F. L'IMPORTANCE ET LES LIMITES DES REGARDS EXTÉRIEURS
En
prison, indépendamment des formes institutionnalisées de
contrôles, tous les regards extérieurs ont une grande importance.
La prison ne peut changer que si elle est placée sous le regard des
citoyens.
Cette nécessité a été admirablement
rappelée par maître Henri Leclerc, président de la Ligue
des droits de l'homme : "
La société ne doit pas
refuser de voir ces lieux ; elle doit les voir, non pas par les
commissions qui vont périodiquement les visiter et n'y voient rien, mais
en y laissant entrer les journalistes en permanence. Il n'y a pas de raison de
bloquer la prison : les citoyens doivent pouvoir voir ce qui s'y passe, il
faut que la prison soit ouverte sur la société (...). La
société doit prendre en charge la prison
".
Assurément, les établissements pénitentiaires sont
aujourd'hui beaucoup plus ouverts que par le passé. Comme l'indiquait le
Garde des sceaux devant la commission d'enquête,
"
quotidiennement, plus de 30.000 personnes entrent dans les
prisons ; ce sont des intervenants de toutes sortes : visiteurs,
enseignants, concessionnaires de travail et fournisseurs
".
M. Jean-Jacques Dupeyroux, visiteur de prison, voit dans cette ouverture
des établissements pénitentiaires la meilleure solution en
matière de contrôle : "
Avec la transparence, nous
n'aurions pas eu besoin de nous creuser la tête, en commission Canivet,
pour trouver des formes de contrôle de l'extérieur. Cela irait de
soi
".
La commission d'enquête a pu rencontrer un grand nombre de ceux qui
pénètrent désormais régulièrement en prison,
qu'il s'agisse de responsables d'associations, d'aumôniers, de personnels
médicaux... Il est tout à fait clair que cette ouverture
progressive des établissements pénitentiaires modifie le climat
au sein de ceux-ci et contribue à améliorer les conditions de
détention. C'est pourquoi tous les regards extérieurs doivent
être encouragés.
En revanche, il n'est pas certain que cette transparence puisse faire office de
contrôle extérieur des établissements. Ainsi,
Mme Catherine Erhel, présidente de l'Observatoire international des
prisons, a évoqué en ces termes les intervenants
extérieurs en prison : "
soit ils ne voient rien, soit ils
se sentent astreints à un devoir de réserve, même s'ils ne
l'ont pas. De toute manière, ils ont quelque raison : les gens qui
ont parlé en prison sont sanctionnés et soumis à de
très rudes pressions. Nous avons encore le cas d'un médecin de
Villefranche qui subit des mesures de représailles pour avoir
parlé, notamment à l'occasion d'un suicide : il avait
signé un avis défavorable au maintien de ce détenu au
quartier disciplinaire. Il est difficile pour les intervenants de
parler
".
De fait, la plupart des intervenants dans les prisons
bénéficient d'un agrément qui peut aisément
être retiré sans formalité particulière. De sorte
que certains peuvent être déchirés entre leur
volonté de dénoncer des dysfonctionnements et leur crainte de
devoir renoncer à toute action en établissement
pénitentiaire.
En outre, certains dysfonctionnements peuvent perdurer pendant des
années, sans que quiconque parle, soit par ignorance, soit par crainte.
La commission d'enquête a pu consulter le rapport de l'inspection des
services pénitentiaires relatif aux événements survenus
à la maison d'arrêt de Beauvais. Il est tout à fait
symptomatique que des comportements gravissimes aient pu se poursuivre pendant
des années sans remarques particulières des personnes
extérieures à l'établissement le fréquentant
régulièrement.
Dans ce contexte, l'Observatoire international des prisons joue un rôle
tout à fait original, en recueillant, grâce à des antennes
installées auprès de nombreux établissements, des
informations susceptibles d'être diffusées dans ses publications,
en particulier sa revue " Dedans-dehors ". L'Observatoire
international des prisons joue un rôle d'alerte tout à fait utile
et bénéficie désormais d'une crédibilité qui
ne peut que renforcer l'intérêt porté à ses
réflexions.
Malgré les difficultés, l'ouverture croissante des prisons est
l'une des clés de leur évolution. A cet égard, la France
connaît un certain retard par rapport à d'autres pays, comme l'a
noté Mme Claude Faugeron devant votre commission
d'enquête : "
Les comités de visiteurs ont eu un
rôle beaucoup plus important dans la tradition anglo-saxonne où
les associations et les bénévoles sont beaucoup plus
impliqués qu'en France. Dans les pays de tradition anglo-saxon et dans
l'Europe du Nord existe une tradition de prise en charge des problèmes
par le bénévolat. Ce que nous n'avons pas en France, pour les
problèmes pénitentiaires en tout cas
".
Peut-être, l'éclairage brutal porté sur les
établissements pénitentiaires au cours des derniers mois
permettra-t-il de susciter un intérêt plus important des citoyens,
afin, conformément au voeu de maître Henri Leclerc, que la
société prenne en charge les prisons.