AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le 14 octobre dernier, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi relative à la création d'un conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale dénommé CERC. Ce nouvel organisme se substituerait à l'actuel conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts (CSERC) lui-même mis en place par la loi quinquennale du 20 décembre 1993 afin de se substituer à l'ancien centre d'étude des revenus et des coûts (CERC).

I. DU CERC AU CSERC

Avant d'examiner sur le fond le texte qui nous est transmis, il apparaît utile de procéder à un bref rappel historique sur l'évolution du CERC de 1966 à 1993 puis sur la mise en place du CSERC à compter de cette date.

A. LE CERC DE 1966 À 1993

Le CERC, sous sa première forme, a été une institution originale et utile, mais qui appelait une rénovation de ses méthodes de travail.

1. Un organisme créé en conseil des ministres

Par décret n° 66-227 du 18 avril 1966 (cf. annexe 1) , signé par le Général de Gaulle, Président de la République, ainsi que par MM. Georges Pompidou, Premier ministre, Michel Debré, ministre de l'économie et des finances et Jean-Marcel Jeanneney, ministre des affaires sociales, a été créé le centre d'études des revenus et des coûts (CERC), dans une période où se développait une réflexion sur la politique des revenus à la suite de la grève des mineurs de 1963.

Le CERC est alors un centre autonome rattaché au commissariat général du Plan, disposant d'un rapporteur général et de deux rapporteurs adjoints placés sous la responsabilité d'un conseil composé de six à huit personnalités nommées pour quatre ans par décret en conseil des ministres, et choisies à raison de leur compétence et de leur expérience.

En 1976, M. Raymond Barre étant alors Premier ministre, un nouveau décret n° 76-913 du 7 octobre 1976 (cf. annexe 2) signé par le Président de la République, M. Valéry Giscard d'Estaing, apporte trois séries de modifications : les travaux du CERC peuvent dorénavant être publiés même sans autorisation du Gouvernement ; un rapport de synthèse périodique est institué sur l'évolution et la répartition des différents revenus par rapport à l'évolution économique d'ensemble ainsi que sur les écarts de revenus avant et après prélèvements ; enfin, le nombre de rapporteurs adjoints au CERC n'est plus limité comme c'était le cas depuis 1966.

De 1966 à 1993, le CERC va réaliser de nombreuses études, notamment des rapports conjoncturels sur l'évolution des revenus des Français, qui le conduiront d'ailleurs à mettre l'accent sur l'accroissement des inégalités dans la société française au début des années 80.

S'agissant des travaux du CERC, deux périodes peuvent être distinguées :

De 1966 à 1976, l'économie est marquée par une croissance forte et un taux d'inflation élevé : le rapport du Gouvernement annexé au décret de 1966 rappelle ainsi qu'au-delà des mouvements de revenus et des prix, le CERC devait " examiner les facteurs externes qui ont pu influencer les décisions et les comportements des responsables de secteur ou d'entreprise " et " permettre de mieux situer les origines des diverses tensions inflationnistes qui menacent en permanence une économie en forte progression ".

Le CERC public alors vingt-deux études orientées principalement vers les mécanismes de formation des prix et de répartition des fruits de la croissance, à travers les comptes de surplus de productivité. Il présente aussi des études sur les inégalités de revenus, notamment dans le secteur des professions non salariées moins bien connues qu'aujourd'hui, assorties de comparaisons internationales.

De 1967 à 1986, il existe également un conseil particulier, le " CERC participation ", chargé d'analyser l'application de l'ordonnance du 17 août 1967 instituant la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises.

La seconde période s'étend de 1976 à 1993. Les études spécifiques du CERC sont complétées par la publication d'une étude de synthèse des revenus, à intervalle de quatre ou cinq ans, la première étude étant parue en 1977. A partir de 1983, le CERC présente également un constat annuel de l'évolution des revenus en France.

Simultanément, le CERC va connaître une forte progression de ses effectifs : composé à peine d'une dizaine de personnes à l'origine, il compte, en 1993, 42 emplois budgétaires, dont 27 sur des emplois de chargés de mission et 15 sur des emplois de personnel administratif, sans compter de nombreux vacataires.

Evolution des effectifs budgétaires du CERC

PÉRIODE

EFFECTIFS

1967

10

1968

19

1696

21

1970-1971

24

1972

28

1973-1976

29

1977-1981

41

1982

44

1983

45

1984

44

1985-1993

43

1994

42

2. Une nécessaire démarche de renouveau

En 1993, un double diagnostic peut être porté sur le CERC.

Tout d'abord dans un contexte de crise, la réflexion sur les inégalités de revenus n'a pas de sens si elle est détachée de l'analyse des effets du ralentissement de la croissance et si elle ne débouche pas sur l'examen des conditions de la création d'emploi.

En d'autre termes, le CERC semblait parfois privilégier, dans ses études reprises par les médias, la question des inégalités de revenus, appréciée de façon statique, en abandonnant la réflexion sur les charges diverses qui pèsent sur les facteurs de production, notamment le travail.

Or, chacun sait que le poids des prélèvements peut avoir un impact négatif sur la croissance, et donc l'emploi, et générer à ce titre de nouvelles inégalités.

Le second élément du diagnostic portait sur l'alourdissement du CERC qui était devenu, non plus l'équipe légère des origines, mais une sorte d'institution où l'on faisait carrière au détriment du renouvellement des hommes et des idées. Ainsi, en 1993, la moitié des personnels affichait une ancienneté de plus de quinze ans dans l'institution.

Pyramide d'ancienneté au CERC

1 er décembre 1993

< 2 ans

2 à 5 ans

5 à 10 ans

10 à 15 ans

15 à 20 ans

20 à 25 ans

> 25 ans

TOTAL

Total cadres

6

6

1

3

10

6

0

32

Total non-cadres

1

2

0

4

3

5

1

16

Total général

7

8

1

7

13

11

1

48

Face à l'approfondissement de la crise économique à partir de 1991 , il importait que le CERC retrouve un rôle de " veilleur " dans le domaine des revenus, de l'emploi et des coûts, sans consacrer son énergie à la collecte directe de statistiques, mission dont l'INSEE, par exemple, s'acquitte fort bien.

La loi quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle est apparue comme un support adéquat pour montrer que le Parlement lui-même souhaitait soutenir le Gouvernement afin de donner une nouvelle impulsion au CERC, élargir le champ de ses missions et moderniser ses méthodes de travail, dans le respect du principe d'une indépendance toujours garantie.

C'est pourquoi, à l'initiative de votre commission des Affaires sociales, par la voix de notre excellent collègue M. Louis Souvet, rapporteur de la loi quinquennale, un amendement a été adopté, le 10 novembre 1993, en première lecture par le Sénat, puis repris dans le texte élaboré en commission mixte paritaire, afin de remplacer le CERC par un nouvel organisme, le conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts (CSERC).

Dans son rapport, M. Louis Souvet rappelait que les niveaux de vie et du bien-être économique ne s'appréciaient pas " seulement à partir de l'évolution des revenus des ménages mais aussi en fonction de perspectives d'emploi qui s'ouvraient aux actifs ".

Il précisait que le nouveau CSERC permettrait, en se substituant au CERC : " d'en moderniser les méthodes de travail et d'en réorganiser les missions, de lui assurer une plus grande indépendance et de permettre sa saisine par le Parlement ainsi que de régler les problèmes de personnels actuellement sans possibilité de promotion et de mobilité " 1 ( * ) .

B. LES CARACTÉRISTIQUES DE LA NOUVELLE FORMULE DU CSERC

1. Un véritable " conseil supérieur "

La mission du CSERC est plus large que celle de l'ancien CERC : il contribue non seulement à la connaissance des revenus et des coûts de production mais également à celle des revenus, des coûts de production et des liens entre l'emploi et les revenus .

De plus, il est chargé d'une fonction nouvelle de proposition , plus précisément de " faire des recommandations de nature à favoriser l'emploi ".

Il comprend neuf membres, nommés suivant une procédure définie par décret en Conseil d'Etat, le législateur ayant précisé que devaient être garanties " l'indépendance et la qualité des travaux du conseil " . Le décret n° 94-414 du 25 mai 1994 ( cf. annexe n° 4 ) a défini la composition et les modalités de fonctionnement du CSERC. Il prévoit ainsi que le commissaire général au Plan et le directeur de l'INSEE sont membres de droit du Conseil. Quatre membres sont désignés respectivement par le Conseil d'Etat, la Cour des comptes, le Conseil national de l'information statistique et le Conseil national des universités . Les six personnes ainsi désignées cooptent, en outre, trois personnalités qualifiées en raison de leur expérience.

Le CSERC n'est plus un " centre autonome " mais un conseil supérieur , c'est-à-dire un organisme léger, qui a vocation à évaluer les études existantes et à commander des travaux aux administrations de l'Etat plutôt que de les réaliser lui-même.

Au total, le CSERC ne comprend plus qu'un effectif de neuf personnes placées auprès des sept membres du conseil. La durée de présence des rapporteurs est limitée à trois ans, cette période pouvant être prolongée pour une durée qui ne peut dépasser un an. Ces rapporteurs sont désignés par le président du CSERC au sein de corps de fonctionnaires limitativement définis (fonctionnaires recrutés par la voie de l'ENA, administrateurs de l'INSEE ou recrutés par la voie de l'Ecole polytechnique, professeurs d'université, directeurs de recherche).

Ils sont placés sous l'autorité d'un rapporteur général nommé par arrêté du Premier ministre sur proposition du président du CSERC. Le mandat de rapporteur général est de trois ans, renouvelable une fois.

Les blocages de l'ancien CERC montraient qu'il était nécessaire que les rapporteurs ne restent pas en poste trop longtemps sauf à voir s'effilocher le réseau relationnel qu'ils avaient réussi à se constituer dans leur administration d'origine et à bloquer toute possibilité d'évolution des nouveaux recrutés.

Il est important de souligner que les personnels de l'ancien CERC ont été reclassés auprès du commissariat général du Plan, pour les personnels non cadres, et auprès de l'INSEE, pour les chargés de mission les personnels sous contrat à durée déterminée ont bénéficié de transfert de contrats.

Ces personnels ont été mis éventuellement à disposition auprès des organismes reprenant en charge les études antérieurement conduites et réalisées par le CERC, à savoir l'INSEE, la DARES et le SESI.

Ainsi, la revue Synthèses de l'INSEE présente régulièrement des travaux sur l'évolution des revenus et des patrimoines, l'évolution des salaires et des revenus non salariés ainsi que sur les revenus de transfert.

2. Une notoriété progressivement renforcée

Le contenu des travaux du CSERC ne peut être apprécié que sur une courte période puisque ces derniers n'ont commencé véritablement qu'en novembre 1994, date de nomination du président par le Premier ministre.

Six rapports ont été publiés, dont deux rapports qui dressent une analyse globale des évolutions de l'emploi et des revenus et quatre autres rapports à caractère thématique. Parmi ces derniers, le rapport intitulé " les minima sociaux entre protection et insertion " apporte des éléments de réflexion intéressants et novateurs sur les phénomènes de " trappe à pauvreté ".

L'audience des rapports du CSERC

TITRE

VENTES AU NUMÉRO

Inégalités d'emplois et de revenus. La Découverte, janvier 1996

835

Les allégements de charges sur les bas salaires. La Documentation française, juin 1996

329

Inégalités d'emploi et de revenus. Les années 90. La Documentation française, janvier 1997

1.401

Les minima sociaux. La Documentation française, octobre 1997

1.023

Durées du travail et emplois. La Documentation française, mai 1998

1.135

Le SMIC. La Documentation française, mai 1999

289

Source : CSERC.

L'audience des rapports du CERC peut s'apprécier à travers leur diffusion au numéro ; on peut noter avec M. Michel Dollé, le rapporteur général de cet organisme, que celle-ci tendait à s'améliorer après des débuts incertains.

Il reste que deux facteurs ont sans doute pu affaiblir à l'origine la notoriété du nouveau CSERC :

- tout d'abord, comme le souligne M. Michel Dollé, la transformation du CERC en CSERC a fait peser une sorte de " péché originel " sur les productions du nouvel organisme. L'existence de " CERC Association ", qui rassemble les personnels de l'ancien CERC et leurs amis, a pu évidemment contribué à faire peser un doute sur la légitimité des travaux du nouvel organisme ;

- ensuite, il apparaît que, du fait d'une présence insuffisante dans les médias, ni le président du CSERC, M. Pierre Cabanes, Conseiller d'Etat, ni les autres membres du conseil, ni le rapporteur général, n'ont réussi à se forger une image publique à une époque où, comme le fait remarquer M Jean-Michel Charpin, commissaire général au Plan, les médias sont réceptifs à une certaine personnalisation des débats dans un domaine où les sensibilités sont nombreuses à dialoguer et où les informations sont très diverses.

Pour autant le CSERC, qui travaillait sur des bases totalement nouvelles, est loin d'avoir démérité et semblait commencer à entrer dans un régime de croisière lorsque le Gouvernement a souhaité revenir en arrière.

* 1 Rapport n° 57 (1993-1994) fait au nom de la commission des Affaires sociales par MM. Louis Souvet et Jean Madelain, sur le projet de loi quinquennale adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle.

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