2. Des obligations peu ou pas remplies

Au cours de l'audition par la commission d'enquête de Mme Elisabeth Guigou, Garde des sceaux, notre excellent collègue M. Robert Badinter s'est interrogé, en ces termes sur le contrôle des établissements pénitentiaires par les magistrats : " je suis arrivé à la conviction que le premier problème est la permanence de l'ouverture aux contrôles extérieurs (...). Vous connaissez comme moi les quatre articles D. 176 à D. 180 du code de procédure pénale (...). Ces quatre articles sont très précis ; ils mentionnent des obligations (...). Il y a tout un système très cohérent, pas très pesant, mais qui implique la présence de magistrats dans la prison. Je ne parle pas du juge de l'application des peines qui, par définition, y est très souvent. Mais les autres devraient y aller. Tout cela fait l'objet de rapports. Ces rapports existent-ils ? Que fait-on de cette littérature ?

" Quand je lis -à notre humiliation commune- les rapports internationaux sur les Baumettes, sur Lyon, sur les prisons de Paris, je me dis que ce n'est pas possible. Où sont les rapports de nos magistrats sur ces établissements ? Que contiennent-ils ? Rien ? S'ils contiennent quelque chose, qu'est-ce qu'il advient ? Rien ! (...)

" Véritablement, comment ne pas s'interroger sur une prise de conscience suffisante de la part de la magistrature en ce lieu ? C'est une question qui n'a rien de vexatoire pour quiconque, mais qui est une question première ".

Votre commission d'enquête a naturellement souhaité en savoir davantage sur la manière dont sont exercées leurs prérogatives par les magistrats. Les informations recueillies démontrent qu'il existe un fossé préoccupant entre les prescriptions légales ou réglementaires et la réalité.

a) Les visites des magistrats

Les dispositions du code de procédure pénale relatives aux visites de magistrats dans les établissements pénitentiaires paraissent appliquées de manière très variable selon les catégories de magistrats concernés.

Les juges de l'application des peines sont naturellement fortement impliqués dans la vie des établissements compte tenu du rôle qui est le leur. Ainsi, ils doivent être informés de tout incident relatif à un condamné, de tout transfert d'un condamné dans un autre établissement. Le règlement intérieur leur est soumis pour avis. Toutefois, il n'est guère aisé pour ces magistrats d'effectuer un véritable contrôle des établissements puisqu'ils ne sont que 177 et sont responsables de 30.000  personnes en milieu fermé et de plus de 100.000 personnes en milieu ouvert.

Dans ces conditions, même s'ils sont fortement présents dans les établissements, tous les juges de l'application des peines n'effectuent pas la visite mensuelle destinée à vérifier les conditions dans lesquelles les condamnés exécutent leur peine.

Les procureurs de la République et les procureurs généraux ne semblent pas effectuer régulièrement les visites prévues par le code de procédure pénale. Lors des auditions organisées par la commission d'enquête à Marseille, il est apparu que les magistrats du parquet n'effectuaient pas les visites trimestrielles prévues par le code de procédure pénale. Cette situation semble prévaloir dans de nombreux ressorts.

En revanche, au cours de son audition par la commission d'enquête, M. Jean-Pierre Dintilhac, procureur près le tribunal de grande instance de Paris a indiqué qu'une fois par trimestre un magistrat du parquet procédait à la visite de la prison de la Santé. Il a en outre souligné qu'il avait proposé à la commission de surveillance de constituer un groupe permanent ayant pour mission de se rendre une fois par trimestre à la maison d'arrêt sur un thème précis. Ce groupe s'est rendu quatre fois à la maison d'arrêt entre juin 1999 et mars 2000 pour entendre les représentants des organisations professionnelles, contrôler le circuit du petit déjeuner, contrôler le circuit de préparation et de distribution du déjeuner, enfin contrôler le circuit de distribution du dîner.

Les magistrats instructeurs semblent ne se rendre que de manière exceptionnelle dans les maisons d'arrêt, ce qui paraît totalement anormal, s'agissant des magistrats jusqu'à présent compétents pour ordonner le placement en détention provisoire.

Au cours d'un de ses déplacements, la commission d'enquête a entendu un vice-président chargé de l'instruction déclarer qu'il ne s'était jamais rendu dans la maison d'arrêt du ressort et qu'il ne voyait guère ce qu'il pourrait y faire...

Cette désinvolture n'est pas partagée par l'ensemble des magistrats instructeurs. Devant la commission d'enquête, les représentants de l'Association française des magistrats instructeurs ont convenu de l'intérêt pour le magistrat instructeur de se rendre en détention : " (...) il serait normal que nous visitions les maisons d'arrêt en général bien plus souvent que nous ne le faisons. Il faut bien le reconnaître, nous ne le faisons pas assez. Nous sommes chacun surchargés. Il y a les distances, les complications, etc. Ce ne sont pas des excuses valables, je le reconnais. Il faudrait vraiment que l'on remédie à cela et que nous mettions un peu plus souvent les pieds là-bas, ne serait-ce que pour que les contacts avec les directeurs, les gardiens se fassent autrement que par téléphone, ce qui est peut-être parfois un peu tendu ".

Enfin, les présidents de chambre d'accusation ne se rendent apparemment presque jamais dans les maisons d'arrêt du ressort de la cour d'appel. Au cours de son audition, Mme Elisabeth Guigou a ainsi déclaré : " Les visites des présidents de chambre d'accusation sont très rares (...). Le président de la chambre d'accusation de Paris (...) s'est rendu il y a un mois à la prison de la Santé. Il a fait libérer sur le champ un détenu qui était là depuis très longtemps, près de deux ans, et dont le dossier n'avait pas évolué. Mais c'est la première fois depuis dix ans que l'on fait cela . "

Il faut naturellement se féliciter d'une telle initiative. On ne peut toutefois que se demander, à la lecture de cet exemple, combien de prévenus auraient pu eux aussi voir s'achever ce qui est peut-être la pire des épreuves, si les présidents de chambre d'accusation avaient régulièrement effectué les visites prévues.

Il apparaît clairement que les visites de magistrats dans les établissements pénitentiaires ne sont pas effectuées dans les conditions prévues par le code de procédure pénale.

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