2. Une grande efficacité, mais des relais insuffisants
Tout
démontre que le contrôle exercé par le CPT est d'une grande
efficacité. En ce qui concerne la France, le CPT y a effectué des
visites en 1991 (Baumettes, Nice, Clairvaux), 1994 (centre pénitentiaire
de Fort-de-France), 1996 (la Santé, Villeneuve-les-Maguelonne, CJD de
Fleury-Mérogis et visite de suivi aux Baumettes) et 2000.
Ce contrôle est exercé avec le plus grand sérieux et donne
lieu à des rapports très complets qui, peut-être, ne sont
pas assez lus.
A titre d'exemple, il est possible de comparer un extrait du récent
livre du docteur Vasseur avec le rapport du CPT sur la maison d'arrêt de
la Santé.
Extrait de " Médecin chef à la prison de
la
Santé "
de Véronique Vasseur
" La journée est bien tranquille. C'est dimanche
et j'en
profite pour déambuler dans la Santé. Je découvre d'abord
des murs écaillés, des chasses d'eau qui fuient, couvertes de
mousse, des détritus par terre, des fientes de pigeon, des plumes, des
milliers de pelures d'orange pendues aux barreaux pour masquer les effluves des
W.-C. à l'intérieur des cellules...
" Les cellules font dix mètres carrés et demi et accueillent
trois ou quatre détenus. Les murs sont de couleur papier kraft avec une
petite ampoule de 60 watts, à trois mètres du sol. Ils suintent
de salpêtre. La fenêtre est minuscule et aucun air ne circule. Les
carreaux cassés ne sont pas changés, le W.-C. collectif n'a
même pas de paravent et on s'étonne qu'ils soient tous
constipés. Essayez de déféquer devant trois
inconnus ! La vermine envahit les matelas.
" Un jour, alors que j'étais devenue médecin-chef, un
détenu m'a apporté un petit pot de vermine pour me faire
comprendre l'état d'hygiène où on les faisait vivre. J'ai
donc rassemblé des petits pots normalement destinés aux analyses
d'urine et je les ai donnés aux détenus pour qu'ils me mettent de
la vermine dedans. Quand j'en ai eu une certaine quantité, j'ai
envoyé ces petits pots au directeur. Grâce à ça,
tous les matelas ont été changés ! (...)
" Excursion dans les sous-sols. Un véritable labyrinthe. Là,
d'énormes rats détalent, une odeur d'égout
écoeurante. Je vais voir l'endroit où aurait été
tourné
Le trou
de Becker. Des dédales de couloirs et une
lumière glauque, qui éclaire d'énormes toiles
d'araignées de deux mètres de haut. Plus loin, entassées,
des rangées de lavabos, de toilettes, d'armoires, de chasses d'eau. La
chaudière, pour cet immense paquebot, est une véritable usine
à elle toute seule, un Beaubourg en plus petit. "
Extrait du rapport du CPT
relatif à la visite
effectuée en France
du 6 au 18 octobre 1996
(maison d'arrêt
de la Santé)
" Le quartier haut était composé de quatre
divisions (A, B, C, D) qui regroupaient la plus grande majorité de la
population carcérale, y compris la quasi-intégralité des
détenus étrangers. Les cellules des quatre divisions
étaient généralement de dimensions similaires, quelque peu
supérieures à 13 m
2
. Elles étaient
prévues pour héberger de deux à quatre occupants. De
l'avis du CPT, des cellules de cette taille ne devraient pas héberger
plus de trois personnes.
" A la Division A (hébergement des ressortissants étrangers
d'Europe de l'Ouest et des détenus travailleurs), les conditions
matérielles de détention étaient correctes.
Déjà rénovée dans les années 1980, cette
division connaissait lors de la visite des travaux de remise en état des
cellules. Toutefois, il convient de noter que les toilettes n'étaient
que partiellement cloisonnées par un muret, ce qui est loin d'être
satisfaisant pour les cellules collectives.
" Quant aux Divisions B, C et D, les cellules étaient dans un
état de dégradation très avancé, comme les
bâtiments mêmes dont le gros oeuvre était attaqué.
Leur équipement était à l'identique (lits vétustes,
matelas / couvertures sales et usées). En particulier, le lavabo et les
toilettes des cellules (camouflés derrière un rideau de fortune)
étaient délabrés et insalubres -sans même
évoquer l'odeur se dégageant des toilettes.
" En outre, les cellules étaient infestées par des poux et
d'autres vermines ; la présence de rongeurs n'était pas non
plus exceptionnelle. C'était là une plaie contre laquelle
l'établissement avait beaucoup de mal à lutter ; le
problème des rongeurs, en effet, était aigu dans l'arrondissement
de Paris où se situe la maison d'arrêt. Quant aux douches
desservant ces divisions, la situation n'était guère meilleure,
en dépit de certains travaux ponctuels. A leur état de
dégradation et d'insalubrité, s'ajoutait celui de leur
saleté.
" En résumé, les conditions matérielles de
détention dans les divisions B, C et D étaient misérables
et comportaient des risques pour la santé des détenus.
" Dans l'ensemble de l'établissement, les dispositions prises pour
permettre aux détenus d'assurer la propreté de leur cellule et
leur hygiène corporelle n'étaient pas satisfaisantes. Les
produits nécessaires à l'entretien des cellules n'étaient
pas fournis. En outre, les produits d'hygiène corporelle de base
n'étaient disponibles qu'en quantité insuffisante. Les
détenus se voyaient contraints de cantiner pour ces objets, et ceux qui
étaient sans ressources devaient compter sur les autres détenus.
A cet égard, le directeur de l'établissement a indiqué
vouloir faire figurer cette question parmi les priorités de fin
d'année.
" De plus, comme à Marseille, de nombreux détenus devaient
laver leur linge en cellule ou dans les douches. Quant à l'accès
aux douches, celui-ci était prévu deux fois par semaine et les
détenus travailleurs y avaient accès tous les soirs. Le CPT
comprend que, compte tenu de la faiblesse des infrastructures sanitaires et la
capacité limitée en eau de l'établissement, une
augmentation de la fréquence des douches n'est pas envisageable pour la
population carcérale en général. Toutefois, il
considère que, eu également égard aux conditions
d'hygiène très précaires prévalant dans certaines
divisions de l'établissement, des efforts particuliers devraient
être faits pour que les détenus puissent se présenter dans
un état préservant la dignité humaine lorsqu'ils sont
convoqués devant un magistrat. "
La visite du CPT a eu lieu plus de trois ans avant la publication du livre
du Dr Vasseur. Le rapport n'a pas suscité la moindre émotion
collective alors qu'il présentait très clairement une
réalité aujourd'hui connue de tous.
Au cours de son audition par la commission d'enquête, M. Philippe
Maitre, chef de l'inspection des services pénitentiaires a
souligné tout l'intérêt du contrôle exercé par
le CPT : "
Un exemple précis : à
Fleury-Mérogis, le comité de prévention contre la torture
et les traitements inhumains a détecté en quelques heures
l'affaire grave, très grave des " travestis de
Fleury-Mérogis ", avec relations sexuelles entre quelques
surveillants, rares, et un certain nombre de détenus travestis. Ce
comité a découvert ce dysfonctionnement en quelques heures. Si
l'inspection des services pénitentiaires était passée dans
cet établissement, je suis persuadé que nous n'aurions pas eu le
même résultat aussi vite. Que nous le voulions ou non, nous sommes
perçus comme un service de l'administration
".
Le contrôle du CPT est donc très efficace en ce qui concerne sa
capacité à détecter les dysfonctionnements, à
percevoir très rapidement les difficultés principales d'un
établissement.
En revanche, le suivi des recommandations formulées est beaucoup plus
difficile. M. Ivan Zakine, ancien président du CPT, s'est ainsi
exprimé devant votre commission d'enquête : "
Cela
étant dit, à quoi servent des organes de contrôle externe
si le Gouvernement visité ne tire pas les enseignements à partir
de leurs conclusions ? Celles-ci sont-elles uniquement vouées
à rester dans un tiroir, les responsables étant soulagés
de ne pas s'en sortir trop mal, sans sanctions majeures appelées
" déclarations publiques
"
? "
Deux exemples permettent d'illustrer ce propos. En 1996, le CPT a
effectué une visite de suivi à la maison d'arrêt des
Baumettes. A propos du bâtiment D, construit en 1989, le CPT a
noté que "
des dégradations commençaient à
être visibles (par exemple, infiltration d'eau)
". Dans ses
réponses, le Gouvernement français a noté que
"
les malfaçons relevées dans la construction du
bâtiment D font l'objet d'un contentieux avec le constructeur
".
Au cours d'une visite accomplie trois ans plus tard, en novembre 1999, une
délégation de la commission des Lois du Sénat a
constaté qu'aucune réparation n'était intervenue et que le
quartier disciplinaire avait été inondé quelques jours
plus tôt à cause des malfaçons. En avril 2000, lors de la
visite de votre commission d'enquête, la situation n'avait toujours pas
évolué, compte tenu du contentieux avec le constructeur.
Par ailleurs, lors de sa visite à la maison d'arrêt de Nice, en
1991, le CPT avait notamment formulé l'observation suivante :
"
(...) les cours de promenade (dénommées les
" cages à lions ") mesurent environ 10 m x 10 m et sont
dépourvues de visibilité horizontale. Celles-ci sont
utilisées parfois par une cinquantaine de détenus
simultanément. L'accès au terrain de sport n'est admis, dans le
meilleur des cas, qu'une à deux fois par semaine
".
Neuf ans plus tard, la situation n'a évolué qu'à la marge
comme l'a constaté votre commission d'enquête : "
les
cours de promenade exiguës accueillent chacune une vingtaine de
détenus. Ce manque d'espace est encore aggravé par la
nécessité de séparer les " pointeurs " des
autres détenus lors des promenades (...). Les parloirs sont exigus, le
terrain de sport bétonné est surutilisé (lorsque la
délégation a visité la maison d'arrêt, les
détenus jouaient simultanément au tennis, au football et au
basket).
"
Ce constat démontre que le contrôle du CPT, dont l'utilité
est absolument incontestable, ne saurait suffire pour améliorer les
conditions de détention. Comme l'a indiqué M. Ivan Zakine
devant la commission, "
à nos yeux, le Comité
européen est là pour tirer les sonnettes d'alarme. Aux
gouvernements à prendre le relais pour mettre en oeuvre, aux organes
nationaux, gouvernementaux ou non gouvernementaux, à rester
vigilants
".
Le président du CPT en a conclu qu'un organe national de contrôle
devrait être créé : "
Le relais doit
être pris. Le Comité européen qui dispose de pouvoirs
très importants et redoutables à l'égard du pays, ne doit
pas apparaître comme une sorte d'alibi ou de bonne conscience (...). Il
faut que la pression soit constante, que l'influence ou le lobbying se fassent
en permanence (...). Que nous n'ayons pas en France l'idée, le courage
ou la volonté politique d'instituer un comité national de
contrôle des établissements pénitentiaires me paraît
regrettable !
".