III. DES CONTRÔLES NOMBREUX ET VARIÉS, MAIS MAL EXERCÉS
L'une
des missions de la commission d'enquête consistait à s'assurer de
"
l'étendue et de l'effectivité des contrôles
relevant des autorités judiciaires et administratives
".
Au cours des travaux de la commission, l'absence d'une instance
indépendante spécialisée dans le contrôle des
établissements pénitentiaires a été
évoquée avec insistance. Rappelons que des recommandations
émanant du Conseil de l'Europe ou de l'Organisation des Nations-unies
invitent à la mise en place d'autorités de contrôle
extérieures à l'administration pénitentiaire.
La question du contrôle des établissements pénitentiaires
est complexe. Nombre de personnes entendues par la commission d'enquête
ont insisté sur le fait qu'entrer en prison ne suffisait pas pour
prétendre exercer un contrôle : "
(...) le fait de
pénétrer dans une prison ne permet pas nécessairement de
savoir ce qu'il s'y passe. Une visite est insuffisante et il faut un certain
professionnalisme pour aller au-delà d'une vision superficielle, pour
savoir ce qui se passe en prison
" (audition de
M. Guy Canivet). "
En traversant un établissement
pénitentiaire, il est très difficile de savoir comment la vie y
est vécue collectivement et d'en connaître les souffrances
individuelles
" (audition de M. Jean-Jacques Dupeyroux).
Avant de formuler des propositions, votre commission d'enquête a
souhaité dresser un état des lieux des contrôles existants,
conformément à la mission qui lui a été
confiée par le Sénat. Au terme des travaux de la commission, il
apparaît que les contrôles prévus sont nombreux,
variés, mais qu'ils sont à peu près dépourvus
d'effets, soit parce qu'ils ne sont pas exercés, soit parce qu'ils sont
exercés de manière trop formelle, soit encore parce que
l'habitude a été prise de faire preuve de beaucoup moins de
rigueur -notamment en ce qui concerne l'hygiène et la
sécurité- dans le contrôle des établissements
pénitentiaires que dans celui des autres établissements recevant
du public. Le bilan en matière de contrôles est clairement
accablant.
A. UN CONTRÔLE INTERNE QUI TROUVE RAPIDEMENT SES LIMITES
Le
contrôle des établissements pénitentiaires relève au
premier chef de l'administration pénitentiaire et du ministère de
la justice.
Ainsi, les neuf directions régionales des services
pénitentiaires, ainsi que la mission des services pénitentiaires
de l'outre-mer assurent
un contrôle hiérarchique
sur
l'ensemble des établissements pénitentiaires, et ont notamment un
rôle d'inspection. En pratique, les directions régionales ne
disposent pas de services d'inspection et le contrôle consiste en des
visites occasionnelles des directeurs régionaux et de leurs adjoints
dans les établissements pénitentiaires.
Dans ces conditions, le contrôle interne est pour l'essentiel le fait de
l'inspection des services pénitentiaires et de l'inspection
générale des services judiciaires.
1. L'inspection des services pénitentiaires
La
direction de l'administration pénitentiaire dispose d'une
inspection
des services pénitentiaires
qui effectue régulièrement
des missions de contrôle dans les établissements. La commission
d'enquête a entendu le chef de cette inspection, M. Philippe Maitre,
magistrat mis à disposition de la direction de l'administration
pénitentiaire. Cette inspection a pour mission de contrôler les
services déconcentrés de l'administration pénitentiaire,
soit 187 établissements pénitentiaires, 100 services
pénitentiaires d'insertion et de probation et 9 directions
régionales des services pénitentiaires.
Pour assurer cette mission, l'inspection des services pénitentiaires
dispose de cinq inspecteurs choisis parmi les cadres pénitentiaires de
haut niveau. Toute inspection doit être faite par deux inspecteurs. Dans
le même temps, une équipe de deux inspecteurs doit rester en
permanence au siège de l'administration pénitentiaire pour un
départ en cas d'événement grave et urgent. Dans ces
conditions,
l'inspection des services pénitentiaires ne peut mener
qu'un nombre limité d'inspections chaque année et ce, d'autant
plus que l'inspection proprement dite n'est pas la tâche unique de cet
organe
.
Devant la commission d'enquête, M. Philippe Maitre a observé
que l'affaire de Beauvais, découverte très tardivement, a
nécessité "
quatre mois de travail pour deux inspecteurs
pour aboutir à la rédaction du rapport dans une forme telle qu'il
pouvait être porté, dans le respect des garanties des droits des
personnes mises en cause, personnel pénitentiaire, devant le conseil de
discipline de l'administration pénitentiaire
".
En outre, comme l'a noté M. Maitre, "
d'autres tâches
sont dévolues à l'inspection des services pénitentiaires,
dont une très importante et grande consommatrice de temps : le
conseil technique du directeur de l'administration
pénitentiaire
".
Il faut noter qu'actuellement, seuls trois des cinq postes d'inspecteurs au
sein de l'inspection des services pénitentiaires sont effectivement
occupés. Or, depuis deux ans, l'inspection générale des
services judiciaires a vu ses effectifs passer de treize à vingt-trois
membres et l'inspection de la protection judiciaire de la jeunesse, qui ne
comptait que deux agents, en compte désormais six.
L'efficacité de l'inspection des services pénitentiaires dans un
tel contexte ne peut qu'être limitée. Devant la commission
d'enquête, Mme Martine Viallet, directrice de l'administration
pénitentiaire, a fait part de sa volonté d'augmenter les
effectifs de l'inspection, mais il semble qu'un tel renforcement ne soit pas
aisé à accomplir. Le corps des directeurs des
établissements pénitentiaires est en effet un corps peu nombreux
et la direction des grands établissements implique des personnels de
haut niveau et expérimentés, qui peuvent donc difficilement
être affectés à l'inspection des services.
En outre, l'efficacité de cet organe apparaît limitée.
Si son action est indispensable pour le déroulement des
procédures disciplinaires, il est fort rare que l'inspection soit
elle-même à l'origine de la découverte de
dysfonctionnements graves.
Il apparaît très clairement que les inspections internes ne
sauraient faire office à elles seules de contrôle des
établissements pénitentiaires. Lucidement, le chef de
l'inspection a reconnu devant la commission d'enquête : "
On
ne peut pas laisser une telle administration, même si les personnels qui
y travaillent ont beaucoup de mérite, se contrôler elle-même
en toutes circonstances, en tout temps et en tout lieu (...) Que nous le
voulions ou non, nous sommes perçus comme un service de
l'administration
".