C. L'INCONNUE « CTE »
Mesure
phare de la loi d'orientation agricole de juillet 1999, le Contrat Territorial
d'Exploitation (CTE) est un contrat signé entre le préfet et
l'agriculteur pour une période de cinq ans et qui comporte deux
volets : un volet socio-économique et un volet environnemental et
territorial. Le CTE vise à passer d'un système d'aides
forfaitaires et automatiques à une politique d'engagement contractuel
entre les agriculteurs et l'Etat, afin de mettre en oeuvre une agriculture aux
orientations définies par des cahiers des charges nationaux et
départementaux (services, environnement, territoire, productions de
qualité plutôt que productions de masse).
Dans son rapport spécial sur le budget de l'agriculture et de la
pêche pour 2001, votre rapporteur spécial avait dressé un
bilan très critique de la mise en oeuvre du dispositif
« CTE ».
Cette année, votre rapporteur spécial se doit de constater les
progrès, quantitatifs notamment, qui ont été
réalisés dans ce domaine mais il reste persuadé que ce
dispositif est encore perfectible s'il veut devenir un véritable outil
au service des agriculteurs.
1. Le démarrage manqué des CTE
La
finalité des CTE consiste à inciter les exploitants agricoles,
par le biais d'une modification des aides publiques, à développer
un projet économique global qui intègre les nouvelles fonctions
(économique, environnementale et sociale) de l'agriculture. Fondé
sur la reconnaissance de la multifonctionnalité de l'activité
agricole, le CTE repose sur une démarche contractuelle.
En 1999
, une ligne budgétaire spécifique leur a
été consacrée avec la création du fonds de
financement des CTE, doté de 300 millions de francs. Un financement de
150 millions de francs de crédits européens est venu s'ajouter
à ce fonds, soit un total de 450 millions de francs de crédits en
1999 pour la première année de fonctionnement des CTE.
En 2000,
la dotation du fonds de financement a été
portée à 950 millions de francs, augmentation due
principalement à des redéploiements de crédits. A cette
dotation budgétaire se sont ajoutés des crédits
communautaires issus de la modulation des aides, soit un total de 1,8 milliards
de francs.
En 2001, la dotation du FFCTE avait été ramené à
60,9 millions d'euros (400 millions de francs) en raison de l'adaptation de
lcette dotation au rythme de montée en puissance du dispositif et de son
impact sur le niveau des dépenses correspondantes.
L'objectif du ministère était de conclure 50 000 CTE d'ici la
fin 2000 et d'atteindre le chiffre de 100 000 CTE conclus en 2002 et
in
fine
de 205 000 d'ici à 2006. Pourtant, fin 2000, un constat
d'échec s'était imposé avec guère plus de 1400
CTE
signés par les agriculteurs et environ 2000 ayant reçu un
avis favorable des commissions départementales d'orientation de
l'agriculture (CDOA).
Les raisons expliquant cet échec ont été analysées
par votre rapporteur spécial dans son rapport pour 2001 qui avait
insisté sur la complexité et le manque de lisibilité de la
procédure administrative accompagnant la conclusion d'un CTE ainsi que
sur le mode de financement contesté de ce dispositif.
2. Une montée en puissance certaine du dispositif
Les
chiffres relatifs aux CTE sont cette année plus encourageants que les
années précédentes.
D'après le ministère de l'agriculture et de la pêche, au 30
octobre 2001, 19.035 contrats avaient reçus un avis favorable des CDOA
et près de 14.500 CTE avaient été signés. En outre,
le rythme de validation est actuellement, selon le ministère, de l'ordre
de 2.000 nouveaux contrats tous les mois.
L'analyse fournie par le ministère met également en
évidence les principaux constats suivants :
- les exploitations ayant contractualisé un CTE couvrent , à ce
jour, une surface agricole utile totale de plus de 1 million d'hectares soumise
au respect des « bonnes pratiques agricoles » ; les
parcelles engagées dans un cahier des charges environnemental
représentent 62 % de cette surface ;
- chaque contrat a une durée de cinq ans ; au cours de cette
période le montant moyen versé par exploitant est de 26.676,58
euros (175.000 francs), en outre les aides annuelles agro-environnementales
représentent 72 % du montant moyen d'un contrat ;
- le bénéficiaire d'un CTE s'engage à maintenir l'emploi
salarié et non salarié pendant au minimum les deux
premières années de son contrat, par ailleurs une majoration des
aides lui est accordée lorsque le contrat donne lieu à une
création d'emploi. L'analyse par le ministère des 14.100 premiers
contrats signés montre que 934 emplois ont été
créés, dont 697 emplois salariés (75 %) et 238 emplois non
salariés (25 %) ;
- plus de la moitié des contrats ont été signés par
des éleveurs : l'exploitation type ayant contractualisé un
CTE est une exploitation d'élevage de 72 hectares ;
- 46 % des aides aux investissements vont à l'amélioration de la
qualité et des performances environnementales des exploitations ;
- 13 % des contractants CTE ont adopté un mode de production dit
« biologique », les CTE proposant en effet depuis le mois
de novembre 1999 une aide à la conversion (totale ou partielle) en
agriculture biologique ;
- les CTE collectifs se sont développés et représentent un
peu moins de 10 % du total des signatures.
Votre rapporteur ne peut constater la montée en puissance réelle
du dispositif puisqu'on estime que d'ici la fin de l'année 2001,
près de 20.000 CTE auront été signés.
Cependant, il ne peut s'empêcher de rappeler l'objectif initial du
gouvernement qui était de 50.000 CTE d'ici la fin 2000 et 100.000 CTE
d'ici la fin 2002.
La dotation du FFCTE pour 2002 traduit le développement de cet outil
puisqu'elle s'élève à 76,2 millions d'euros, contre 61
millions d'euros en 2001 soit une hausse de 25 %. Ces orientations
budgétaires semblent toutefois très optimistes à votre
rapporteur spécial puisque compte tenu du montant moyen par CTE, du
cofinancement européen de ce dispositif et de la sous-consommation des
crédits en 2000 et 2001, la dotation du fonds en 2002 devrait être
supérieure aux besoins réels.
En effet, en 1999, 45 millions d'euros avaient été
accordés au financement des CTE dans la loi de finances initiale et
versés au CNASEA, organisme payeur agréé auprès de
l'Union européenne pour les contrats territoriaux d'exploitation. En
2000, 137,2 millions d'euros avaient été inscrits en loi de
finances initiale et 3,7 millions d'euros seulement avaient été
versés au CNASEA au titre des mesures de conversion à
l'agriculture biologique, 38,1 millions d'euros avaient été
annulés et le solde, soit 95,4 millions d'euros, reporté sur
2001. enfin, en 2001, 61 millions d'euros avaient été inscrits en
loi de finances initiale et versés au CNASEA en juin 2001. restent donc
à ce jour les 95,4 millions d'euros de reports de 2000 qui devraient,
d'après le ministère, être versés au CNASEA dans le
courant du deuxième semestre 2001.
3. Des objectifs qui restent contestés
Si le
bilan quantitatif du dispositif CTE est plus encourageant fin 2001 que fin
2000, il n'en reste pas moins que les objectifs fixés à ce
dispositif restent très critiqués par les agriculteurs notamment
et suscitent encore, somme toute, peu d'engouement chez les agriculteurs.
La principale critique formulée à l'égard des CTE concerne
le caractère trop ambitieux des objectifs fixés qui voudraient en
faire un outil de réorientation totale de la politique agricole. La
complémentarité entre le volet économique des CTE et les
adaptations sociales et environnementales n'existe pas et l'accent donné
à la dimension socio-environnementale de ce dispositif a
contribué à gripper la mécanique dès le
départ.
Les conditions de la réussite de cet outil sont celles que votre
rapporteur spécial avaient soulignées l'année
passée.
a) Privilégier la logique de projets collectifs
L'addition de CTE individuels ne saurait constituer une
politique et
n'assure pas la pérennité des projets ; il est
nécessaire de privilégier des projets collectifs qui, tout en
confortant la vocation économique des exploitations, renforcent les
services de nature sociale et environnementale rendus au territoire.
Ces projets collectifs peuvent être multiformes :
- émaner de territoires dans le cadre de pays, d'une
intercommunalité, d'une petite région agricole ;
- être sous-tendus par des problématiques environnementales
à partir d'enjeux locaux du type bassins versants par exemple ;
- être portés par des outils économiques, notamment les
coopératives qui sont bien placées pour croiser l'approche
territoriale et la valorisation économique des projets.
b) Rechercher la souplesse et la simplification
Les CTE
doivent constituer un outil souple. Les acteurs locaux doivent pouvoir
l'adapter à la réalité de leurs territoires.
L'articulation du dispositif CTE, construit sur une logique de projet, avec le
règlement développement rural, qui n'est qu'une juxtaposition de
mesures, ne doit pas conduire à un empilement de contraintes et à
une unification des démarches et des procédures.
c) Accompagner les dynamiques locales
L'ancrage territorial et la concertation locale impliquant le plus grand nombre d'acteurs sont deux points clés placés au centre du dispositif. Ceux-ci induisent une mise en oeuvre et une gestion déconcentrées des CTE. Dans ce processus, la réussite des contrats repose, entre autres, sur la mobilisation des acteurs du terrain, sur leur diversité et sur leur capacité à faire émerger des projets collectifs.
d) Disposer de moyens suffisants
Le
dispositif des CTE fait appel à plusieurs sources de financement :
des crédits nationaux, des crédits communautaires et
éventuellement des concours financiers des collectivités locales
qui souhaitent s'engager.
Le lien entre CTE et modulation des aides pollue le débat et transforme
le CTE en un outil de redistribution alors qu'il doit être un outil
d'orientation de l'agriculture.
Il s'agit également d'éviter d'entrer dans une logique de course
aux aides au détriment d'une approche qualitative au service d'une
politique départementale.
L'introduction du principe de dégressivité des aides
octroyées au titre du volet environnemental du CTE peut donc se
justifier mais la référence à un montant moyen national
peut générer un effet pervers en incitant à revoir
à la baisse tous les projets.
e) « Européaniser » le CTE
Le
règlement communautaire développement rural encourage la
multifonctionnalité, reconnue désormais au niveau
européen. Il constitue le second pilier de la PAC.
Si le dispositif des CTE s'avère être un modèle de
développement et de réorientation de la politique agricole, il
devrait être applicable dans tous les Etats membres. La
généralisation des CTE au niveau européen aurait
l'avantage de simplifier sa mise en oeuvre. Elle se traduirait, en effet, par
une adaptation du règlement « développement
rural ».
Les autres Etats membres devraient être sensibilisés à
cette question, d'autant plus que certains d'entre eux (Finlande, Portugal,
Italie, Grande-Bretagne, Pays-Bas) semblent intéressés par la
démarche.