants et celui des postes vacants " de fait " 1( * ) . Cette enquête avait été éclairante. Alors que la Chancellerie avançait un taux de 3 % d'emplois vacants (soit 195 magistrats sur un total de 6287 postes budgétaires), les réponses au questionnaire conduisaient à évaluer ledit taux à 7,7 %, soit 482 postes vacants.

Or, cette ambiguïté subsiste. Lorsque votre rapporteur se rend dans les juridictions, la question des vacances de postes est toujours soulevée et constitue l'un des plus importants griefs des magistrats. La Chancellerie au contraire assure que la gestion des effectifs a été considérablement améliorée et que les vacances d'emplois auraient atteint un niveau incompressible : 0,17 % pour 1999, ce qui correspond à 11 emplois vacants.

Pourtant, d'autres informations obtenues par votre rapporteur auprès de la Chancellerie indiquent qu'au 1er septembre 1999, le nombre total de magistrats s'élève à 6558, dont :

- 9 sont en congé de longue durée

- 16 sont en congé parental

- 266 sont en position de détachement

- 77 sont en disponibilité.

Au total, 368 postes ne sont donc pas occupés. Certes, il faut tenir compte des 82 magistrats maintenus en activité en surnombre et des 100 magistrats recrutés par concours exceptionnel. Mais le résultat obtenu donne 186 postes vacants, ce qui ne correspond pas aux chiffres avancés par la Chancellerie.

3. La nécessité de renforcer les crédits pour l'entretien des juridictions et des établissements des services pénitentiaires

Les crédits de fonctionnement mis à la disposition des juridictions et des établissements pénitentiaires ne permettent pas d'assumer l'entretien courant de ces bâtiments. Faute de crédits suffisants, les travaux de maintenance, de modernisation du parc et d'adaptation aux normes de sécurité ne sont pas réalisés, ce qui oblige à effectuer de manière beaucoup trop fréquente de gros travaux de réparation, voire de reconstruction financés sur le titre V.

Il est donc urgent que le ministère de la justice obtienne les crédits nécessaire pour l'entretien de son parc immobilier. En contrepartie, ce dernier doit se doter d'une politique immobilière et définir une programmation pluriannuelle pour recenser les dépenses d'entretien à effectuer et distinguer clairement les dépenses relevant du titre III de celles relevant du titre V.

4. La nécessité d'adopter une nouvelle loi de programme pour achever la rénovation des juridictions et des établissements pénitentiaires

La loi de programme n °95-9 relative à la justice avait prévu une enveloppe de 8,1 milliards de francs en autorisations de programme, dont 4,5 milliards de francs pour les services judiciaires et 3 milliards de francs pour les services pénitentiaires. Ces crédits ont permis de lancer un programme de réhabilitation du parc immobilier de la justice. Pour autant, les besoins restent encore énormes et de nombreux bâtiments restent vétustes, inadaptés à l'accueil du public, voire dangereux.

En outre, à défaut de crédits suffisants pour mener en même temps les travaux d'équipement concernant les services judiciaires et les services pénitentiaires, certaines opérations ont été retardées et il est à craindre que ce retard ne sera pas comblé.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur plaide en faveur d'une nouvelle loi de programme pour la justice qui permette d'achever le programme de rénovation du parc immobilier entrepris en 1995.

5. La prise en compte des remarques de votre rapporteur par la ministre de la justice

Votre rapporteur constate avec plaisir que le Garde des Sceaux tient parfois compte de ses observations dans l'élaboration de sa politique de la justice.

Ainsi, ses remarques sur le développement incontrôlé des frais de justice semblent avoir été entendues puisque de nombreuses mesures ont été prises pour limiter l'augmentation des fraise de justice.

Par ailleurs, votre rapporteur avait soulevé l'année dernière la nécessité de mettre à la disposition du tribunal de grande instance de Paris des locaux lui permettant de remplir sa mission correctement. Il avait rappelé que les études menées dans le cadre du schéma directeur immobilier du palais de justice de Paris ont mis en évidence pour le Tribunal de grande instance une surface utile totale (hors circulation et sous-sol) de 37.435 m², alors que 74.881 m² seraient nécessaires pour satisfaire les besoins de cette juridiction, soit une surface double à celle qui existe. Il avait donc plaidé en faveur de la construction d'un nouveau palais de justice.

Or, il semblerait qu'un arbitrage dans ce sens soit en passe d'être rendu. Votre rapporteur ne manquera pas d'interroger la ministre à ce sujet lors de l'examen du budget en séance publique.

6. Le renforcement de l'inspection générale des services judiciaires

Votre rapporteur se félicite que parmi les priorités dégagées par la ministre figure le renforcement de l'inspection générale des services judiciaires.

Alors qu'il y a 12 ans, ce service ne comprenait que trois magistrats, son effectif s'élèvera au 1 er janvier 2000 à 22 personnes reconnues par le monde judiciaire pour leurs compétences et leur connaissance approfondie des services du ministère de la justice.

Ce renforcement apparaît très opportun. En effet, depuis quelques années, le budget de la justice bénéficie d'une augmentation importante des crédits mis à sa disposition. En contrepartie, il est nécessaire de vérifier que l'argent public est dépensé de la manière la plus efficace possible.

Les magistrats ne doivent pas échapper à tout contrôle. Or, leur responsabilité pourra être engagée à partir des informations transmises par l'inspection générale des services judiciaires qui a vocation à procéder au contrôle de l'ensemble des services placés sous l'autorité du Garde des Sceaux et aux enquêtes administratives sur le comportement des magistrats.

CHAPITRE PREMIER

LES PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DU PROJET DE BUDGET POUR 2000

I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE DES CRÉDITS

A. DES CRÉDITS EN AUGMENTATION

Les crédits demandés pour la justice pour 2000 progressent de 3,91 % (+ 1,026 milliard de francs) et atteignent 27,29 milliards de francs . Cette hausse intervient après une augmentation du budget de 5,6 % en 1999 et de 4 % en 1998.

Cette progression est trois fois plus forte que la croissance moyenne des dépenses de l'Etat. Toutefois, la part du budget de la justice dans le budget de ce dernier ne progresse que lentement, passant de 1,56 % en 1998 à 1,61 % en 1999 et à 1,62 % en 2000.

Le tableau ci-dessous retrace l'évolution des crédits de 1999 à 2000 :

B. UN BUDGET QUI RÉVÈLE TROIS PRIORITÉS

La note de présentation du projet de budget présenté par le Garde des Sceaux fait état de trois priorités :

- donner à la justice les moyens d'améliorer son fonctionnement au quotidien et de mettre en oeuvre les réformes qui ont été décidées : développement de l'accès au droit, règlements alternatifs des conflits, simplification des procédures civiles, efficacité dans la lutte contre la délinquance financière, renforcement de la présomption d'innocence, réforme des tribunaux de commerce ;

- assurer la mise en oeuvre du plan pour traiter la délinquance des mineurs arrêté par le conseil de sécurité intérieure en janvier 1999 . En conséquence, un effort exceptionnel est fait en direction de la protection judiciaire de la jeunesse puisque 380 postes sont créés tandis que les crédits de fonctionnement du secteur public augmentent de 22 % et ceux du secteur associatif habilité de 19 % ;

- enfin, en ce qui concerne l'administration pénitentiaire, améliorer la prise en charge des personnes détenues et la sécurité des établissements pénitentiaires ainsi que lancer le plan de rénovation des cinq plus grandes maisons d'arrêt (Fleury-Mérogis, Fresnes, la Santé, les Baumettes et Loos) et la construction de trois établissements pénitentiaires à Lille, Avignon et Toulouse.

II. LES GRANDS SECTEURS

A. LES SERVICES DE L'ADMINISTRATION CENTRALE

Cet agrégat regroupe les moyens :

- de l'administration centrale du ministère, y compris les unités délocalisées à Nantes (Casier judiciaire national, bureau des pensions, centre d'exploitation statistique) ;

- des services communs destinés à soutenir, au plan local, l'action des services déconcentrés dans des domaines tels que l'informatique (centres de prestations régionaux), l'équipement (antennes régionales d'équipement) et les services sociaux ;

- de la commission nationale de l'informatique et des libertés ;

- de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ;

- pour les subventions des ordres de la Légion d'honneur et de la Libération ainsi que la recherche dans le domaine de la justice (budget civil de recherche et de développement technologique).

En 2000, les crédits de paiement alloués à l'administration générale progressent de 2,16 % pour atteindre 3,67 milliards de francs . Toutefois, cette augmentation est proportionnellement plus faible que la hausse générale des crédits du budget de la justice. C'est pourquoi leur part relative diminue par rapport à 1999 et passe de 13,7 % à 13,4 % de l'ensemble.

1. Une très légère hausse des effectifs

Les effectifs budgétaires de l'administration centrale s'élèvent à 1.780 pour 2000. Le projet de budget pour 2000 prévoit la création de 4 emplois d'inspecteurs des services judiciaires (5 avaient déjà été créés en 1999) et d'un emploi de chef de service . Par ailleurs, 5 directeurs départementaux de la protection judiciaire de la jeunesse sont transférés à l'administration générale.

Une dotation de 2 millions de francs est inscrite pour revaloriser les primes des agents de catégorie A. En outre, il est procédé au pyramidage de 37 emplois.

Au total, les moyens en personnel augmentent de 65 millions de francs pour s'élever à 3,18 milliards de francs .

2. Des moyens matériels en augmentation

Les moyens de fonctionnement sont en augmentation de 3,7 % par rapport à 1999 et s'élèvent à 481,21 millions de francs . Toutefois, cette diminution cache des évolutions contrastées.

Les crédits " informatique " sont en hausse de 15,4 % et s'élèvent à 154,9 millions de francs, essentiellement du fait de l'augmentation des moyens mis à la disposition des services communs.

En revanche, les crédits de fonctionnement sont en baisse, tandis que la subvention de fonctionnement pour l'Ordre de la Libération et la Légion d'honneur stagne.

3. Des crédits d'équipement en baisse

Sont inscrits dans le projet de loi de budget pour 2000, 5 millions de francs en autorisation de programme, soit le même montant qu'en 1999 et 3,5 millions de francs en crédits de paiement (contre 9 millions de francs en 1999) destinés à diverses opérations de réfection et de réhabilitation.

B. LES SERVICES JUDICIAIRES

Cet agrégat regroupe les moyens des juridictions de l'ordre judiciaire, du conseil supérieur de la magistrature, de l'école nationale de la magistrature et de l'école des greffes.

Les dotations de crédits couvrent non seulement les crédits en personnel et de fonctionnement, mais également les subventions aux associations oeuvrant dans le domaine judiciaire et au système de formation professionnelle des avocats, les subventions correspondant aux remboursements aux collectivités locales d'annuités d'emprunts pour des opérations d'équipement, les crédits relatifs à l'aide juridictionnelle, les crédits liés aux frais de justice et les crédits d'équipement consacrés à la modernisation et à l'extension du parc immobilier judiciaire.

Les crédits des services judiciaires stagnent (+0,6 %) et s'élèvent à 11,74 milliards de francs. Leur part relative dans le budget de la justice diminue légèrement et passe à 43 %.

Toutefois, cette baisse est relative car liée à la diminution des crédits d'investissement. Elle ne doit pas cacher la poursuite de l'effort en direction des services judiciaires : non seulement 382 emplois sont créés, mais les opérations de construction et de rénovation de palais de justice sont maintenues.

1. La poursuite de la hausse des effectifs

En 1998, 300 emplois avaient été créés dont 70 postes de magistrats et 230 emplois de fonctionnaires de justice.

En 1999, 140 emplois de magistrats et 230 emplois de fonctionnaires et de contractuels avaient été créés.

Le projet de budget pour 2000 prévoit la création de 382 nouveaux emplois dont 212 magistrats, 155 fonctionnaires et 15 contractuels.

Le renforcement des effectifs des juridictions doit permettre de répondre à deux objectifs :

- la mise en oeuvre des réformes : ainsi, la création de 48 juges de la détention provisoire et de 48 greffiers vise à poursuivre la réforme du contentieux de la liberté , tandis que 100 emplois de magistrats sont créés pour introduire la mixité dans les tribunaux de commerce . Par ailleurs, le renforcement des effectifs des tribunaux pour enfants par la création de 25 postes de magistrats et 25 postes de greffiers devrait contribuer à apporter une réponse rapide et systématique à la délinquance des mineurs . En outre, sont inscrits 4 emplois de magistrats pour la réforme du Conseil supérieur de la magistrature , 5 emplois de greffiers en chef et 4 emplois de greffiers pour les conseils départementaux de l'accès au droit , un emploi de magistrat et un emploi de greffier pour la réforme de l'état-civil de Mayotte .

- l'amélioration de la justice au quotidien , notamment par la continuation des actions de résorption des stocks d'affaires à juger : 34 postes de magistrats et 57 postes de greffiers sont créés à cet effet. En outre, le projet de budget pour 2000 prévoit les crédits de vacation nécessaire pour le recrutement de 100 assistants de justice supplémentaires , portant ainsi leur nombre total à 1050.

Par ailleurs, sur les 179,7 millions de francs de mesures nouvelles mis à la disposition du chapitre 31-90 (rémunérations des personnels), une provision de 20 millions de francs est inscrite au titre de la réforme du statut de la magistrature . 18 millions de francs avaient déjà été réservés en 1999 pour cette réforme.

Celle-ci a pour objectif de surmonter les blocages des carrières liés aux déséquilibres démographiques du corps, en particulier l'allongement du délai de changement de grade pour les générations sorties de l'école nationale de la magistrature depuis 15 ans et la dégradation de plus en plus marquée des avancements pour les magistrats de province.

Enfin, le projet de budget pour 2000 prévoit la création de 1050 " agents de justice " 2( * ) dans les services judiciaires.

2. Des moyens de fonctionnement en progression

Le chapitre 37-92 (moyens de fonctionnement et de formation) regroupe les moyens de fonctionnement de l'ensemble des catégories de juridictions ainsi que des crédits affectés à des dépenses de nature diverse (fonctionnement, travaux courants d'entretien immobilier, véhicules, modernisation, informatique déconcentrée, frais de déplacement).

Pour 2000, ces crédits augmentent de près de 2 % par rapport à ceux pour 1999 (soit 26 millions de francs) et s'élèvent à 1,33 milliard de francs .

Cette hausse des crédits est destinée à financer principalement :

- la création de 26 conseils départementaux d'aide juridique et de 55 maisons de Justice et du Droit supplémentaires (2,77 millions de francs) ;

- la création de 3 nouveaux pôles de lutte contre la délinquance économique et financière s'ajoutant aux 7 existants (5 millions de francs) ;

- la mise en service de nouveaux bâtiments judiciaires à Avignon, Nantes, Fort-de-France, Blois et Bastia (15 millions de francs).

La subvention de fonctionnement à l'école nationale de la magistrature (chapitre 36-10, article 21) augmente de 7,6 % (après une hausse de 9,9 % en 1999) pour s'élever à 185,1 millions de francs .

Les 13,1 millions de francs supplémentaires sont destinés à financer le repyramidage des emplois de maîtres de conférence et le renforcement des effectifs de l'école. En effet, l'école nationale de la magistrature doit faire face à l'accroissement de ses charges pédagogiques liées tant à l'augmentation du nombre des auditeurs qu'aux nouveaux domaines d'intervention de cette dernière, comme la formation des juges consulaires et des magistrats issus des concours exceptionnels.

Ainsi, le projet de loi de finances prévoit la création d'un emploi de maître de conférence pour la formation initiale et de trois emplois de fonctionnaires.

Par ailleurs, l'augmentation des crédits de fonctionnement de l'école doit notamment permettre de financer les travaux de mise en sécurité des amphithéâtres de Bordeaux et de Paris.

Les frais de justice (chapitre 37-11) recouvrent principalement, au profit du traitement individuel de chaque affaire, les prestations matérielles et de services demandées par les magistrats ou requises par les procédures.

Ils représenteront en 2000 1,88 milliard de francs, soit une progression de 6,4 % par rapport à 1999.

L'évolution des frais de justice est significative depuis quelques années :

1996 : + 7,6 %

1997 : +7,8 %

1998 : +8,4 %

Toutefois, cette augmentation globale de 109,2 millions de francs masque des évolutions contraires :

- 32 millions de francs sont liés à l'ajustement des crédits de frais de justice à l'évolution des dépenses de cette nature ;

- 41,03 millions de francs sont prévus pour financer l'impact de l'affiliation au régime général de sécurité sociale des collaborateurs occasionnels du service public de la justice prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Ces personnes reçoivent de l'Etat pour des activités exercées à titre accessoire (expertises, missions de médiations...) une rémunération à la tâche. L'imprécision du statut juridique de cette rémunération entraîne souvent une absence d'assujettissement aux cotisations sociales et à la contribution sociale généralisée, source de contentieux désormais fréquents avec les URSSAF. Il est donc prévu d'affilier désormais lesdits collaborateurs au régime général de la sécurité sociale, à l'exception de ceux qui exercent leur activité principale à titre indépendant et qui peuvent continuer à rattacher les rémunérations reçues de l'Etat aux revenus de leur activité principale.

- les mesures nouvelles s'élèvent à 58,8 millions de francs . Elles visent à financer d'une part le développement des missions confiées aux délégués du procureur (10 millions de francs) conformément à la décision du conseil de sécurité extérieure du 27 janvier 1999. D'autre part, elle tiennent compte de l'impact financier du projet de loi renforçant la présomption d'innocence et prévoyant l'indemnisation des personnes relaxées, acquittées ou bénéficiant d'un non-lieu (30 millions de francs). Enfin, 19 millions de francs sont prévus pour la mise en oeuvre de la loi du 18 juin 1999 relative à la sécurité routière afin de financer le dépistage de l'usage de stupéfiants dans les accidents mortels de la circulation .

- en revanche, 20 millions de francs de crédit ne sont pas reconduits suite aux mesures de maîtrise de la dépense mises en oeuvre en 1998 et 1999.

Votre rapporteur tient à rappeler que, depuis 1996, des mesures ont été prises pour maîtriser les dépenses liées aux frais de justice : fixation d'un plafond maximal de progression des dépenses de frais de justice, répartition d'une enveloppe complémentaire de crédits de fonctionnement au profit des cours qui ont fait preuve, par la mise en oeuvre d'actions innovante, d'une volonté réelle d'entrer dans une logique de maîtrise de la dépense de frais de justice et qui ont obtenu les meilleurs résultats.

En 1999, trois nouvelles séries de mesures ont été adoptées.

D'une part, le décret n ° 99-203 du 18 mars 1999 réalise une refonte globale du titre 10 de la deuxième partie du code de procédure pénale consacrée aux frais de justice criminelle en poursuivant deux objectifs principaux :

- une amélioration de la qualité du réseau de professionnels apportant leur concours à la justice pénale. Dans de nombreux domaines, en effet, il reste indispensable de s'assurer la collaboration d'auxiliaires compétents, en veillant à ce que les niveaux de rémunération prévus par le code de procédure pénale ne soient pas de nature à décourager les meilleurs candidats. Il convenait ainsi de retranscrire dans la réglementation les revalorisations tarifaires obtenues dans la loi de finances pour 1998 pour les psychiatres et les interprètes traducteurs ;

- une meilleure maîtrise des coûts par le contrôle des conditions dans lesquelles les tarifications sont élaborées et appliquées, et par la vérification de la régularité des dépenses prises en charge. En particulier, le champ de la tarification est étendu à de nouvelles catégories de frais (frais de recherches de documents et de délivrance de copies ; prestations de cryptologie). Par ailleurs, la tarification des frais d'immobilisation des véhicules est modifiée par la création d'une tarification spécifique pour la garde des véhicules placés sous main de justice. Enfin, la procédure de contrôle de la facturation des expertises non tarifées par le parquet est améliorée.

D'autre part, la circulaire du 5 juillet 1999 présente aux magistrats et aux fonctionnaires des juridictions les dispositions du décret précité modifiant le code de procédure pénale et relatif aux frais de justice .

Enfin, la loi n °99-515 du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale réforme le régime de conservation des objets placés sous main de justice et généralise l'utilisation de la télécopie pour les notifications faites à un avocat en matière pénale.

Par ailleurs, la mise en place de contrats de gestion en 1998 dans les cours d'appel commencent à produire ses effets . Ces contrats consistent à reverser aux juridictions, en crédits de fonctionnement, une partie des économies réalisées sur les frais de justice. Au premier semestre 1999, une stabilisation en volume de ces dépenses a été observée, alors qu'elles progressaient de 8 % par an auparavant.

Votre rapporteur se félicite de ces mesures qui devraient permettre de mieux contrôler l'évolution des dépenses liées au frais de justice.

Il tient cependant à faire remarquer que le suivi des dépenses de frais de justice reste imparfait. En effet, les seules statistiques disponibles au niveau national sont établies par nature des frais. Par ailleurs, dans chaque juridiction, la comptabilité tenue par les régisseurs retracent l'ensemble des dépenses payées et ne permet pas de contrôler le montant des frais de justice afférents à chaque dossier d'instruction.

Or, ces informations seraient précieuses pour évaluer le coût moyen d'un dossier d'instruction par type d'affaire. Elles pourraient également être utilisées par les chefs de cour pour vérifier que les éventuels écarts observés au niveau des dépenses des magistrats en frais de justice sont justifiés.

C'est la raison pour laquelle votre rapporteur vous proposera à titre expérimental un article rattaché visant à l'établissement d'une comptabilité retraçant le détail des dépenses de frais de justice par magistrat et par dossier d'instruction.

3. L'augmentation des crédits d'intervention

A l'intérieur du chapitre 46-01 (subventions et interventions diverses), le projet de budget pour 2000 prévoit 13 millions de francs en faveur du développement de l'aide à l'accès au droit, de la médiation familiale, des associations d'aide aux victimes et de contrôle judiciaire.

En outre, le chapitre 46-01 bénéficie d'un transfert de 3,6 millions de francs en provenance de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.

Les crédits en faveur de l'aide juridique (chapitre 46-12) sont également en forte augmentation (+6,9 %, soit 99,9 millions de francs) et s'élèvent à 1,543 milliard de francs pour 2000.

12,4 millions de francs
sont prévus pour tenir compte de l'évolution prévisible de la dépense qui devrait être modérée, en raison de la stabilisation des admissions observées en 1998.

Par ailleurs, 1,3 million de francs devrait être économisé suite aux mesures de contrôle des expertises prises en charge au titre de l'aide juridictionnelle.

Le projet de budget pour 2000 prévoit également 3,6 millions de francs destinés à financer l'impact de l'affiliation au régime général de sécurité sociale des collaborateurs du service public de la justice.

Le montant des mesures nouvelles s'élève à 82,6 millions de francs
pour 2000 :

- 40 millions de francs doivent financer l'impact du projet de loi renforçant la présomption d'innocence et prévoyant l'intervention de l'avocat dès la première heure de garde à vue ;

- 17 millions de francs
sont destinés à la revalorisation de la rétribution des avocats en matière d'aide juridictionnelle ;

- 12,1 millions de francs sont prévus pour le financement de la loi du 18 décembre 1998 relative à l'accès au droit ;

- 7 millions de francs doivent contribuer à la revalorisation des tarifs des rétributions des gardes à vue tandis que 820.000 francs devraient servir à la majoration de la rétribution des avocats dans les procès correctionnels de longue durée ;

- 4,1 millions de francs doivent financer la loi du 23 juin 1999 renforçant l'efficacité de la procédure pénale ;

- enfin, 1,58 million de francs est destiné à l'alignement des plafonds de ressources pour l'admission à l'aide juridictionnelle dans les départements d'outre-mer sur ceux de la métropole.

4. La poursuite des efforts en matière d'équipement

Les crédits de paiement pour l'équipement (chapitre 57-60) s'élèvent à 585,5 millions de francs en 2000, contre 961,6 millions de francs en 1999, soit une baisse de 40 %.

Les autorisations de programme , au contraire, atteignent 805 millions de francs (contre 673 millions de francs en 1999) et augmentent donc de 17 %.

Le niveau contrasté des ressources en crédits de paiement et en autorisations de programme accordées pour 2000 traduit en réalité un
rééquilibrage.

En effet, depuis 1997, la baisse du niveau des autorisations de programme judiciaires, due à l'effort particulier consenti sur l'équipement pénitentiaire, conduisait le ministère de la justice soit à fractionner la mise en place des financements programmés, soit à différer le lancement d'opérations prêtes à entrer dans leur phase de travaux.

Dans ces conditions, la consommation de crédits de paiement observait un retard croissant : en 1998, les reports se sont ainsi élevés à 367 millions de francs, soit 44 % des crédits disponibles. A la fin de 1999, 420 millions de francs de crédits de paiement devraient également ne pas avoir été utilisés et être reportés sur 2000.

Les dotations inscrites dans le projet de loi de finances pour 2000 devraient en partie remédier à cette situation puisque le montant des autorisations de programme est augmenté tandis que celui des crédits de paiement diminue pour tenir compte des reports de crédits.

Toutefois, votre rapporteur veillera à ce que ne se produise pas en 2001 un déséquilibre dans l'autre sens, qui minorerait de manière trop importante les crédits de paiement destinés aux investissements judiciaires.

En effet, le programme effectif des opérations du programme " 4000 " des services pénitenciers débutera l'année prochaine. Il faudra donc éviter que la priorité donnée par les prochaines lois de finances aux crédits d'équipement pénitentiaire se traduise par une diminution des dotations pour les services judiciaires.

En tout état de cause, cette raréfaction des crédits de paiement inscrits en loi de finances devrait dès 2001 conduire à une résorption significative des reports imputés sur les chapitres d'équipement judiciaire.

Les autorisations de programme se répartissent en deux grandes enveloppes :

- 344 millions de francs seront affectés à la poursuite du programme pluriannuel d'équipement des services judiciaires et permettront de poursuivre des opérations décidées entre 1997 et 1999 pour Avignon, Grasse, Grenoble, Fort-de-France, Besançon, Nantes et Toulouse. Par ailleurs, certaines opérations relevant du programme 2000-2004 (Pontoise et Versailles) seront lancées ;

- 461 millions de francs gérés de manière déconcentrée seront essentiellement consacrés à des opérations de sécurité et de rénovation.

Par ailleurs, 50 millions de francs d'autorisations de programme seront destinés aux travaux de mise en sécurité des différents sites du Palais de justice de Paris.

C. LES SERVICES PÉNITENTIAIRES

Cet agrégat regroupe l'ensemble des moyens permettant à l'administration pénitentiaire d'assurer l'exécution des décisions pénales, à savoir :

- la prise en charge, au sein des établissements pénitentiaires, des personnes en détention provisoire ou condamnées à une peine privative de liberté ;

- la prise en charge, par les services pénitentiaires d'insertion et de probation, des personnes relevant des actions de surveillance et d'assistance en milieu ouvert.

Les crédits des services pénitentiaires devraient atteindre 7,56 milliards de francs en 2000, en progression de 5,9 % par rapport à l'année dernière.

1. Une augmentation des crédits de personnel

Les crédits de personnel progressent de près de 4 % pour atteindre 4,5 milliards de francs.

En 2000, 386 nouveaux emplois
sont créés (344 avaient déjà été créés en 1999), dont 269 emplois de surveillance.

152 emplois seront consacrés à l'amélioration de la prise en charge des détenus et la mise en oeuvre de nouvelles missions.
Ainsi, 122 emplois sont nécessaires pour renforcer la sécurité, l'hygiène et l'action sociale ; 10 psychologues contribueront à l'élaboration des projets d'exécution de peine ; 5 psychologues participeront à l'amélioration de la détention provisoire ; 15 emplois seront utilisés pour la création d'unités de vie familiale dans les établissements pour longues peines.

55 emplois sont consacrés aux alternatives à la détention et à la réinsertion , répartis entre :

- 25 emplois administratifs pour la réforme des services d'insertion et de probation ;

- 30 emplois destinés aux centres pour peines aménagées.

Par ailleurs, le dispositif carcéral spécifique aux mineurs sera renforcé par la création de 128 emplois , dont 118 emplois de surveillance et 10 emplois de conseillers d'insertion et de probation.

350 agents de justice seront également recrutés dans le cadre du conseil de sécurité intérieure.

En outre, 51 emplois contribueront à la modernisation de la gestion, au déploiement de l'application GIDE (gestion informatisée des détenus en établissement) et à la réforme de l'école nationale de l'administration pénitentiaire.

Au plan statutaire, l'administration pénitentiaire bénéficiera d'une enveloppe de 13,1 millions de francs, dont 10 millions de francs pour la création d'une indemnité spécifique de 100 francs au profit du personnel de surveillance pour les deux nuits encadrant les dimanches et les jours fériés.

2. Une progression des moyens matériels qui reste insuffisante

Les crédits de fonctionnement augmentent de 2,3 % et s'élèvent à 2,72 milliards de francs . Ils sont répartis sur trois chapitres :

- le chapitre 34-05 (Dépenses d'informatique et de télématique), dont les crédits augmentent de 17,8 % par rapport à 1999 et s'élèvent à 48,15 millions de francs . Ils doivent financer le déploiement du système de gestion informatisée des détenus en établissement (GIDE) dans 69 établissements et la réécriture de l'application Fichier National des Détenus pour la rendre compatible avec GIDE.

- le nouveau chapitre 37-23 qui remplace l'ancien chapitre 34-23, (Services pénitentiaires, dépenses de santé des détenus), qui dispose de 460,7 millions de francs de crédits pour 2000, comme en 1999 ;

- le chapitre 37-98 (Services pénitentiaires, moyens de fonctionnement et de formation) qui a à sa disposition 2,198 milliards de francs, soit une augmentation de 4,2 % par rapport à 1999. Cette augmentation des crédits traduit la volonté du Garde des Sceaux, exprimée dans sa communication en conseil des ministres du 8 avril 1998, d'améliorer significativement les conditions matérielles des personnes détenues.

Ainsi, 8,5 millions de francs doivent être consacrés à l'amélioration des conditions de prise en charge des personnes placées sous main de justice à travers la création d'unités de vie familiale et d'espaces enfants dans les parloirs, mais aussi à travers l'amélioration des conditions d'incarcération dans les quartiers d'isolement et du travail en milieu carcéral.

Par ailleurs, 19 millions de francs sont prévus pour améliorer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (dont 10,6 millions de francs non reconductibles).

En outre, 25 millions de francs (dont 10,5 millions de francs non reconductibles) sont destinés au financement du déménagement et de la réorganisation de l'école nationale de l'administration pénitentiaire .

Cette école assure trois types de formation :

- les formations initiales des élèves surveillants, des conseillers d'insertion et de probation et des sous-directeurs ;

- les formations d'adaptation (personnels administratifs et techniques et premiers surveillants) et les formations de spécialistes (surveillants orienteurs, formateurs du personnel de surveillance et surveillants moniteurs de sport) ;

- la formation continue et permanente .

Actuellement, ces formations se font sur trois sites localisés en région parisienne. La répartition de l'école sur trois communes différentes pose des problèmes de gestion et de fonctionnement. Par ailleurs, les locaux sont peu fonctionnels et certains sont vétustes. C'est la raison pour laquelle il a été décidé en 1994 de délocaliser l'école à Agen.

La première tranche des travaux d'infrastructure a été réceptionnée à la mi-juin 1998. La deuxième tranche qui vise les finitions, sera réalisée en 2000 après réception des bâtiments de formation et d'hébergement ;

En ce qui concerne la construction des bâtiments de formation, de restauration et les équipements sportifs, les travaux devraient être achevés en juin 2000 et pouvoir être utilisés à la rentrée 2000.

S'agissant des bâtiments d'hébergement des élèves, les travaux seront achevés en juin 2000.

Toutefois, votre rapporteur tient à rappeler l'insuffisance des crédits de fonctionnement mis à la disposition des établissements pénitentiaires. Faute de dotations suffisantes, les travaux de maintenance et de modernisation du parc ne sont pas effectués comme le renforcement de la sécurité, l'amélioration des conditions de détention et de travail du personnel, ce qui oblige à effectuer de manière beaucoup trop fréquente de gros travaux de réparation financés sur le titre V.

A cet égard, votre rapporteur rappelle qu'alors que les dépenses d'entretien immobilier des établissements du " programme 4000 " s'élevaient à 120 francs par mètre carré en 1998, celles dans le parc pénitentiaire classique se montaient à seulement 57 francs par mètre carré.


Or, l'administration pénitentiaire est confrontée à un patrimoine vétuste. 92 établissements ont été construits depuis plus d'un siècle et certains sont des anciens biens de l'Eglise transformés en prison pendant la période révolutionnaire.

Par ailleurs, l'administration pénitentiaire a fait procéder à une enquête générale sur la composition précise de son patrimoine et sur son état. Les résultats de cette étude font apparaître l'insuffisant entretien des bâtiments et la non conformité aux normes techniques et sanitaires d'un grand nombre d'installations, notamment les cuisines. Seuls 55 établissements (les centres de semi-liberté ne sont pas compris), construits ou entièrement rénovés depuis 1968, satisfont aux normes actuelles de détention . Ils ne représentent que 52 % de la capacité totale du parc.

En outre, plus de la moitié des établissements se caractérisent par des structures traduisant des conceptions pénitentiaires anciennes, inadaptées aux régimes modernes de détention.

Les moyens consacrés à l'entretien des établissements sont insuffisants car ils n'ont pas permis de prendre en compte la croissance de la population carcérale pendant les deux dernières décennies, qui est passée de 26.000 en 1975 à 56.000 en 1997.

Ainsi, la combinaison de plusieurs facteurs a contribué à la dégradation du parc immobilier :

- l'absence de tout programme de maintien à niveau des immeubles pendant la période 1940-1964 ;

- la surpopulation des maisons d'arrêt au cours de la dernière décennie ;

- le faible niveau des crédits du titre III réservés à l'entretien régulier des bâtiments, souligné dans le rapport de la cour des comptes de 1991 sur la gestion du patrimoine immobilier du ministère de la justice et dont les conclusions sont toujours d'actualité. Alors que les crédits du parc classique sont essentiellement consacrés à une maintenance corrective, ceux du parc 13.000 sont utilisés à 60 % pour une maintenance préventive. Le déficit de maintenance est évalué à 140 millions de francs annuels, soit 2 milliards de francs pour les quinze dernières années.

3. La poursuite du programme immobilier pénitentiaire

Pour 2000, les autorisations de programme atteignent 611,5 millions de francs , contre 912 millions de francs en 1999 et les crédits de paiement s'élèvent à 593 millions de francs , contre 438 millions de francs l'année précédente.

Une dotation de 150 millions de francs devrait permettre le financement de la construction de six établissements du programme " 4.000 places " lancé en 1997 . Ce programme a été divisé en deux tranches : une première tranche concerne Lille (Sequedin), Toulouse (Seysses) et Avignon (Le Pontet) ; une deuxième tranche concerne Meaux (Chauconin-Neufmontiers), Toulon (la Falède) et Liancourt. Ces constructions doivent permettre de fermer certains établissements particulièrement vétustes et de décharger les maisons d'arrêt connaissant un taux de surpopulation carcérale très élevé. Ces établissements fonctionneront en gestion déléguée pour la restauration, l'entretien, le travail et la formation professionnelle .

L'objectif est de lancer les travaux de construction en 2000, pour une livraison des établissements de la première tranche en 2002 et en 2003 pour les établissements de la deuxième tranche.

120 millions de francs seront de nouveau consacrés à la rénovation du parc classique , dont 50 millions de francs affectés au programme de réhabilitation de Fresnes, Fleury-Merogis, la Santé, Loos les Lille et les Baumettes.

Par ailleurs, 70 millions de francs seront affectés à la construction de nouveaux établissements et notamment à l'acquisition foncière pour les futures maisons d'arrêt et à l'achèvement de la construction de l'école nationale de l'administration pénitentiaire à Agen. Parmi les constructions prioritaires se trouve la reconstruction de la maison d'arrêt de Saint-Denis-de-la-Réunion, particulièrement vétuste et surpeuplée.

200 millions de francs sont destinés aux travaux de rénovation déconcentrés, dont :

- 120 millions de francs pour les travaux de sauvegarde et d'adaptation des bâtiments et la mise en conformité des installations électriques  ;

- 50 millions de francs pour engager le programme de rénovation des grands établissements (études de diagnostic et de programmation) ;

- 10 millions de francs pour aménager une nouvelle tranche de quartiers réservés aux mineurs ;

- 20 millions de francs au câblage informatique des établissements pénitentiaires.

20 millions de francs doivent financer la construction de centres pour peines aménagées .

Enfin, 30 millions de francs sont prévus pour financer la création de deux quartiers pour mineurs et rénover une vingtaine de quartiers existants.

D. LES SERVICES DE LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE

Les crédits des services de la protection judiciaire de la jeunesse dans le projet de budget 2000 enregistrent une augmentation de 14,7 % pour atteindre près de 3,2 milliards en crédits de paiement .

Cette très forte croissance des crédits à la disposition de la protection judiciaire de la jeunesse traduit la priorité donnée par le gouvernement au traitement de la délinquance juvénile à travers une triple action :

- disposer des moyens nécessaires pour donner une réponse rapide et systématique aux actes de primo délinquance , notamment en développant les mesures de réparation ;

- renforcer les dispositifs d'hébergement ;

- développer la prise en charge continue des mineurs par la multiplication des activités de jour.

1. Des moyens en personnel renforcés considérablement

Les crédits affectés aux dépenses en personnel progressent de 10,7 % (+ 121 millions de francs) et s'élèvent à 1,25 milliard de francs.

380 emplois sont créés, dont 258 sont des éducateurs ou des chefs de service éducatif
. En outre, par anticipation sur les créations d'emplois de 2001 pour la poursuite du plan décidé par le conseil de sécurité intérieure , le ministère de la justice a été autorisé à lancer dès 2000 un concours exceptionnel pour 300 postes supplémentaires .

Par ailleurs, le recrutement de 600 emplois jeunes devrait contribuer à la prise en charge des mineurs en difficulté et devrait apporter un soutien aux équipes éducatives.

En outre, les personnels bénéficieront de plusieurs mesures indemnitaires, pour un montant total de 9,1 millions de francs . Outre une mesure générale de 6,2 millions de francs, les principales actions porteront sur la revalorisation indemnitaire des personnels de direction (1,8 million de francs), ainsi que la valorisation des primes des dimanches et jours fériés et de l'indemnité de surveillance de nuit (801.360 francs).

2. La forte hausse des dépenses de fonctionnement

Les crédits affectés aux dépenses de fonctionnement s'élèvent à 1,83 milliard de francs, en progression de 19,8 %.

Ces crédits sont répartis entre le secteur public et le secteur associatif.

Les crédits destinés au secteur associatif sont regroupés dans le chapitre 37-33 (Remboursement des prestations effectuées par le secteur habilité ou conventionné), ancien chapitre 34-33.

Ces crédits augmentent de 19 % (+234 millions de francs) et s'élèvent à 1,47 milliard de francs. Ils serviront à financer les 77 centres éducatifs renforcés mis en place dans le secteur associatif.

Par ailleurs, 129,8 millions de francs seront destinés au financement d'autres actions : hébergements classiques des mineurs délinquants et des jeunes majeurs, action éducative en milieu ouvert, investigation et orientation éducative, enquêtes sociales et mesures de réparation pénale.

Les moyens de fonctionnement des services du secteur public sont regroupés dans le chapitre 34-34, dont les crédits augmentent de 22,5 % par rapport à 1999 et s'élèvent à 364,2 millions de francs .

Ces crédits doivent financer :

- la création de 20 centres éducatifs renforcés (9,8 millions de francs). A la fin 2000, le nombre total de centres éducatifs renforcés publics et privés devrait atteindre le chiffre 100 ;

- la création de 20 centres de placement immédiat , pour les mineurs délinquants plus difficiles (38 millions de francs), qui s'ajouteront aux 15 unités existant fin 1999.

Par ailleurs, les autres actions éducatives (classes relais, activités des mineurs) seront renforcées ainsi que la coordination éducative.

Toutefois, pour mieux appréhender concrètement les dépenses de fonctionnement du service public de la protection judiciaire de la jeunesse, il faudrait inclure les crédits du chapitre 46-01 (soit près de 20 millions de francs ) qui regroupe les subventions et interventions diverses . Ainsi, 5 millions de francs supplémentaires sont affectés pour 2000 au développement d'activités pour les mineurs.

3. Les mesures en faveur de l'équipement

Le projet de loi de finances prévoit 100 millions de francs d'autorisations de programme (contre 84 en 1999) et 77 millions de francs de crédits de paiement (contre 97 millions de francs l'année dernière).

Les autorisations de programme permettront notamment de financer :

- la création de foyers d'hébergement (16 millions de francs) et de centres de placement immédiat (21 millions de francs) ;

- la création et l'adaptation de centres de jour et de services du milieu ouvert (11 millions de francs) ;

- la sécurité et l'entretien du patrimoine (10 millions de francs) ;

- la mutualisation des directions régionales et départementales (8 millions de francs) ;

- le solde des opérations engagées (19 millions de francs).

E. LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

Le budget des juridictions administratives (le Conseil d'Etat, sept cours administratives d'appel au 1 er janvier 2000 et trente-cinq tribunaux administratifs) devrait atteindre, en 2000, 841,7 millions de francs en crédits de paiement, soit une progression de 3,9 % par rapport à l'année dernière.

1. Une augmentation importante des moyens de fonctionnement

Les dépenses en personnel sont en hausse de 5,1 % et atteignent près de 634 millions de francs.

83 postes supplémentaires
, dont 40 magistrats , sont inscrits au projet de budget 2000. Ils visent notamment à renforcer les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel.

Les crédits de fonctionnement sont en hausse de 2,3 % et s'élèvent à 148,4 millions de francs.

Les crédits informatiques (chapitre 34-05) connaissent une croissance de 7,2 % et s'élèvent à 28,9 millions de francs. Ils visent à financer :

- l'extension de l'informatisation des juridictions administratives ;

- le renouvellement et l'extension des applications de gestion du personnel ;

- le lancement de l'infocentre du Conseil d'Etat chargé de la production des états statistiques du contentieux.

2. La poursuite des travaux d'équipement

Les crédits du titre V s'élèvent à 50 millions de francs en autorisations de programme (contre 58 millions de francs en 1999) et à 56 millions de francs en crédits de paiement (contre 58 millions de francs en 1999).

Même si les crédits consacrés à l'investissement diminuent par rapport à l'année précédente, l'effort d'investissement se poursuit. En raison de l'achèvement des travaux du Conseil d'Etat, les investissements futurs se concentreront sur les tribunaux administratifs qui bénéficieront de 85 % des autorisations de programme. Ainsi, 29,5 millions de francs devraient être consacrés à la construction du tribunal administratif de Cergy-Pontoise. En outre, 7,5 millions de francs seront affectés au relogement du tribunal administratif de Rouen.

III. PRÉSENTATION DES ARTICLES RATTACHÉS AU PROJET DE LOI DE FINANCES

A. L'ARTICLE 71 : REVALORISATION DE L'UNITÉ DE VALEUR DE RÉFÉRENCE POUR L'AIDE JURIDICTIONNELLE

Cet article tend à revaloriser le montant de l'unité de valeur servant à déterminer la dotation affectée au barreau au titre de l'aide juridique.

Conformément à la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée à l'aide juridique, l'Etat affecte chaque année, à chacun des barreaux, une dotation représentant sa part contributive à la rétribution des avocats accomplissant des missions d'aide juridictionnelle, calculée en fonction d'une unité de valeur de référence.

La loi de finances pour 1998 avait revalorisé l'unité de valeur de 1,54 % en faisant passer son montant de 130  à 132 francs.

L'article 71 de la loi de finances pour 2000 propose de porter le montant de l'unité de valeur à 134 francs, soit une hausse de 1,52 %.

Le coût de cette mesure est évaluée à 17 millions de francs.

B. L'ARTICLE ADDITIONNEL APRÈS L'ARTICLE 71 : L'ÉTABLISSEMENT D'UNE COMPTABILITÉ RETRAÇANT LE DÉTAIL DES DÉPENSES DE FRAIS DE JUSTICE PAR MAGISTRAT ET PAR DOSSIER D'INSTRUCTION

Ces dernières années, les frais de justice ont connu une croissance telle que Le Garde des Sceaux a fait procéder à une enquête sur les causes de la forte augmentation des dépenses de frais de justice. Une grande partie de ces dépenses apparaît inéluctable du fait de la technicité croissante des affaires et du recours beaucoup plus systématique aux expertises et contre-expertises. Toutefois, une liste de dysfonctionnements a également été dressée, qui concerne principalement les dépenses de fourrière et de scellés ainsi que les réquisitions aux opérateurs de télécommunication.

Toute une série de réformes ont donc été mises en oeuvre pour éviter certains gaspillages. Pour autant, à l'heure actuelle, les chefs de juridictions, les chefs de cours, les présidents de chambres d'accusation ne disposent d'aucun outil leur permettant d'exercer un suivi des dépenses de frais de justice engagées par chacun des juges d'instruction de leur ressort pour chaque dossier d'instruction. Cette situation apparaît paradoxale dans la mesure où l'actuel Garde des Sceaux a multiplié depuis trois ans les actions d'évaluation des services.

En effet, depuis plusieurs années, le ministère de la justice a vu ses crédits augmenter de manière notable. En contrepartie, des résultats tangibles sont attendus, notamment en matière de réduction des délais de procédure ou de désengorgement de certaines juridictions.

Or, si des moyens supplémentaires sont indispensables pour assurer un fonctionnement normal de la justice, cette dernière ne peut pas échapper à une réflexion sur l'efficacité de ses services, ainsi que sur leur coût. Le Garde des Sceaux actuel semble conscient de la nécessité de cette évaluation globale. Ainsi, il a considérablement renforcé les moyens de l'inspection générale des services judiciaires qui constitue un instrument très performant de contrôle et d'évaluation, mais aussi de propositions à partir des observations faites sur le terrain.

Les dépenses de frais de justice ne doivent pas rester à l'écart de ces réformes qui visent, à moyens constants, à améliorer la qualité des services rendus par une responsabilisation de tous les acteurs de la justice et par l'introduction de certaines réformes d'organisation. Pourtant, aujourd'hui, il n'existe aucune comptabilité permettant de connaître le montant des dépenses de frais de justice engagées par un juge d'instruction pour une affaire déterminée.

C'est pourquoi il est proposé de rendre la tenue d'une telle comptabilité obligatoire. Celle-ci complétera en quelque sorte la notice trimestrielle dressée par chaque juge d'instruction et destinée au président de la chambre d'accusation. Cette proposition n'a pas pour objectif d'entraver les juges d'instruction dans leurs missions. Elle a pour but d'évaluer le coût d'une instruction et de permettre certaines comparaisons entre affaires de nature similaire et, le cas échéant, de demander des explications lorsque les écarts apparaissent peu justifiés.

CHAPITRE II

LE QUARANTIÈME ANNIVERSAIRE DE L'ÉCOLE NATIONALE DE LA MAGISTRATURE : BILAN ET PERPECTIVES

Alors que l'Ecole nationale de la magistrature vient de fêter son quarantième anniversaire, il apparaît utile de se pencher sur cette école souvent mal connue du public et qui accomplit pourtant une mission fondamentale, à savoir préparer les auditeurs de justice à l'exercice de toutes les fonctions judiciaires.

A travers cette formation, les futurs magistrats doivent non seulement acquérir des connaissances techniques, mais également réfléchir sur les fonctions qu'ils auront à remplir au cours de leur carrière, et, de manière plus générale, sur les pouvoirs du juge et ses limites ainsi que sur sa responsabilité.

I. UNE CRÉATION CONTROVERSÉE

A. LE POIDS DES TRADITIONS

Aujourd'hui, la nécessité d'une école chargée de la formation initiale des futurs magistrats fait l'objet d'un consensus.

Pourtant, un tel projet a longtemps été tenu en échec.

Après avoir admis durant des siècles la vénalité et la patrimonialité des offices de judicature, le droit français avait adopté le système de la nomination. Ainsi, la loi du 28 avril 1810 n'exigeait du futur magistrat que la licence en droit et un stage de deux ans au barreau.

L'idée d'une sélection par concours apparut quelques années après, mais elle ne fut mise en oeuvre qu'en 1876, par le Garde des Sceaux Dufaure. Toutefois, en raison des résistances que cette décision souleva, cette formule fut abandonnée deux ans plus tard. Après plusieurs tentatives infructueuses pour imposer cette méthode, il fut décidé de substituer au concours un examen professionnel qui resta en vigueur jusqu'en 1958.

B. LE DÉBAT SUR LA FORMATION DES MAGISTRATS

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la magistrature apparaît à bien des égards sinistrée. Non seulement elle fait l'objet d'une grande méfiance de la part de l'exécutif, mais elle subit une crise des vocations en raison de la médiocrité des salaires, de l'absence de perspective de carrière et du caractère désuet de l'organisation judiciaire. Ainsi, le nombre global de candidatures passe de 381 en 1953 à 215 en 1957 tandis que la magistrature se féminise fortement puisque le pourcentage de femmes passe de 42 % à 61 %.

L'Union Fédérale des Magistrats (U.F.M), créée en 1945, va s'employer à dénoncer la perte de prestige de l'institution judiciaire et à revendiquer une amélioration de la situation économique des magistrats. Parallèlement, le débat sur la formation des magistrats va s'engager, renforcé par la création de l'Ecole nationale d'administration par une ordonnance d'octobre 1945.

Deux opinions s'affrontent alors.

Certains estiment que les futurs magistrats, même s'ils possèdent les connaissances en droit nécessaires à l'exercice de leurs fonctions, doivent bénéficier d'une formation spécifique acquise au sein d'une école ad hoc qui leur permette d'appréhender les faits sociaux qui leur seront ensuite soumis dans toute leur complexité au cours de leur carrière.

D'autres, au contraire, affirment que la formation des magistrats est exclusivement une affaire de pratique. En outre, il est redouté que la création d'une école de la magistrature, à l'image de l'Ecole nationale d'administration, développe un esprit de corps dangereux pour l'Etat.

L'idée d'une école va cependant progressivement s'imposer et, à l'initiative du premier Garde des Sceaux de la cinquième République, M. Michel Debré, l'ordonnance du 22 décembre 1958  va créer le Centre National d'Etudes Judiciaires, qui deviendra en 1970 l'Ecole nationale de la magistrature.

C. LA QUESTION DU LIEU D'IMPLANTATION DE L'ÉCOLE

Cette période a été également marquée par le problème de l'implantation définitive de l'école. Lorsque la création de cette dernière fut décidée, elle fut installée dans un immeuble à Paris dans lequel la première promotion d'auditeurs de justice effectua sa scolarité.

Toutefois, ce bâtiment devint rapidement exigu : en 1960, le débat sur l'implantation de l'école fut donc relancé au moment même où la décentralisation faisait l'objet de préoccupations de la part des dirigeants. Une longue querelle opposa donc les partisans d'une décentralisation de l'école et ceux qui étaient favorables à son maintien dans la capitale. S'il fut rapidement décidé que l'école serait décentralisée à Bordeaux, son inauguration n'intervint que le 12 décembre 1972. En outre, une antenne parisienne était maintenue.

II. BILAN ET PERSPECTIVES

A. UN BILAN GLOBALEMENT POSITIF

Quarante ans après sa création, le bilan des activités de l'Ecole nationale de la magistrature apparaît positif. En favorisant l'acquisition de la pratique judiciaire par le biais de directions d'études mais aussi sur le terrain, l'Ecole permet de faire des auditeurs de justice, des magistrats aptes à exercer toutes les fonctions du siège comme du parquet.

En outre, l'Ecole a su évoluer pour s'adapter à la judiciarisation croissante de la société et aux exigences toujours plus fortes du justiciable à l'égard de la justice.

1. La formation actuelle

A l'heure actuelle, la formation dure 31 mois, qui sont divisés en deux phases distinctes : une phase généraliste et une phase de spécialisation.

La phase généraliste dure 25 mois et comprend :

- un stage extérieur à l'institution judiciaire française de trois mois
. Ce stage a lieu dans des entreprises, dans des administrations ou dans des juridictions étrangères. L'auditeur de justice est mis en situation de responsabilité dans l'organisme d'accueil.

- une phase d'études à Bordeaux qui dure sept mois. Cette scolarité est destinée à transmettre aux auditeurs l'ensemble des savoir-faire professionnels, aussi bien relatifs à la technique juridique qu'aux rapports avec les partenaires du magistrat, et à conduire les auditeurs à réfléchir sur l'exercice des fonctions judiciaires. Cette période est consacrée à des enseignements sous forme de conférences et de travaux par petits groupes. L'enseignement n'a pas un caractère académique et universitaire, il est à vocation pratique puisqu'il met l'accent sur l'apprentissage de chacune des fonctions susceptibles d'être exercées par l'auditeur de justice à sa sortie de l'Ecole. Il doit permettre à chaque élève d'acquérir une véritable culture judiciaire.

Bien que tournée vers la pratique, la formation accorde une place importante à la réflexion. Les pratiques judiciaires sont soumises à la critique tandis que la déontologie et l'éthique de la profession sont abordées, afin d'inciter le futur magistrat à prendre toute la mesure des responsabilités qui lui seront confiées.

- un stage en juridiction de 14 mois qui permet à l'auditeur de s'exercer dans chacune des principales fonctions judiciaires. Pendant ce stage, les élèves accomplissent concrètement les actes judiciaires du siège et du parquet, mais il ne peuvent signer seuls ces actes.

En outre, des stages complémentaires s'accomplissent dans un établissement pénitentiaire comme surveillant, éducateur ou sous-directeur, au choix de l'auditeur, dans un service de police ou de gendarmerie, dans une étude d'huissier et dans un cabinet d'avocat.

A la fin de cette première phase de formation généraliste, les auditeurs subissent les épreuves de fin de sortie. A l'issue de cet examen, certains auditeurs peuvent être invités à redoubler leur stage juridictionnel ou bien même être définitivement exclus. Le jury peut assortir sa déclaration d'aptitude de recommandations relatives à l'exercice de la première fonction.

Après avoir choisi un poste sur une liste proposée par les services du ministère de la justice, en fonction de leur rang de classement, les auditeurs abordent la dernière phase de leur formation.

Cette formation, dite spécialisée, de cinq mois, est uniquement centrée sur la préparation du premier poste : juge de grande instance, juge d'instance, juge d'instruction, juge des enfants, juge de l'application des peines, substitut. A la fin de la spécialisation fonctionnelle, l'élève est installé comme magistrat dans sa juridiction d'affectation, sa nomination dans son premier poste prenant la forme d'une décret du Président de la République pris après avis du Conseil supérieur de la magistrature.

2. Le développement de la formation continue

La création de l'Ecole nationale de la magistrature répondait au souci de s'assurer de la compétence des futurs magistrats.

Toutefois, il est vite apparu qu'au regard de l'évolution permanente du droit et de sa complexification croissante, les magistrats devaient avoir l'opportunité de compléter et de perfectionner leurs connaissances tout au long de leur carrière. C'est la raison pour laquelle en 1972, l'Ecole a été chargée de la formation continue au niveau national.

Un nouveau pas a été franchi en 1990 avec le développement de la formation continue au niveau déconcentré. Cette mission est accomplie par les magistrats délégués à la formation qui s'occupent également de l'encadrement et de l'évaluation des auditeurs de justice dans le cadre de chaque juridiction.

En 1998, 199 actions de formation ont été mises en oeuvre au niveau déconcentré, concernant 2270 magistrats.

Au niveau national, 3400 magistrats ont bénéficié d'une ou de plusieurs formations (4370 participations ont été recensées).

Par ailleurs, en 1999, l'ENM a également été chargée de la formation des juges consulaires.

3. Un souci constant d'améliorer la qualité des formations

Depuis la création de l'Ecole nationale de la magistrature, la formation initiale des auditeurs de justice a évolué afin de tenir compte de l'évolution du droit et de la polyvalence requise chez les magistrats.

Ainsi, à partir de 1990 la formation a été scindée en deux, avec d'une part une formation généraliste et, d'autre part, une formation spécialisée.

En outre, à partir de 1992, la scolarité a été allongée de sept mois (soit 31 mois au total) afin de renforcer les connaissances techniques des futurs magistrats en matière de droit communautaire et de coopération judiciaire internationale, et, afin de développer des stages extérieurs de trois mois dans les entreprises publiques et privées et dans les administrations.

Cet allongement a notamment permis d'instaurer un stage de plein exercice pendant huit semaines dans un cabinet d'avocat afin de sensibiliser les auditeurs de justice sur la fonction de la défense, ses obligations et ses contraintes.

Un effort tout particulier a également été accompli, depuis 1994, pour développer un module de formation s'étendant sur toute la durée de la scolarité et destiné à sensibiliser les auditeurs de justice à l'administration des juridictions.

L'accent a aussi été mis sur la formation économique et financière. Un tiers de la promotion effectue son stage extérieur dans des entreprises, dans des chambres régionales des comptes ou des institutions nationales ou internationales en relation avec la vie économique (Conseil de la concurrence, Commission européenne...). La formation initiale comporte, outre une formation de plusieurs jours consacrée à la comptabilité, des conférences sur le thème " le juge et l'économique " et des ateliers spécialisés développant des sujets tels que le redressement judiciaire des entreprises, la corruption etc.

Par ailleurs, dans la mesure où les futurs magistrats auront à produire de nombreux écrits et à effectuer des recherches juridiques, l'Ecole nationale de la magistrature les initie à l'informatique documentaire et au traitement de texte. Une formation aux nouvelles technologies a été mise en place, ainsi qu'une initiation à internet.

4. Les efforts entrepris pour disposer d'enseignants de qualité

Un effort particulier a été engagé afin d'attirer des maîtres de conférence de qualité et d'ouvrir le corps des enseignants à d'autres professionnels.

D'une part, le projet de budget pour 2000 va permettre un repyramidage des emplois de maîtres de conférence et un renforcement des effectifs afin que l'Ecole puisse faire face à l'accroissement de ses charges pédagogiques liées tant à l'augmentation du nombre d'auditeurs qu'à la multiplication de ses domaines d'intervention (formation des juges consulaires, des magistrats issus des concours exceptionnels).

D'autre part, le décret du 24 juin 1959 portant statut des divers personnels travaillant au sein de l'Ecole devrait être bientôt modifié en vue de fusionner le corps des fonctionnaires de l'Ecole avec ceux des services judiciaires. Cette réforme permettra d'assurer une meilleure mobilité des personnels, ouvrant de véritables perspectives de carrière et facilitant des recrutements plus diversifiés.

L'Ecole dispose aujourd'hui d'un corps enseignant de 17 maîtres de conférence, qui sont des magistrats détachés pour quelques années. Elle fait également appel chaque année à 350 enseignants occasionnels, qui sont des spécialistes dans des disciplines les plus variées : droit, histoire, sociologie, psychologie, psychiatrie, médecine légale, comptabilité...

5. L'ouverture de la formation initiale sur l'international

Aujourd'hui, le juge national est chargé d'assurer l'application uniforme des règles contenues dans les traités européens et dans les actes pris pour leur exécution. En outre, son activité juridictionnelle s'accomplit sous le contrôle de la Cour de Strasbourg, suivant les principes et les règles de la Convention européenne des droits de l'homme. Par ailleurs, le juge ne peut rester à l'écart du développement de la coopération judiciaire internationale et de l'instauration progressive d'une justice pénale internationale.

En conséquence, l'Ecole nationale de la magistrature a multiplié les initiatives afin d'enseigner aux auditeurs de justice une " culture " judiciaire européenne et de les sensibiliser au développement du droit communautaire et international.

Ainsi, le stage extérieur de dix semaines peut désormais s'effectuer soit à la Cour de justice des communautés européennes à Bruxelles soit à la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg, mais également dans des juridictions ou dans des institutions judiciaires étrangères.

De plus, l'Ecole organise ses enseignements en liaison avec le Centre des études européennes à Strasbourg pour préparer les auditeurs de justice à traiter les questions de droit communautaire qui sont soumises de plus en plus fréquemment aux juridictions françaises.

6. Une ouverture croissante de l'Ecole sur l'extérieur

L'Ecole nationale de la magistrature multiplie l'organisation de sessions en partenariat avec les autres écoles sous la tutelle du ministère de la justice, mais aussi avec l'Ecole nationale supérieure de police, l'Institut national du travail, la Gendarmerie nationale, le Centre national de la fonction publique territoriale etc. Ainsi, en 1998, l'ENM a formé 1.000 personnes non magistrates.

Par ailleurs, l'ENM est de plus en plus sollicitée pour apporter son appui à la formation des magistrats comme correspondants des politiques publiques. Ainsi, en 1998, l'ENM a organisé des formations pour les délégués aux politiques associatives et les correspondants communautaires, ainsi que des formations sur la politique de la ville.

L'ENM s'est également fortement engagée dans la création d'un espace judiciaire européen et dans le développement de la coopération internationale.

Ainsi, l'ENM participe au programme de l'Union européenne dit " Grotius " destiné aux juristes avocats et aux magistrats européens.

Elle a également organisé avec l'Académie de Trèves et les deux associations internationales de magistrats une session de formation sur la coopération internationale en matière pénale.

B. DES AMÉLIORATIONS POSSIBLES

Si le bilan des quarante années de fonctionnement de l'ENM est positif, certaines améliorations sont cependant envisageables, .notamment afin d'adapter la formation des magistrats aux réformes intervenues récemment dans le domaine de la justice. Toutefois, ces améliorations nécessitent un renforcement des moyens en personnel

1. L'intensification de la formation économique des magistrats

Les magistrats se trouvent de plus en plus confrontés à des situations qui nécessitent de leur part le maniement de documents comptables et financiers et des connaissances précises en droit des sociétés, droit de la concurrence, notamment en matière communautaire et droit pénal des affaires. Or, la formation initiale des auditeurs de justice, malgré les progrès réalisés depuis quelques années, reste encore insuffisante en raison même de son caractère généraliste.

Il est donc indispensable de développer la formation continue des magistrats qui sont amenés à occuper des postes dans lesquels ils sont confrontés quotidiennement aux réalités économiques.

A cet égard, il convient de rappeler que la création de pôles de lutte contre la délinquance économique et financière doit s'accompagner d'un effort de formation des magistrats qui y sont affectés, même si ces derniers sont aidés par des assistants spécialisés qui justifient d'une expérience financière.

De même, le projet de réforme des tribunaux de commerce qui envisage la coexistence de juges consulaires et de magistrats professionnels, ne constituera une réelle avancée que si les magistrats disposent des compétences requises en matière de droit des sociétés et de droit de la concurrence.

Par ailleurs, la déconcentration des moyens de fonctionnement au niveau des cours d'appel a transformé les missions des chefs de cour qui sont devenus des gestionnaires. Or, même s'ils sont assistés par les services administratifs régionaux, les compétences des chefs de cour, mais également des greffiers en chef, ne sont pas toujours adaptées à leurs nouvelles responsabilités. Il est donc nécessaire de leur offrir une formation aux techniques de gestion et d'administration.

Enfin, il est indispensable de sensibiliser chaque magistrat aux conséquences économiques de leurs actes et aux coûts induits par le fonctionnement de la justice.

2. Le développement des liens entre l'ENM et les autres écoles

Dans le cadre de la formation continue, l'ENM entretient des rapports de coopération avec les écoles du réseau public. Toutefois, jusqu'à cette année, cette coopération n'existait pas en matière de formation initiale. Or, les auditeurs de justice seront amenés, dans l'exercice de leur fonction de magistrats, à entrer en contact avec tous les intervenants de la politique pénale, à savoir les greffiers, les officiers de police judiciaires, le personnel pénitentiaire ainsi que les éducateurs. Il est donc indispensable de multiplier les liens entre l'ENM d'une part et l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire, l'Ecole nationale supérieure de police, l'Ecole nationale des greffes et le Centre national de formation des éducateurs d'autre part afin de développer une culture minimale commune.

3. Un renforcement des effectifs indispensable

Depuis 1992, l'évolution du montant de la subvention du ministère de la justice à l'ENM est contrastée. Après trois baisses consécutives en 1993, 1994 et 1995, le montant de la subvention a ensuite constamment augmenté, pour atteindre 185,1 millions de francs dans le projet de budget pour 2000.

Les créations de postes ont été comparativement moins fortes. Ainsi, ce n'est que depuis 1998 que l'Ecole a pu bénéficier de créations supplémentaires. Les effectifs restent cependant inférieurs à ceux observés en 1984, où le nombre d'emplois budgétaires s'élevait à 120.

Or, l'augmentation forte des crédits à effectifs constants entraîne des effets pervers, comme en témoignent les exemples suivants.

Ainsi, l'Ecole ne dispose pas d'un ingénieur des travaux chargé de recenser les travaux à accomplir, de les classer par ordre de priorité et d'établir un programme d'investissements pluriannuel. Or, les besoins sont nombreux. Ainsi, pour l'année 2000, 1,8 million de francs sont prévus pour les travaux de mise en sécurité de l'amphithéâtre de Bordeaux et de Paris. De même, les immeubles abritant l'école sur les deux sites ont besoin d'être rénovés.

Par ailleurs, l'Ecole ne dispose pas de responsable informatique capable de gérer le parc informatique de l'ENM et de développer une stratégie en matière d'acquisition de matériel informatique. Jusqu'à présent, il revient aux personnels de l'Ecole d'administrer ces dossier, alors même qu'ils n'ont pas la formation adéquate.

Comme il a été indiqué précédemment, l'ENM a également fortement développé ses activités internationales, notamment à travers sa participation à des programmes européens de coopération, comportant des échanges de magistrats, l'accueil en France de juges et de procureurs étranger et l'organisation avec les pays partenaires de sessions de formation.

L'ENM est également amenée à participer à des programmes d'appui à la justice, développés par de grandes institutions internationales, telles que l'Union européenne, le Conseil de l'Europe ou la Banque mondiale.

Or, le montage financier de ces projets de coopération ou encore la constitution des dossiers afin de bénéficier des aides en provenance de la Commission européenne s'accompagnent de formalités nombreuses et complexes et prennent beaucoup de temps. Pour autant, aucun poste budgétaire n'a été créé pour faire face au développement de l'activité de l'ENM dans ce secteur.

Il convient de remarquer que le ministère de la justice et des juridictions souffrent de cette même carence. En l'absence d'administrateurs civils et de personnels techniques appropriés (comme les informaticiens ou les ingénieurs par exemple), les tâches d'administration et de gestion incombent aux magistrats dont la bonne volonté ne peut pas toujours pallier l'absence de formation dans ces domaines.

En conséquence, il est important d'accompagner la hausse des crédits dont bénéficie l'Ecole nationale de la magistrature de la création de postes afin que la subvention soit utilisée de la manière la plus efficace possible.

CHAPITRE III

L'INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES

L'inspection générale des services judiciaires a été créée par le décret n° 64-754 du 25 juillet 1964 et son fonctionnement est défini par un décret n° 65-1 du 5 janvier 1965. Ces textes la placent directement auprès du Garde des Sceaux.

I. LES ACTIONS DE L'INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES

A. LES MISSIONS DE CONTRÔLE DE FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS

L'inspection générale des services judiciaires a pour mission première d'apprécier de façon permanente le fonctionnement des juridictions de l'ordre judiciaire (à l'exception de la Cour de cassation) et de l'ensemble des services et organismes relevant de la justice : les établissements pénitentiaires, les services de la protection judiciaire de la jeunesse etc.

Les missions de contrôle du fonctionnement des juridictions peuvent être soit " approfondies ", c'est-à-dire lorsque l'analyse d'une juridiction donnée est exhaustive, soit de " sectorisation "  lorsqu'elles couvrent un secteur géographique englobant généralement le ressort d'une cour d'appel ou qu'elles consistent en un travail d'analyse succincte des conditions de fonctionnement d'une juridiction.

Les inspections approfondies obéissent à une procédure contradictoire : un pré-rapport est communiqué aux chefs de la juridiction inspectée, à charge pour eux de remettre aux magistrats et fonctionnaires la partie qui les concerne, de manière à recueillir leurs observations. Le rapport définitif contient une description la plus complète possible des méthodes mises en oeuvre dans tous les services et des résultats dans tous les domaines de l'activité juridictionnelle. Il s'accompagne également de propositions destinées à améliorer le fonctionnement du service.

Le nombre d'inspections approfondies ne peut être que limité en raison de la lourdeur de ces opérations et eu égard aux moyens actuels à la disposition de l'inspection. Ainsi, le contrôle du tribunal de grande instance de Nice en 1998/1999 a monopolisé 5 magistrats et 3 greffiers en chef pendant six mois.

En conséquence, l'inspection générale est amenée à privilégier les missions dites de " sectorisation ". D'une durée moyenne de quatre jours, elles permettent de repérer les dysfonctionnements et les innovations d'une juridiction et de sélectionner les services qui nécessitent une analyse plus approfondie.

Au-delà du contrôle des juridictions, ces missions de " sectorisation " ont également pour objectif de mieux connaître les pratiques de ces dernières.

En effet, de nombreuses initiatives existent au sein des juridictions afin d'améliorer l'efficacité du fonctionnement de la justice. Toutefois, en l'absence d'une remontée de l'information vers la Chancellerie, celles-ci restent dispersées et peu connues. Il est donc important que l'inspection générale des services judiciaires connaisse ces éventuelles innovations afin d'informer le Garde des Sceaux pour que, le cas échéant, certaines de ces pratiques soient étendues à d'autres juridictions.

Par ailleurs, l'inspection générale des services judiciaires est chargée de vérifier la manière dont les juridictions mettent en oeuvre les politiques publiques impulsées par le ministère de la justice.

B. LES ENQUÊTES ADMINISTRATIVES

L'inspection générale des services judiciaires est également chargée d'effectuer des enquêtes administratives qui portent sur le comportement professionnel ou personnel d'un magistrat. Elles ont alors un caractère pré-disciplinaire. Elles peuvent aussi porter sur des difficultés ponctuelles. Il s'agit alors de diligenter une enquête pour analyser les dysfonctionnements de l'institution, sans que la responsabilité d'un magistrat ou fonctionnaire soit nécessairement mise en cause au plan disciplinaire. C'est par exemple le cas lorsque l'inspection générale analyse la gestion d'une cour d'appel.

C. LES MISSIONS THÉMATIQUES

Les missions thématiques portent sur l'étude d'un sujet déterminé en vue d'évaluer l'application d'une politique, d'expertiser une organisation, un service ou une fonction, d'apprécier la nécessité ou l'opportunité d'une réforme ou d'en dresser le bilan. De plus en plus souvent, ces missions sont accomplies conjointement avec les inspections générales des autres ministères.

Ainsi, l'inspection générale des services judiciaires a été chargée d'une mission sur les associations para-administratives de la protection judiciaire de la jeunesse ; elle a réalisé en collaboration avec l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration une mission sur les unités à encadrement éducatif renforcé et a élaboré un rapport très remarqué en collaboration avec l'inspection générale des finances sur l'organisation et le fonctionnement des tribunaux de commerce.

Par ailleurs, l'inspection générale des services judiciaires se voit confier des missions présentant un caractère permanent. Il s'agit de :

- la mission sur le passage du ministère de la justice à l'euro ;

- la mission emplois-jeunes (jusqu'en septembre 1998) ;

- la mission d'évaluation des contrats locaux de sécurité ;

- les relations avec le Médiateur de la République.

II. LE RENOUVEAU DE L'INSPECTION GÉNÉRALE DES SERVICES JUDICIAIRES

A. UNE VOLONTÉ POLITIQUE FORTE

Alors que les services de l'inspection générale se réduisaient à trois personnes il y a douze ans, ils compteront 20 inspecteurs au 1 er janvier 2000. Le renforcement des effectifs de l'inspection constitue particulièrement une priorité depuis deux ans puisque 5 postes ont été créés en 1999 et 4 nouveaux postes sont prévus dans le budget 2000.

En outre, une attention particulière a été portée sur le recrutement des inspecteurs afin d'éviter toute contestation. Ainsi, le Garde des Sceaux s'est attaché à choisir des magistrats expérimentés et dont le professionnalisme et l'impartialité sont reconnus par leurs pairs, comme en témoigne la nomination de l'ancien procureur général d'Aix-en-Provence, M. Jean-Louis Nadal, en tant qu'inspecteur général des services judiciaires.

Cette volonté politique forte de renforcer l'action de l'inspection générale est liée à une réflexion sur la nécessité d'un contrôle plus marqué de l'institution judiciaire.

B. UN CONTEXTE FAVORABLE

Longtemps éludée par le principe d'indépendance de la justice 3( * ) , la question du contrôle de l'activité judiciaire et de la responsabilité des juges apparaît aujourd'hui comme une préoccupation croissante non seulement des décideurs politiques, mais également des justiciables.

En effet, les missions et la place du juge dans la société ont fortement évolué. Ainsi, en raison de l'élargissement de leur champ d'intervention, les décisions judiciaires peuvent avoir des conséquences non négligeables, notamment en matière sociale ou économique. Il est donc indispensable de s'assurer non seulement de l'impartialité des magistrats, mais également de l'absence de retards disproportionnés dans le traitement des affaires.

Par ailleurs, depuis l'adoption de la loi de programme sur la justice en 1995, un effort financier conséquent a été consacré à l'institution judiciaire. Toutefois, ces crédits supplémentaires seront insuffisants si le ministère n'entreprend pas parallèlement une réflexion sur l'organisation de ses services, leurs coût de fonctionnement et leur efficacité. Or, jusqu'à présent, l'évaluation de l'activité des juridictions et de leurs personnels est peu développée.

En outre, la déconcentration des moyens de fonctionnement au niveau de chaque cour d'appel a conduit à une plus grande responsabilité de l'échelon local en matière de gestion. Pour autant, aucune enquête exhaustive n'a été menée sur les pratiques des différents services d'administration régionaux afin de les comparer, de mettre en évidence les éventuels dysfonctionnements et d'étendre à d'autres juridictions les innovations introduites dans certaines juridictions et visant à améliorer la qualité et l'efficacité de leur administration.

Il apparaît donc que les contrôles exercés sur le fonctionnement des juridictions sont insuffisants, tandis que les outils à la disposition des premiers présidents et des procureurs généraux pour inspecter les juridictions de leur ressort ne sont pas assez utilisés.

En effet, l'article R 213-29 du code de l'organisation judiciaire dispose que " le premier président et le procureur général procèdent à l'inspection des juridictions de leur ressort. Ils s'assurent chacun en ce qui le concerne, de la bonne administration des services judiciaires et de l'expédition normale des affaires. Ils rendent compte chaque année au garde des sceaux, ministre de la justice, des constatations qu'ils ont faites. "

Or, ces dispositions sont imparfaitement suivies.

Ainsi, le rapport d'activité de l'inspection générale des services judiciaires de 1998 révèle qu'aucune inspection n'a été conduite dans 13 cours d'appel durant les deux dernières années et dans 9 cours d'appel durant les quatre dernières années.

Enfin, il convient de rappeler que si le projet de loi sur la réforme de l'organisation du parquet était adopté, la question de la responsabilité des juges et de leur contrôle se posera avec encore plus d'acuité dans la mesure où l'indépendance des magistrats du parquet sera accrue et l'influence du Garde des Sceaux limitée.

La responsabilité des magistrats pourra cependant être engagée à partir des informations transmises par l'inspection générale des services judiciaires suite à certains dysfonctionnements observés sur le terrain lors des missions de contrôle.

Le renforcement des moyens de l'inspection générale des services judiciaires apparaît donc indispensable afin de permettre à cette dernière d'accomplir ses missions et de faire face à un recours accru à ses compétences.

Pour autant, certaines améliorations pourraient intervenir afin d'accroître son utilité.

III. UN SERVICE QUI POURRAIT ÊTRE UTILISÉ ENCORE PLUS EFFICACEMENT

L'inspection générale des services judiciaires accomplit trois sortes de mission. D'abord, elle constitue un instrument de contrôle et d'évaluation, notamment en ce qui concerne la gestion des juridictions. Ensuite, elle est un outil d'information au service du Garde des Sceaux grâce à ses missions sur le terrain. Enfin, elle représente une force de proposition et de conseil à partir des observations faites lors des contrôles des juridictions.

Or, ces missions mériteraient d'être intensifiées. Ainsi, il est indispensable d'assurer une plus grande présence de l'inspection générale sur le terrain. En 1997/1998, l'inspection générale a procédé à cinq missions de contrôle approfondi dans les tribunaux de grande instance de Quimper, de Tarascon, d'Evry et de Nice et dans le tribunal d'instance du 16 ème arrondissement de Paris.

L'accroissement des effectifs de l'inspection devrait permettre d'augmenter le nombre des inspections approfondies qui seront effectuées en 2000. Toutefois, le nombre des inspecteurs reste encore très insuffisant par rapport aux 35 cours d'appel, aux 186 tribunaux de grande instance, aux 473 tribunaux d'instance, aux 191 tribunaux de commerce et aux 271 conseils des prud'hommes qu'ils peuvent être amenés à contrôler.

L'effort en faveur du renforcement des effectifs de l'inspection doit donc être poursuivi tandis que les juridictions faisant l'objet d'un contrôle approfondi doivent être sélectionnées rigoureusement. Ainsi, le fait que les autorités locales n'aient réalisé aucune inspection, ou que des dysfonctionnements aient été signalés soit par les chefs de cour soit par le Garde des Sceaux peuvent constituer des critères pour le choix des juridictions à contrôler.

Par ailleurs, il est indispensable de renforcer la crédibilité de l'action de l'inspection par une prise en compte plus systématique des propositions qu'elle suggère dans ses rapports de mission . Certes, les décisions à prendre sont souvent délicates et relèvent du Garde des Sceaux. Toutefois, les juridictions auront d'autant plus intérêt à mettre un terme aux dysfonctionnements et aux incompétences relevés par l'inspection générale qu'elles constateront que les suggestions de cette dernière sont suivies par le ministre.

Les mesures proposées prennent alors valeur d'exemple et peuvent influencer la gestion et les comportements de juridictions qui connaissent des difficultés similaires.

A. LE DÉVELOPPEMENT D'UNE PLUS GRANDE SYNERGIE ENTRE TOUTES LES INSPECTIONS

La Chancellerie dispose à l'heure actuelle de plusieurs services d'inspection rattachés à certaines directions du ministère.

Ainsi, l'inspection de la protection judiciaire de la jeunesse est rattachée à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, l'inspection des greffes à la direction des services judiciaires et l'inspection de l'administration pénitentiaire à la direction de l'administration pénitentiaire.

Toutefois, dans la mesure où l'inspection générale des services judiciaires ne relève pas d'une direction particulière mais du seul Garde des Sceaux, elle peut être sollicitée pour traiter de tout sujet et notamment de tout sujet " transversal " qui concerne plusieurs directions. En cas de besoin, la ou les inspections techniques intéressées peuvent être associées à cette mission.

De même, lorsque l'inspection générale réalise une mission approfondie d'une juridiction, une collaboration plus systématique avec les autres inspections techniques devrait s'établir.

Il semble donc nécessaire de coordonner les travaux de l'inspection générale et des autres inspections techniques, afin de renforcer l'efficacité de leurs actions. Le développement d'une telle coordination devait en outre aider à décloisonner les différents services du ministère.

B. L'OUVERTURE DE L'INSPECTION GÉNÉRALE À D'AUTRES CATÉGORIES DE FONCTIONNAIRES

Dans le cadre de ses missions thématiques, l'inspection générale des services judiciaires travaille souvent en collaboration avec les inspections d'autres ministères.

Ainsi, la mission sur l'enseignement dispensé en milieu pénitentiaire a été réalisée en association avec l'inspection générale de l'éducation nationale. De même, la mission sur le dispositif de protection des majeurs a réuni l'inspection générale des services judiciaires, l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires sociales.

Or, cette approche pluridisciplinaire est très positive car elle permet de mettre en commun ou au contraire d'affronter des connaissances et des approches différentes.

Ce constat milite en faveur d'un élargissement du recrutement des membres de l'inspection générale au-delà du corps des magistrats.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 16 novembre 1999, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a procédé, à l' examen du rapport de M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, sur les crédits de la justice pour 2000 et sur l'article 71 rattaché

Un large débat s'est alors engagé.

M. Maurice Blin a constaté que la justice était à l'image de la société où elle devait évoluer. Ainsi, il a fait remarquer que la multiplication des divorces et le développement des entorses au droit social créaient des besoins croissants en matière de justice.

M. François Trucy a souhaité obtenir des renseignements supplémentaires sur le paiement des frais de justice, sur la date d'achèvement de l'établissement pénitentiaire de La Farlède, et sur l'augmentation des dépenses liées à la présence d'un avocat dès la première heure de garde à vue.

M. Roland du Luart a plaidé en faveur de l'adoption d'une nouvelle loi de programme pour financer la rénovation ou la construction des établissements pénitentiaires en mauvais état. Puis il s'est demandé si la responsabilité des maires pouvait être engagée en cas d'accident dans une maison d'arrêt.

M. René Ballayer s'est inquiété du phénomène de surpopulation observé dans les établissements pénitentiaires.

M. Alain Lambert, président, a rappelé qu'une commission d'enquête, présidée par M. Hubert Haenel, et dont le rapporteur était M . Jean Arthuis, avait été créée en 1990 pour réfléchir sur " l'autorité judiciaire ". Il a estimé qu'une mission pourrait être menée afin d'en tirer un bilan et d'examiner si les dysfonctionnements constatés à l'époque persistaient et s'il avait été tenu compte des propositions émises.

En réponse, M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, s'est félicité de cette proposition. Il a également annoncé qu'il souhaitait mener une mission en collaboration avec l'Inspection générale des services judiciaires afin d'évaluer le coût de fonctionnement des juridictions relevant d'une cour d'appel donnée.

Puis, M. Hubert Haenel, a fait remarquer que les règles de sécurité concernant les maisons d'arrêt ne relèvent pas du dispositif réglementaire général, dans la mesure où le garde des sceaux et le ministre de l'intérieur, en les fixant, engagent ainsi leur responsabilité.

Concernant la procédure d'engagement des frais de justice, M. Hubert Haenel a expliqué que certains frais étaient payés par l'administration centrale du ministère de la justice tandis que d'autres étaient réglés sans ordonnancement par les régies des juridictions.

Puis, M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, a reconnu que la judiciarisation de la société multipliait les attentes des citoyens en direction de la justice. En outre, il a estimé que l'amélioration du fonctionnement de la justice susciterait de nouvelles demandes de la part des justiciables qui renonçaient jusqu'à présent à faire appel à la justice en raison de sa lenteur.

A l'issue de ce débat, la commission a décidé de proposer au Sénat d' adopter les crédits de la justice , l'article 71 rattaché sans modification et l' article additionnel après l'article 71 proposé par le rapporteur spécial.

ANNEXE I

LE 40ÈME ANNIVERSAIRE DE L'ÉCOLE NATIONALE DE LA MAGISTRATURE
DISCOURS DE M. JACQUES CHIRAC,
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

(BORDEAUX - GIRONDE - VENDREDI 1 er OCTOBRE 1999)

Madame la ministre de la justice, garde des sceaux,

Monsieur le maire de bordeaux,

Monsieur le premier président et monsieur le procureur général de la cour de Cassation,

Monsieur le Premier Président et Monsieur le Procureur général de la Cour d'appel de Bordeaux,

Mesdames et Messieurs les magistrats,

Monsieur le Directeur,

Mesdames et Messieurs les auditeurs de Justice,

Il y a quarante ans, en décembre 1958, Michel DEBRE, alors Garde des Sceaux, décidait, pour accompagner la réforme du statut de la magistrature, de créer un institut de formation destiné à tous les magistrats. Ainsi naquit le Centre national d'études judiciaires qui allait prendre par la suite le nom d'Ecole nationale de la magistrature.

L'initiative du Garde des Sceaux suscite à l'époque nombre d'interrogations et de critiques dans le monde judiciaire. Beaucoup pensent qu'une telle entreprise est nécessairement vouée à l'échec, le métier de juge ne pouvant s'apprendre que "sur le terrain", par la pratique et l'expérience professionnelle.

Ces objections apparaissent aujourd'hui bien dérisoires et bien dépassées. L'Ecole nationale de la magistrature a permis de renouveler le recrutement des magistrats, en favorisant notamment un brassage social qui a beaucoup enrichi le corps judiciaire. Elle a accompagné un mouvement de féminisation de la magistrature, qui a eu des conséquences heureuses sur l'humanisation de la justice et son rapport à la réalité sociale. En quarante ans, elle est devenue la pierre angulaire de notre système judiciaire. Lieu de formation autant que de réflexion, elle contribue à son rayonnement à l'étranger. En choisissant comme parrain Nelson MANDELA, la dernière promotion a témoigné de son ouverture au monde et de son attachement aux idéaux de tolérance et de générosité.

Au-delà de l'hommage, légitime et mérité, que je tiens à rendre à l'Ecole nationale de la magistrature, je voudrais, à l'occasion de cet anniversaire, évoquer avec vous l'avenir, votre avenir, c'est-à-dire l'avenir de notre justice, car l'Ecole n'est pas dissociable des fonctions auxquelles elle prépare et des idéaux qui la fondent.

Comme aux débuts de la Ve République, l'institution judiciaire se trouve à un nouveau tournant de son histoire. L'ordre juridique connaît depuis quelques années des mutations profondes. Omniprésent, le droit devient sans cesse plus touffu, plus difficile d'accès. Dans le même temps, nos concitoyens, de mieux en mieux formés et informés, de plus en plus conscients de leurs droits, attendent toujours davantage des magistrats et de l'institution judiciaire.

La justice française est-elle aujourd'hui capable de satisfaire ces nouvelles exigences ? A-t-elle les moyens de répondre au besoin de justice qui s'affirme chaque jour ? S'est-elle suffisamment adaptée aux changements du monde ? Telles sont les questions qui se posent avec acuité, questions essentielles car il en va de la confiance même de nos compatriotes dans l'institution judiciaire et, au-delà, de la bonne santé de notre démocratie.

En tant que garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire et du bon fonctionnement des institutions, il est de mon devoir de veiller à ce que la France puisse s'appuyer, aujourd'hui et dans les années à venir, sur une institution judiciaire solide, efficace, moderne et respectueuse des libertés. Dans un monde qui évolue de plus en plus vite, notre appareil judiciaire doit, lui aussi, s'adapter, se transformer. C'est tout le sens de la réforme de la justice que j'ai lancée en janvier 1997 et qui se met peu à peu en place. Réforme nécessaire pour notre vitalité démocratique. Nécessaire pour la vie quotidienne de nos concitoyens. Nécessaire, aussi, pour que la France tienne son rang au plan mondial car une bonne justice et une bonne administration sont désormais des atouts essentiels dans la compétition des territoires, notamment au regard de l'investissement et de l'emploi.

*

* *

Que notre ordre juridique soit en pleine transformation, nul ne peut le contester. Il subit en effet les conséquences des évolutions contemporaines. Sous l'effet de la mondialisation des échanges et du développement des technologies de l'information et de la communication, un univers nouveau apparaît, un univers fluide et sans frontières, dans lequel hommes, marchandises, capitaux, informations circulent librement. Cet univers comporte aussi une face cachée, une face noire : celle des trafics internationaux, notamment de stupéfiants, celle du crime organisé et des circuits de blanchiment de l'argent sale.

Cet univers qui s'invente chaque jour nous oblige à établir des règles nouvelles, à définir de nouveaux enjeux et de nouvelles ambitions.

Notre premier objectif doit être de trouver des instruments de régulation inédits afin de pallier les insuffisances des moyens nationaux dont nous disposons actuellement. S'il n'y a ni règle ni arbitre, c'est la loi du plus fort qui tend à s'installer.

Il faut donc mettre en place rapidement à l'échelle internationale une organisation juridique fondée sur des règles adaptées, librement négociées par les Etats, et sur des institutions communes capables de les faire respecter.

C'est d'abord au sein de l'Union européenne que nous devons construire un système adapté à ces nouvelles exigences. L'Europe doit s'affirmer comme un espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce sera l'enjeu du Conseil européen qui se tiendra dans deux semaines à TAMPERE, en Finlande, et qui, pour la première fois dans l'histoire de l'Union, sera consacré aux affaires intérieures et de justice.

La coopération judiciaire européenne a progressé ces dernières années, mais pas au même rythme que le marché intérieur ou la libre circulation des personnes. Les frontières juridiques demeurent. Les procédures d'entraide judiciaire sont encore insuffisantes. Ce qu'il faut réaliser, c'est un véritable espace judiciaire européen, dont il conviendra de préciser les contours.

Sur le plan mondial aussi, l'état de droit international progresse. Une nouvelle étape a été franchie, avec la création de la Cour pénale internationale par la convention signée à Rome le 17 juillet 1998.

Les négociations commerciales qui vont bientôt s'ouvrir seront par ailleurs l'occasion de faire prendre en compte, par l'Organisation mondiale du commerce, un certain nombre de règles fondamentales touchant aux garanties sociales de l'Organisation internationale du travail, aux normes de sécurité sanitaire édictées par l'Organisation mondiale de la santé ou encore à l'environnement. C'est ainsi que se construit peu à peu le nouvel ordre juridique international que la France appelle de ses voeux.

Mais beaucoup reste à faire, notamment en ce qui concerne le monde des réseaux pour assurer la sécurité des transactions, la protection des données personnelles, la sauvegarde des personnes, et en particulier des plus exposées d'entre elles, je pense bien sûr aux enfants.

Si la mondialisation des échanges et la construction de l'Europe exigent la définition de nouvelles règles, elles nous obligent aussi -c'est le second enjeu- à tirer le meilleur de l'inévitable mise en concurrence des différents systèmes juridiques.

Dans le monde occidental, chacun le sait, les principaux systèmes juridiques se divisent en deux grandes familles : celle inspirée du droit romain, qui domine en Europe continentale, et celle de la common law. Ce sont deux logiques en partie différentes, reposant, l'une sur l'autorité d'une jurisprudence censée " découvrir le droit ", et l'autre sur celle de l'Etat chargé d'en construire et d'en prononcer les principes. Chacune a ses mérites comme ses inconvénients.

Le système de la common law permet de construire le droit à partir des situations vécues. En cela, il est pratique et concret. Mais il s'avère aussi extrêmement coûteux pour la société, en temps et en argent, et souvent fort inégalitaire. Quant à notre propre système, s'il est plus logique, plus cohérent et plus majestueux, il pêche trop souvent par abstraction, complexité, méconnaissance des réalités. Par ailleurs il réserve aux activités publiques un traitement très différent du droit commun.

A l'évidence, chaque système a quelque chose à apprendre de l'autre. Nous parviendrons d'autant mieux à résister à la pression anglo-saxonne que nous saurons faire évoluer positivement notre propre système, sans en abandonner l'esprit et les ambitions.

L'enjeu est de taille : à la fois économique, linguistique, culturel et politique. A nous de veiller à ce que le droit international en construction prenne le meilleur de chaque système sans donner la primauté au droit anglo-saxon.

L'Ecole nationale de la magistrature, par sa vocation internationale, joue un rôle majeur dans ce combat : en accueillant un grand nombre de magistrats étrangers, en participant à la création d'autres écoles du même type, en servant de modèle, elle contribue au rayonnement du droit français et conforte son influence.

Troisième exigence dans ce nouveau contexte européen et mondialisé : redonner toute sa force à la loi, tout en favorisant de nouvelles solutions juridiques.

Au cours des dernières années, la loi, c'est une évidence, a perdu en force et en autorité. Toujours plus nombreux, les textes de loi sont aussi plus bavards, aurisque d'en devenir inconsistants. L'irruption dans notre droit de nouvelles notions venues du droit communautaire et souvent inspirées de la common law ne contribue pas à améliorer la clarté des textes. Fréquemment modifiés, pas toujours appliqués, ils ne respectent plus guère la règle d'or définie par Portalis, selon laquelle " la loi ordonne, permet ou interdit ". Or, la loi n'est plus la loi quand elle perd son efficience et son autorité. L'amélioration du fonctionnement de notre système judiciaire dépend d'abord de la qualité du travail législatif. Le législateur doit en prendre conscience et agir en conséquence.

Il doit en particulier donner toute sa place à des solutions juridiques nouvelles.

Se développent en effet depuis le début des années 1990 des modes alternatifs de règlement des litiges en matière civile comme en matière pénale : transaction, conciliation, médiation.

La souplesse et la rapidité qui caractérisent ces procédures, la sécurité qu'elles procurent, répondent à une attente profonde de nos sociétés, et c'est pourquoi il faut les favoriser. Elles correspondent à une société plus mûre, plus responsable, plus moderne qui préfère le dialogue et le contrat aux conflits et aux procès, une société qui reconnaît le bien-fondé de solutions juridiques adaptées pour prendre en compte la diversité des situations.

C'est ainsi que nous pourrons faire obstacle à la judiciarisation excessive de nos sociétés modernes qui peut conduire à des dérives dangereuses, non seulement pour la société mais aussi pour la justice elle-même. Hier, le requérant en appelait à la justice pour faire valoir ses droits et obtenir réparation des dommages subis. Aujourd'hui, il se tourne de plus en plus souvent vers la justice pour que soient en outre recherchées, dans tous les cas, des responsabilités pénales. C'est une évolution des mentalités et des comportements à laquelle il faut être attentif.

Parce que la faute pénale suppose la mauvaise intention, il n'est pas sain que la recherche en responsabilité pénale soit l'issue normale de tout dysfonctionnement. Il serait en effet très grave de décourager par avance toute initiative, tout projet collectif, toute prise de responsabilité, notamment par les décideurs publics, au nom d'un risque zéro qui n'existe dans aucune activité humaine. La faute doit être sanctionnée. Mais il ne faut pas tomber dans l'excès qui consisterait à voir dans tout accident, dans toute défaillance, une sorte de main invisible que la justice devrait couper en manière de rite expiatoire.

Il est clair cependant que l'excès de pénalisation pourra être d'autant mieux évité que, de leur côté, la société civile et le politique auront mis en place des mécanismes solides de responsabilité civile et professionnelle. Il y a là pour les magistrats et pour l'ensemble des acteurs sociaux un thème de réflexion important : ensemble nous devons concourir à ce que notre société tout entière soit une société de juste responsabilité.

Dernier objectif : faire progresser notre justice dans le cadre des exigences européennes.

Ainsi que vous le savez, les normes européennes provoquent un véritable bouleversement de nos procédures.

La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales et la jurisprudence de la Cour de Strasbourg exercent, en effet, sur le fonctionnement de notre appareil judiciaire, une influence grandissante.

Il s'agit, en réalité, d'un retour aux sources. Les principes et les libertés que la Convention européenne proclame, ce sont ceux que la France, patrie des Droits de l'Homme, a contribué à défendre et à illustrer depuis plus de deux siècles.

Ces règles de liberté et de droit, la Cour de Strasbourg nous les rappelle, en soulignant parfois les insuffisances, non des principes qui fondent nos institutions, mais de leur fonctionnement.

Certains ne voient dans l'existence de la Cour de Strasbourg qu'une atteinte insupportable à notre souveraineté nationale.

Même si l'on peut débattre du bien-fondé de la jurisprudence de la Cour sur tel ou tel point de fond, force est de constater que l'essor du droit européen a permis d'améliorer nos procédures juridictionnelles en renforçant les garanties offertes aux justiciables.

A travers la notion de droit à un procès équitable, la Convention européenne met l'accent sur deux principes fondamentaux dont notre droit processuel n'avait peut-être pas tiré jusqu'ici toutes les conséquences.

Il s'agit tout d'abord du principe de loyauté et d'équilibre. Cela signifie que toutes les parties à l'instance doivent disposer des mêmes armes, quel que soit leur statut. Cela signifie aussi qu'elles doivent être assurées de l'impartialité de leur juge.

Ai-je besoin de dire combien cette impartialité est au coeur des devoirs de votre fonction et des attentes de la société en ce qui concerne votre action ? L'impartialité et tout ce qu'elle suppose : la compétence indispensable pour comprendre toutes les données du litige, et la droiture requise pour juger juste. Je suis garant de votre indépendance, dont votre statut répond ; vous êtes comptables de votre impartialité, de par votre serment.

Il s'agit ensuite du principe de dialogue, et de son corollaire, le principe du contradictoire. L'instruction puis l'audience sont en réalité autant d'occasions d'établir ou de rétablir, sous l'égide du juge, un dialogue entre des parties aux intérêts divergents, afin de parvenir à une solution aussi équilibrée et juste que possible.

Magistrats, auxiliaires de justice, justiciables ont tout à gagner à ce que les procédures qui se déroulent devant nos juridictions soient conformes à ces deux principes. Pour cela, nous devrons sans doute modifier, voire bouleverser les règles que nous avions coutume d'appliquer jusqu'ici, comme en témoigne la décision rendue récemment par la Cour de cassation à propos de la Commission des opérations de bourse. Peut-être faudra-t-il en venir à une procédure moins inquisitoriale ?

Enfin, un bon procès, ce n'est pas seulement un procès équitable, c'est également un procès qui se déroule dans un délai raisonnable. Cela aussi, la jurisprudence exigeante et rigoureuse de la Cour de Strasbourg a le mérite de nous le rappeler.

Désormais, chaque justiciable a les moyens d'exiger et d'obtenir le respect de ce droit élémentaire. Lorsqu'une affaire s'éternise sans raison, la responsabilité de l'Etat se trouve de plus en plus fréquemment engagée.

Equilibre, dialogue, célérité, voilà ce que nos concitoyens sont en droit d'attendre de la justice. Par le rappel de ces principes fondamentaux, par le rôle d'aiguillon qui est le sien, par le dialogue des juges auquel il donne naissance, le droit européen joue désormais un rôle de premier plan dans le fonctionnement de nos institutions judiciaires.

Dans cet ordre juridique en pleine évolution, plus ouvert, plus éclaté, la mission du juge est plus complexe que jamais. Votre métier est déjà en lui-même aussi passionnant que difficile. Placés au coeur de notre société, témoins privilégiés de ses transformations, vous êtes en prise directe avec ses contradictions, ses conflits, ses violences. Vous êtes confrontés chaque jour aux problèmes majeurs de notre époque au premier rang desquels l'insécurité et le chômage.

C'est pour vous permettre d'assumer les exigences d'un métier d'exception et d'exercer votre tâche dans les meilleures conditions qu'il faut adapter et moderniser l'institution judiciaire. Pour cela, il faut, me semble-t-il, progresser dans quatre directions.

Il faut d'abord revaloriser la place des magistrats dans la cité et renforcer les moyens de la justice.

Mais au-delà des aspects protocolaires, se pose la question de votre statut. Il convient de le réformer, comme le Gouvernement a commencé à le faire, pour accélérer le déroulement de carrières aujourd'hui trop lentes du fait de la situation démographique de votre corps.

Lorsque j'ai lancé en janvier 1997 la réforme de la justice, j'avais demandé que ses moyens soient augmentés dans les cinq années à venir, compte tenu du faible niveau du budget du ministère de la Justice par rapport à celui des autres grands pays européens. Notre appareil judiciaire doit sortir de la misère et de la vétusté qui ont été trop longtemps les siennes. Des efforts réels ont été faits par le Gouvernement, qu'il s'agisse du montant des crédits, des créations d'emplois, ou du recrutement exceptionnel de magistrats. Ils doivent être poursuivis.

C'est dans ce contexte que s'inscrit la réforme de la carte judiciaire, trop longtemps repoussée et aujourd'hui plus que jamais nécessaire. Il faut que la justice adapte sa présence et ses moyens aux réalités nouvelles de notre territoire. C'est à ce prix qu'elle pourra oeuvrer efficacement à la lutte contre les violences urbaines et l'insécurité.

Il convient, en second lieu, d'adapter votre formation à l'élargissement de vos missions. Les fonctions qu'un magistrat peut être appelé à exercer au cours de sa carrière sont nombreuses et multiformes. Au-delà de la distinction entre siège et parquet, coexistent en effet, au sein du même corps, des catégories de magistrats aux activités très différentes. Quoi de commun, à première vue, entre le juge des enfants, le magistrat affecté dans des sections financières ou anti-terroristes, le juge aux affaires familiales ou le juge d'application des peines ?

Pour remplir au mieux les missions très diverses qui vous sont confiées, vous devez faire preuve à la fois de qualités humaines, de bon sens et de larges compétences.

Les qualités humaines restent primordiales. Sens de l'essentiel, volonté de comprendre, esprit d'ouverture, refus des certitudes, indépendance, y compris vis-à-vis de l'opinion, autant de traits de caractère indispensables lorsque l'on travaille directement " la pâte humaine ", lorsque l'on est amené à prendre des décisions qui peuvent bouleverser le cours d'une existence, l'équilibre d'une famille ou le destin d'une entreprise. C'est pourquoi il est si important que votre Ecole soit le lieu de résonance de tous les courants d'idées, de toutes les opinions, de tous les approfondissements de la pensée, sans exclusive.

Dans un univers sans cesse plus complexe, toutes ces qualités indispensables doivent être étayées par de solides compétences juridiques mais aussi techniques.

La formation initiale des futurs magistrats doit être aussi complète que possible, associant théorie et pratique et ouverte aux évolutions de la société. Je sais que des efforts importants ont déjà été accomplis dans ce domaine. Ainsi figurent désormais parmi les cours dispensés à l'Ecole nationale de la magistrature des enseignements d'économie, de comptabilité ou de droit européen. Les magistrats du XXIe siècle devront, en effet, être ouverts sur le monde, au fait des expériences étrangères, être à même de suivre les problèmes économiques et sociaux sur le plan européen et international.

Mais, aussi complète soit-elle, la formation initiale n'est pas tout. Il faut encore que les magistrats aient la possibilité, tout au long d'une carrière souvent longue, de perfectionner et de compléter leurs connaissances.

Aussi est-il indispensable de développer la formation continue des magistrats. Des progrès sensibles ont été réalisés au cours des dernières années. Il faut encore amplifier nos efforts pour permettre à l'ensemble du corps judiciaire français d'avancer au même rythme que la société tout entière.

Pour faciliter votre tâche, il faut, en troisième lieu, procéder à un effort massif de simplification. C'est l'un des axes majeurs de la réforme que j'ai souhaitée.

La justice doit devenir plus facile d'accès, plus rapide et moins coûteuse. Pour cela, il faut simplifier nos procédures et développer les procédures d'urgence chaque fois que c'est possible. Il faut aussi aider les justiciables à connaître leurs droits et à s'orienter dans le dédale des juridictions et des procédures. Il faut enfin, je le répète, développer la conciliation et la médiation qui peuvent éviter nombre de procédures contentieuses souvent longues, traumatisantes et coûteuses. Je souhaite que les réformes en cours permettent d'améliorer sensiblement la qualité du service rendu aux usagers du service public de la justice.

Améliorer la qualité de la justice, c'est aussi renforcer les garanties offertes au justiciable en matière pénale et faire en sorte, en particulier, que la présomption d'innocence, principe constitutionnel, soit respectée. J'attache une particulière importance à l'adoption du projet de loi actuellement en discussion devant le Parlement, et je suis persuadé que le dialogue entre les deux assemblées sera fructueux.

Des moyens accrus. Une formation adaptée. Des procédures plus efficaces et plus rapides. C'est à ce prix que nous pourrons rendre notre justice plus proche et plus performante. C'est à ce prix que nous pourrons faciliter votre travail et vous permettre d'exercer votre mission dans de meilleures conditions.

Mais, en définitive, beaucoup repose sur vous. Figure emblématique du monde judiciaire, le magistrat se trouve par la force des choses en première ligne.

Sa responsabilité se place essentiellement sur le terrain déontologique, professionnel et, dans les cas extrêmes, disciplinaire.

La responsabilité des juges est en effet le corollaire de leur indépendance. Elle doit être à la mesure des pouvoirs qui leur sont dévolus. Il ne saurait y avoir, dans une démocratie, d'autorité incontrôlée.

L'affirmation de la responsabilité des magistrats, que les textes actuellement en cours d'examen prévoient de renforcer, n'est pas dirigée contre eux. Elle est un gage supplémentaire du bon fonctionnement de notre justice.

Mais c'est avant tout par une modernisation profonde des méthodes de travail que l'on fera progresser l'esprit de responsabilité.

Il est souhaitable que se généralise dans toutes les juridictions un suivi de l'activité des magistrats, sur la base d'indicateurs transparents et fiables, tenant compte, bien sûr, de l'évolution des moyens mis à votre disposition. Des objectifs doivent être définis. Des échéances fixées. Comme d'autres services publics, la justice doit entrer à son tour dans une logique d'évaluation. Le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence comporte des dispositions de procédure qui s'inscrivent dans cette logique. Dans ce domaine également, la justice doit avancer au même rythme que l'ensemble de la société. La société démocratique est par excellence une société de responsabilité. Il est normal que le juge, qui occupe dans le fonctionnement de la démocratie une fonction éminente, assume pleinement les siennes.

*

* *

Mesdames, Messieurs,

Au cours des siècles passés, les magistrats ont souvent joué un rôle déterminant dans l'histoire de notre pays.

Ils ont accompagné, et parfois suscité, les évolutions de la société.

Les magistrats sont au coeur des changements. Rien de ce qui travaille le corps social ne leur est étranger. Ils sont témoins de ses doutes et de ses faiblesses. Ils sont arbitres de ses audaces. Ils vivent l'émergence d'un monde nouveau. Ils aident notre société à trouver ses marques dans le processus de mondialisation, avec ses risques et ses promesses.

Mesdames et Messieurs les Auditeurs de justice, vous allez assumer une lourde responsabilité, qui peut sembler parfois écrasante. Mais c'est aussi une tâche exaltante, porteuse de stabilité et d'harmonie. Le visage humain de la mondialisation, ce sera bien souvent le vôtre, celui du juge chargé d'en réguler les effets.

Nos concitoyens croient en leur justice et attendent beaucoup de leurs juges. Les traditions que vous portez, votre vocation au service du droit, votre engagement personnel vont à la rencontre des exigences morales de notre pays. Il vous appartient de mériter jour après jour sa confiance en rendant une justice indépendante à l'égard de toutes les influences, ouverte sur les réalités de notre monde, humaine, bien sûr, mais jamais émotionnelle, jamais emportée ni vindicative. Une justice dont la fonction régulatrice est en train de connaître un renouveau profond et nécessaire. Une justice qui doit s'exercer avec une sérénité qui fait sa force et son autorité, en se souvenant toujours qu'à la fin, seule la conscience des juges est garante du droit.

Je vous remercie.

DISCOURS DE MME ÉLISABETH GUIGOU, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

(Bordeaux, le 2 octobre 1999)

Je suis particulièrement heureuse de me trouver avec vous, aujourd'hui, à l'Ecole Nationale de la Magistrature. Les anniversaires sont en effet, par nature, des événements joyeux et il me semble que les festivités qui se sont déroulées hier soir n'ont manqué ni à la tradition générale de ce genre de cérémonies, ni, je crois, à celles plus spécifiques de cette école.

Je tiens donc à remercier M. HANOTEAU, directeur de L'E.N.M., qui a eu l'idée de cette célébration, et l'ensemble de ses services, qui ont eu l'énergie et la persévérance pour la réaliser.

Si les anniversaires sont des fêtes, ce sont aussi souvent des moments de bilan et de réflexion sur l'avenir. Surtout lorsque le compte des années atteint celui de la maturité voulue pour donner aux magistrats une formation de haut niveau, à l'égal des meilleures écoles de la République, la création de l'Ecole Nationale de la Magistrature s'est inscrite, il y a 40 ans, dans une profonde réforme de nos institutions. Elle visait notamment à rendre à la justice l'autorité qu'elle avait perdue avant 1958, du fait de l'abandon progressif où l'institution était peu à peu tombée.

Ainsi, dès l'origine, le destin de cette école a été étroitement et explicitement lié à celui de l'autorité judiciaire : base commune d'où sont sortis la plupart des magistrats, l'E.N.M. est également le reflet de l'institution.

Longtemps réduits à la seule apparence extérieure de leurs robes et de leurs fonctions, placés dans l'ombre des autorités politiques, parfois soumis à elles, les magistrats ont graduellement conquis la réalité de l'autorité judidiaire. La justice, idéal abstrait, mais aussi institution de la République, s'est trouvée par la suite de plus en plus personnifiée par des hommes et des femmes aux traits accentués. Au point qu'à différentes époques, l'institution n'a paru exister véritablement qu'à travers les figures publiques de quelques uns de ses membres.

Mais au delà de ces galeries de portrait, s'est dessiné le métier de magistrat, au service de la justice. C'est de cette fonction que je voudrais vous parler.

Je ne le ferai pas sous l'angle statutaire, juridique ou technique. Je m'interrogerai plutôt sur ses conditions d'exercice : c'est, d'une part, l'affirmation de l'autorité judiciaire (I) et, d'autre part, la place du juge dans la société et de la transformation de son métier (II).

I/ L'affirmation de l'autorité judiciaire

Sous les ors des palais et l'apparat des costumes, les magistrats ont longtemps souffert d'une autorité affaiblie. Ils n'ont véritablement commencé à exercer la plénitude de leurs fonctions qu'au lendemain de la deuxième guerre mondiale, avec la création du premier conseil supérieur de la magistrature.

Depuis, cette autorité s'est affirmée et a été reconnue.

1. Une autorité reconnue :

1.1 L'existence de l'Ecole Nationale de la Magistrature n'y est pas pour rien.

Que n'a-t-on dit sur l'E.N.M. ? Ecole de l'homme unidimensionnel, de la "tribu judiciaire", du renfermement, du bouillon de culture, du petit monde du palais ; école des juges bleus, blanc ou rouges. D'aucuns ont, régulièrement, annoncé sa suppression. Ils souhaitaient sans doute revenir au temps où tous les juges commençaient leur carrière comme "attachés au parquet" et où la formation des magistrats se réduisait à l'apprentissage des pratiques existantes. Je ne partage en rien ces critiques récurrentes. Les écoles professionnelles à la française, judiciaires, administratives ou techniques transforment des étudiants en professionnels et, ici, à Bordeaux, préparent de futurs magistrats au coeur de leur métier. Non pas de façon fermée, monocolore ou étroite, mais au centre de la ville, de l'événement, de la société.

Cette école donc, c'est celle, maintenant, où toutes les générations de magistrats en fonction sont passées, soit au titre de la formation initiale, soit, pour ceux recrutés par des voies différentes, au titre de la formation continue. L'âge de l'école lui permet de compter ses premiers retraités.

L'enseignement qui y a été dispensé n'a pas toujours mis sur le même pied l'ouverture sur la société, la réflexion, d'une part, et les enseignements techniques, d'autre part. Or c'est sans aucun doute parce qu'ils ont appris autre chose qu'à rédiger des jugements ou des réquisitoires juridiquement exacts que les magistrats issus de l'E.N.M. ont, au cours de leur carrière, pu témoigner d'une haute idée de la justice.

L'histoire de l'ENM est liée à celle de la réflexion qui a été conduite dans le corps judiciaire sur la place du juge dans la société. Les débats sur ce thème sont souvent nés ici, dans ces locaux. Ces débats, vous le savez, ont souvent été houleux, animés mais ils ont été toujours constructifs et ont apporté beaucoup à l'évolution des esprits dans la magistrature. Dans ses bonnes périodes, L'ENM a su provoquer, au bon sens du terme, le corps judiciaire à travers ses enseignements,: conduire l'étudiant, le futur juge, à se remettre en cause, à s'inquiéter de l'autre, justiciable ou partenaire. J'ai voulu que la direction actuelle soit attachée à cet aspect fondamental de la formation. Elle l'est, et j'en remercie Claude HANOTEAU.

Pour poursuivre son ouverture, l'ENM a découvert qu'elle n'est pas seule : l'Ecole Nationale de l'Administration Pénitentiaire, qui sera prochainement à AGEN, le Centre National de Formation des Educateurs et l'Ecole Nationale des Greffes concourent chacune à l'objectif commun : servir la justice. Les techniques ne sont pas les mêmes, mais les professionnels issus de ces écoles ont tous un objectif commun : servir la justice. Ils doivent donc travailler ensemble.

Enfin, l'Ecole Nationale de la Magistrature a développé un régime de formation continue, qui représente l'un des tous premiers systèmes publics du genre par son ampleur, par sa diversité et par sa richesse. Elle jouit, par l'accueil des stagiaires étrangers, d'un rayonnement international étendu, que j'ai pu personnellement constater.

1.2 Cette autorité nouvelle de la justice est également due aux efforts réalisés par les magistrats eux-mêmes. Comment ne pas souligner la manière dont ils ont fait face, dans des conditions matérielles souvent difficiles, à une augmentation sans précédent du nombre des contentieux ? Il n'est pas inutile de rappeler qu'en 40 ans le nombre des affaires civiles a été multiplié par 3 dans les tribunaux de grande instance et par 6 dans les cours d'appel et que, sur la même période, le nombre des plaintes et des procès-verbaux enregistrés par les parquets a été multiplié par 3. Aucune autre institution publique n'a eu, à effectifs quasiment constants, à supporter une pareille augmentation de ses charges de travail et n'a su la maîtriser comme l'a fait l'institution judiciaire.

Même s'ils critiquent avec constance la lenteur de l'appareil judiciaire, nos concitoyens ne cessent d'y recourir, toujours en plus grand nombre. J'y vois la conscience qu'ils ont des efforts accomplis par les juges, de leurs capacités et de leurs talents.

Les concours d'accès à l'E.N.M. ont permis une sélection démocratique des meilleurs. J'ai pu constater cette semaine, en recevant les magistrats détachés dans des institutions extérieures, à quel point la qualité des magistrats était appréciée, et même recherchée.

Mais les capacités, le travail et la formation seraient sans effet s'ils ne s'appuyaient sur une nouvelle indépendance de la magistrature.

2. Une indépendance assurée

Depuis mon arrivée au ministère de la justice, j'ai, vous le savez, rompu avec les pratiques antérieures d'intervention dans les dossiers individuels. Ce principe n'a connu aucune exception.

Cette décision est conforme à l'évolution de notre société. Elle s'inscrit dans les demandes nouvelles de transparence, d'impartialité de l'Etat et d'égalité qui sont celles de nos concitoyens. Elle est en harmonie avec les pratiques de la plupart des Etats européens.

J'ai donc tenu à ce que cette décision soit inscrite dans la loi. Le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, déjà voté par l'Assemblée nationale, viendra en discussion devant le Sénat le 20 octobre prochain. La réforme en cours du statut de la magistrature prévoit par ailleurs que tous les membres du parquet, y compris les procureurs généraux, seront nommés sur avis conforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, comme les magistrats du siège. Nous attendons la réunion du Congrès pour que cette réforme fondamentale, voulue de tous, puisse être mise en oeuvre.

L'indépendance n'a pas pour but de satisfaire aux exigences personnelles des magistrats. Elle est une condition essentielle d'exercice de leur fonction. Les justiciables ont besoin d'avoir confiance en leurs juges. C'est l'impartialité qui crée la confiance et c'est l'indépendance qui garantit l'impartialité.

L'indépendance est issue de la séparation des pouvoirs de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789, inscrite dans la Constitution et confortée par la convention européenne des droits de l'homme et la jurisprudence de la cour de Strasbourg. Pour vous, magistrats, et pour moi, Garde des Sceaux, ces textes sont la référence constante. En toutes circonstances, leur application effective doit être recherchée.

II/ La place du juge dans la société

Les magistrats occupent une place centrale dans l'Etat et dans la société. Leur mission a connu des évolutions importantes. L'environnement du juge (1), comme son métier (2) se transforment.

1. L'environnement du juge, c'est à la fois des moyens, une réforme pour les citoyens et des politiques publiques auxquelles il participe.

1.1 Des moyens :

L'institution judiciaire dans son ensemble a connu une longue période de pénurie de moyens, tant en hommes qu'en financement. L'histoire récente du ministère de la justice est composée ainsi d'alternance entre des périodes d'investissement massif et des périodes de stabilisation, voir de régression des moyens.

Depuis trois ans, le gouvernement s'est attaché à mettre à disposition des moyens importants que je peux qualifier d'historiques. Lors de mon arrivée je recevais des demandes pour l'achat de véhicules et de mobilier. Maintenant ce sont des logiciels "Word Perfect 8" et des CD-ROM "Legisoft" dont on me parle. Ce qui montre que nous avons réussi avec ces moyens à rattraper une partie des retards antérieurs tout en accordant à chaque réforme présentée au Parlement les moyens nécessaires. J'avais pris devant le Parlement l'engagement de ne pas présenter de réforme sans obtenir les moyens correspondants. Je ne donnerai que quelques exemples de l'effort budgétaire poursuivi depuis trois ans : de 1998 à 2000, les crédits du ministère de la justice auront augmenté de 14%. L'an prochain, 1237 postes seront créés, ce qui porte le nombre de création d'emplois à 3.000 sur cette même période. Pour les postes de magistrats, 422 créations pour les trois années 1998, 1999, 2000, contre 143 pour les trois années 1995, 1996 et 1997. C'est trois plus. L'évolution est la même pour les postes d'éducateurs, 423 contre 160 pour les mêmes périodes.

Je souhaite ici faire sur ce sujet des moyens deux remarques : tout d'abord je veux souligner que l'octroi de ces nouveaux moyens pour la justice par la Nation ne peut pas constituer un chèque en blanc. La Nation est en droit de demander aux juges des comptes sur l'usage qui aura été fait de ces importants moyens supplémentaires. D'importants progrès ont été réalisés : sur les frais de justice et sur l'affectation des emplois de magistrats. Ces actions devront être poursuivies, si nous souhaitons un maintien à un haut niveau des efforts consentis.

Ensuite, je veux insister sur le fait que ce sont l'ensemble des services du ministère qui sont bénéficiaires des efforts réalisés : la protection judiciaire de la jeunesse verra en 2000 ses moyens croître sans précédent; l'administration pénitentiaire dispose, notamment en matière immobilière, de crédits exceptionnels. Cette globalité dans l'effort de la Nation n'est pas neutre: la justice est un tout et il serait vain d'accroître les moyens des juridictions si ceux qui sont chargés de la prévention ou de l'exécution des décisions du juge ne voyaient pas les leurs augmenter.

1.2 Une réforme pour les citoyens :

La profonde réforme de la justice que le gouvernement a engagée a un objectif essentiel : assurer un fonctionnement plus impartial, plus orienté vers le citoyen et plus efficace.

L'ensemble des textes qui sont en discussion devant le parlement, ou qui ont déjà été adoptés concourent à ce même objectif. D'abord une justice plus accessible et plus proche des citoyens, avec la loi du 18/12/98 sur l'accès au droit. Ensuite une justice plus efficace avec la loi du 23/06/99 sur l'efficacité de la procédure pénale. Et enfin une justice plus impartiale et plus soucieuse des droits des justiciables avec le projet sur la présomption d'innocence et les droits des victimes. La réforme de la magistrature passe par les textes relatifs au Conseil Supérieur de la Magistrature, au statut des magistrats et aux relations entre les parquets et la chancellerie. En donnant des garanties, à la fois dans la gestion des dossiers et dans le déroulement des carrières des magistrats, le gouvernement satisfait une demande des magistrats et répond, surtout au souci d'améliorer le service rendu aux citoyens.

A cela s'ajoute, pour la première fois depuis deux cent ans, d'une part, une réforme des tribunaux de commerce et, d'autre part, un large remaniement de la carte judiciaire les concernant. En juillet un premier décret a supprimé 36 tribunaux de commerce. Ces réformes visent à restituer aux juridictions consulaires les garanties d'impartialité et de qualité indispensables à l'exercice d'une justice moderne, en y introduisant des magistrats professionnels aux côté des juges consulaires, pour présider les chambres mixtes. En complément, des juges consulaires accéderont aux chambres commerciales des cours d'appel. Cette réforme s'accompagnera d'une redéfinition du statut, du contrôle et des rémunérations des administrateurs judiciaires et des mandataires liquidateurs.

Je mets de même en chantier une vaste réforme du droit de la famille. Cette réforme a pour objet de faire évoluer la famille pour tenir compte des transformations en cours, tout en conservant à la famille sa fonction essentielle, structurante pour les individus et la société. La réforme consiste donc en priorité à : protéger la stabilité de la filiation, garantir le statut de l'enfant et ses relations durables avec ses deux parents ; simplifier les procédures de divorce, pour que celles-ci n'aggravent pas les conflits des couples et la souffrance des enfants.

1.3 La prise en compte des politiques publiques

Les nouvelles missions du juge imposent que soient menées des actions concertées avec l'ensemble des acteurs de la justice ainsi qu'avec les partenaires extérieurs.

C'est bien le juge qui décide. Mais il ne décide pas seul. Il doit s'assurer d'une part des moyens de l'exécution de sa décision et d'autre part des modalités de la décision. Que dire du juge qui prononcerait des peines sans s'assurer de la manière dont elles sont exécutées ? du juge qui ordonnerait des placements sans se soucier des conditions d'accueil du mineur ? ou du juge qui n'exercerait pas le contrôle que la loi exige de lui ? Une décision n'a de sens que par son exécution.

Le citoyen attend du juge qu'il tranche. Il attend de lui de plus en plus, une lisibilité forte de son action et de ses décisions, une plus grande transparence dans le fonctionnement de l'institution, une meilleure information sur ses droits, une efficacité plus importante et enfin une prise en compte globale de ses problèmes.

Pour parvenir à satisfaire cette attente le juge doit rechercher des coopérations et des partenariats extérieurs, initier des actions avec d'autres acteurs. Il doit de plus intégrer et admettre les difficultés des autres intervenants : élus, administrations, professions, associations.

Je voudrais ici vous donner quelques exemples de cette nécessaire évolution. Le juge chargé du surendettement des ménages se doit de connaître les actions conduites par les pouvoirs publics en direction des personnes les plus précarisées.

Si le juge est sollicité pour participer à des actions conduites par d'autres il est aussi à l'origine, lui-même, de partenariats.

Cette confrontation aux autres est le meilleur moyen pour le juge de faire connaître à ces partenaires ses contraintes, sa spécificité et les richesses de l'action judiciaire. Ainsi son action sera mieux comprise, mieux admise et le juge pourra assurer, sous le regard critique du citoyen, l'information qui est due à la Nation qui l'a mandaté.

2. Le métier du juge

2.1. De l'isolement au travail collectif

Le juge remplit une mission essentielle qui est celle de trancher les litiges, de dire le droit : c'est l'acte de juger. Cette mission première connaît des évolutions importantes. Les contentieux évoluent et les normes juridiques se multiplient.

De plus en plus techniques les domaines d'intervention du juge exigent des connaissances de plus en plus approfondies. Quelques exemples peuvent être soulignés: la bioéthique, les marchés financiers, la police technique et scientifique, la régulation économique...

Par ailleurs, les normes et les références se multiplient. Le juge ne saurait plus maintenant se contenter des quatre codes traditionnels: civil, pénal, procédure pénale et procédure civile.

Il doit intégrer non seulement les nombreuses réglementations techniques nationales, qu'elles soient le produit de l'Etat, des collectivités locales, ou des organisations privées, comme les règles déontologiques ou techniques que se fixent les grandes entreprises, mais il doit aussi prendre en compte la norme internationale: qu'elle soit européenne, ce dont il a maintenant l'habitude ou internationale.

Face à ces évolutions, rapides, qu'elle doit être la position du juge ? Quel est son rôle, son office ? La tentation serait forte d'en faire un technicien de ces nouveaux champs d'intervention, de le transformer en expert et en spécialiste. Pour bien trancher d'un litige opposant des opérateurs sur le marché boursier faut-il que le juge soit un professionnel du change et de la cotation ? Pour juger du conflit qui oppose un laboratoire pharmaceutique et une société agro-alimentaire, le juge n'a nul besoin d'être un spécialiste de la biologie moléculaire.

Certes le juge doit connaître les domaines dans lesquels il intervient et s'informer des évolutions techniques. Le travail juridictionnel demande de plus en plus une formation permanente. Il est nécessaire que des formations de jugement spécialisées se développent : l'exemple des juridictions parisiennes est tout à fait éclairant de ce point de vue. Mais la spécialisation n'est pas la seule solution.

Il serait, en effet, tout à fait dommageable que le juge devienne un expert. Je pense que dans une spécialisation trop poussée le juge perdrait sa spécificité, son apport essentiel. Il doit demeurer un généraliste. Il doit préserver le rôle de réflexion, d'analyse et de distance que l'on attend de lui.

C'est par une action d'ouverture vers les tiers que le juge pourra résoudre cette apparente difficulté. La solution de l'expertise, traditionnelle n'est pas suffisante, car la complexité croissante des contentieux exige que le juge soit aidé en permanence, au coeur de son travail quotidien. Il doit mettre en oeuvre un travail collectif en organisant, autour de lui, des équipes de spécialistes et de techniciens. L'exemple des pôle financiers me semble éclairant de ce point de vue. Autour des magistrats, et sous leur contrôle, travaillent des assistants spécialisés d'origine diverse : policiers, douaniers, agents de la Banque de France.

De ce point de vue je pense que les relations du juge avec les auxiliaires de justice connaîtront également de profondes mutations. Et d'abord avec l'avocat.

Essentiel à l'acte de juger, l'avocat, sans qui il ne saurait y avoir de débat judiciaire contradictoire, incarne la défense. Sa mission, déjà fondamentale puisqu'elle pousse le juge au doute et lui apporte la contradiction, la confrontation, valeurs consubstantielles de la justice, va se développer. Le juge doit tenir compte des évolutions de la profession d'avocat : la diversification des compétences, l'introduction de la notion de conseil, l'internationalisation sont des aspects forts, qui enrichiront de plus en plus le débat judiciaire.

Par ailleurs, le juge doit pouvoir nouer de nouvelles relations avec l'avocat. La décision judiciaire est le produit d'un travail collectif. Je pense que le développement d'une gestion moderne de la mise en état, notamment par les contrats de procédure, doit être renforcé.

Les relations entre magistrats et avocats ne sont pas exemptes de passion. Sur les perquisitions dans les cabinets d'avocat, vous savez que le premier président CANIVET a rendu récemment un rapport. Le débat est engagé au parlement avec un amendement sénatorial dans le projet de loi sur la présomption d'innocence. Les cabinets d'avocats ne peuvent être des sanctuaires. Je souhaite d'autre part que les perquisitions s'opèrent selon les règles élaborées en commun par les magistrats et les avocats, en prenant en compte les impératifs du droit de la défense.

2.2. La responsabilité du juge

Il ne saurait y avoir d'accroissement des pouvoirs et des droits sans accroissement des responsabilités.

La responsabilité du juge est spécifique : elle est à la hauteur de ses pouvoirs et de ses prérogatives, des exigences du public à son égard et de la confiance importante dont il dispose aujourd'hui. Nous savons, et il faut le faire savoir, que les juges ne sont pas sans contrôle.

Leur responsabilité est déjà engagée de plusieurs manières. Au delà des voies de recours, du contradictoire et du double degré de juridiction, la responsabilité civile et pénale des magistrats peut être engagée.

Enfin, la responsabilité disciplinaire assure un contrôle rigoureux des comportements critiquables et contraires aux exigences que l'on attend d'un "digne et loyal magistrat", comme le rappelle la formule de votre serment. Ainsi en 1998, outre des demandes d'explications, j'ai saisi le Conseil supérieur de la Magistrature de 16 cas.

Qui gardera le gardien ? Qui assurera le contrôle de celui qui est conduit de plus en plus à contrôler ? Qui régulera le régulateur ? Telles sont les questions qui se posent de manière de plus en plus forte. Le juge ne peut pas, dans son propre intérêt, dans l'intérêt de sa mission, être le seul décideur dont la responsabilité ne serait pas recherchée.

Le juge doit se soumettre à une exigence d'éthique dans son travail au quotidien.

Il doit être impartial, mais également donner l'apparence de l'impartialité. Il doit être irréprochable, mais aussi donner l'apparence de l'irréprochabilité. Il doit être juste, mais aussi donner l'apparence de la justice. Et cela, dans tous ses actes, non seulement juridictionnels, mais plus largement personnels et professionnels.

Comment apporter les garanties que cette éthique exige? C'est en développant la transparence et la publicité des décisions. C'est en motivant les décisions, et facilitant les recours. C'est en permettant de la part des justiciables un contrôle procédural renforcé. C'est en permettant un "double regard" sur les actes et les décisions.

Les projets de loi de la réforme que j'ai engagés contiennent des réponses à ces questions. Je donnerai ici quelques exemples: la mise en place du juge de la détention provisoire qui permet un deuxième regard sur l'incarcération, la motivation des classements et la possibilité d'exercer un recours dans ce domaine, le développement de l'accès au droit, le renforcement des droits de la défense... C'est aussi le projet de créer des commissions de recours des citoyens qui sera inséré dans la réforme statutaire à venir. Ces commissions, dont l'accès sera réglementé pour éviter les saisines abusives, seront une garantie supplémentaire pour assurer la transparence de l'institution judiciaire.

Je suis convaincue qu'il y va de l'avenir de la justice. Pour conserver à cette institution sa place, son rôle et aux magistrats leur indépendance, condition de leur impartialité, il convient d'assurer cette transparence et cette responsabilité.

En sortant des palais de justice, en ne limitant plus son action à la rédaction de décisions, en s'insérant dans la vie sociale, le juge est devenu un personnage central de la vie publique. Il a acquis ainsi plus de droits et de pouvoirs. Il est en droit de demander et d'obtenir des résultats de ceux qui exécutent ses décisions, comme les fonctionnaires de la protection judiciaire de la jeunesse ou de l'administration pénitentiaire, mais aussi les officiers de police judiciaire de la police nationale et de la gendarmerie. Plus que cela, il peut mettre en place avec les auxiliaires de justice des dispositifs permettant l'amélioration de la conduite des procédures pénales et civiles: je veux parler des comparutions immédiates, de la composition pénale pour le parquet, ou de la mise en état civile et des contrats de procédure pour le siège.

En un mot le juge, par la légitimité qui est la sienne, a les moyens de conduire et d'orienter l'action judiciaire. Il ne doit plus être le spectateur passif de décisions, d'orientations et d'actions qui se déterminent ailleurs. Il a les moyens de tenir son rang de gardien des libertés individuelles, de tenir sa place. Ses devoirs vis à vis de la Nation et du peuple français au nom de qui sont rendues les décisions judiciaires, n'en sont que plus grands.

2.3 Les nouveaux champs : le métier de demain

Ainsi, le métier de magistrat n'est pas - ou n'est plus - ce qu'on croit et ce qu'on lit parfois. Là où le profane ne discerne que la recherche du précédent, le culte des anciens et le respect du doyen, mon expérience de Garde des Sceaux m'a fait découvrir capacité de création et d'invention.

Dans l'avenir, cette capacité aura à s'exercer aussi bien dans les rapports du magistrat à l'Etat que dans ses relations à l'international.

Quotidiennement, le magistrat est un des acteurs de l'Etat. Serviteur de la loi, traducteur et miroir de la norme voulue par d'autres que par lui, le magistrat s'il n'a pas, comme l'annonce votre programme d'aujourd'hui, le devoir de "faire de la peine", a, en revanche, le devoir de faire ses preuves. Trouver et qualifier ses preuves, c'est le signal d'un Etat de droit qui ne travaille pas sur des rumeurs, mais sur une procédure.

Par l'interprétation du droit, par la procédure, par le maniement de l'impératif mais aussi du conditionnel et de la sanction, le magistrat contribue grandement à ce que les citoyens se supportent les uns les autres.

Par le magistrat, l'état de jungle recule de quelques pas à chaque audience, à chaque jugement. Ce pourrait être une définition de l'Etat.

La raison d'Etat traîne encore dans les livres, mais vous ne la rencontrerez pas souvent même si, comme à vos prédécesseurs on vous en parlera souvent. Jadis c'était l'arbitraire : " le roi fait la loi". Aujourd'hui, c'est le principe de légalité : "la loi fait le roi".

Il s'agit, en fait, de l'Etat de raison, l'Etat garant de l'égalité des citoyens et acteur de la paix publique, l'Etat raisonné, c'est à dire imaginé et institutionnalisé par la raison. L'Etat fruit de l'application de la révolution du droit à la sphère du pouvoir. Vous le rencontrerez souvent. Pour la simple raison que vous le co-produisez.

A l'international, vous jouez un rôle non moins important. Qui prévoyait, par exemple, que l'avenir de la justice en Europe passerait par une petite ville de Finlande, TEMPERE, où va se dérouler à la mi-octobre, le Sommet européen des Chefs d'Etat et de Gouvernement sur la Justice et les Affaires intérieures ?

Qui prévoyait que, face à la délinquance transfrontière, les Etats européens opposeraient le réseau judiciaire européen ? Pouvait-on imaginer que des dizaines de magistrats formées dans cette Ecole se trouveraient en fonction dans la coopération internationale, dans les enceintes de négociation ou dans de nombreuses capitales européennes pour assurer la liaison entre les autorités judiciaires des Etats ?

Aujourd'hui, la maîtrise des affaires européennes et internationales, c'est-à-dire la connaissance des langues, des cultures, des droits de nos partenaires, est nécessaire à l'expérience et à la mission des magistrats.

En effet, les citoyens européens, les citoyens de tous les Etats du monde se déplacent, commercent, travaillent, fondent des familles, se séparent...Ils vivent de plus en plus entre plusieurs Etats et se heurtent donc aux problèmes nouveaux que pose ce mode de vie.

De plus, nos sociétés sont confrontées à la menace grandissante de la criminalité organisée, qui s'appuie sur les nouvelles technologies de communication et véhiculent à la vitesse électronique des sommes de plus en plus considérables d'argent sale et défient les systèmes juridiques des Etats.

L'appel de Genève, il y a trois ans avait déjà très justement sonné l'alerte. La déclaration d'Avignon, adoptée en octobre 1998, sur ma proposition, par plusieurs ministres de l'Union européenne, trace des lignes d'actions précises dans tous les domaines où les citoyens européens se heurtent à ces problèmes qui nécessitent une stratégie globale de l'Europe.

La récente Résolution du Parlement européen, qui reprend l'esprit de Genève et les orientations d'Avignon constitue pour moi le témoignage d'une réelle prise de conscience des responsables européens.

J'ai proposé que le Sommet de TAMPERE aboutisse à des conclusions lisibles et concrètes. Deux thèmes sont prioritaires. D'abord, en matière civile, il faut reconnaître entre les Etats de l'Union la validité directe des jugements. Il faut aussi mettre en oeuvre, dès à présent, les mécanismes nécessaires pour éviter les décisions contradictoires, aussi bien dans le domaine de la famille que dans celui des créances commerciales. La Convention de Bruxelles II, sur les conflits familiaux binationaux, est un bon modèle de recherche de résolution des conflits par l'instauration d'une juridiction compétente unique, celle de l'Etat membre où vivait le couple avant de se séparer.

Ensuite, dans le domaine pénal, il faut s'attaquer concrètement à la criminalité organisée, en dépassant le stade des coups sans lendemains. Il faut en effet traiter ces phénomènes, qui inquiètent nos concitoyens et nuisent à nos Etats, à la fois par une incrimination de l'association de malfaiteurs en tant que telle, sans attendre les faits qu'elle va commettre, par une lutte efficace contre le blanchiment de l'argent sale, par l'engagement de lever le secret bancaire automatiquement en cas de procédure judiciaire ; enfin, par l'application d'une réglementation des paradis fiscaux, assortie de sanctions.

Conclusion :

Juges d'aujourd'hui, juges de demain. Acte de juger, participation à des politiques publiques. Travail en France, mission à l'étranger. Norme nationale, norme internationale. Votre mission connaît des évolutions constantes. Vous exercez des métiers divers: juge des enfants, juge d'instruction, magistrat du parquet, juge, conseiller de cour d'appel...

Je ne sais pas de quoi sera constitué votre travail dans dix ans le cinquantenaire de l'ENM. Je ne sais pas avec quels outils vous travaillerez, ni sur quelles normes. Je ne sais pas dans quels nouveaux domaines vous interviendrez.

Mais je sais que vous rendrez toujours la justice "au nom du peuple français". Je suis certaine que votre guide essentiel sera toujours, ce qui vous rassemble et constitue votre mission propre : la défense de la liberté.

INTERVENTION DE M. CLAUDE HANOTEAU
DEVANT LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

(Vendredi 1 er octobre à 17 heures)

Permettez-moi tout d'abord, Monsieur le Président de la République, de vous dire combien l'Ecole nationale de la Magistrature se sent honorée par votre présence, au moment où elle commémore les quarante ans de sa fondation. Que vous ayez choisi de venir à Bordeaux, à cette occasion, ne pouvait témoigner de manière plus solennelle de l'intérêt que vous portez à notre institution, creuset de la magistrature française. Soyez assuré, Monsieur le Président de la République, de notre très profonde gratitude.

Madame la ministre de la justice, votre présence fréquente au sein de notre Ecole constitue, vous le savez, pour celles et ceux qui l'ont en charge, un précieux encouragement. Aujourd'hui encore vous ne manquez pas de suivre avec intérêt notre initiative que vous avez bien voulu soutenir : soyez-en remerciée.

Monsieur le Préfet de région,

Monsieur le député maire, l'Ecole nationale de la Magistrature a connu beaucoup d'épisodes heureux. Puis-je dire que l'un d'eux fut d'avoir été installée à Bordeaux, cité accueillante où il fait bon vivre, et dans laquelle nos étudiants peuvent se référer à de très grands anciens qui n'écrivirent pas moins que " les Essais " et la défense de " l'Esprit des lois ". Souffrez que je dise publiquement combien nous sommes sensibles au regard favorable que vous portez sur notre école, à l'accueil que vous avez réservé au projet que nous réalisons aujourd'hui ainsi qu'au soutien que vos services ont apporté à la réalisation de ces journées.

Messieurs les députés et sénateurs,

Monsieur le Président du Conseil régional,

Monsieur le Président du Conseil général,

Nous sommes très sensibles à votre présence aujourd'hui au sein de notre établissement,

Monsieur le Président, que vous ayez accepté de faire le rapport général de nos travaux de cet après-midi, nous honore tous, croyez le bien.

Monsieur le Premier Président de la Cour de cassation, Monsieur le Procureur général,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil supérieur de la Magistrature,

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d'administration, l'attention vigilante que vous portez à tout ce que réalise l'Ecole guide de manière indispensable notre action. Nous vous sommes reconnaissants d'être parmi nous aujourd'hui.

Mesdames et Messieurs les hauts magistrats,

Mesdames et Messieurs

Créée par ordonnance du 22 décembre 1958, organisée par un décret du 7 janvier 1959, l'Ecole nationale de la Magistrature dénommée tout d'abord Centre national d'Etudes judiciaires, vécut quelques mois à Paris, puis fut installée à Bordeaux, d'abord très à l'étroit dans un hôtel particulier du Cours Xavier Arnozan, puis à partir de 1972, dans cet édifice, réellement à la dimension de sa mission, et auquel tant de générations de magistrats sont aujourd'hui attachées.

Elle est entrée dans sa quarantième année et elle a choisi de célébrer avec un éclat certain, son anniversaire. Pouvons-nous en chercher les raisons ?

Sans doute parce que quarante ans, c'est le bel âge, l'âge auquel l'adulte se plaît souvent à jauger le chemin qu'il a parcouru, à constater la plénitude de ses forces, à mesurer le champ de ses ambitions, à regarder la route qui s'ouvre devant lui, avec confiance, sérénité, exigence, toujours, du moins l'espère-t-il, avec lucidité.

Sans doute l'Ecole ressent elle de manière plus ou moins diffuse tout cela, mais elle a pensé qu'elle devait saisir aussi cette occasion pour rappeler que depuis sa création,

- elle avait formé aux métiers de juge et de procureur 5.900 auditeurs de justice,

- qu'elle a organisé depuis 1993, la scolarité et les stages probatoires de 234 de nos concitoyens, entrés dans la magistrature par la voie du recrutement latéral,

- qu'elle a assuré aussi l'encadrement pédagogique de quelques 351 magistrats issus des concours exceptionnels.

Elle a estimé aussi qu'elle devait rappeler que dans son département de la formation continue à Paris, elle accueille chaque année, environ quatre mille cinq cents magistrats en exercice à l'occasion de colloques et séminaires et qu'elle contribue à développer dans chaque Cour d'appel une formation permanente régionale, au plus près des magistrats qui travaillent sur le terrain.

Que vous soyez si nombreux, mes chers collègues, aujourd'hui à Bordeaux, donne sans doute un réel aperçu de l'attachement que notre corps porte à notre Ecole.

Elle se devait aussi de souligner le rôle qu'elle joue sur le plan international, en accueillant des magistrats étrangers, et en mettant en oeuvre dans beaucoup de pays du monde entier des actions de coopération avec des centres de formation à même vocation que le nôtre.

Qu'il me soit permis de remercier Monsieur le Ministre des affaires étrangères qui a bien voulu apporter son appui à la réalisation des invitations que nous avons lancées.

Je salue avec plaisir aujourd'hui la présence des directeurs des centres de formations d'Europe, d'Afrique, du Canada, de l'Amérique centrale et de l'Amérique du sud, du Proche et du Moyen orient, de l'Asie qui sont venus témoigner de la force et de la qualité des liens qui nous unissent les uns aux autres.

Alors, à ce moment précis où se dessinent les contours d'un bilan rapide, j'aurais, en votre nom à tous une pensée reconnaissante à l'égard de celles et de ceux, qui, membres de la direction, maîtres de conférences, directeurs de centres de stages, magistrats chargés de la formation, membres du conseil d'administration et de la commission pédagogique, fonctionnaires, intervenants de quelque horizon qu'ils fussent, sont venus à un moment ou à un autre, au cours de leur vie professionnelle, pendant ces quarante années, contribuer à la formation de la magistrature de notre pays.

" Magistrat, hier, aujourd'hui et demain " est le thème central des travaux qui réunirent cet après-midi en ateliers plusieurs centaines de magistrats et d'auditeurs de justice.

Demain nous connaîtrons les conclusions de leurs réflexions qui se sont orientées tout naturellement sur des axes, aujourd'hui très débattus au sein de l'institution judiciaire, et devenus de véritable sujets de société. Ce furent " le juge et le procureur de la République ", " l'éthique et la responsabilité des magistrats ", " l'évolution des missions qui lui incombent ", " `Eurojuge ", " la femme magistrate dans l'institution ", " les aspirations du juge d'aujourd'hui ", " quelle sorte d'école faut-il pour la magistrature " ?

Nul doute que tous ceux qui travaillent au sein de notre établissement furent extrêmement attentifs à c qui s'est dit au cours des débats : ils le seront aussi au moment où il sera fait rapport de ces travaux, tant il est vrai que toute pédagogie, tout programme de formation doivent être sans cesse repensés à l'aune des évolutions de notre temps, et à celle des besoins, exprimés par l'institution judiciaire, et l'ensemble du corps social, et imposés par la construction de l'Europe tout comme par le développement des liens entre les nations.

Mais en dépit des évolutions, il existe des constantes qui forment ce socle fondamental sur lequel repose l'Ecole Nationale de la Magistrature. C'est en son sein que le futur magistrat doit cultiver le sens de l'application du droit ; acquérir une éthique judiciaire irréprochable ; développer ce goût du travail en commun, garant de la prise de décision éclairée.

L'Ecole Nationale de la Magistrature est en effet le lieu d'excellence où le candidat à la magistrature trouvera, outre les possibilités de compléter ses connaissances juridiques, les moyens :

- de cerner au plus près la réalité des champs si divers dans lesquels il interviendra ;

- d'acquérir cette faculté d'écoute intelligente et attentive à l'égard de tous ceux qui s'adressent à la justice ;

- de choisir au mieux des intérêts de l'individu et de la collectivité les mesures les plus adaptées à l'apaisement des conflits.

Ecole où se forge le sens de la responsabilité qui repose sur une éthique judiciaire forte, laquelle se décline en exigence de travail assidu et de compétence ; en exigence d'impartialité et neutralité ; en exigence de lucidité sur ceux qui vous entourent et peut-être d'abord et surtout sur soi-même.

Ecole enfin où le futur juge apprend que toute prise de décision nécessite un travail préparatoire dans lequel interviennent de nombreux partenaires, sans qui le magistrat ne saurait accomplir ses missions. Je me réjouis particulièrement qu'aujourd'hui les Ecoles Nationales des Greffes, de la Pénitentiaire, de la Protection judiciaire de la Jeunesse, les Ecoles de formation des cadres supérieurs de la police et de la gendarmerie nationale, ainsi que les instances représentant les ordres des avocats, soient animées de la même volonté que la nôtre de faire se rencontrer et travailler ensemble au cours de leur formation ceux qui, demain, concourront à l'oeuvre de justice.

Monsieur le Président de la République, je disais en début de mon propos, qu'à quarante ans, on était dans la force de l'âge, qu'on regardait la route devant soi avec confiance, sérénité, exigence et lucidité. Sachez en tout cas que l'Ecole Nationale de la Magistrature voit toujours sur sa route se renforcer encore cette très grande ambition qui l'anime : former des magistrats déterminés à rendre une justice à la hauteur des espérances de nos concitoyens.

INTERVENTION DE M. CLAUDE HANOTEAU DEVANT LA MINISTRE DE LA JUSTICE, GARDE DES SCEAUX,

(le samedi 2 octobre à 9 h 30)

Madame la ministre,

Depuis hier, mais vous le saviez déjà, vous pouvez constater que l'Ecole nationale de la Magistrature est bien vivante. On y chante et on y danse parfois mais on y travaille aussi beaucoup et souvent.

Pour fêter ses quarante ans, sa direction, son collège des maîtres de conférences, ses fonctionnaires ont pris le parti d'accueillir magistrats et auditeurs de justice pour parler de l'évolution de nos métiers.

Je constate tout d'abord, mes chers collèges, que vous êtes venus nombreux. Je l'ai dit hier, votre présence témoigne de l'attachement que vous portez à votre école, mais votre attachement se révèle par ailleurs chaque jour par la part si importante que vous prenez sur le terrain au déroulement des stages de nos étudiants, aux contributions que vous apportez à sa pédagogie, à l'intérêt que vous montrez à suivre sa formation continue.

Je constate ensuite que pour discuter des thèmes retenus, l'Ecole a fait appel à beaucoup d'invités extérieurs à la magistrature, universitaires, chercheurs, fonctionnaires d'autres administrations, journalistes ; qu'elle y a fait participer des directeurs de centres de formation de nombreux pays étrangers ; qu'elle a demandé, et il sait combien son accord nous a honoré, à un avocat, professeur de droit, ancien Garde des Sceaux, ancien Président du Conseil constitutionnel, aujourd'hui sénateur de la République, d'être le rapporteur général de tous ces travaux. Non décidément, l'Ecole nationale de la magistrature n'est pas l'école de l'entre soi, de l'entre nous comme des esprits encore mal informés se plaisent à la répéter.

Les conclusions des travaux en atelier vont obliger sans doute chacun de nous à se poser la question de savoir quelle évolution doit connaître l'Ecole nationale de la magistrature si l'on veut qu'elle reste à l'heure de son temps.

Les temps changent, les interventions judiciaires se sont multipliées et diversifiées, le champ sur lequel la justice étend son action ne cesse de s'élargir et le juge, qu'il l'ait voulu ou non, est appelé à occuper une place sans commune mesure avec celle que connurent les gens de ma génération, au début de leur carrière.

Communiquer d'une manière nouvelle et ô combien plus rapide, entre nous, mais aussi avec les autres, dans notre hexagone et dans le monde entier, par les voies de l'internet et de l'intranet modifiera, et a sans doute déjà modifié l'exact positionnement de notre institution et de ceux qui la servent.

Voir se construire à grands pas l'Europe, mais aussi se nouer des liens de proximité avec d'autres pays transforme de manière fondamentale tout ce qui pouvait être écrit, dit ou fait en matière de coopération internationale.

Voir se développer les possibilités d'accès au droit, s'accroître l'aide juridictionnelle, constater que nos concitoyens sont de plus en plus en demande de justice, prendre en compte leurs légitimes exigences, être conscient de leurs attentes dont l'impatience doit être aujourd'hui comprise, requiert de nous tous une autre manière de les accueillir et de leur répondre.

Ce sont là, Madame la ministre, des axes sur lesquels l'Ecole s'est engagée résolument : elle accentue ses efforts de pédagogie sur l'économique et le financier, sur le droit européen et communautaire, sur les nouveaux modes de règlement des conflits ; elle veille à améliorer l'apprentissage aux nouvelles techniques de communication.

L'Ecole nationale de la Magistrature, mesdames et messieurs les auditrices et auditeurs de justice, met tout son savoir faire, toute sa détermination pour contribuer à faire de vous des juges et des procureurs de qualité que nos concitoyens sont en droit d'attendre.

Il vous appartiendra de concrétiser demain les belles aspirations que vous portez en vous et qui vous ont fait choisir le métier de magistrat. Je ne doute pas que vous serez à la hauteur des missions que l'on vous confiera.

L'Ecole nationale de la Magistrature, Madame la Ministre, je le répète, est bien vivante : elle fait face aux tâches que lui a assignées la République. Elle sait, et votre présence en témoigne, que vous apporterez votre soutien à son engagement qui est sans faille.

ANNEXE II

MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE SUR LE BUDGET DE LA JUSTICE

I. MAJORATIONS DE CRÉDITS SUR LE TITRE III

Les majorations de crédits non reconductibles relatives au budget de la justice concernent le titre III pour 1 million de francs .

Le chapitre concerné est le chapitre 37-96 (Commission nationale de l'informatique et des libertés) article 10.

II. MAJORATIONS DE CRÉDITS SUR LE TITRE IV

Les majorations de crédits non reconductibles relatives au budget de la justice concernent le titre IV pour 90.000 francs .

Le chapitre concerné est le chapitre 46-01 (Subventions et interventions diverses) article 10 pour 40.000 francs et article 20 pour 50.000 francs.

III. MAJORATIONS DE CRÉDITS SUR LE TITRE V

Les majorations de crédits non reconductibles relatives au budget de la justice concernent le titre V pour 5,3 millions de francs .

Les chapitres concernés sont :

- le chapitre 57-51 (Conseil d'Etat. Cours administratives d'appel et tribunaux administratifs) article 10 pour 3 millions de francs en autorisations de programme et en crédits de paiement.

- le chapitre 57-60 (Equipement) article 40 pour 2,5 millions de francs en autorisations de programme et en crédits de paiement.

Réunie le mardi 16 novembre 1999, sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a procédé, à l' examen du rapport de M. Hubert Haenel, rapporteur spécial, sur les crédits de la justice pour 2000 et sur l'article 71 rattaché

Elle a décidé de proposer au Sénat d' adopter les crédits de la justice , l'article 71 rattaché sans modification et l' article additionnel après l'article 71 proposé par le rapporteur spécial.



1 la première catégorie correspond strictement à la constatation de la non occupation d'un poste budgétaire. La seconde prend en compte l'effectif réel de la juridiction, déduction faite des divers congés, mises à disposition et décharges d'activité.

2 Nom donné aux emplois-jeunes créés au ministère de la justice

3 Il convient de rappeler que l'indépendance des magistrats, réservée à la seule activité juridictionnelle, n'exclut pas tout contrôle administratif dès lors que celui-ci ne porte pas sur le fond des décisions.




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