5. La procédure disciplinaire : la prison dans la prison
Participer contre sa volonté à une vie collective
constitue toute l'ambiguïté de la prison. L'existence même
d'une procédure disciplinaire, permettant de sanctionner un
détenu n'ayant pas respecté une ou plusieurs règles de la
vie en détention, est parfaitement fondée.
Mais des interrogations demeurent quant à l'organisation de cette
procédure disciplinaire, ainsi que sur les conditions de
détention au quartier disciplinaire, que la commission, au cours de ses
déplacements, a jugées souvent indignes.
a) La procédure disciplinaire : une trop grande latitude laissée à l'administration
Le
surveillant est à l'origine de la procédure disciplinaire.
Après enquête, le chef d'établissement décide de la
comparution en commission de discipline, ce qu'on appelait autrefois le
" prétoire " de la prison.
La commission a pu assister, à Fleury-Mérogis, à un
" prétoire ". Le détenu était accusé
d'avoir voulu se rendre, seul, au parloir avocats, alors qu'il s'agissait de
l'heure des visites, d'avoir tenu des propos peu amènes à
l'encontre d'un surveillant, et d'avoir eu un " geste " de mauvaise
humeur.
Dans une ancienne cellule reconditionnée, de dimension très
réduite, le détenu est face à un " tribunal "
composé d'un représentant de la direction de
l'établissement pénitentiaire, assumant le rôle de
président, d'un " représentant de l'accusation " et
d'un représentant du personnel de surveillance. Personne ne
" joue " le rôle d'avocat de la défense. Il doit assumer
ainsi seul sa défense, disposant de trois heures pour la
préparer, après avoir reçu une convocation comportant
l'exposé des faits qui lui sont reprochés.
Une adéquation irrégulière entre les infractions et les sanctions
L'article 726 du code de procédure pénale est le
fondement législatif du quartier disciplinaire : " Si quelque
détenu use de menaces, injures ou violences ou commet une infraction
à la discipline, il peut être enfermé seul dans une cellule
aménagée à cet effet ".
Le décret n° 96-287 du 2 avril 1996 a
" toiletté " les articles du code de procédure
pénale relatifs au régime disciplinaire.
Les articles D. 249, D. 249-1, D. 249-2 et D. 249-3
énumèrent les fautes disciplinaires, classées suivant leur
gravité, en trois degrés.
Les sanctions appliquées (article D. 251 du code de
procédure pénale) sont d'un degré variable :
- avertissement ;
- interdiction de recevoir des subsides pendant une période maximum
de deux mois ;
- privation pendant une période maximum de deux mois de la
faculté d'effectuer en cantine tout achat autre que l'achat de produits
d'hygiène, du nécessaire de correspondance et de tabac ;
- confinement en cellule individuelle ordinaire ;
- mise en cellule disciplinaire.
Mais ces sanctions peuvent être prononcées quelle que soit la
faute disciplinaire.
Seul le délai maximal de mise en cellule
disciplinaire varie : il est de quarante-cinq jours pour les fautes du
premier degré, trente jours pour les fautes du deuxième
degré, quinze jours pour une faute du troisième degré, les
mineurs de 16-18 ans disposant d'un régime
" allégé ".
En résumé, un détenu de plus de 18 ans peut faire quinze
jours de " mitard " pour une faute du troisième degré.
Par exemple : " jeter des détritus ou tout autre objet par les
fenêtres de l'établissement ", " communiquer
irrégulièrement avec un codétenu ou avec toute autre
personne extérieure à l'établissement "... Autant de
portes ouvertes -si l'on peut s'exprimer ainsi- à l'arbitraire
carcéral.
Juridiquement, les sanctions disciplinaires infligées aux détenus
étaient, en tant que mesures d'ordre intérieur, insusceptibles de
recours pour excès de pouvoir. La jurisprudence du Conseil d'Etat
" Marie " du 17 février 1995 a considéré que le
placement en quartier disciplinaire faisait échec à la
théorie traditionnelle des mesures d'ordre intérieur. Il reste
que ce " recours " est une arme plutôt théorique,
l'arrêt étant intervenu huit années après la
sanction infligée à M. Marie en 1987...
Le détenu est informé qu'il dispose de 15 jours, à compter
de la notification, pour saisir le directeur régional des services
pénitentiaires d'un recours hiérarchique non suspensif, contre la
décision de la commission de discipline. Ce recours hiérarchique
est un préalable obligatoire à tout recours contentieux
ultérieur.
La décision de la commission de discipline fait l'objet de cinq
liasses : la première à destination du détenu, la
seconde est classée dans le dossier du détenu. Le directeur
régional des services pénitentiaires, le magistrat saisi du
dossier de l'information et le juge de l'application des peines
reçoivent également un exemplaire.
La procédure disciplinaire suppose un contrôle de la direction de
l'établissement et des sanctions proportionnées aux fautes.
Votre commission a pu être intriguée, sur des exemples
précis portés à sa connaissance, par une certaine
disproportion entre la sanction et la faute commise. Les établissements
pénitentiaires objectaient alors que le détenu était un
" récidiviste ", et qu'il avait déjà
écopé de plusieurs " condamnations " avec sursis.
Elle a constaté que le nombre de punitions de quartier disciplinaire
était très élevé. Il représente parfois la
moitié du nombre total de sanctions.
Par exemple, à la maison d'arrêt de Bois d'Arcy, 581 sanctions de
quartier disciplinaire ont été prononcées en 1999, contre
132 pour les autres sanctions.
En réalité, dans certains établissements, la
procédure disciplinaire apparaît comme une opération de
" communication interne ", les surveillants obtenant -dans la plupart
des cas- gain de cause. La direction se garde de désavouer un
surveillant vis-à-vis des détenus, ce qui fait effectivement
mauvais effet. Elle peut difficilement être un juge impartial.
La prison de Château-Thierry, dont les effectifs ont fortement
chuté du fait des circonstances climatiques de décembre dernier,
n'a appliqué qu'à deux reprises la procédure du quartier
disciplinaire, en l'espace de cinq mois.
Qui dit surpopulation dit davantage
de violence... et donc davantage de " mitard ".